COMPOSITEUR
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Pier Francesco CAVALLI
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LIBRETTISTE
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Aurelio Aureli
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ENREGISTREMENT
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ÉDITION
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DIRECTION
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ÉDITEUR
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NOMBRE
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LANGUE
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FICHE
DÉTAILLÉE
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1999
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2006
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Roberto Solci
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Ducale Music
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2
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italien
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Livret anonyme,
écrit par "une plume savante de Venise", sans doute
remanié par Aurelio Aureli. Les sources historiques
résident dans une biographie d'Héliogabale par Aelius
Lampridius, historien romain de la fin du IVe siècle), reprise
dans l'Historia
Augusta.
Opéra composé en
1667 pour le Teatro San Giovanni et Paolo de Venise. Il devait
être représenté durant le carnaval de 1668, mais
fut retiré, pour des raisons mal connues (livret trop
osé, musique démodée ?), et remplacé par
un opéra au titre identique composé par Giovanni
Antonio Boretti, alors âgé de vingt-sept ans, sur un
nouveau texte d'Aurelio Aureli.
Le manuscrit est conservé à
la Biblioteca Marciana de Venise dans la Collection Contarini.
Personnages : Eliogabalo,
empereur de Rome ; Alessandro Cesare, cousin d'Eliogabalo et son
successeur désigné, fiancé de Flavia Gemmira ;
Flavia Gemmira, noble romaine, soeur de Giuliano Gordio,
fiancée d'Alessandro ; Giuliano Gordio, frère de Flavia
Gemmira, commandant de la garde impériale ; Anicia Eritea,
noble romaine, maîtresse de Giuliano ; Atilia Macrina,
aristocrate romaine, éprise d'Alessandro ; Zotico, confident
et amant d'Eliogabalo ; Lenia, nourrice d'Eliogabalo ; Nerbulone,
serviteur d'Eliogabalo ; Tiferne, premier gladiateur du Grand cirque,
esclave de Zotico ; deux consuls
Synopsis
Acte I
(1) Alessandro, cousin de l'empereur Eliogabalo et
proclamé César, a maté la rébellion de la
garde prétorienne. Les soldats demandent pardon à
l'empereur Elïogabalo. Mais celui-ci ne se préoccupe pas
tant de politique que de la belle Eritea qu'il vient de violer. Au
grand désespoir de Giuliano, son amant, Eritea exige
d'Eliogabalo une promesse de mariage. (2) Resté seul avec deux
confidents, Zotico et Lenia, Eliogabalo se présente comme un
séducteur forcené : il veut posséder mille
femmes, mais ne devoir fidélité à aucune. Il
charge Lenia de lui trouver de nouveaux plaisirs.
(3) Nerbulone en a assez d'être un "cocher pour
les femmes". Lenia lui déclare à nouveau sa flamme et
lui promet toutes ses richesses en échange de l'amour. (4)
Nerbulone loue les femmes d'un certain âge qui sont prodigues
de leur amour et généreuses avec leur argent.
(5) Près du temple, Flavia Gemmira évoque
la jalousie qu'engendre l'amour. (6) Alessandro, qui l'a
observée à la dérobée, chante la joie de
la retrouver. Flavia craint qu'Eliogabalo ne veuille se
débarrasser de lui parce qu'il est soutenu par le peuple et le
sénat. Alessandro parvient à calmer Flavia en
évoquant leur mariage. (7) Il annonce à Eliogabalo son
mariage avec Flavia. Lorsqu'il entend ce nom, Eliogabalo se renseigne
sur elle auprès de Lenia et Zotico; il décide de la
conquérir. Il fait croire à Alessandro qu'il consent
à son mariage. (8) Avec la collaboration de Lenia et Zotico,
il concocte un plan visant à conquérir Flavia. Cela
n'est pas sans risque car Alessandro est le successeur au
trône, et Flavia la soeur de Giuliano, commandant de la garde
prétorienne. Eliogabalo décide de se débarrasser
de son cousin et conçoit l'idée d'un sénat
composé de femmes. Cette assemblée réunira les
plus belles femmes et Eliogabalo y invitera également Flavia.
Alessandro est prié d'accompagner la jeune Atilia à ce
sénat.
(9) Après ce qu'il a entendu, Giuliano met en
doute l'amour d'Eritea. Il en perd quasiment la tête en
présence de Nerbulone, qui célèbre la puissance
des femmes, ces " magiciennes de l'amour ".
(10) Atilia avoue sa flamme à Alessandro, qui
l'éconduit avec gentillesse et fermeté : il restera
fidèle à Flavia. Ils se rendent ensemble au
sénat. (11) Entre temPs voici qu'arrive aussi Gemmira, en
compagnie de Lenia : lorsqu'elle voit Alessandro se rendre au
sénat avec Atilia, une folle jalousie la submerge. Lenia en
tire habilement parti et informe Flavia des sentiments que nourrit
pour elle Eliogabalo. Elle conseille à Flavia
d'éveiller la jalousie d'Alessandro en se comportant avec
froideur. (12) Lenia parvient ainsi à les monter tous deuxl'un
contre l'autre. (13) Alessandro se retrouve seul, bouleversé
par l'inconstance des belles femmes.
(14) Déguisé en femme, Eliogabalo
préside son tout nouveau sénat. (15) Il chante
l'éloge des femmes. Un jeu décidera de l'attribution
des fonctions et nominations honorifiques : les yeux bandés,
les femmes doivent deviner qui les embrasse. Eliogabalo profite du
jeu pour étreindre Flavia. (16) C'est à ce moment
qu'Eritea fait irruption et exige d'Eliogabalo qu'il respecte la
promesse faite de l'épouser. (17) Nerbulone raille le
sénat des femmes, mais Lenia lui rappelle l'avantage qu'ils
pourront en tirer tous deux.
Acte II
(1) Atilïa réitère ses avances
à Alessandro, mais celui-ci ne veut répondre à
cette passion. (2) Elle se rend compte qu'elle devra espérer
en silence. (3) Giuliano fait part de sa douleur à Eritea.
Celle-ci révèle qu'Eliogabalo l'a violée et que
son coeur appartient toujours à Gïuliano. Giuliano
constate qu'il restera un " signor senza possesso"...
(4) Après l'échec du sénat des
femmes Eliogabalo doit trouver un autre moyen d'attirer Flavia dans
son lit. Lenia propose d'organiser un banquet au cours duquel un
soporifique sera versé à Flavia. Eliogabalo veut
profiter de l'occasion pour empoisonner Alessandro. (5) Eliogabalo
invite Flavia au banquet. Lorsqu'avec modestie elle décline
l'invitation, il lui promet le trône impérial. A bout
d'arguments galants, l'empereur impatienté décide que
le soporifique sera le seul moyen d'en venir à bout. (6)
Seule, Flavia en appelle encore à Alessandro, et
déplore la peine d'amour. (7) Arrive Alessandro qui reproche
à Flavia sa complaisance envers l'empereur. Flavia, quant
à elle, lui reproche de vouloir courtiser Atilia. Nerbulone,
présent, commente l'altercation avec amusement.
(8) Pour suivre l'affaire de près, Alessandro
veut se rendre au banquet incognito. Il compte sur la collaboration
de Nerbulone, qui se réjouit à la perspective d'un
repas opulent et de vins délicats.
(9) Giuliano et Eritea chantent leur amour
réciproque. (10) Eliogabalo surprend ce duo d'amour et y voit
une occasion de se débarrasser d'une femme gênante : il
chasse "l'infidèle" de son palais, et propose un marché
à Giuliano: lui-même renoncera à ses droits sur
Eritea si Giuliano lui offre sa soeur, Flavia. (11) Giuliano est
déchiré: s'il choisit de prendre Eritea pour lui, il
rompt sa promesse à Flavia et Alessandro. Il se résout
à mourir plutôt que de manquer à sa foi.
(12) Le banquet va commencer dans le jardin. Zotico
raille le comportement amoureux des hommes. Lenia supervise les
préparatifs tout en émettant des réserves sur le
meurtre projeté d'Alessandro. Zotico estime que les crimes
commis à la demande du souverain sont légitimes. (13)
Pendant le banquet, Eliogabalo cherche à courtiser Flavia,
mais l'absence d'Alessandro l'inquiète. Nerbulone, qui boit le
vin prévu pour Flavia, s'endort. Soudain des hiboux foncent
sur le banquet - c'est un mauvais présage. Zotico persuade
Eliogabalo de reporter le banquet au lendemain.
Acte III
(1) Flavia et Eritea maudissent Eliogabalo et chassent
Lenia, dont elles ont deviné le manège. (2) Flavia et
Eritea exigent de Giuliano qu'il tue Eliogabalo afin de venger leur
honneur. Giuliano finit par se résoudre.
(3) Alessandro reproche à Nerbulone
l'échec de leur plan. Nerbulone affirme que cet échec
est dû au vin ; il rapporte les circonstances pour lesquelles
le banquet a été reporté au lendemain.
Lorsqu'Alessandro apprend que Flavia sera de nouveau de la partie, sa
méfiance se réveille ; Nerbulone évoque
l'inconstance et les exagérations de toute âme
éprise.
(4) Sûr de lui, Eliogabalo estime qu'il aura
tôt fait de conquérir Flavia, mais Lenia lui rapporte le
changement d'attitude de celle-ci. À l'extérieur du
palais, les prétoriens mécontents réclament la
mort d'Eliogabalo. Sur les conseils de Lenia et Zotico, l'empereur
inonde les soldats d'or et de pierres précieuses. L'opinion se
renverse mais Eliogabalo comprend qu'il est temps d'agir : Alessandro
doit mourir. Zotïco propose d'organiser un combat de gladiateurs
au cours duquel Alessandro sera tué.
(5) Tandis qu'Elïogabalo célèbre la
volupté de l'amour, Giuhano se tient caché, prêt
à l'assassiner. (6) Alessandro arrive juste à temps
pour empêcher ce meurtre. Eliogabalo lui enjoint d'assister au
combat des gladiateurs et de le laisser seul avec Giuliano.
Alessandro se cache pour écouter leur entretien. Giuliano
offre à Eliogabalo la main de Flavia, mais il se jure de tuer
l'empereur avant que les choses en arrivent là. (7) Pour mener
à bien le plan de Giuliano, Flavia doit feindre de consentir
à épouser Eliogabalo. Celui-ci déclare à
nouveau sa passion, mais Flavia a relevé la présence
d'Alessandro et se rétracte. Eliogabalo part, courroucé
par l'humiliation que lui a infligée Flavia. (8) Alessandro,
qui ignore le plan, est désemparé : pour lui, Flavia
est perdue. (9) Apparaît Atïlia qui promet à
Alessandro son amour en échange du sien. Alessandro
déclare qu'il ne trahira pas sa foi. Mais si jamais il
était contraint d'en épouser une autre que Flavia, il
consentirait à prendre Atilia pour femme. (10) Flavia n'a
entendu que ces dernières paroles et, furieuse, elle insulte
le "traître". Les amants se déchirent à nouveau.
Mais voici venir Giuliano qui révèle à
Alessandro le projet d'assassiner l'empereur. Alessandro s'oppose
à tout projet de ce genre, même s'il lui en coûte
de céder Flavia à Eliogabalo.
(11) Zotico taquine Lenia qui déplore la
tristesse de la vieillesse. Puis ils examinent le plan du combat de
gladiateurs qui doit donner à Eliogabalo l'occasion de se
retrouver seul avec Flavia dans ses appartements. Lenia et Zotico
exhortent les jeunes filles à ne pas sous-estimer l'Amour.
(12) Le premier combat de gladiateurs commence au
Cirque Maximus. Giuliano s'impatiente car l'empereur ne se montre
pas. Tïferne, le meilleur des lutteurs, s'approche d'Alessandro
qui doit lui révéler le nom de la bête sauvage
qu'il va devoir affronter, et tente en vain de le tuer.
Immobilisé, Tiferne est obligé de révéler
qu'il agit sur ordre de Zotico. Le peuple de Rome exige la mort de
l'empereur. (13) Flavia annonce l'assassinat de l'empereur qui a
tenté de la violer. Alessandro prétend punir les
coupables de ce régicide, (14) quand Eritea, Gemmira et
Giuliano louent ce meurtre qui a vengé l'honneur des deux
femmes. (15) Atilia rapporte que Zotico et Lenia ont
été assassinés par le peuple en colère.
Au nom du peuple, deux consuls offrent la couronne impériale
à Alessandro. Celui-ci projette de pouvoir enfin
épouser Flavia, tandis qu'Eritea rêve d'une vie avec
Giuliano. Atilia dit renoncer à Alessandro et part en
quête d'un autre mari.
(livret La Monnaie)
"Après la mort de Monteverdi, l'opéra
vénitien a été dominé pendant plus d'un
quart de siècle par Francesco Cavalli. De la bonne trentaine
d'opéras qu'il écrivit, Eliogabalo est le dernier
à nous être parvenu. Cavalli a composé cette
oeuvre pour la saison 1668 du carnaval vénitien, mais elle n'a
jamais été interprétée, vraisemblablement
en raison d'une censure politique ou religieuse. Au centre de
l'action figurent la fin violente de l'empereur romain
Héliogabale (218-221), qui mena une vie de débauche, et
la prise de pouvoir par Alexandre Sévère (221-233). En
dépit de l'hégémonie croissante des chanteurs
virtuoses, Cavalli est resté fidèle à l'esprit
des derniers opéras de Monteverdi, accordant une très
grande attention à l'aspect théâtral."
(Présentation - La Monnaie - 2003)
- Bruxelles -
Théâtre de la Monnaie - Salle des
Choeurs - 1er mai 2004 -
Colloque Eliogabalo - avec Ellen Rosand, Mauro Calcagno, Jette
Barnhold Hansen, Jean-François Lattarico, Dinko Fabris,
René Jacobs, Vincent Boussard
- Crescendo -
avril/mai 2004 - Cavalli ou le Théâtre de la
subversion - Eliogabalo à La Monnaie
Représentations :
- Northington - Grange Park
Opera - 4, 6, 14, 21, 26 juin, 2,
5 juillet 2009 - dir. Christian Curnyn - mise en scène
David Fielding - décors, costumes David Fielding -
lumières Wolfgang Goebbel - avec Renata Pokupic
(Eliogabalo), Claire Booth (Eritea), Sinéad Campbell
(Flavia), Yvette Bonner (Atilia), Anna Stephany (Allesandro),
James Laing (Giuliano), Tom Walker (Lenia), Ashley Catling
(Zotico), João Fernandes (Nerbulone)
- Aspen - Wheeler Opera
House - Colorado - Festival
d'Aspen - 14, 16, 18 août 2007 - dir. Jane Glover - mise en
scène Edward Berkeley - avec Cecilia Hall (Eliogabalo),
Alex Mansoori (Lenia), Christin Wismann (Alessandro), Hannah
Celeste Nelson (Eritea), Ariana Wyatt (Flavia), Carin Gifrey
(Atilia), Ellen Putney Moore (Giuliano), Sarah Larsen (Zotico),

- Bruxelles -
Théâtre de la Monnaie - 27, 29, 30 avril, 2, 4, 6, 7, 9, 11, 12 mai
2004 - Vienne - 24, 26, 28, 30 mai, 1er juin 2004 -
Innsbruck - Tiroler
Landestheater - 13, 14, 16
août 2004 - Choristen des Königlichen Konservatoriums
Brüssel - chef de choeur Philippe Gérard - Concerto
Vocale - dir. René Jacobs - mise en scène Vincent
Boussard - décors Vincent Lemaire - costumes Christian
Lacroix - lumières Alain Poisson - avec Silvia Tro
Santafé (Eliogabalo), Sophie Karthäuser / Nuria Rial
(Eritea), Lawrence Zazzo / Christophe Dumaux (Giuliano), Jeffrey
Thomson (Zotico), Sergio Foresti (Nerbulone), Annette Dasch
(Flavia Gemmira), Céline Scheen (Atilia), Giorgia Milanesi
(Alessandro), Joao Fernandez (Tiferne), Mario Zeffiri (Lenia) -
nouvelle coproduction avec Wiener Festwochen - le 29 avril :
Núria Rial, Sophie Karthäuser (Eritea)


- Crescendo - été 2004 - Eliogabalo ou l’empire des sens - 29 avril 2004
"René Jacobs
annonçait un cru supérieur, sorte d’hommage à
Monteverdi doublé d’une brillante variation sur le
thème de Don Juan : Eliogabalo est tout cela et beaucoup plus.
Cavalli refuse la mode du belcanto et forge un récitatif
souple et animé, traversé d’envolées lyriques
plus (ariosi) ou moins (arie strophiques) brèves et d’une
dizaine de ces sublimes et intenses lamenti dont il a le secret.
Certes, pour démêler une intrigue noueuse et
apprécier la richesse allusive du texte, effleurée dans
des surtitres souvent elliptiques, le public aura tout
intérêt à décoder le livret avant la
représentation. Mais c’est là une réserve
minime, tant la magie du spectacle, entre baroque et glam rock, et
les lignes voluptueuses de Cavalli nous emportent loin, très
loin des contingences de ce monde. Seuls des artistes doués
pour la déclamation et le jeu de scène peuvent redonner
vie à ce prodigieux théâtre musical. René
Jacobs a réuni une vraie troupe mêlant valeurs
sûres (Lawrence Zazzo, Annette Dasch...) et promesses d’avenir
(Céline Scheen, Jeffrey Thompson...), stimulés par une
direction d’acteurs alerte et très physique. “J’ai
rêvé d’en jouir et j’en jouirai, car avec moi, le
rêve ne s’est jamais risqué de mentir”: poursuite
effrénée du plaisir et folie des grandeurs, tout
Eliogabalo tient dans cette réplique. Mais l’adolescent
rêve aussi d’avoir un corps de femme et si le mezzo, hier
appuyé, de Silvia Tro Santafé révèle
aujourd’hui des nuances insoupçonnées, son timbre comme
son physique n’ont, hélas, rien d’androgyne. On se rappelle, a
contrario, le Nerone de Malena Emman (Agrippina), affolante
d’ambiguïté au point d’être prise pour un
contre-ténor. L’improbable effeminato est ici
éclipsé par Lenia, son entremetteuse (Mario Zeffiri,
impayable en travesti almodovarien), et Zotico, gitan punk à
l’allure inquiétante (Jeffrey Thompson, en roue libre). Si ses
intentions ne sont pas toujours lisibles, la mise en scène
manie habilement les références comme autant de miroirs
et d’échos à peine troublés, du Bacchus joufflu
du Caravage aux nageurs de Leni Riefenstahl (les dieux du stade,
projeté sur un astrolabe géant). Le visuel est
époustouflant de beauté : aux splendeurs chromatiques
des décors de Vincent Lemaire répond la palette hardie
de Christian Lacroix, dont les créations évoquent
l’univers sensuel et fantasque de cet éphèbe adorateur
du Soleil propulsé empereur de Rorne, mais avant tout
“empereur de l’extravagance”."
- Le Monde de la Musique
- juillet/août 2004
- Les sortilèges de
Cavalli
"Après avoir
dirigé et enregistré La Calisto, Giasone et Xerse,
René Jacobs poursuit son exploration du fabuleux univers
théâtral de Francesco Cavalli (1602-1679), portant
à la scène l’ultime partition conservée du
maître vénitien (celles de Coriolano, datant de 1669, et
Massenzio, de 1673, ont disparu). Composé sur un livret
anonyme, complété par Aurelio Aureli, Eliogabalo (1668)
relate les derniers jours d’un empereur décadent, parvenu au
pouvoir à quatorze ans en 218, tué par la garde
prétorienne à dix-sept. Plus que la boulimie sexuelle
du tyran, son assassinat (sa débauche n’entame en rien son
autorité naturelle) et une présentation peu glorieuse
de la vie politique (la nomination axbitraire d’un Sénat de
femmes) ont sans doute alerté la censure, qui fit interdire
les représentations. Fidèle à l’esprit de
l’opéra vénitien, Eliogabalo réunit une galerie
de portraits où se croisent les victimes de l’empereur, son
amant, son cousin qui lui ravira le trône et une nourrice aux
talents d’entremetteuse. Récitatifs, airs accompagnés
par l’orchestre et ritournelles instrumentales participentàla
vie musicale d’une riche partition de trois heures où
alternent épisodes comiques (vifs) et passages
tourmentés (lamentos sur basse chromatique
descendante).
La dimension des salles
d’opéra modernes a incité René Jacobs à
fournir les rangs du Conœrto Vocale en violons, violes, flûtes,
cornets et autres trombones. Le soin apporté à la
métrique mobile des récitatifs comme à
l’accompagnement orchestral des airs participe à la
réussite musicale de ce spectacle. Pour animer cette
pittoresque ménagerie humaine, il aurait fallu davantage
d’imagination et de culot que la mise en scène de Vincent
Boussard qui pense bousculer les époques en évoquant le
souvenir de Pompéi, chaussant Eliogabalo de semelles
compensées et projetant un extrait du film de Leni Riefenstahl
sur les Jeux olympiques de Berlin en 1936 pour illustrer les jeux du
cirque. Pour distribuer les douze personnages de cette partition sur
laquelle régnaient alors les castrats, René Jacobs a
mêlé voix féminines et masculines. Silvia Tro
Santafé incarne avec panache le rôle-titre, tandis
qu’Annette Dasch, Nuria Rial et Céline Scheen donnent une
vraie dimension dramatique à ses victimes."
- Diapason - juillet/août 2004 - L'ogre qui aimait les femmes
"Un Néron sans
problème avec sa maman, un Don Giovanni tout juste
pubère, un Bertrand Morane (L’homme qui aimait les femmes)
rendu cruel par le pouvoir : Héliogabale (204-222) est un peu
tout cela, l’ogre et l’enfant à la fois. Son premier
biographe, Lampridius (fin du IVe siècle), le prend pour
exemple de la décadence romaine et décrit un tyran pire
que Caligula, Commode et Domitien réunis, empereur à
quatorze ans, stoppé quatre ans plus tard dans son
délire : la foule le massacre dans les latrines de son palais
après avoir empalé puis dépecé ses
proches « afin que leur mort fût en conformité avec
leur vie ». Nos historiens suggèrent une
réalité plus complexe, loin du texte fulgurant
d’Antonin Artaud (Héliogabale, ou l’Anarchiste
couronné), plus près de l’adolescent capricieux
présenté par le vieux Cavalli (1668), et, aujourd’hui,
par la mise en scène de Vincent Boussard. Certains ont pu
reprocher au spectacle de La Monnaie son perfectionnisme, qui verse
prudemment dans le stupre et le sang. Mais le livret
préfère au carnage « historique » un
épisode de fantaisie (au beau milieu d’un combat de
Gladiateurs au cirque Maximus, la vertueuse Flavia annonce qu’on
vient de poignarder l’empereur), et la grande réussite de
Boussard est, précisément, d’incarner l’extravagance du
« héros » sans devoir forcer le trait, de jouer le
mélange des genres cher à l’opéra
vénitien sans les heurter (rien à voir avec l’Argia de
Cesti par Martinoty), de trouver la richesse du livret non dans
l’intrigue (des Feux de l’amour un peu trash, dont le rideau s’ouvre
sur un viol interrompu) mais chez les caractères. Il compose
alors une galerie virtuose de portraits féminins
habillés en Lacroix pour attiser le vorace Eliogabalo (Silvia
Tro Santafé, qui trouve enfin à un rôle à
sa (dé)mesure), sans faire valoir ni caricature, même
quand il s’agit d’Atilia, l’oie blanche de service (Céline
Scheen, timbre délicieux, cou de cygne et jambes à
faire passer Magdalena Kozena pour une petite grosse), ou de
l’indispensable ténor-nourrice - boudiné(e) dans un
fourreau à paillettes rouges, sous une perruque fellinienne,
Mario Zeffiri compose un personnage splendide."
- Opéra International
- juin 2004
"Composé pour la saison
du carnaval de Venise 1667-68, I’Eliogabalo cavallien n’avait jamais
vu le jour : son livret, complété de la main du
poète Aurelio Aureli à partir d’un texte anonymement
rédigé «par le talent d’une personne
déjà décédée, orné des
bijoux multicolores d’une plume savante de Venise», restera
celui d’une pièce «interdite». Jusqu’à trois
représentations en 2000, à Crema, ville natale du
musicien. Mais c’est à l’aune de cette recréation
bruxelloise qu’on jugera du dernier opéra légué
par Cavalli, tant la pratique et l’imagination de René Jacobs
savent ranimer ces partitions muettes depuis des siècles.
L’émotion ressentie à la Monnaie est d’abord celle
d’entendre une oeuvre importante enfin parcourue d’un souffle vital.
De percevoir, dès la première audition, comment un
compositeur reste fidèle à lui-même et à
son idée du Seicento musical à une époque
où le bel canto codifié et prodigieusement vocal gagne
les faveurs du public vénitien. De soupçonner, sans
forcément trop simplifier, que cet Eliogabalo pourrait
être, dans sa réaction même au goût du jour,
un raccourci saisissant entre L’incoronazione di Poppea et Don
Giovanni. Par sa facture (récitatifs contrastés,
mezz’arie, arie, lamenti et ritournelles) et une manière de
fusion, bien sûr théorique, entre les annales romaines
(ici l'Historia Augusta, ancêtre des biographies non
autorisées des têtes couronnées) et le Burlador
de Sevilla matriciel de Tirso de Molina...
L’intrigue et
l’écriture en Sont bien trop complexes, et parfois même
apprêtées dans leurs insistantes
péripéties, pour qu’on puisse ici résumer l’une
et décrire l’autre. Contentons-nous de souligner,
au-delà d’une exemplaire recréation instrumentale et
d’une basse continue éloquente, le flair avec lequel le chef
élabore sa nomenclature vocale (et, partant, une vraie
dramaturgie), à défaut de toujours trouver les
chanteurs correspondant aux registres que cette recréation
appelle. Empereur scélérat et érotomane,
Eliogabalo n’aurait qu’un mot à dire pour mettre de l’hiver
dans l’été : les femmes qu’il exige quotidiennement
résistent pourtant à cet adolescent tout-puissant,
confusément sexué et incarné à merveille
par un alto féminin (confusion supplémentaire : lors
d’une spectaculaire tentative de séduction, l’empereur
effeminato, adonné à Vénus plutôt
qu’à Mars, décrète un sénat de femmes qui
l’oblige à se travestir lui-même...). La percutante
Silvia Tro Santafé est cet Eliogabalo suggestif et
goûteux, qui se délite pourtant peu à peu
jusqu’à être escamoté au dénouement par un
assassinat en coulisses — à mi-chemin d’un nerveux Nerone
monteverdien et d’un voluptueux monarque de bel canto. Autre
incarnation majeure de cette renaissance, le Giuliano du
contre-ténor Lawrence Zazzo, idéal hybride d’Ottone et
de Don Ottavio. On sera plus réservé sur le choix des
trois victimes de la libido impériale: la plus
légère, Attilia, c’est une jeune Céline Scheen,
soprano encore vert ; celle qu’Eliogabalo a abusée, Eritea,
c’est l’Espagnole Nuria Rial, timbre corsé mais
émission éthérée ; celle, enfin, à
qui Cavalli réserve le grand lamento patricien, Flavia
Gemmira, objet de toutes les convoitises, c’est l’Allemande Annette
Dasch, réelle présence, mais intonation incertaine au
premier acte, et manque de plénitude dans l’arioso qui prend
le ciel à témoin —un vrai rôle de
tragédienne, en fait, ce que n’est pas cette douce soprano
baroque. Malgré l’adéquation des trois personnages
comiques, l’entremetteuse Lenia (le ténor Maria Zeffiri),le
cocher Nerbulone (la basse Sergio Foresti) et Zotico, le comparse
subversif (le ténor Jeffrey Thompson), on regrette aussi
d’entendre le rôle progressivement central du futur empereur
Alessandro, vertueux celui-là et à qui Cavalli donne le
plus beau lamento, sacrifié par une voix trop haute et
même contrainte dans une tessiture qui ne montre rien de son
timbre ou de sa projection (celle du soprano Giorgia Milanesi).
L’excellent programme de salle (un modèle du genre, vraiment)
contient un arbre généalogique assez joyeux et
érudit qui affilie le metteur en scène Vincent Boussard
et son costumier Christian Lacroix à rien moins que Caravage,
Leni Riefenstahl et Fellini : synthèse malhabile de trois Rome
— l’antique, celle du XVIIe, celle d’un XXe rêvé —la
production ne convainc que par sa direction d’acteurs, certainement
pas par une dramaturgie et une esthétique qui n’ont pas su
rendre théâtrales les références
annoncées (auxquelles on ajoute aussi le cycle Cremaster de
Matthew Barney pour le travestissement). Un trop-plein d’intentions
pour assez peu de représentation..."
- Classica - juin 2004 - René Jacobs retrouve Cavalli - Des arias
superbes servis par une distribution brillante
"Le parallèle n'est pas
innocent : René Jacobs rappelle que le Dom Juan de
Molière fut créé trois ans avant que Francesco
Cavalli et un librettiste inconnu n'écrivent cet Eliogabalo,
annoncé au San Giovanni et Paolo de Venise pour le carnaval de
1668. De fait, ce "Femmes au bord de la crise de nerfs" version XVIIe
siècle préfigure curieusement les rapports humains du
Don Giovanni mozartien, avec ses trois héroïnes (Eritea
la délaissée, Flavia la courtisée qui se re-fuse
et Atilia la partagée), son amoureux transi Giuliano, son
valet Nerbulone, et séducteur impénitent, l'empereur
lui-même. On y verrait cependant à tort une simple
parodie des moeurs sexuelles de la Rome impériale
dégénérée, quand la détresse
morale apparaît comme le ressort fondamental de cette cour en
décomposition sous la férule d'un empereur adolescent
androgyne et irresponsable - admirablement campé ici dans
toute son ambiguïté par une Sylvia Tro Santafé
ébouriffante.
Etrangement, la
création n'eut pas lieu. Cavalli, qui régnait depuis
trente ans sur la Venise lyrique, reprit des fragments de sa
partition dans sa musique liturgique pour San Marco, laissant dormir
ce qui s'avererait finalement son avant-dernier opéra dans son
legs à la postérité, jusqu'à ce que
René Jacobs aille l'en déterrer pour cette
recréation bruxelloise (qu'on retrouvera à Zurich et au
TCE). Conçu dans la droite ligne du Couronnement de
Poppée monteverdien, auquel il fait d'ailleurs directement
allusion musicalement dans un magnifique quatuor amoureux, Eliogabalo
reste typique de l'opéra vénitien d'alors, reprenant
l'alternance du drame historico-politico-amoureux (dont l'incroyable
Sénat des femmes inventé par l'empereur) et de la farce
- avec le cocher, l'amant, et la nourrice du monarque (formidable
travesti de Mario Zeffiri), mais semble avoir été
démodé avant de naître : on raffolait
déjà, alors, de la virtuosité pour
elle-même, délaissant le recitar cantando. S'il
apparaît un peu long pour nos oreilles, il n'en contient pas
moins quelques arias superbes, et des lamentos, onze en tout, plus
magnifiques les uns que les autres. Vincent Boussard hésite un
peu trop entre élégance théâtrale et
transposition maladroite (des projections de plongeons en guise de
combats de gladiateurs), mais réussit à animer de vrais
personnages, aidé en cela par l'imaginaire des costumes
irrésistibles signés Christian Lacroix. La
réalisation orchestrale de Jacobs et de son Concerto vocale,
parfaite, soutient sans faillir un instant une distribution vocale
jeune et de très haut niveau, où brillent, entre
autres, les voix de Lawrence Zazzo, Giorgia Milanesi,Annette Dasch et
Nura Rial."
- Le
Guide.be - 28 avril 2004 - Le
dieu soleil fait son carnaval - Résurrection d'un
opéra envoûtant. René Jacobs y fait briller
voix et instruments. Vincent Boussard « éclate »
Rome entre l'antique et le contemporain
"L'événement
était attendu comme l'un des plus excitants de la saison : la
réalisation musicale et scénique de l'« Eliogabalo
» de Francesco Cavalli tient toutes ses promesses sur la
scène de la Monnaie. Le travail mené par René
Jacobs sur la partition nous permet de retrouver cette œuvre «
inédite » de Cavalli sous un visage on ne peut plus
séduisant. Les récitatifs sont soutenus par un continuo
superbement varié dans ses timbres, et les couleurs
chatoyantes de l'orchestre (extraordinaire Concerto Vocale !)
éclairent les courbes si sensuelles de l'écriture
vocale de Cavalli par des touches lumineuses sans cesse changeantes.
Le jeu des lumières est tout aussi présent dans la mise
en scène de Vincent Boussard, soulignant un travail dramatique
qui s'insinue dans les multiples couches d'une œuvre aux
significations complexes.
« Eliogabalo »
devait être créé pour le carnaval de Venise en
1668, et cette dimension carnavalesque autorise Vincent Boussard et
son équipe à éclater le cadre temporel de
l'action en mêlant joyeusement les références
à l'époque antique (subtiles allusions aux fresques de
Pompéi), à la Renaissance et au baroque (les teintes
caravagesques du magnifique décor, en sa simplicité, de
Vincent Lemaire, ou l'immense sphère armillaire — astrolabe
gigantesque — qui occupe presque tout l'espace au troisième
acte), ainsi qu'à notre époque : on citera pour le clin
d'œil l'apparition d'Eliogabalo juché sur des semelles
compensées, allusion directe au « Moonwalker » de
Michael Jackson, mais aussi les images du film de Leni Riefenstahl
aux Jeux olympiques de Berlin en 1936, censées évoquer
ici les jeux du cirque à la fin de l'œuvre... Ellipse aussi
étonnante que chargée de sens ! Et les costumes
superbes créés par Christian Lacroix ajoutent leur
magie au spectacle, dépeignant en leur subtil alliage de
matières, formes et couleurs un baroque qui serait
d'aujourd'hui.
Le miracle, c'est que cette
polysémie ne semble jamais gratuite : elle « colle »
remarquablement au livret (un théâtre où
cohabitent le tragique et le burlesque) et illustre en fin de compte
une donnée essentielle de la personnalité
démente d'un empereur qui se compare à Jupiter et clame
que « si Eliogabalo le veut, on changera de saison » !
Peut-on s'attendre à moins de la part d'un roi qui avait
été prêtre du dieu soleil en Syrie ?
Une autre force de cette
production réside dans la très belle cohérence
qui soude la distribution soliste. Une œuvre telle que celle-ci
demande des chanteurs capables de jouer à fond le
théâtre des récitatifs, puis de passer sans
transition à l'incomparable plastique des airs, dans cette
unité d'interprétation qui est l'une des clés
essentielles de l'interprétation de l'opéra baroque. Et
c'est assurément l'une des qualités essentielles de
cette distribution que d'y parvenir avec une telle aisance, sous la
direction de René Jacobs. La mezzo-soprano espagnole Silvia
Tro Santafé a un timbre parfait pour le rôle titre,
souple et corsé, aussi à l'aise dans l'éclat
violent que dans la parade amoureuse. L'autre rôle de castrat
confié ici à une voix féminine, celui
d'Alessandro, nous permet d'apprécier l'interprétation
irréprochable de la soprano Giorgia Milanesi, incarnant
parfaitement cet homme amoureux et moralement intransigeant qui sera
sacré empereur à la fin de l'œuvre. Le troisième
rôle de castrat (Giuliano) est le seul à être
distribué à un contre-ténor : on y retrouve
Lawrence Zazzo et son talent tout à fait abouti, qu'on a
déjà eu l'occasion d'apprécier plusieurs fois
à la Monnaie.
Annette Dasch a bien connu
çà et là quelques petites approximations de
justesse, mais le velours de son timbre fait merveille dans le
rôle de Gemmira, auquel elle apporte aussi la force d'un
engagement dramatique irrésistible. La soprano Nuria Rial
donne de son côté à Eritea tout le
frémissement émotionnel, à la fois sensible et
déterminé, d'une voix parmi les plus séduisantes
qui existent aujourd'hui. Quant à la Belge Céline
Scheen, un rien caricaturale sans doute dans son incarnation de la
jeune fille amoureuse fragile, elle ravit par la lumineuse souplesse
de sa voix enchanteresse. Applaudissons Mario Zeffiri, truculent dans
le rôle travesti de Lenia, Jeffrey Thompson (premier du
Concours de chant baroque de Chimay en 2001), superbe et
inquiétant Zotico, Sergio Foresti... et les jeunes chanteurs
choisis parmi les étudiants du Conservatoire de Bruxelles,
préparés par Philippe Gérard pour les
interventions chorales de la partition."
- Le
Guide.be - 28 avril 2004 -
Eliogabalo, l'opéra interdit
"Fort des triomphes de «
La Calisto », d'« Orfeo » et d'« Agrippina
», René Jacobs est de retour à la Monnaie. Dans
ses cartons, « Eliogabalo », l'histoire d'un empereur
romain maudit qui fascine les créateurs, à commencer
par Antonin Artaud. Autour de lui, une équipe de
créateurs impliqués : le metteur en scène
Vincent Boussard, le scénographe Vincent Lemaire et le
styliste Christian Lacroix.
Venise 1668 attend son
opéra de carnaval. Un spectacle festif qui peut se permettre
d'être licencieux mais doit honorer les Habsbourg qui aiment se
présenter comme les continuateurs de l'Empire romain et sont
devenus les protecteurs de la cité des Doges contre les
Ottomans. Cela tombe bien : «Eliogabalo» nous conte
l'histoire d'un empereur romain. Passablement perverti, il est vrai :
obsédé sexuel, il ne recule devant rien pour satisfaire
ses désirs et ses envies les plus folles (trouver de la neige
à la mer et des poissons à la montagne !). Un gamin,
éduqué comme prêtre d'Héliogabale, dont il
prend le nom, et élevé à la charge suprême
à 14 ans. Il sera assassiné par sa garde
prétorienne trois ans plus tard, au profit de son cousin
Alexandre Sévère, fiancé de Gemmira, une des
femmes convoitées par Eliogabalo.
Mais venons-en à ce
livret, un véritable vaudeville en péplum où
l'empereur et ses entremetteurs(se)s accumulent complots, menaces et
tentatives d'assassinat afin d'amener dans le lit de l'empereur les
trois femmes convoitées. Et d'inventer les stratagèmes
les plus extravagants comme ce Sénat des femmes
installé sur scène pour le finale du ler acte. Et
question de ne pas faire chuter la cadence, le 2e se termine par un
banquet orgiaque et le 3e par un combat de gladiateurs ! Mais
l'opéra à Venise en a vu d'autres ! Et pourtant, la
sentence du Sénat interdit les représentations.
Qu'importe, le librettiste Aureli concocte un happy end vertueux :
dégoûté, Cavalli jette l'éponge et la
musique de ce succédané sera confiée au
tâcheron de service. Où trouver les raisons de cette
censure ? Le Sénat aurait-il peu apprécié la
représentation ironique de ce sénat des femmes ? Les
Jésuites, rentrés récemment à Venise
auraient-ils condamné un livret qui comporte un
régicide, en tout cas non argumenté ? A moins qu'eux
aussi n'aient guère apprécié de voir les femmes
élevées à une haute fonction politique ? Les
conjectures sont multiples.
S'y ajoutent encore des doutes
sur la renommée de Cavalli dans la Venise de 1668. Le
compositeur est resté fidèle à sa technique de
composition où la musique est mise au service du texte. Avec
des « lamenti » d'une émotion déchirante, des
scènes de récitatifs très enlevées et des
« ariosi » très en situation
théâtralement. Seulement voilà, le public devient
très friand du style napolitain avec ses ornementations
intempestives, ses spectaculaires roucoulades vocales qui
impressionnent les auditeurs mais les détournent de l'action.
Cavalli croit en la vérité scénique avec un sens
dramaturgique dont on ne trouvera peut-être plus
l'équivalent avant Mozart. Après tout, note René
Jacobs, avec son trio de femmes courtisées, son fiancé
pusillanime, sa sanction finale, cette histoire de
débauché d'« Eliogabalo » fait fort penser
à « Don Giovanni » et Cavalli connaissait
probablement la pièce de Tirso de Molina.
Vocalement, la distribution
est difficile à assembler. Cavalli a prévu quatre
castrats aigus (les trois femmes et Alessandro) et deux castrats
alto, Eliogabalo et Giuliano, le préfet prétorien.
Jacobs distribuera le premier à une chanteuse Silvia Tro
Santafé et le second à un contre-ténor, Lawrence
Zazzo ou Christophe Dumaux. Ce qui compte avant tout, explique
Jacobs, c'est que les interprètes soient des chanteurs acteurs
capables de trouver les couleurs qui épousent les sentiments
divers de leur personnage.
Scéniquement, le
spectacle veut réconcilier trois époques : Rome
antique, Venise baroque et Rome d'aujourd'hui, trois moments que
Christian Lacroix intègre dans ses costumes où les
drapés pourront revêtir des significations diverses. Le
décor de Vincent Lemaire représente une conque
où apparaîtront au fil de l'action mille «
suscitations » visuelles, la fosse étant elle-même
intégrée au décor et reliée au plateau.
Et Vincent Boussard, metteur en scène, de conclure : la part
du théâtre est énorme. Un défi où
il peut compter sur l'orchestre grouillant de vie et de
mobilité de Jacobs qui, en matière d'opéra
baroque, demeure un maître ès dynamite !"
- La Libre Belgique
- entretien avec Vincent Boussard - 26 avril 2004
"On attend beaucoup de la
nouvelle production d'«Eliogabalo» de Cavalli que la
Monnaie proposera dès ce mardi soir. Pour le compositeur, bien
sûr, un des grands noms de l'opéra vénitien au
XVIIe siècle, et pour l'oeuvre qui compte le destin
d'Eliogabalo, empereur romain monté sur le trône
à quatorze ans et assassiné trois ans plus tard, mais
aussi pour les maîtres d'oeuvre du spectacle.
Dans la fosse, René
Jacobs qui a déjà prouvé maintes fois son
affinité avec ce répertoire, signant notamment à
la Monnaie l'inoubliable production de «La Calisto». Pour
la mise en scène, un jeune dramaturge français qui
avait fait impression la saison dernière à la Monnaie
avec «Il Re pastore» de Mozart, mais qui fut aussi le
complice des retours scéniques de Christophe ou de Bashung:
Vincent Boussard, qui reconnaît avoir été
essentiellement initié à l'univers de Cavalli par
Jacobs lui-même.
«C'est un univers dont je
me sens proche dans la mesure où j'aime les choses
contrastées, j'aime les ouvrages qui peuvent me faire rire et
pleurer. J'aime poser la noblesse des problèmes et en
même temps accepter la futilité de nos émois.
Cette dramaturgie basée sur le contraste offre un très
large éventail dans le choix des expressions; c'est à
la fois éminemment baroque et éminemment
moderne.»
Pour un metteur en
scène, le fait de travailler sur une oeuvre dont on n'a aucun
enregistrement et dont on ne connaît aucune production est-il
une contrainte ou une chance?
Ni l'un ni l'autre.
L'élément important est que c'est une
découverte, ce qui oblige à faire le travail avec plus
de clarté. Il faut d'abord partir du texte, parce que c'est un
théâtre de texte. Ce n'est pas un théâtre
avec des notes qui se suivent, c'est un théâtre
où le texte est porté par le chant : il faut donc
travailler en commençant par le texte, et en se posant la
question du texte en permanence. C'est pourquoi, au début de
notre travail, nous avons passé plusieurs journées,
René et moi, à lire, traduire, comprendre,
rétablir parfois même le texte. Cela nous a
obligés à partir de la réalité
théâtrale, du discours poétique, et ensuite
seulement à aller vers la musique. Je n'ai découvert la
musique qu'au premier jour de répétition; avant,
j'avais pu la lire, la décrypter, la chanter dans mon coin,
mais ce n'est qu'à ce moment que j'ai pu la découvrir
dans toute sa sensualité. Cela n'a d'ailleurs pas
été sans conséquences, car un certain nombre de
choses se sont révélées à ce moment, des
choses auxquelles je ne m'attendais pas, et qui m'ont incité
à modifier grandement certaines options de jeu. J'avais
prévu cela en gardant les choses très ouvertes, mais ce
fut néanmoins une étape essentielle:
«Eliogabalo» est une oeuvre qui est moins bouffonne que
«Calisto» ou que «Giasone», qui comporte un
nombre impressionnant de lamenti, qui a un climat tout à fait
personnel.
Un metteur en
scène qui travaille sur une oeuvre connue ou supposée
telle peut se permettre une certaine recherche, voire s'efforcer de
faire à tout prix autre chose que ce qui a déjà
été fait. Ce n'est évidemment pas votre cas
ici...
Même sur une oeuvre
connue, telle n'est pas ma démarche. Quand j'ai par exemple
mis en scène «Cosi fan tutte», dont il y a, mettons,
cent cinquante enregistrements dans le monde, j'ai essayé de
comprendre ce qu'avait été l'histoire de
l'interprétation de cette oeuvre, mais je ne me suis jamais
posé d'autre question que ce que j'essaie de ressentir de la
vérité musicale ou de la vérité
théâtrale de l'oeuvre. Je ne me pose pas le
problème en termes de lecture extérieure, je me fiche
complètement d'avoir inventé une chose nouvelle. Mon
rôle n'est pas d'inventer, il est de faire résonner, de
mettre en connexion en un moment précis une oeuvre et un
public. Je préfère parler de la
contemporanéité d'une interprétation que de sa
modernité.
C'est aussi le cas pour
«Eliogabalo» : comment faire pour que cette oeuvre qui a
plus de trois siècles entre en communication avec le public
d'aujourd'hui? Cela se fait d'abord à travers le corps des
chanteurs, leur taille, leur voix, puis à travers un endroit
qui réunit ces chanteurs. Je n'imagine pas une seconde de
parler d'autre chose que ce dont parle l'oeuvre, ni de plaquer mes
problèmes sur l'oeuvre, cela n'aurait pas de sens; je
préfère chercher l'écho de
l'oeuvre.
Quel est cet
écho pour «Eliogabalo» ? La dimension excessive
qu'on lui prête ne fait-elle pas courir le risque de certaines
lourdeurs ?
Si, évidemment, il y a
plein d'écueils! Je me suis limité à parler de
son désir: j'aime à parler du désir, de l'empire
du désir, de la contrainte du désir. La
fragilité de ce garçon, c'est qu'il exprime des
désirs qui sont toujours immédiatement assouvis. Il a
tout ce qu'il veut, mais quand il existe quelque chose qu'il n'a pas,
cela devint extrêmement violent, pour lui et pour son
entourage. J'essaie ainsi de relier son extravagance à une
blessure sincère. Dans la mise en scène, il ne faut
certes pas en faire trop, mais il ne faut pas non plus se freiner:
c'est un personnage fort, il ne faut pas en avoir peur, il faut le
raconter dans son extravagance et dans sa démesure. Il n'a
jamais posé de limites à ses désirs, souvent au
mépris du danger; ce n'est pas pour rien qu'il mourra à
dix-sept ans, sauvagement assassiné dans les latrines de son
appartement. Je ne vais pas raconter un règne despotique, ce
n'est pas Néron. Le seul despote, c'est son désir, et
la surconsommation de ce désir.
Est-il facile ou
difficile de travailler avec un chef comme René Jacobs qui
connaît si bien cette musique qu'il a sans doute aussi des
idées sur la mise en scène ?
Ce n'est pas que ce soit
facile ou difficile, c'est un bonheur ! J'ai toujours souffert de
l'absence des chefs qui ne sont pas là aux
répétitions. Ici, René a été
omniprésent, nous avons discuté en permanence. C'est un
homme savant qui éclaire mes choix de mise en
scène."
- Crema - Teatro San
Domenico - novembre 1999 -
à l'occasion de l'inauguration du nouveau
théâtre - Orchestra barocca "I Concertanti" - dir.
Roberto Solci - mise en scène et décors Secondo
Pozzali - costumes Chiara Muti - avec Antonio Giovannini, Paola
Cigna, Anna Simboli, Marina Morelli, Giovanna
Caravaggio
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