Les Troqueurs, intermède ou opéra
bouffon en huit scènes a été composé sur
un livret écrit par Jean-Joseph Vadé (1719 - 1759),
à partir du conte de La Fontaine, à la demande de Jean
Monnet, directeur du théâtre de la foire Saint-Laurent.
Celui-ci, voulant confondre les partisans de la musique italienne,
avait demandé à Vadé de tirer une pièce
d'un conte de La Fontaine, et à Dauvergne, alors surintendant
de la musique du Roi, de composer la musique. Il présenta
l'oeuvre comme celle d'un musicien italien de Vienne auquel il aurait
envoyé les paroles, et elle fut créée, avec
succès, le 30 juillet 1753, à la Foire Saint-Laurent,
en pleine Querelle des Bouffons, précédée de la
Coupe enchantée, et du Suffisant.
Dans ses Mémoires, Jean Monnet raconte
que, venant de Londres, il avait obtenu l'agrément du Roi, en
décembre 1751, pour la réouverture de
l'Opéra-Comique, et avait installé son
théâtre à la Foire Saint-Laurent, en
février 1752. Il bénéficiait de la collaboration
d'Arnoult, de Leuze et de Boucher, pour les décorations.
Après le départ des Bouffons, sur le jugement
impartial que des gens d'un goût très sûr avaient
porté de leurs pièces, je conçus le projet d'en
faire faire à peu près dans le même goût
par un musicien de notre nation. M. d'Auvergne me parut le
compositeur le plus capable d'ouvrir avec succès cette
carrière. Je lui en fis faire la proposition et il l'accepta.
Je l'associai avec M. Vadé et je leur indiquai simplement un
sujet de La Fontaine. Le plan et la pièce furent faits dans
l'espace de quinze jours. Il fallait prévenir la cabale des
Bouffons ; les fanatiques de la musique italienne, toujours
persuadés que les Français n'avaient pas de musique,
n'auraient pas manquer de faire échouer mon projet. De concert
avec les deux auteurs, nous gardâmes le plus profond secret.
Ensuite, pour donner le change aux ennemis que je me
préparais, je répandis dans le monde et je fis
répandre que j'avais envoyé des paroles à Vienne
à un musicien italien qui savait le français et qui
avaoit la plus grand eenvie d'essayer ses talents dans cette langue.
Cette fausse nouvelle courut toute la ville et il n'était plus
question que de faire une répétition de la
pièce. Fort des encouragements reçus lors de deux
représentations en privé, Monnet se lança. La
première représentation fut un triomphe. Les plus
zélés partisans des Bouffons, convaincus que la musique
des Troqueurs était bien de facture italienne,
félicitèrent chaudement le directeur d'avoir
découvert un nouveau talent. Aussi charmé de leur
bonne foi que de l'heureuse tromperie que je venais de leur faire, je
leur présentai M. d'Auvergne comme le véritable
Orphée de Vienne. Ce fut un beau scandale ! Furieux
d'avoir été dupés, les Bouffonnistes se mirent
à dénigrer Dauvergne, tout en affirmant que le
succès n'était dû qu'à l'habileté
du pastiche. Le succès s'avéra toutefois durable.
Le Mercure de France put écrire : La
musique de cet intermède, le premier que nous ayons eu en
France dans le goût purement italien est de M. Dauvergne. Il
n'y a personne qui n'ait été étonné de la
facilité qu'a eue ce grand harmoniste à saisir un
goût qui lui était tout à fait étranger.
Le désir de voir une chose si singulière a
attiré tout Paris à ce spectacle, et le plaisir y a
appelé tous ceux qui sont sensibles aux charmes d'une bonne
musique.
Le succès se prolongea jusqu'au 9 septembre
1753, date à laquelle Les Troqueurs furent
retirés de l'affiche, pour la raison que les recettes
faisaient ombrage à l'Opéra (!). En fait, l'ouvrage fit
surtout du tort aux pièces en vaudevilles, et la reprise des
Nymphes de Diane, opéra-comiqe de Favart, fut un
échec.
Au printemps 1754, pendant la semaine de la Passion,
période de fermeture de l'Opéra, Monnet l'inscriva
à nouveau à l'affiche.
Les Troqueurs furent repris au
Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, en
janvier/février 1754, puis en 1761, 1765, puis chaque
année de 1771 à 1776, ainsi qu'à Paris, au
Théâtre de Bourgogne, en avril 1769, et au
Théâtre de la Cité, le 4 octobre 1797.
L'oeuvre inspira une parodie, le Troc, de Farin
de Hautemer, donnée à la Foire, en 1756.
Personnages : Lubin, amant de Margot ; Lucas,
amant de Fanchon ; Margot, fiancée de Lubin ; Fanchon,
fiancée de Lucas.
Argument
Lubin , qui est fiancé avec Margot, la trouve
trop égrillarde, trop vive , trop grondeuse, et lui
préférerait Fanchon , que doit épouser Lucas.
Celui-ci, au contraire, aimerait mieux Margot, parce que Fanchon est
indolente et paresseuse. Ils se confient leur manière de
penser à cet égard , et se déterminent à
troquer. Ils préviennent en conséquence les deux
fiancées, qui, d'abord , paraissent fort
étonnées, mais qui , après s'être dit
quelques mots à l'oreille, feignent d'accepter le change.
Margot, restée seule avec Lucas , le fraite si bien-, qu'il
est au désespoir d'avoir voulu changer. Lubin n'a pas Ken
d'être plus satisfait de Fanchon ;.de sorte que les deux amans
veulent s'en tenir à leur premier marché ; mais Fanchon
et Margot s'y opposent. Après s'être bien fait prier,
après avoir vu les troqueurs à leurs genoux , elles
consentent enfin à s'en tenir à la première
disposition qui avait été faite. Margot épouse
Lubin , et Fanchon devient la femme de Lucas. (Annales
dramatiques)
"La musique de cet ouvrage est la première de
ce genre qui ait été faite et jouée en France.
Quelques années auparavant, on avait permis à une
troupe de bouffons italiens de jouer, sur le théâtre de
l'Opéra, des intermèdes de Pergolèse, et
d'autres compositeurs d'Italie. C'est à ces deux
époques différentes qu'il faut reporter le goût
d'une partie de la nation pour ces nouveaux spectacles. Jamais
révolution ne fut plus prompte. Les Lullistes,
déjà découragés, gardèrent le
silence. Les partisans de Rameau en furent accablés ; et les
enthousiastes de cette nouvelle musique s'emparèrent du champ
de bataille. C'est alors que s'alluma cette guerre musicale ,
où J.-J. Rousseau , presque seul, fit tête à tant
d'adversaires, et l'emporta sur eux par l'esprit, l'éloquence
et le raisonnement. Après le départ des bouffons, sur
le jugement impartial que des gens d'un goût sûr avaient
porté de leurs pièces , Monet, alors directeur de
l'Opéra-Comique, conçut le projet d'en faire composer,
à-peu-près dans le même goût, par un
musicien français. Il jeta les yeux sur
D'Auvergne, qui lui parut le plus propre à la
réussite de ce projet. En moins de quinze jours, Vadé
fit le poëme, et D'Auvergne la musique. Il ne restait plus
qu'à déjouer la cabale des bouffons. En effet, les
amateurs de la musique italienne, toujours persuadés que nous
n'avions point de musique en France , n'auraient pas manqué de
faire échouer ce grand dessein. On garda donc là-dessus
le silence le plus profond ; et, pour leur faire prendre le change ,
Monet fit répandre dans le monde qu'il avait envoyé
à Vienne un poëme français, à un musicien
italien qui connaissait la langue. Déjà , il ne
s'agissait plus que de répéter la pièce. M. de
Curis, qui était dans la confidence, seconda le directeur ; et
la répétition fut faite chez lui par les principaux
symphonistes de l'Opéra, et par quatre sujets chantans du
premier mérite. Dans cette répétition ,
où il y avait peu de monde, et presque tous amateurs de la
musique française, les avis furent partagés sur le sort
de la pièce, qui, quoique jouée et chantée
à l'Opéra-Comique par des acteurs qui ne savaient pas
la musique , ne laissa pas que d'être applaudie. Les
bouffonistes, persuadés que cette musique avait
été faite à Vienne , par un musicien italien, en
complimentèrent Monet, et se confirmèrent encore plus
dans l'idée qu'ils avaient que la musique italienne
était supérieure à la nôtre. Alors , aussi
charmé de leur bonne-foi que de la réussite de son
stratagême, Monet leur présenta D'Auvergne , comme le
véritable Orphée de Vienne." (Annales dramatiques -
1812)
Synopsis
Scène 1 - Lubin annonce qu'il doit
épouser Margot, mais qu'il n'est pas pressé compte tenu
de son "humeur volage".
Scène 2 - Lucas, de son côté, doit
épouser Fanchon, mais la trouve "lente et paresseuse".
Après avoir dénigré leurs fiancées, Lubin
et Lucas s'aperçoivent qu'il feraient mieux d'échanger
leurs promises.
Scène 3 - Lubin et Lucas annoncent à
Fanchon et Margot qu'ils ont décidé de procéder
à l'échange. Les fiancées refusent d'abord, mais
Fanchon est d'avis d'accepter et Margot feint d'accepter
également.
Scène 4 - Lucas est d'abord heureux, mais Margot
lui annonce qu'elle est dépensière, qu'elle aime les
jeux et la danse et qu'à défaut, elle peut se
transformer en furie.
Scène 5 - Lucas commence à regretter
Fanchon, et court la retrouver.
Scène 6 - Lubin, de son côté, s'est
également lassé de la nonchalance de Fanchon.
Scène 7 - Lubin demande à Margot de le
reprendre, mais celle-ci fait la difficile.
Scène 8 - Lubin et Lucas demandent à
leurs fiancés de les reprendre. Celles-ci en profitent pour
leur arracher des serments. Lucas promet de "filer doux" et
"d'obéir sans cesse", Lubin accepte que Margot soit la
"maîtresse au logis". L'allégresse règne
enfin.
"Las de leurs
fiancées à la veille de se marier, deux jeunes gens
décident de "troquer" leurs belles, l'un se plaignant d'une
Margot "jaseuse, gausseuse" et qui "prend feu", l'autre
déplorant une Fanchon "lente et paresseuse". Margot
démontrant son fort tempérament à son second
fiancé, celui-ci revient à son premier choix, et tout
retourne à la case départ. Ces dames profiteront, tout
de même, de ce troc assez mufle pour domestiquer leur futur
époux "nous en ferons, ma foi, de commodes
époux".
En trente-cinq minutes, Dauvergne a écrit une
oeuvre sans prétention mais alerte. Le rythme dramatique est
vif, ne musarde jamais. Les récitatifs vont droit au but et
les mélodies simples servent astucieusement le texte. Hormis
dans l'ouverture tripartite, l'orchestre se résume aux cordes,
là aussi alertes. Il faut regarder ces Troqueurs comme une
borne-témoin de son époque cette par-tition enregistre
l'incroyable changement de sensibilité, de goût et
d'ouïe musicale qui déferla sur toute l'Europe vers 1750.
Une musique simple, naturelle et agile n'était cultivée
que dans les inter-mèdes et opéras-bouffes italiens ;
la France n'avait que son trop rudimentaire vaudeville à
proposer à une telle aspiration. Avec tout son cortège
d'arguments plus ou moins de bonne foi, la Querelle des Bouffons
était en place. Imitant astucieusement les ouvrages
scéniques de Pergolèse, Dauvergne apporta sa
contribution, mâtinant goûts français et italien."
(Opéra International - avril 1994)
Représentations :
Paris - Cité de la
Musique - 14 mai 2009 - Chateau-Thierry - Festival Jean de la
Fontaine - 15 mai 2009 - Académie baroque européenne
d'Ambronay - direction artistique et musicale Serge Saitta - mise
en scène Pierre Kuentz - chorégraphie Evguenia
Chtchelkova - costumes David Messinger - lumières
Adèle Grépinet - scénographie Antoine Vasseur
- avec Andrea Puja (soprano), Annastina Malm (mezzo-soprano),
Benjamin Alunni, Marcos Garcia Guitierrez (barytons basses)
Théâtre de
Bourg en Bresse - 25, 26 septembre 2008 - Amilly - près Montargis - Espace Jean Vilar
- 23 octobre 2008 - Académie baroque
européenne d'Ambronay - dir. Serge Saitta - mise en
scène Pierre Kuentz - chorégraphie Evguenia
Chtchelkova - costumes David Messinger - lumières
Adèle Grépinet - scénographie Antoine Vasseur
avec Andrea Puja (soprano), Annastina Malm (mezzo), Benjamin
Alunni ( barytons basse), Marcos Garcia Guitierrez (baryton
basse)
Opéra Magazine - novembre 2008
"Parus en plaquette dès
1672, inisérés dans l’édition collective des
contes en 1674, Les Troqueurs de La Fontaine éveillent en 1733
la verve du bon Antoine Dauvergne, peut-être plus grand commis
de l’État qu'éblouissant compositeur. Ce n’est sans
doute pas du meilleur cru, ni de l’un ni de l’autre, d’ailleurs. Mais
sur cette histoire qui rappelle évidemment Marivaux, Goldoni
et... Cosi fan tutte, Dauvergne greffe une partition «
légère et court vêtue», un intermède
en huit scènes. Point de prologue remplacé ici par
quelques mouvements saltatoires à six ou sept instruments), ni
de style vraiment défini : on navigue entre
l’esthétique de l’opéra-comique français et la
bouffonnerie de la commedia dell'arte.
Au prix de quelques
modifications : des noms déjà. Etienne/Tiennette,
Jeanne/Gille deviennent Margot/Lubin et Fanchon/Lucas, tandis que
« sire notaire» Oudinet laisse son magistère, dans
la mise en scène de Pierre Kuentz à une
sémillante danseuse à moitié nue, talentueuse
certes, mais plus encore impérieuse et fort
étrangère au contexte stylistique et à l’esprit
des Lumières, couvrant par exemple les « troqueurs»
de son implacable sadisme ou, de son ample jupe, leurs jeux sexuels
à peine cachés. Il faut bien émoustiller le
public... Mais le Siècle de l’Encyclopédie ne se
ramène point à Sade, ni aux gravures libertines
illustrant Le Portier des Chartreux...
De ce bref tableautin (une
heure et quart) en partie réussi, que peut-on dire ? Du bon et
du moins bon. En dehors de quelques scènes bien venues (la
danseuse, à la fini, métamorphosée en
Danaé recevant du ciel sa part de billes argentées !),
l’ensemble parait un peu terne et trop souligné, comme si le
public du XXIe siècle attendait le metteur en scène
pour percer les intentions des auteurs. On finit même,
çà et là, par languir, voire s’ennuyer, alors
que texte, musique, acteurs/chanteurs voudraient crépiter,
« s’éclater ». En premier lieu, Fanchon, qu’on brime
à faire la gourde, sinon à devenir chiffe molle quand
son partenaire, excellent sosie d’Arlequin/Figaro, avec un gag
à la minute (ah, ce pantalon qui ne veut pas descendre !) ne
cherche, lui aussi, qu’à exploser.
Puisque ce spectacle de
l’Académie baroque européenne d’Ambronav doit voyager
(notamment le 14 mai 2009 à la Cité de la Musique),
soyons constructifs : mieux assurer les gags, d’abord
améliorer, éclaircir la prononciation, ensuite (on
perçoit 5 % du texte) nous épargner sur scène,
avant le spectacle, les quatorze minutes d’accordailles des
instruments (fort bons d’ailleurs), plus la moitié encore
à mi-parcours ; et, surtout, libérer les
interprètes, les laisser bondir et divertir le public - qui
n’attend que ça ! Sinon, on en restera au travail
expérimental, au tremplin pour jeunes, mais sans atteindre le
grand art — même léger."
Schloss Waldegg
- 9 au 13 août 2006 - Cantus Firmus - dir.
Andreas Reize
Londres -
1983 - London Baroque Dance Theatre - dir. Stephen Preston - avec
Marie-José Sanchez, Maria Elena Tintes, Gustavo Beruete,
Luis Alvarez