L'EUROPE GALANTE

COMPOSITEUR

André CAMPRA
LIBRETTISTE

Antoine Houdar de La Motte

DATE

DIRECTION
ÉDITEUR
NOMBRE
LANGUE
FICHE DÉTAILLÉE
1973
2010
Gustav Leonhardt
La Petite Bande
2
français
1973
1995
Gustav Leonhardt
La Petite Bande
1
français

 Opéra-ballet en un prologue et quatre entrées, sur un livret de Antoine Houdar de La Motte (*), représenté à l'Académie royale de musique, le 24 octobre 1697. Marin Marais assurait la direction, et la distribution comprenait :

(*) Antoine Houdar de La Motte, auteur dramatique, poète et fabuliste, académicien en 1710 (1672 - 1731)

Antoine Houdar de La Motte

Trois airs furent confiés par André Campra à Destouches, alors âgé de vingt-cinq ans, qui travaillait avec lui : Paisibles lieux, agréable retraite, à l'acte I, Nuit, soyez fidelle, l'Amour ne révelle ses secrets qu'à vous, à l'acte II, et Mes Yeux, ne pourrez-vous jamais forcer mon vainqueur à se rendre ? à l'acte IV.

L'état ecclésiastique de Campra lui interdisant de signer un ouvrage dramatique, l'Europe galante fut d'abord représentée sous le nom du frère cadet du compositeur, Joseph Campra, altiste à l'Opéra. Ce n'est qu'après le succès de son second opéra-ballet, le Carnaval de Venise, en 1699, que Campra en revendiquera la paternité, abandonnant (*) son poste de maître de chapelle à Notre-Dame.

(*) ou congédié par le cardinal de Noailles, car circulait alors le couplet suivant :

Quand notre archevêque saura

Que Campra fait un opéra,

Alors Campra décampera

Alleluia.

La famille royale se rendit à plusieurs représentations, ainsi que le relate Dangeau dans son Journal :

Le Secrétaire du Parnasse, publication éphémère éditée en janvier 1698, consacre un long développement critique à l'Europe galante.

... on tomba sur l'Opera de l'Europe galante, qui attirait tout Paris par la singularité du spectacle. Une personne, qui l'avait sur soi, en lut le Prologue, et quelques autres endroits. On n'y trouva rien que de très médiocre, et chacun souhaita qu'un autre Quinault et un second Lully pussent reparaître pour célébrer dignement la Paix. Il est pourtant vrai que celui qui en a fait la musique, donne beaucoup à espérer de sa composition. Mais si le musicien approche tant soit peu de Lully, le poète est encore bien éloigné de Quinault ; et je désespère que ce Phénix renaisse jamais de ses cendres. Si vous me demandez d'où vient donc que cet Opera a un si grand cours, je vous répondrai que j'en suis surpris comme vous ; ce qui augmentera votre étonnement, c'est que le redoutable Roland est tombé devant un si lâche rival. Ne peut-on pas dire que c'est Pâris qui tue Achille ? Si vous voulez vous donner la peine de le lire, vous n'y verrez autre chose que des répétitions de tout ce que M. Quinault a dit de l'amour, encore en mauvais termes : comme quand dom Pedros dit au musicien par qui il fait donner des sérénades à sa maîtresse :

Rendez-lui le plaisir que je sens à l'aimer.

Vous y verrez un Italien qui est jaloux d'un rival que son amante lui préfère : comme si c'était un caractère particulier à cette nation. Voici un épigramme sur ce sujet.

Cette Europe galante est le pays du Tendre.

L'Auteur y dit partout que l'Amour et ses coups

Sont un badinage si doux

Que l'on ne saurait s'en défendre.

Enfin cet opéra, qu'en foule on court entendre,

Favorable aux amants, funeste aux époux,

N'est autre chose, à le bien prendre,

Qu'un lieu commun de rendez-vous.

Il y a encore un Balet à la Turque, qui divertit fort, quoique ce ne soit qu'une imitation de celui de Molière dans le ,Bourgeois gentilhomme. Au reste il est surprenant que le bel esprit soit si bas qu'il soit à présent.

 

L'oeuvre connut de nombreuses reprises au Théâtre du Palais Royal :

Les représentations furent interrompues par la maladie et la mort du Roi, le 1er septembre. Elle reprirent le 1er octobre.

Le 24 août, la représentation fut honorée de la présence de la duchesse d'Orléans, venue la veille de Versailles au Palais Royal.

 Le livret de L'Europe Galante fut édité par Christophe Ballard en 1697. Une seconde édition parut en 1698.

 

Ballard édita également la partition en 1697, qui ne mentionne pas le nom du compositeur.

Une réédition intervint en 1698, puis une troisième en 1699.

La partition fut à nouveau imprimée en 1724, par Jean-Baptiste-Christophe Ballard, avec le frontispice suivant :

L'Europe Galante, Ballet représenté en l'an 1697 Par l'Académie royale de musique De la Composition de Monsieur Campra Maître de Musique de la Chapelle du Roy Partition générale semblable à la dernière édition d''Issé' Les Paroles de cette Pièce sont de Monsieur Lamotte de l'Académie françoise A Paris, de l'Imprimerie de Jean-Baptiste-Christophe Ballard seul Imprimeur du Roy pour la Musique et Noteur de la Chapelle de Sa Majesté 1724

L'Europe galante - partition - 1724

Marie Sallé créa un nouveau divertissement à la fin de la cinquième entrée, qui fut décrit par Cahusac : Mlle Sallé, qui raisonnait tout ce qu'elle avait à faire, avait eu l'adresse de placer une action épisodique fort ingénieuse dans la passacaille de l'Europe galante. Cette danseuse paraissait au milieu de ses rivales avec les grâces et les désirs d'une jeune odalisque qui a des desseins sur le coeur de son maître. Sa danse était formée de toutes les jolies attitudes qui peuvent peindre une pareille passion. Elle l'animait par degrés : on lisait dans ses expressions une suite de sentiments : on la voyait flottante tour à tour entre la crainte et l'espérance ; mais au moment où le sultan lui donne le mouchoir à la sultane favorite, son visage, ses regards, son maintien prenaient une forme nouvelle. Elle s'arrachait du théâtre avec cet espèce de désespoir des âmes vives et tendres qui ne s'exprime que par un excès d'accablement. Ce tableau, plein d'art et de passion, était d'autant plus estimable qu'il était entièrement de l'invention de la danseuse. Elle avait embelli le dessin du poëte, et, dès lors, elle avait affranchi le rang où sont placés les simples artistes pour s'élever jusqu'à la classe des talents créateurs. Dans ce ballet, Marie Sallé dansait avec Mlles Petit, Rabon (*), Durocher, Courcelle, Le Breton, Carville, Centuray et Thybert, toutes en Sultanes.

(*) Mlles Rabon, Richelet et Le Breton étaient les maîtresses du prince de Carignan. Selon un contemporain : « Le prince soupe alternativement avec elles ou toutes les trois ensemble, et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il entretient la Rabon malgré elle, qui ne peut le souffrir et le lui dit tout naturellement ; mais loin de s'en formaliser, il l'en aime davantage. Il est vrai qu'il est obligé d'en venir quelquefois à de fâcheuses extrémités pour la forcer à venir souper avec lui ; et il arrive qu'il la fait monter dans son carrosse à force de soumets et de coups de pied au ... Mais d'ailleurs il paie bien exactement tous les mois. »

Selon le Mercure : Ce Ballet incomparable a été reçu aujourd'hui avec les mêmes applaudissements et le même plaisir qu'il a toujours fait au public.

Les représentations se poursuivirent en juillet, le public ne se lassant pas d'applaudir un ouvrage aussi parfait.

Colin de Blamont le fit exécuter avec la plus grande perfection aux Concerts de la Reine Marie Leszczynska, les 4 et 9 juillet 1736, et l'ouvrage reçut, selon le Mercure, à la Cour les mêmes applaudissements qu'à la ville.

Le 11 octobre 1764, l'acte de la Turquie fut représenté à Fontainebleau devant Leurs Majestés, avec des ballets de Laval Père et Fils, maîtres de ballets.

La distribution réunissait : Mlle Chevalier (Roxane), L'Arrivée (Zuliman), Mlle Coupée (Zaïde), Durand (le Bostangi). Ballets - Sultanes (Mlle Lani, Mlles Demiré, Rey, Petitot, Perin, Buard, Godot, d'Ornet, Claireval, Adelaïde, La Croix), Bostangi (Lani, Laval et Gardel, Hiacinthe, Lelievre, Trupti, Lanai C., Riviere, Gogier, Dubois, Gougi), Icoglans (Dauberval, Campioni et Léger, Beat, Cezeron).

Le 17 juin 1766, les actes de l'Italie et de la Turquie furent repris dans le cadre de Fragments, suivis de Zélindor, roi des Sylphes, de François Francoeur et François Rebel.

La distribution réunissait :

 

L'acte La Turquie ou L'Acte Turc fut repris à Fontainebleau en 1768, avec une distribution réunissant : Larrivée (Zuliman), Mlle Dubois (Roxane), Mlle Larrivée (Zaïde), Gelin (un Bostangi). Ballets - Sultanes (Mlle Allard, Mlles Duperey, Gardel, Mlles Grandi, Godeau, Audinot, Lafond, Dumirey, Clairval, St Martin, Luillier), Bostangis (Despréaux et Riviere, Léger, Simonin, Lelievre, Granier, Lani, Hiacinte), Icoglans (Dauberval, Beat, Malter, Giguet et Daubuisson).

 

La BNF conserve cinq maquettes de costumes dessinés par Louis-René Boquet pour l'acte Turc, datés de 1766.

 

L'Europe galante est considérée comme l'archétype sur lesquelles se fondèrent les musiciens du XVIIIe siècle jusqu'à Rameau.

La duchesse d'Orléans, dite la Palatine, écrivit dans une lettre du 10 novembre 1697 : Ce... n'est à la vérité qu'un ballet, mais c'est bien gentil... On y montre comment les Français, les Espagnols, les Italiens et les Turcs font l'amour ; les caractères de ces nations y sont si parfaitement dépeints que c'en est très amusant.

Le Docteur Martin Lister, dans son ouvrage A Journey to Paris in year 1698, écrivit pour sa part : Je suis allé plusieurs fois à l'Europe galante qu'on regarde comme l'un des meilleurs (opéras). Il est fort beau ; la musique et le chant admirables, le théâtre grand, magnifique et bien garni d'acteurs, les décors bien appropriés au sujet et les changements à vue aussi prompts que la pensée ; les danses accomplies, car elles sont exécutées par les meilleurs maîtres de cet art ; les costumes enfin, riches, convenables et d'une grande variété.

Plus tard, en 1754, Cahusac qualifiait L'Europe galante de premier de nos ouvrages lyriques qui n'a point ressemblé aux opéras de Quinault.

Une parodie, La Foire galante, de Dominique fut jouée le 25 juillet 1710, à la Foire St Germain.

 

En 1880, Théodore de Lajarte réalisa une réduction pour chant et piano.

 

Synopsis détaillé

Prologue

Une forge galante où les Grâces, les Plaisirs et les Ris sont occupés à forger les traits de l'Amour.

Personnages : Vénus, la Discorde, Troupe de Jeux, de Plaisirs, et de Grâces

Vénus descend pour les exciter au travail. Survient la Discorde, qui entame une querelle avec Vénus à propos du pouvoir de l'Amour. Vénus promet de lui montrer comment l'Amour. triomphe dans tous les pays.

Première entrée : la France

Le Français est dépeint comme volage, indiscret et coquet

Personnages : Silvandre, berger, Céphise, bergère, Dortis, bergère, Philène, confident de Silvandre, Troupes de Bergers, de Bergères, et de Pâtres

Un bocage, et dans le fond, un hameau

Silvandre confie à Philène qu'il abandonne Doris pour Céphise, pour qui il a organisé une fête. Il se vante de son inconstance. Céphise, seule, méprise l'amour en dépit de toutes les tentatives des bergers. Elle tombe sur les Bergers qui la convient à se laisser aller à l'amour. Apprenant de Silvandre qu'il est épris d'elle, elle lui reproche d'avoir abandonné Doris, et repousse ses avances. Survient Doris, qui se lamente que Silvandre l'ait délaissée, et décide de se venger.

Deuxième entrée : l'Espagne

L'Espagnol est dépeint fidèle et romanesque

Personnages : Dom Pedro, Dom Carlos, Troupes de Musiciens et de Danseurs

Une place publique, la nuit

Don Pedro, cavalier espagnol, soupire sous le balcon de sa maîtresse Lucile. Arrive Don Carlos, avec une troupe de musiciens et danseurs qui donnent une sérénade. Don Pedro croit que c'est pour Lucile. En fait, Don Carlos est amoureux de Léonore.

Troisième entrée : l'Italie

L'Italien est dépeint jaloux, fin et violent

Personnages : Octavio, seigneur vénitien, Olimpia, Vénitienne, Troupe de Masques

Une salle magnifique, préparée pour un bal

Octavio reproche à Olimpia de ne pas l'aimer assez. Olimpia a compris qu'il est jaloux qu'elle vienne au bal. Surviennent des Vénitiens masqués. Deux Vénitiennes les invitent au bal. A la fin du bal, Olimpia s'étonne de l'absence d'Octavio. Ce dernier arrive, remettant son poignard, et annonçant qu'il vient de tuer l'amant d'Olimpia. Celle-ci avoue, et reproche à Octavio de ne pas avoir su lui plaire. Elle le quitte. Octavio, après une crise de colère, comprend "qu'il n'a plus qu'à tomber aux genoux de l'ingrate".

 Quatrième entrée : la Turquie

Elle dépeint la hauteur et la souveraineté des Sultans, et l'emportement des Sultanes

Personnages : Zuliman, sultan, Roxane, sultane, Zaïde, sultane, Troupe de Sultanes, Le Bostangi Bachi ou grand Jardinier, Troupe de Bostangis,

Les Jardins du Sérail, et dans le fond, le Palais des Sultanes

Les Jardins du sérail  - décor - Atelier Bérain

Zaïde a été enlevée comme esclave, mais est tombée amoureuse du sultan. Arrivent Roxane et le sultan Zuliman. Roxane se plaint de ne plus être aimée du sultan qui avoue qu'il en aime une autre. Les Sultanes dansent pour le Sultan. Ce dernier complimente Zaïde, et lui avoue que c'est d'elle qu'il est épris. Roxane tire un poignard et tente de tuer Zaïde. Le Sultan lui arrache le poignard, et la fait arrêter. Le Sultan appelle aux réjouissances. Danse des Bostangis ou Jardiniers du Sérail.

Epilogue

Vénus, la Discorde, Troupe de Plaisirs volants

La Discorde, constatant que tout cède à l'Amour, s'avoue vaincue. Vénus envoie les Plaisirs "accroître encore son empire et sa gloire". 

 

 

Représentations :

 

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=c3Ihe8b195w&playnext=1&list=PL37FCFBFFF03B63A5&feature=results_video (L'Espagne - quatrième Entrée)

"...les voix de cette Europe galante sont très faibles. Mis à part Isabelle Druet, Violaine Kiefer et surtout Sydney Fierro, baryton mordant et Soliman crédible, les quinze solistes...se trouvent surexposés dès qu'ils sortent du choeur. Avouons à leur décharge qu'ils ne sont guère aidés par l'espèce de patois languedocien qu'on leur a enseeigné en guise de prononciation restituée, ni par l'économie radicale des costumes (défilé de marcels blancs, jeans, tee-shirts noirs, foulards...) ou la mise en espace bricolée avec des bouts de ficelles par un "spécialiste des techniques de jeu d'acteur des XVII et XVIIIe siècles" autoproclamé."

"Le choix s\92est porté cette année sur l\92Europe Galante d\92André Campra, et sur William Christie pour diriger, choix évident, car le chef franco-américain en plus d\92une connaissance approfondie du style, n\92a pas son pareil pour exalter la grâce, la finesse et l\92élégance chorégraphique de ces comédies-ballets divertissantes et un peu frivoles dont cette Europe Galante fut l\92un des modèles.

L\92\9Cuvre a été créée en 1697, première partition lyrique de Campra, qui s\92était jusqu\92alors consacré à la musique liturgique. La pièce est divisée en quatre tableaux décrivant sur un mode humoristique les m\9Curs amoureuses de différents peuples d\92Europe, précédés par un prologue, sorte de reliquat de la tragédie lyrique, puisque c\92est dans cette partie que sont relégués dieux et allégories. L\92argument est mince, les Français batifolent dans les bosquets au milieu des agneaux, les Espagnols lancent des déclarations enflammées au crépuscule, les Italiens sont jaloux et colériques, et les Turcs ont le choix puisqu\92ils ont un harem. On a donc des silhouettes plus que de véritables personnages, mais l\92important est dans une musique d\92apparence simple, mais d\92une grande subtilité, efficace et charmante, prétexte à de nombreuses chorégraphies.

Conçue pour tourner, cette production bénéficie de la mise en espace intelligente et fonctionnelle de Javier Lopez Pinon, qui fait la plupart du temps se déplacer les chanteurs autour de l\92orchestre. Tout cela est efficace et intelligible, les atmosphères des différentes entrées sont bien différenciées par les lumières et par quelques éléments de costume. La danse est évidemment une part essentielle du spectacle, les nombreux épisodes chorégraphiques sont bien réglés, s\92intègrent bien à l\92ensemble, et sont très bien exécutés par les cinq danseurs et danseuses. Musicalement aussi, le spectacle est très réussi, grâce en premier lieu à un orchestre superbe de cohésion et de justesse, superbement mené par la japonaise Satomi Watanabe, une konzertmeisterin dont le jeu conjugue élégance et tempérament. Le niveau de ces jeunes instrumentistes est très impressionnant, et une belle assurance pour la qualité technique des ensembles dans lesquels ils s\92intégreront dans le futur.

Côté chant, on est d\92abord surpris par la diction, William Christie ayant imposé une prononciation d\92époque. On entend donc des « s » qui sont devenus muets dans notre parler actuel, l\92accent est grasseyant, et « victoire » se prononce « victouère ». C\92est assez déroutant, mais l\92oreille s\92y fait vite, le résultat est mélodieux, et chanteurs francophones et étrangers sont placés sur un pied d\92égalité puisqu\92ils doivent tous faire un effort pour restituer la langue. Le niveau des chanteurs est assez fluctuant, certains semblent presque prêts à se lancer dans la carrière, tandis que d\92autres ont encore beaucoup à apprendre, et à attendre, car leur voix n\92est pas encore arrivée à maturité. Parmi les voix les plus intéressantes, on retiendra les noms de Frédéric Burdet, interprète d\92un monologue tout intérieur en Espagne, de Clémentine Margaine, Discorde au mezzo corsé et au fort tempérament dramatique, d\92Anna Sanchez, au français perfectible, mais au timbre de soprano sombre très prenant. Intelligemment, les chanteurs les plus accomplis ont été en général distribués dans les derniers tableaux, ce qui fait monter la soirée en puissance. L\92entrée italienne vaut essentiellement pour la fière et délurée Clara Coutouly, et pour le beau timbre de ténor de Lisadro Nesis, quoique ses aigus soient assez serrés. Rien à redire sur la Turquie, très bien chantée par l\92émouvante Isabelle Druet en Zaïde, par la séduisante et sensuelle Sarah Breton en Roxane, et par un Sydney Fierro noble et fier en sultan Soliman. La palme de la soirée ira à Jérémie Lesage, interprète d\92un hilarant numéro d\92eunuque, chantant avec une parfaite maîtrise dans une langue turque imaginaire."

"Dix ans après la mort de Lully, en 1697, l\92Académie royale accueille un nouveau genre : l\92opéra-ballet. Cette Europe galante que Campra, alors tenu par des fonctions ecclésiastiques, ne signe pas, se situe entre le Ballet des Nations du Bourgeois gentilhomme et les futures Indes galantes. Chaque acte est prétexte à disserter sur l\92amour décliné selon sa patrie. La France est inconstante, l\92Italie passionnée, l'Espagne fidèle et la Turquie violemment jalouse. Dans cette production de l\92Académie européenne d\92Ambronay, l\92acte ottoman est le plus réussi, celui où se découvrent de futures belles voix (I. Druet, S. Breton, J. Lesage) malgré le parti pris d\92une prononciation à l\92ancienne qui force le chant à une nasalisation souvent handicapante. La chorégraphie fluide et élégante de M.-G. Massé remporte les suffrages. La mise en espace façon Chorus Line de J. Lopez Pinon rehausse à peu de frais l\92action. Mais le triomphateur de cette soirée est l\92orchestre de l\92Académie, aux sonorités riches, que W. Christie porte à l\92excellence, d\92autant que les coupes dans la partition offrent de goûter le meilleur d\92une musique tour à tour originale (les danses), noble (les choeurs) et touchante (les airs)."

"Petite édition pour l\92Académie d\92Ambronay qui investissait le Théâtre Gabriel dans le cadre du cycle des Tragédies Lyriques et autre opéras-ballets présenté par le Centre de Musique Baroque de Versailles. Une seule voix, celle du Suliman de l\92entrée turque, Sydney Fierro, et des danseurs et danseuses dont l\92élévation du niveau technique surprend toujours lorsqu\92on la compare à celle de leurs collègues chanteurs, avec une mention spéciale pour Bruno Benne, dont les talents d\92acteurs et le penchant pour le mimodrame s\92employaient avec efficacité dans l\92entrée italienne.

C\92est ici et dans l\92entrée espagnole que Campra a mis ses plus belles musiques, sérénades et airs élégiaques voilés d\92une tristesse qui illustre bien l\92intrigue étonnante dont a accouché Houdar de la Motte, cette histoire d\92amour entre une chanteuse et un danseur qui déclenche l\92ire d\92un amant éconduit. On est à deux doigts de Paillasse. Les deux autres entrées sont en dessous, jolies bergerettes françaises, cérémonies turques convenues.

William Christie conduit avec efficacité, laissant l\92inspiration, ce péché absolu, de côté. Pourtant la musique de Campra en aurait bien besoin, toute empêtrée qu\92elle s\92est trouvée dans une prononciation restituée arbitraire, frôlant le grotesque et rendant les dictions sibyllines. Que les pastorales languedociennes comme Daphnis et Alcimadure de Mondonville se prêtent à cet exercice, pourquoi pas, mais dans L\92Europe Galante, tout provençal que fut de naissance Campra, ces collections de tics phonétiques n\92avaient rien à faire, et nuisaient même à un spectacle modeste, mais bien vu."

"Depuis douze ans, l'Académie baroque européenne, qui se tient dans le cadre du festival d'Ambronay, propose à de jeunes artistes une formation intensive autour d'une oeuvre du répertoire baroque, débouchant sur un spectacle. Il faut donc prendre cette production de « L'Europe galante » d'André Campra pour ce qu'elle est : le fruit d'un travail d'atelier. Pour la troisième fois, William Christie est le mentor de ces talents qui ne demandent qu'à s'épanouir. Avec, au programme, cet opéra-ballet en cinq tableaux, Carte du Tendre fantaisiste dont les détours amoureux se terminent en Turquie, après avoir traversé la France, l'Espagne et l'Italie. N'accablons pas les chanteurs ; certaines voix attirent l'attention (Violaine Kiefer/Vénus, Sydney Fierro/Zuliman), par leur timbre et la clarté de leur émission, mais beaucoup trébuchent sur la diction. Dans une mise en espace anodine de Jesus Lopez-Pinon, la chorégraphie de Marie-Geneviève Massé joue la carte de l'humour, sans pour autant emporter l'adhésion, car passablement systématique.

Le grand plaisir de la soirée, on le doit à l'orchestre, mené avec brio par Christie, qui ne s'est pas contenté de donner du style à ces interprètes avides d'apprendre. Il leur a appris la variété, le dynamisme dans les phrasés ; il a su, dans ces scènes où l'intrigue est réduite à sa plus simple expression, leur insuffler le sens du théâtre, en n'oubliant pas d'intégrer les divertissements dansés dans la progression du discours. Rayonnante de jeunesse et de poésie, la musique de Campra a trouvé là d'ardents défenseurs."

 

 

 

 

 

 

Retour page d'accueil