RINALDO

Renaud

COMPOSITEUR

Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE

Aaron Hill et Giacomo Rossi

ENREGISTREMENT
ÉDITION
DIRECTION
ÉDITEUR
NOMBRE
LANGUE
FICHE DÉTAILLÉE
1975
1982
Lawrence Foster
Voce

-
italien
1977
1977
Jean-Claude Malgoire
CBS Records
3 (33 t)
italien
1977
1997
Jean-Claude Malgoire
Sony
3
italien
1982
2006
Mario Bernardi
Ponto
2
italien
1989
2004
John Fisher
Nuova Era
2
italien
1996
1996
Michael Hoffstetter
Wiesbaden Opera
1
italien
1999

-
Patrick Summers
Celestial Audio
2

-
1999
2000
Christopher Hogwood
Decca
3
italien
2002
2003
René Jacobs
Harmonia Mundi
3
italien
2004
2004
Nicholas McGegan
Göttinger Händel Gesellschaft
3
italien
2004
2006
Kevin Mallon
Naxos
3
italien

DVD

ENREGISTREMENT
ÉDITION
DIRECTION
ÉDITEUR
FICHE DÉTAILLÉE
2001
2003
Harry Bicket
Arthaus
2011
2012
Ottavio Dantone
Opus Arte

Opéra en 3 actes, sur un livret d'Aaron Hill, librement adapté de La Jérusalem délivrée du Tasse, et traduit en italien par Giacomo Rossi. Aaron Hill (*) était le directeur du Haymarket Theatre qui connaissait une situation financière difficile, d'autant que la machinerie en avait été refaite. C'est lui qui proposa à Haendel l'argument d'un opéra tiré de l'épisode de Renaud et Armide.

Haendel était arrivé à Londres en décembre 1710, ayant obtenu un congé de l'électeur Georges-Ludwig de Hanovre, alors qu'il avait pris son poste de Kapellmeister au mois de juin de la même année.

Il écrivit Rinaldo en quatorze jours, réutilisant des airs d'Almira, Agrippina, Acis, Galatea et Polifemo.

(*) Aaron Hill fut élevé par l'ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, visita le Moyen Orient, puis obtint, grâce au comte de Peterborough, la direction du Drury Lane Theatre, d'où il passa au Haymarket Theatre.

Aaron Hill

L'opéra fut représenté dans une mise en scène extravagante (notamment des oiseaux vivants dans les jardins d'Armide), le 24 février 1711 (HWV 7a). Le succès fut considérable, et il y eut quinze représentations jusqu'au 2 juin.

La distribution comprenait Francesca Vanini-Boschi, contralto (Goffredo), Isabelle Girardeau, soprano (Almirena), Niccolo Grimaldi, dit Nicolini, castrat alto (Rinaldo), Valentino Urbani, dit Valentini, castrat alto (Eustazio), Giuseppe Maria Boschi, basse (Argante), Elisabetta Pilotti-Schiavonetti, dite Pilotti, soprano (Armida), Giuseppe Cassani, castrat alto (Mago), M. Lawrence, ténor (Aroldo). Haendel dirigeait du clavecin. Il y avait aussi deux danseurs français : du Breuil et Mlle de La Fère, venus spécialement de Bruxelles.

Haendel était présenté comme Georgio Frederico Hendel, Maestro di Capella di S. A. E. d\92Hanover.

Aaron Hill dédia le livret à la reine Anne, reine depuis 1702, à la mort de Guillaume III d'Orange. Le livret de 1711 est précédé d'une préface rédigée par Aaron Hill :

"Quand je tentais l\92entreprise hasardeuse de produire un opéra dans cet établissement, je décidais de n\92épargner ni mon labeur ni mon argent pour faire de ce spectacle une grandiose réussite, aussi ne serait-ce pas ma faute si le public de cette ville n\92appréciait pas ce spectacle.

Les faiblesses que j\92ai trouvées, ou que je pense avoir trouvées, dans la plupart des opéras italiens déjà representés ici parmi nous étaient : 1° \97 qu\92ils furent composés pour des goûts et des voix. différents de ceux qui sont habituellement entendus et vus sur une scène anglaise ; 2° \97 qu\92ils nécessitent des machines et des décors leur donnant toute leur beauté et magnificence et qui, absents, ne permettent pas de les voir et les entendre dans les meilleures conditions.

Aussi pour remédier ces deux inconvénients, j\92ai résolu de structurer une action qui, à travers ses peripéties et ses passions, puisse influer sur la variété et la beauté du climat musical, et donner aux yeux des perspectives si belles que les deux sens soient également satisfaits.

Je ne pouvais choisir un meilleur support que la célébre histoire de Rinaldo et Armida, qui a déjà inspiré des opéras pour toutes les scènes et langues en Europe. J\92ai cependant fait appel aux privilèges du poète pour, en partant de la trame du Tasse, adapter autant qu'il est nécessaire, l'histoire aux exigences d\92une représentation théâtrale.

Très heureuse fut ma rencontre avec un gentleman aussi qualifié que le signor Rossi, qui transforme le modèle que j\92avais esquissé en mots si évocateurs et suggestifs que, si la traduction s'éloigne quelquefois, c\92est pour donner plus de poids et de force à l\92original.

M. Handel que le monde entier célèbre à juste titre, a conduit son langage musical à un tel degré de perfèction quejc suis volontairement muet à ce propos. Je veux ajouter seulement que, quand je pris en main cette opération, je n\92avais d\92autre but que l\92approbation et la gratitude des "gentlemen" de mon pays. Aussi aucune perte, autre que celle de ne pas atteindre ce but, pourrait me décourager de poursuivre les tentatives qui seraient susceptibles d\92améliorer notre théâtre anglais."

  Les représentations se poursuivirent les 27 janvier, 3, 6, 10, 13, 17 mars, 11, 25 avril, 5(*), 9, 26 mai, 2 juin 1711.

(*) au bénéfice du couple Boschi, Giuseppe Boschi et Francesca Vanini

L'oeuvre fut jouée à Dublin, la même année, par la troupe de Nicolini.

L'opéra fut repris à Haymarket :

Georges Ier, premier roi d'Angleterre de la Maison de Hanovre

(*) Georges Ier succéda à Anne, fille de Jacques II Stuart, à la mort de cette dernière, sans héritier, le 1er août 1714, en vertu de l'Act of Settlement de 1701. Électeur de Hanovre, il débarqua à Greenwich le 18 septembre 1714, et fut couronné à Westmisnter le 20 octobre.

Nicolo Grimaldi, dit NicoliniAntonio Maria Bernacchi

 

Rinaldo fut monté à Hambourg en 1715, en allemand, et à Naples, en 1718, en italien.

Une seconde version fut représentée à Londres, au Lincoln's Inn Fields , le 6 avril 1731 (HWV 7b), pour six représentations jusqu'au 1er mai, dans le cadre de la seconde saison de la Nouvelle Académie, comprenant deux nouvelles symphonies et 6 arias. La distribution réunissait Annibale Pio Fabri, dit Balino, ténor (Goffredo), Anna Maria Strada del Pò, soprano (Almirena), Francesco Bernardi, dit Senesino (alto-castrato (Rinaldo), Francesca Bertolli, contralto (Argante), Antonia Maria Merighi, contralto (Armida), Giovanni Giuseppe Commano (basse (Mago cristiano).

Rinaldo fut représenté à Londres 53 fois du vivant de Haendel, plus qu'aucun autre opéra de Haendel.

 

Personnages : Rinaldo (Renaud), héros du camp latin (castrat soprano - 1711, castrat alto - 1731) ; Armida (Armide), magicienne, reine de Damas (contralto - 1711, ténor - 1731) ; Goffredo (Godefroy), général en chef de l'armée chrétienne (basse - 1711, alto - 1731) ; Argante (Argant), roi de Jérusalem, amant d'Armide (soprano) ; Almirena (Almirène), fille de Godefroy, fiancée à Renaud (castrat alto) ; Eustazio (Eustache), frère de Godefroy (castrat alto - 1711), Mago cristiano (Mage chrétien) ; Donna (une Femme) ; Sirene (les Sirènes) ; Araldo (un Héraut)

 

Synopsis détaillé

Acte I

La ville de Jérusalem assiégée par les croisés, avec, en perspective, une porte par laquelle les soldats partent pour la bataille. D'un côté, on voit une grande tente avec un trône sur lequel est assis Godefroy entouré par les gardes, Renaud, Almirène et Eustache.

(1) Dans l'attente de la victoire, Goffredo (ou Godefroy), capitaine général de l'armée chrétienne (haute-contre ou contralto), promet la main de sa fille Almirena (ou Almirène) (soprano) au héros Rinaldo (ou Renaud) (mezzo-soprano). Almirène engage Renaud à aller chercher la gloire dans la bataille et lui promet son coeur. Renaud fait part à Eustazio (ou Eustache), frère de Godefroy (contralto) de son impatience.

On entend un sonneur de trompe qui annonce l'arrivée d'un héraut envoyé de la ville, qui vient se présenter à Godefroy, accompagné de deux gardes.

(2) Le héraut sarrasin annonce qu'Argante, roi de Jérusalem, quémande une entrevue avec Godefroy. Celui-ci accepte.

Argante sort de la ville sur un char triomphal tiré par des chevaux, suivi d'un grand nombre de gardes à pied et de cavaliers. Descendant avec un cortège solennel, Argante s'approche de Godefroy venu à sa rencontre.

(3) Argante (basse) demande une trêve de trois jours. Son aria Sibillar gli angui d'Aletto est un magnifique défi pour les basses, qui provient directement de la cantate Aci, Galatea e Polifemo. Godefroy accepte sans hésiter. (4) Argante, qui a davantage confiance dans les ruses de son amante Armide que dans la force des armes de ses troupes, se réjouit du résultat de son intervention. (5) Armida (ou Armide) (soprano) apparaît sur un char tiré par deux dragons qui crachent des flammes et de la fumée en mugissant. Elle invoque les Furies. Le char arrive à terre, les dragons le tirent jusqu'en présence d'Argante. Armide à Argante que seule la disparition de Renaud pourra assurer la défaite des croisés et annonce qu'elle entreprendra elle-même de l'éliminer.

Lieu de délices avec fontaines, allées, volières, dans lesquelles volettent et chantent des oiseaux.

(6) Renaud et Almirène échangent des serments d'amour. Selon Winton Dean, le charmant air d'Almirena, Augelletti che cantate, aurait été accompagné, en 1711, non seulement par des flûtes à bac mais encore par un lâcher d'oiseaux vivants. Almirène chante un ravissant duo avec Renaud. (7) Armide fait une apparition soudaine et, faisant appel à ses pouvoirs surnaturels, elle tente d'arracher Almirène des bras de Renaud. Celui-ci résiste et tire son épée contre Armide qui saisit aussi une arme et s'apprête à se battre ; mais alors qu'ils vont commencer, un nuage noir, rempli de monstres affreux qui crachent du feu et de la fumée en mugissant, vient recouvrir Almirène et Armide et les enlève dans les airs, laissant à leur place deux affreuses furies qui, après avoir raillé Renaud, disparaissent sous terre. La plainte émouvante de Renaud Cara sposa s'élève alors ; il ne possède pas le pouvoir d'intervenir. (8) Lorsque arrivent Godefroy et Eustache (contralto), Renaud est immobile, les yeux fixés au sol, en proie à un grand trouble. Il raconte comment Almirène lui a été arrachée. Eustache propose de recourir à l'aide d'un mage chrétien (9) Renaud retrouve espoir et jure vengeance dans un air d'une grande virtuosité Venti, turbini, prestate.

Acte II

Grande mer paisible dans laquelle se reflète un arc-en-ciel splendide ; près du rivage est ancré un bateau au timon duquel se tient un esprit qui a pris les traits d'une belle jeune femme. Deux Sirènes s'ébattent dans les ondes.

(1) Eustache annonce à Renaud et Godefroy qu'ils arrivent au port. (2) Renaud et Godefroy sont impatients de rencontrer le mage. (3) Alors qu'ils se mettent en route, la Femme qui se tient sur le bateau invite Renaud à y monter, en lui faisant croire qu'elle est envoyée par Almirène qui l'attend sur une plage solitaire. Les Sirènes (sopranos) chantent et bondissent. Renaud hésite puis s'élance brusquement pour entrer dans le bateau. Godefroy et Eustache tentent de le retenir. La Femme l'appelle à nouveau, et c'est en vain que Godefroy, et Eustache lui rappellent des devoirs et dénoncent le piège dans lequel il va tomber. Renaud entre dans le bateau. Aussitôt la Femme cingle vers le large. Les Sirènes dansent puis plongent dans les profondeurs marines. Godefroy et Eustache demeurent, consternés.

Merveilleux jardin dans le palais enchanté d'Armide

(4) Prisonnière au palais d'Argante, Almirène pleure. Elle reste est sourde aux déclarations d'amour d'Argante et réclame sa liberté. Argante refuse par crainte d'Armide. Almirène continue de pleurer sa captivité dans son air Lascia ch'io pianga, l'un des plus beaux que Haendel ait écrits ; il est dérivé d'un air d'Il Trionfo del Tempo, lui-même issu d'une sarabande de l'ouverture d'Almira. (5) Armide se félicite que Renaud ait été capturé, et demande qu'on le lui amène. (6) Deux Esprits conduisent Renaud devant Armide. Renaud lui demande de lui rendre son Almirène. Armide tombe amoureuse de lui. (7) Pour le séduire, Armide revêt l'apparence d'Almirène. Pendant leur étreinte, Armide reprend son apparence, et Renaud fuit. Armide se change à nouveau en Almirène. Renaud est sur le point de succomber à la tentation, mais s'arrête, craignant être le jouet d'une illusion. (8) Restée seule, Armide reprend sa propre forme et éclate de colère. Furieuse qu'il ne cède pas à ses cajoleries, elle hésite pourtant à déchaîner les Furies contre celui qu'elle aime. Elle reprend la forme d'Almirène juste avant l'arrivée d'Argante. (10) Argante, croyant parler à Almirène, continue à lui déclarer sa flamme et lui promet de la délivrer des filets de la cruelle Armide. Celle-ci reprend ses traits et une violente querelle éclate entre eux. Argante avoue être tombé amoureux d'Almirène. Dans un air superbe Vo' far guerra, Armide jure de lui retirer l'aide qu'elle lui a jusqu'alors apportée.

Acte III

Une horrible montagne avec ravins et cascades, au sommet de laquelle on voit le château enchanté d'Armide, gardé par un grand nombre de monstres aux formes variées ; au milieu des murailles, on distingue une porte avec des colonnes de cristal et toutes sortes de pierres précieuses ; au pied de la montagne se trouve l'antre où habite le Mage.

Godefroy demande à Eustache d'aller chercher le Mage. Eustache l'appelle depuis l'entrée de la caverne. (2) Le Mage (basse) sort de son antre. Il est au courant de la situation. Godefroy et Eustache et leurs soldats gravissent la montagne. Ils approchent du sommet lorsqu'un bataillon de monstres affreux se présente à eux avec des flambeaux ; plusieurs soldats, terrifiés, font demi-tour, mais une autre escadron de monstres vient leur barrer le chemin ; dans la confusion générale, la montagne s'ouvre et les engloutit à grand tapage en vomissant un torrent de flammes et de fumée. Godefroy et Eustache redescendent vers le Mage. Celui-ci leur donne des baguettes magiques qui les aideront à rompre les maléfices d'Armida. Ils reprennent l'ascension de la montagne ; le Mage observe leur progression en chantant pour les encourager. Les monstres se présentent de nouveau à eux, mais sont mis en fuite grâce aux baguettes magiques. Arrivés au sommet, ils donnent un coup de baguette magique à la porte du château d'Armide et aussitôt, les murailles disparaissent avec toute la montagne ; il ne reste plus rien qu'une mer agitée. Godefroy et Eustache se retiennent à un rocher surplombant la mer, puis on les voit rejoindre la terre par un autre côté.

Le jardin d'Armide

(3) Armide pointe un dague sur le coeur d'Almirène et s'apprête à la tuer. Renaud s'interpose et Armide retourne son arme contre lui. Renaud tire son épée et s'avance vers elle avec furie. Aussitôt des esprits surgissent du sol pour la protéger. (4) Godefroy et Eustache arrivent. Armide appelle les Furies contre eux, mais par un coup de baguette magique, le jardin enchanté disparaît, laissant la place à une campagne déserte au fond de laquelle on aperçoit la ville de Jérusalem sur une hauteur ; des portes de la ville, une route tortueuse descend jusque dans la plaine. Godefroy, Eustache et Renaud se jettent dans les bras l'un de l'autre, mais alors qu'Almirène veut faire de même, mais Armide la retient et tente une nouvelle fois de la tuer avec sa dague. Renaud saisit son épée et s'avance vers Armide, mais au moment où il va porter le coup, celle-ci disparaît. Tous sont soulagés. Godefroy invite Renaud à retrouver la voie du devoir. Celui-ci est impatient de courir vers la gloire. (5) Argante, suivi de trois généraux, a décidé de mener un assaut. (6) Armida et Argante se réconcilient. Toutes sortes d'instruments militaires retentissent. On voit l'armée sortir de la ville puis, arrivée au pied de la montagne, défiler devant Argante et Armide en leur faisant les saluts militaires de rigueur. Leur duo célèbre la bataille imminente et leur propre réconciliation.

(7) Godefroy, Almirène et Renaud se réjouissent d'être délivrés de l'asservissement d'Armide ; l'air d'Almirène Bel piacere, qui provient d'Agrippina, chante à l'unisson du violon, révèle une inspiration charmante et gracieuse. (8) Toutefois, Eustache leur rappelle la tâche à accomplir. (9) C'est au tour de l'armée chrétienne de défiler solennellement, à pied et à cheval, devant Godefroy et Renaud en leur faisant des saluts militaires. L'air entraînant de la Marche, avec tambour et trompettes, est inspiré du Beggar's Opera. Renaud propose un plan de bataille. Il proclame sa résolution Or la tromba avant le déroulement de la bataille. (10) Argante sort avec son armée qu'il dispose pour la bataille. (11) Godefroy sort à son tour avec ses troupes en ordre de bataille. Il galvanise ses troupes. Les armées entament une bataille rangée qui reste équilibrée. Renaud, ayant déjà pris la ville, descend de la montagne avec un bataillon et assaille les ennemis par le flanc si bien que ceux-ci s'enfuient poursuivis par les soldats de Renaud. (12) Argante est fait prisonnier. Renaud est félicité par Godefroy. (13) Eustache et Almirène conduisent Armide prisonnière. Almirène et Renaud se retrouvent. Armide repentie brise sa baguette enchantée et embrasse la foi chrétienne. Clément, Godefroy accorde la liberté à Argante et Armide. Choeur final célébrant la vertu, la constance et l'amour.

(livret Decca)

 

"Ecrit en moins de quinze jours sur un livret de Rossi, lui-même inspiré de la Jérusalem délivrée du Tasse, ce Rinaldo, prototype même de l\92opera seria à l\92italienne alternant airs et récits, permit au tout jeune Haendel (il n\92avait pas 26 ans) d\92entrer par la grande porte sur la scène anglaise du début du XVIIIe siècle, inaugurant une grande histoire d\92amour qui allait durer plus de cinquante ans. L\92\9Cuvre sera représentée pas moins de quinze fois en une saison, un immense succès pour l\92époque. Ce fut l\92occasion d\92éblouir le public londonien avec des machineries imposantes, de puissants effets de tonnerre et de flammes, jusqu\92à des lâchers de moineaux qui n\92allèrent pas sans soulever certains sarcasmes. L\92auditeur du XXe siècle a bien du mal à imaginer la splendeur d\92une représentation, lorsque, carré dans son fauteuil, il subit une succession de récitatifs bien indigestes desquels même la beauté des airs qu\92ils précèdent ne peut faire oublier l\92ennui. Il faudrait de la part des interprètes bien de l\92entrain et de l\92inventivité pour gommer cette monotonie en variant à volonté les effectifs dans le continuo ou en mettant en avant, par un travail sur le timbre mis au service de la théâtralité du texte, la diversité des passions mises en jeu même si elles sont quelque peu conventionnelles". (Chronicart)

 

http://site.operadatabase.com.site.hmt-pro.com/modules.php?name=Downloads&d_op=viewdownload&cid=68&min=10&orderby=titleA&show=10 (en français et italien)

http://www.dicoseunpo.it/dicoseunpo/H_files/Rinaldo.pdf (en italien)

http://www.haendel.it/composizioni/libretti/pdf/rinaldo.pdf (en italien)

http://opera.stanford.edu/iu/libretti/rinaldo.htm (en italien)

 

Représentations : 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Comme en 2011, le Lyric Opera a conclu sa saison avec une nouvelle production d'un opéra de Haendel. Après la relecture très « sérieuse» de Hercules par Peter Sellars, place à Rinaldo que Francisco Negrin met en scène dans un esprit de divertissement pur, comme c'était très probablement le cas lors de la création londonienne de l'ouvrage, en1711.

Le décor de Louis Désiré est simple : un mur mobile de panneaux de plastique ; onze grandes lettres formant le mot «Gerusalemme», dressées comme une barricade autour de la cité assiégée ; le tout monté sur une plate-forme tournante. Au centre, descendant des cintres suspendu à des filins, un gigantesque clavecin sert à la fois de salle de commandement pour les sortilèges d'Armida et de prison pour Almirena. Le plateau est souvent plongé dans l'ombre, mais les éclairages de Bruno Poet créent de saisissants effets de clair-obscur.

Les costumes (également signés Louis Désiré) sont éclectiques : ceux des Croisés évoquent les guerriers de Star-Wars, la robe en vinyle rouge d'Armida ne déparerait pas dans un night-club de Las Vegas, les plus «authentiques» paraissant en définitive les tuniques stylisées des Sarrasins, assemblées à partir de morceaux de tapis persans. La mise en scène à prooprement parler s'éloigne, à plus d'un moment, de la trame du livret, mais les qualités musicales de la production compensent plus que largement.

Rinaldo est, depuis longtemps, l'un des rôles fétiches de David Daniels. Même si le rayonnement vocal du contre-ténor américain n'est plus tout à fait ce qu'il était, on ne peut que s'incliner devant l'impact de son interprétation. «Cara sposa !» possède toute la dimension plaintive nécessaire. tandis que « Venti turbini » et «Or la tromba» révèlent un virtuose toujours exceptionnel.

Ses partenaires faisaient presque tous leurs débuts au Lyric Opera, à commencer par la soprano allemande Julia Kleiter, Almirena au timbre radieux et à la ligne idéalement conduite, aussi bien dans un ravisssant «Augelletti, che cantate» que dans un «Lascia ch'io pianga» aux pianissimi aériens. Le jeune Britannique Iestyn Davies chante Eustazio avec une telle clarté, une telle pureté qu'on peut sans crainte lui prédire un avenir glorieux. Contre-ténor lui aussi, mais de nationalité américaine, Ryan Belongie tire le meilleur parti du bref rôle du Mage chrétien, la mezzo italienne Sonia Prina, particulièrement crédible sous le travesti de Goffredo, maîtrisant sans difficulté les roulades les plus meurtrières.

Luca Pisaroni et Elza van den Heever, enfin, se hissent un cran encore au-dessus, tant sur le plan vocal que scénique. Le baryton-basse italien est époustouflant de puissance et de flexibilité en Argante, notamment dans les périlleuses vocalises de l'éclatant «Sibilar gli angui d'Aletto». La soprano sud-africaine joue Armida avec l'instinct d'une grande comédienne de théâtre, sans jamais sacrifier les exigences du chant. Son « Vo' far guerra» est, à cet égard, un modèle, l'impact de l'inncarnation semblant comme renforcé par l'ahurissante performance technique. La danse occupe une place prépondérante dans la vision de Francisco Negrin. La chorégraphie inventive d'Ana Yepes est admirablement exécutée par quatre ballerines et cinq danseurs, dont les évolutions ajoutent à l'exubérance visuelle de la production.

Au pupitre, Harry Bicket se montre d'une précision infaillible, en parfaite osmose avec ce qui se passe sur le plateau. Parmi les instrumentistes, mentionnons le claveciniste américain Jory Vinikour au continuo, qui accomplit des prouesses dans les cadences de «Vo' far guerra»."

   

 

 

"Rinaldo est le cinquième ouvrage haendélien à l'affiche du Festival, après Jephtha (19661, Theodora (1996), Rodelindal998) et Giulio Cesare (2005). Le livret de Giacomo Rossi a été conçu pour ménager des effets spectaculaires, à l'intention d'un public friand de «machines». Dramatiquement, en revanche, il n'est pas vraiment exemplaire, réclamant un minimum d'innentivité pour satisfaire aux exigences théâtrales actuelles.

On connaît les ressources créatives de Robert Carsen. Iconoclaste, d'une fantaisie débridée et d'une imagination délirante, son astucieux «Rinaldo chez Harry Potter ménage une avalanche de situations cocasses qui font crouler la salle. Le metteur en scène installe Rinaldo, amoureux de sa copine Almirena - dont il cache la photo dans son buureau -, dans la salle de classe d'un collège très british (on y pratique même les châtiments corporels !). L'élève s'endort pendant un cours d'histoire dédié aux Croisades et, par l'intermédiaire du tableau noir, tout un monde magique envahit la pièce; les écoliers endossent une cuirasse sur leur uniforme et la méchante maîtresse devient Armida, la sulfureuse magicienne. Le clou de ces aventures potaches reste l'irrésistible match de football opposant l'équipe de Rinaldo/Harry Potter à ses adversaires, en guise de bataille finale à Jérusalem !

Dans ce contexte de pure fantaisie, un peu plus d'effets spéciaux auraient peut-être été les bienvenus (il faut se contenter d'une explosion spectacuulaire en salle de chimie). Mais Carsen apporte une réponse relativement cohérente à la transposition de chacune des situations du livret.

L'oreille est d'abord sous le charme des sonorités de l'Orchestra of the Age of Enlightenment, dirigé avec entrain par Ottavio Dantone, en débuts britanniques. La distribution, quant à elle, est d'un excellent niveau d'ensemble, quoique jamais exceptionnelle pour les rôles les plus exposés. Il est d'ailleurs révélateur que le chant le plus séduisant soit celui de Luca Pisaroni, une nouvelle fois reemarquable dans le personnage relativement seconndaire d'Argante. De tout premier ordre également, l'Eustazio de Tim Mead, Varduhi Abrahamyan ne passant pas inaperçue en Goffredo.

Remplaçant Sandrine Piau, qui a dû renoncer à ses débuts à Glyndebourne en raison d'une blessure au genou, Anett Fritsch est une délicieuse Almirena, qui délivre un irréprochable «Lascia ch'io pianga». Brenda Rae dessine une Armida explosive, très immpliquée dans un spectacle lui permettant de révéler une plastique de top model, dans des costumes en latex provocateurs de «maîtresse» sadique et dominatrice. Sonia Prina, enfin, a le mérite d'endosser, avec crédibilité, le travesti du gamin rêveur et turbulent qu'on lui demande d'incarner. D'une parfaite justesse, son chant appliqué ne transporte jamais, faute d'éclat et de véritable émotion."

 

 

"... l\92Opéra de Lausanne a choisi de reprendre la production « à l\92ancienne » de Louise Moaty, créée au Théâtre national de Prague en 2009. Mais ici, toute la fosse et la distribution scénique ont été changées.

Donné pour la première fois en 1711, Rinaldo connût dès sa naissance un immense succès. Händel venait alors d\92arriver à Londres et par sa folle créativité allait imposer l\92opéra italien à des Londoniens qui ne s\92étaient jamais remis de la disparition prématurée de Purcell.

Rinaldo s\92inspire avant tout du Tasse. C\92est l\92histoire d\92un chevalier venu libérer Jérusalem de l\92occupation musulmane. Comme dans le roman, il accompagne le roi Goffredo (Godefroy de Bouillon) qui est ici le père de la femme qu\92aime le guerrier, Almirena. Le roi Argante, sous la protection de la magicienne Armide, tente dans un dernier sursaut de résister aux chrétiens. Pour cela, Armide enlève Almirena et tâche de corrompre Rinaldo. Accompagné de son frère Eustazio, Goffredo parvient à libérer les deux amants, puis à définitivement vaincre la résistance des armées impies, obtenant leur conversion.

Ici la voix est essentielle. Händel lui offre le plus beau rôle : celui d\92une virtuosité débridée qui fait qu\92aujourd\92hui encore, si l\92opéra dans son intégralité n\92est pas toujours bien connu du public, les airs, repris régulièrement en récital, sont quasiment sus par c\9Cur par tous. Pourtant même si Rinaldo n\92est pas aussi abouti que les opéras de la maturité, il mérite d\92être découvert. Et la mise en scène, véritable joyau de Louise Moaty, offre la possibilité de s\92ouvrir à ce merveilleux qui était si essentiel à côté de la voix pour susciter l\92intérêt du public anglais du début du XVIIIe siècle et qui fascine toujours par ses couleurs et ses clairs obscurs, son exaltante inspiration. Tout y est grâce et onirisme.

S\92appuyant sur les chorégraphies raffinées de Françoise Denieau, la gestuelle baroque prend tout son sens. Elle envoûte, séduit, comme dans la scène des sirènes où les voix, cristallines comme eau de source \96 celles de Nathalie Constantin et Carole Meyer \96, l\92enlacement des bras et des mains, les déplacements aussi fluides que l\92onde hypnotisent comme ils font perdre la raison à Rinaldo. Cette mise en scène suggère la rêverie et y invite. Les éclairages subtils (en partie à la bougie) de Christophe Naillet font chatoyer les superbes costumes, orientalisants ou médiévaux, conçus par Alain Blanchot. On retrouve la luxuriance des soieries de l\92Orient. Les décors imaginés par Adeline Caron évoquent par leur abstraction les forêts peintes par les artistes de la Renaissance, lieux de perdition, d\92égarements pour l\92esprit humain. À l\92Acte II, des tissus qui ondulent avec élégance et un navire qui rappelle les caravelles des découvreurs appellent la mer avec une rare délicatesse. Le char d\92Armide (Acte I) et les dragons ont un côté surnaturel digne de la féérie des spectacles à machine de l\92époque baroque, tout en s\92inspirant de l\92iconographie chinoise de ces monstres.

Dans cet écrin, la distribution extrêmement homogène et ô combien brillante rassemblée par l\92Opéra de Lausanne est un véritable feu d\92artifice. Les qualités communes à tous les chanteurs sont un phrasé exceptionnel et une projection sans faille leur permettant des nuances rares et dramatiques, reliées aux émotions. Dans le rôle-titre, Max Emmanuel Cencic trouve enfin un rôle à sa mesure. Il s\92y confronte avec une virtuosité consommée. Le timbre est lumineux, entre bravoure et sensibilité. Que ce soit dans les airs de vaillance où il fait de preuve de détermination et d\92une facilité jubilatoire, comme Venti Turbini, ou dans les lents, comme Cara Sposa, où le chant est pure poésie, il conquiert le public suisse.

Face à lui, une double découverte dans des rôles trop souvent secondaires. La combattive et tragique Almirena de la jeune Hollandaise Lenneke Ruiten qui, dans l\92air fort attendu de l\92Acte II, Lascia ch\92io pianga, suspend le temps. Déchirant comme un poignard, son chant nous atteint et appelle à la révolte ou à la mort. Son timbre flamboyant et ses vocalises (comme celles de Cencic) sont de véritables diamants aux mille facettes, si bien que ces artistes forment un couple crédible et bouleversant. L\92autre découverte de la soirée est le contre-ténor (alto) ukrainien Yuri Minenko dans le rôle d\92Eustazio. Son timbre extrêmement riche, sans rupture dans les registres, avec un médium parfaitement assuré, apporte au personnage des nuances très fines. Fait de compassion et de détermination, il donne une réelle fermeté à ce frère d\92un roi parfois fragilisé par ses attachements. C\92est un Xavier Sabata en très grande forme que nous retrouvons en Goffredo. Il a donné beaucoup de sensibilité à ce souverain père à la fois fier et inquiet, ami fidèle d\92une grande noblesse. Quant à Bénédicte Tauran, en dépit de la légère méforme vocale d\92un soir, elle campe une Armide à la beauté sulfureuse et altière, faisant regretter de n\92avoir pas avoir assisté à la première dont tous les échos témoignent de sa maîtrise du personnage. Quel panache dans ce rôle de magicienne aux charmes impitoyables !

C\92est ici l\92Orchestre de Chambre de Lausanne, sous la direction fougueuse et impérieuse de Diego Fasolis, très attentif à ses chanteurs, qui reprend la partie musicale de cette production initialement interprétée par l\92ensemble tchèque Collegium 1704. Se familiarisant à l\92esprit baroque, il permet au public de découvrir cet opéra qui n\92avait jamais été donné à Lausanne, pour son plus grand bonheur. Ainsi la nuit lausannoise brille-t-elle de la magie des milles feux de ces nuits d\92Orient fantasmé par l\92Occident pendant des siècles."

"Il ne fallait pas avoir oublié ses lunettes. Entièrement éclairé à la bougie (à une ou deux tricheries près, difficile aujourd'hui encore de défier Barry Lyndon...), ce Rinaldo signé Louise Moaty nous a forcé plus d'une fois à froncer les sourcils. Plus statique que les troncs d'arbres qui composent la forêt de Roland tout au long du spectacle, la mise en scène de cette complice de Benjamin Lazar a le charme immanquable du clair-obscur, aidé par la beauté des costumes et décors tout en bois et or, quitte à y laisser ses yeux... La gestuelle baroque semble aussi précise qu'un décodage en direct pour sourds et muets même si la démarche, un rien archéologique, semble définitivement se substituer à l'ambition de faire vivre un plateau et traduire du sens pour les spectateurs d'aujourd'hui. Menues réserves pour une grande soirée côté musique, car le théâtre était, heureusement, avant tout dans la fosse.

Depuis son Faramondo déjà avec Max Emanuel Cencic à Lausanne, Diego Fasolis s'impose décidément comme l\92un des meilleurs chefs haendéliens du moment, ne manquant jamais de brandir la partition au moment des saluts en hommage au maître du bel canto baroque. Il tient le Sassone en haute estime, et ça s'entend : des airs de bravoure aux plaintes lascives, des préludes orchestraux aux marches guerrières, la palette impressionnante du premier opéra londonien de Haendel est magnifiquement restituée, notamment grâce à des continuos variés et les graves insolents de l'Orchestre de chambre de Lausanne. La verve mélodique, insatiable, fait le reste, mais c'est sans doute dans l'usage de l'aria da capo, véritable bête noire des détracteurs de l'opéra baroque, que la réussite est la plus patente. La reprise de chaque air devient sous la baguette de Fasolis ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : une sublimation des sentiments du personnage par des ornements motivés, et non pas une virtuosité imbécile de chanteurs en mal de reconnaissance.

À ce jeu, on ne peut plus sérieux, Max Emanuel Cencic tient le haut du pavé. Pour cette prise de rôle écrasante, il n'a pas trahi la moindre faiblesse technique, aussi à l'aise dans les airs d'amour que dans la soif belliqueuse, d'une projection insolente à réveiller les casernes pour le guerrier « Or la tromba », ou véritablement déchirant dans un « Cara sposa » d'anthologie, recomposant en infinies variations les spirales du chagrin amoureux.

A ses côtés, deux autres contre-ténors complètent ce tableau haut en tessiture. Xavier Sabata campe un Goffredo solide et étrangement viril, autant que faire se peut, tandis qu'à l'opposé Yuri Menenko livre un Eustazio débonnaire et suave, tout en joliesse et dévouement. La galerie parfaite des contre-ténors disponibles.

Face à eux, malgré une belle technique, Bénédicte Tauran a un peu plus de mal à imposer la puissance magique d'Armida descendant de son char (éclairé à la bougie, bien entendu) manquant de coffre et de folie, tout comme la mise en scène, pour traduire les multiples métamorphoses du rôle. Lenneke Ruiten est beaucoup plus convaincante en Almirena, raflant la mise côté applaudissements pour le tube attendu de la soirée, un « Lascia ch'io pianga » de toute beauté."

"Chacun des intervenants de cette production a travaillé, peu ou prou, avec Benjamin Lazar et cela se voit, comme Jean-Luc Macia l'avait signalé dans ces colonnes, à l'occasion des représentations données au Théâtre de Caen, en 2010, avec l'ensemble Collegium 704 et son chef, Vaclav Luks. Mais Louise Moaty se détache des épigones, plus ou moins inspirés, du re-créateur du genre, en proposant, comme elle le déclare dans ses notes d'intention, un véritable retour aux sources de l'opéra baroque. Celui-ci s'affirme principalement par une stylisation dont on sait, depuis les travaux de Rodolfo Celletti, qu'il en est l'essence même. On pourrait ainsi penser qu'il ne se passe rien sur scène, à part quelques très belles images. Mais ne nous y trompons pas. Des costumes et des postures semblables à des enluminures, un travail fouillé sur une gestuelle extrêmement précise, font de l'ensemble un petit bijou, passionnant de bout en bout.

La distribution a été entièrement renouvelée pour cette reprise. Dans le rôle-titre, Max Emanuel Cencic est une véritable merveille. Émouvant au possible, maîtrisant la ligne comme personne dans « Cara sposa », et d'une incroyable virtuosité dans «Venti, turbini », il fait délirer le public dès la fin du premier acte. Rassuré par cet accueil, il se permet, par la suite, les variations les plus folles et les aigus les plus héroïques. En outre, son physique le rend crédible, même quand il s'agit de brandir l'épée face à des monstres invisibles.

À ses côtés, Xavier Sabata est un Goffredo assuré, au timbre plein, tout à fait en situation, et Yuri Minenko, un Eustazio très convenable. Plus confidentiel, le Mage chrétien de Maarten Engeltjes, il est vrai dans un rôle moins important. La seule voix grave, Riccardo Novaro, possède toute l'autorité d'Argante, et une belle longueur de souffle. Du côté féminin, Bénédicte Tauran, d'habitude pourtant un modèle de style et d'intelligence musicale, rate son entrée, en voulant faire trop «méchante», à force de coups de glotte et d'aigus dardés, pas toujours très justes. Mais dès que son personnage peut exprimer l'amour et la sensualité, la beauté de son timbre, la sûreté de sa technique et le rayonnement de sa présence emportent l'adhésion. Le duo entre Armida et Rinaldo devient alors un excitant concours d'aigus et de pyrotechnie, comme il devait l'être au temps de Haendel. Face à elle, Lenneke Ruiten, au timbre un peu trop dur, peine à exister, même si son Almirena est voocalement irréprochable.

Pour servir cette production et cette distribution de rêve, il fallait une direction et un orchestre de rêve. C'est chose faite avec l'Orchestre de Chambre de Lausanne, sous la baguette de Diego Fasolis, qui sonne vif, nerveux, alerte, et parfois impertinent. "

 

 

"Outre d\92un metteur en scène qui se saisit adroitement des éléments dont Händel lui-même s\92était emparés à travers le livret de Hill et Rossi, éléments indispensables à la recette lyrique dont seul il eut le secret, cette production de Rinaldo peut s\92enorgueillir de la direction musicale élégante et souple d\92un händélien de longue date, d\92Alessandro De Marchi [lire notre chronique de Deidamia, le 11 juin 2003], jamais heurtée et cependant idéalement au service de la dramaturgie, soulignant judicieusement les influences italiennes et françaises de la partition, mais encore d\92un plateau vocal globalement satisfaisant, quoiqu\92inégal, dominé par d\92exceptionnels Goffredo et Armida.

La cuisine du Grand Saxon a besoin de beaucoup de politique, d\92amours complexes, d\92une mythologie invitant le fantastique et d\92une pincée d\92exotisme. Cette histoire du siège de Jérusalem par des croisés qu\92on nous montre tout dévoués à leur mercenaire cause, conquête bientôt contrariée par un jeu de passion quasi racinien \96 Argante aime la magicienne Armida qui aime Rinaldo qui aime Almirena (fille d\92un général qui n\92aime que le pouvoir et pourrait bien l\92y sacrifier, selon l\92issue de l\92intrigue) charnellement désirée par Argante \96 avait tout pour plaire au compositeur qui sut y trouver grand ressort dramatique et matière à des arie de toute splendeur.

À parler voix, celles de ce soir ne sont pas en reste, loin s\92en faut. Yong Doo Park (basse) est un ermite chrétien caverneux qui retient l\92écoute, Steve Wächter livre un Eustazio soigneusement phrasé, d\92un alto d\92abord discret qui peu à peu se déploie, Krenare Gashi offre un timbre d\92une fraîcheur attachante au rôle d\92Almirena, tandis qu\92Adriana Bastidas Gamboa s\92attelle à celui de Rinaldo, d\92abord assez timidement, puis dans une veine plus héroïque \96 cela dit, avec son timbre plutôt terne, une projection encore trop confidentielle qui accuse une stabilité parfois précaire, le guerrier ne convainc pas \96, et que Wolf Matthias Friedrich campe de son ferme baryton-basse un Argante à la belliqueuse vocalise qui n\92est pas sans panache.

Nous vous annoncions la conjugaison de deux bonheurs vocaux. Tout d\92abord, le Goffredo remarquable d\92un chanteur qu\92en sa qualité baryton, à travers le Jakob Lenz de Wolfgang Rihm à votre curiosité nous signalions [lire notre chronique du 11 avril 2006]. Est-ce à dire que l\92Opéra de Cologne aurait pris la liberté de transposer la partie du croisé ? Certes non, mais à relire les propos d\92alors on s\92étonnera moins de ce qu\92Hagen Matzeit se produise ce soir en tant que\85 haute-contre (alto) \96 et quelle voix lui découvre-t-on ! Voilà un timbre riche, une couleur formidablement présente, un chant parfaitement mené jusqu\92en ses moindres nuances, qui incarnent un personnage drôle mais peu sympathique (à juste titre) directement servi par un art de la scène plus qu\92évident.

Enfin, nous retrouvons un soprano comme il en est peu : l\92excellente Simone Kermes [photo] dont, outre le David de Conti donné à Ambronay [lire notre chronique du 11 octobre 2003], nous goutions au disque l\92Andromeda liberata de Vivaldi [lire notre critique du CD], un récital Vivaldi avec Andrea Marcon (chez Archiv Produktion) et les plus récents albums Lava (airs d\92opéras napolitains du XVIIIe siècle, chez Deutsche Harmonia Mundi) et Colori d\92amore (airs italiens oubliés de la fin du XVIIe siècle, chez Sony Classical), tous deux avec Claudio Osele. Sans doute Händel lui-même ne rêva-t-il plus bel hommage à son génie que l\92adresse indicible, la vocalité virevoltante, l\92infinie délicatesse de la nuance et l\92immense investissement musical et scénique dont use cette Armida compatriote (l\92artiste est née à Leipzig, pas très loin de Halle), magicienne hors norme \96magicienne, précisément \96 qui, à défaut de réellement provoquer les maléfices, déchaînement assurément les foules, à en juger par l\92immense succès qu\92elle emporte. Simone Kermes, sans se départir jamais des exigences stylistiques ni de la pertinence dramatique, développe une ornementation exquise qu\92elle est aujourd\92hui la seule à concevoir aussi exquisément. Une Armida qui fera date, n\92en doutons pas.

Avec la complicité de Susana Mendoza (costumes), de Dieter Richter (décors) et de Nicol Hungsberg (lumières), Sabine Hartmannshenn signe une production à la fois sensible et pleine d\92humour, d\92une « profondeur légère », pourrait-on dire, puisant adroitement dans l\92\9Cuvre que, par des mises en abîme bienvenues, ô combien baroques (et pas uniquement dans la scénographie, mais encore dans le jeu et sa distance), discrètement soulignées par l\92omniprésence du comédien Harald Beutelstahl, elle extrapole sans la trahir jamais."

 

 

 

 

 

"Un souffle épique, un doigt d'exotisme et une bonne dose de magie : Rinaldo est le premier opéra de Händel écrit en italien pour un théâtre londonien, et on y trouve toutes les influences vénitiennes dont le jeune compositeur est alors pétri. Cette plongée dans l'univers chevaleresque des croisades sur fond de romance porte déjà en elle son lot d'onirisme, mais Louise Moaty - jeune collaboratrice du talentueux Benjamin Lazar - en fait un véritable rêve éveillé. Créée au Théâtre national de Prague, reprise ensuite à Caen, cette production à l'ancienne arrive enfin en région parisienne, qui plus est sous les ors de Versailles\85 Et ceux qui ne l'ont pas encore vue risquent fort de ne pas en croire leurs yeux. Éclairages à la bougie, jeu frontal puisant dans l'univers pictural, émotion du théâtre à machines dans la manière du XVIIIe siècle (rien que la représentation très poétique de la tempête, au début de l'acte II, donne le grand frisson) : la filiation est évidente avec le travail de Lazar, mais Louise Moaty a su trouver son propre langage, alliant grâce et sensibilité féminines, qui apportent à l'ensemble la fluidité nécessaire pour traverser ces quatre heures de musique sans s'ennuyer. Côté musique, on trouvera peut-être les voix de l'Opéra praguois un peu « vertes », mais la fougue de Vaclav Luks et de son jeune ensemble baroque Collegium 1704 dans la fosse emporte le tout."

 

 

 

 

 

"Créée l\92an dernier au Théâtre national de Prague, cette production est marquante, tant, pour sa première mise en scène lyrique, Louise Moaty touche juste. Par ses passées collaborations avec, entre autres, Eugène Green et par son actuel compagnonnage avec Benjamin Lazar, on devine son environnement artistique et esthétique. Son mérite initial est de l\92assumer ouvertement et de le dépasser avec une probe sérénité. Son travail exhale une substantielle poétique personnelle où s\92entrelacent quatre fondements : une tension entre les diverses profondeurs de la frontalité scénique ; une dialectique de l\92apparition et de la disparition ; une lecture « rhétorisée » du corps humain en mouvement ; et une ample culture picturale (autant le cadre du tableau que ce qui est figuré). Détaillons quelque peu ces fondements.

On le sait un éclairage à la bougie (ici majoritaire) et à la torche (plus épisodique) n\92est qu\92un outil ; son usage ne dépasse l\92anecdote que si notre perception s\92en trouve bouleversée. Pendant les dix premières minutes du spectacle, on est tenté de reprendre le titre d\92un grand livre de Daniel Arasse (On n\92y voit rien) tant la forêt de minces et élancés fûts d\92arbres qui constitue l\92unique, épuré et ingénieux décor l\92emporte sur les silhouettes humaines ; puis il devient limpide que, ordinairement, nous gâtons notre vue à exiger trop d\92intensité lumineuse, et que, pour discerner les strates frontales successives de la profondeur d\92un plateau, une rampe de bougies en devant de scène est irremplaçable. Entre lumière légèrement trémulante (cire oblige) et obscurité presque totale, une lucidité visuelle oubliée et enfouie resurgit.

Bref, tout le dispositif d\92éclairage qui caractérise la peinture occidentale entre la perspective renaissante et la révolution ourdie par Manet prend ici réalité et chair. Autre fondement : apparaître et disparaître \96 ce jeu fondamental (il réjouit le tout jeune enfant et structure son développement) \96 est ici saisi grâce à ces frontalités lumineuses, entre corps physique et ombre mouvante. Puis le matériau qu\92élabore Louise Moaty n\92est ni la psychologie des personnages ni la littéralité du livret mais un langage du corps humain chorégraphié (la contribution de Françoise Denieau est ici essentielle, qui culmine dans le combat lors de la pénultième scène), à partir des innombrables postures dont la peinture, le dessin et la gravure \96 notamment dans le second XVIIe siècle français \96 surabondent. L\92énergie qui relie les différents instantanés de ce langage est continue et tendue. Des gestes et déplacements mesurés et doux (jamais la moindre brusquerie), à la taille des corporéités, nous conduisent, magnétisés, à faire dialoguer les tableaux baroques enclos dans notre mémoire avec ceux de ce spectacle ; dieux et humains y parlent un identique langage de postures et de gestes. Enfin, Louise Moaty assoit sa dramaturgie sur le cadre (de scène et du tableau) : presque pas de hors-champs mais un cadre dans lequel on entre et duquel on sort, comme une suite d\92instantanés picturaux (à rapprocher de l\92écriture cinématographique de Charlie Chaplin à ses débuts, dans les années 1910). On l\92a compris, voici une réalisation scénique pensée, accomplie et difficilement oubliable, où la mise en scène consiste moins à régir, au cordeau, chaque acteur qu\92à lui offrir un strict cadre que sa nature théâtrale saura remplir ou non.

À cet égard, l\92équipe vocale ici rassemblée \96 des membres de la troupe du Théâtre national de Prague \96 répond à ces sollicitations peu courantes. Au regard du chant proprement-dit, disons que, homogène en maîtrise technique, elle offre une projection sonore un peu courte au regard des formats vocaux que ces rôles requièrent. Les plus gênées sont les trois mezzo-sopranos (surtout Stanislava Jirku en Goffredo) : faute de réelles contralti (seul véritable équivalent actuel à feu les castrati alto), elles assument des rôles trop graves pour elles, « tapent » trop souvent dans les ponticelli, fatiguent manifestement leur voix et offrent une palette de couleurs un peu limitée. Toutefois, ce chant soutient l\92intérêt par sa musicalité et, au bilan, cette jeune troupe pragoise est d\92une réjouissante mobilisation.

En France, on n\92entend trop peu souvent Collegium 1704 et c\92est bien dommage. Par sa densité sonore, avec un bas médium charnu, et par son alerte lyrisme, cet ensemble, basé à Prague, fait songer au Concentus Musicus Wien en son âge d\92or (n\92oublions pas que cet historique orchestre est moins viennois que porteur de toute une tradition issue de la Mittle Europa, via les Suk et autres Vegh). Le travail des cordes y est de premier ordre. Quant à Václav Luks, ce jeune chef est un excellent rythmicien, talent qui lui permet de tenir l\92attention de tous, sans ciller, jusqu\92au terme de la partition. Sa musicalité se matérialise essentiellement par une fine oreille timbrique, où s\92épanouit une poétique limpide et touchante. On l\92aura compris : Rinaldo a connu, à Caen, une fameuse représentation !"

"Il y a presque 300 ans que Rinaldo a été créé à une époque où la machinerie scénique n'avait rien à voir avec ce que l'on connaît aujourd'hui mais qui offrait déjà des astuces pour rendre le récit chanté impressionnant et captivant. Ainsi, la metteuse en scène Louise Moaty, fidèle collaboratrice de Benjamin Lazar dont on a pu admirer Sant'Alessio ou Cadmus et Hermione, effectue un retour aux sources pour nous embarquer dans le royaume des dragons, coups de tonnerre et éclairs. C'est à la bougie qu'elle éclaire la scène, à la tôle qu'elle imite l'orage et par les cintres qu'elle fait descendre certains personnages.

Cependant cette apparente simplicité de moyens sert en fait une débauche d'effets spéciaux que le XVIIIe siècle avait déjà inventés. Rinaldo est typique des opéras baroques tant par la complexité de son histoire que par l'abondance de personnages, d'intrigues et de rebondissements qui alliaient, déjà à l'époque, virtuosité vocale et faste des machines, musique de scène, danseurs français et chanteurs italiens, feux d'artifices orchestraux et même lâcher de moineaux ! Cette fois, le plateau est essentiellement tchèque, production de l'Opéra national de Prague oblige, mais le faste n'y a rien perdu.

C'est sur un canevas embrouillé à souhait, et inspiré de La Jérusalem délivrée de Tasse, que le jeune Händel tisse une musique de rêve aux mille accents et couleurs. Nous sommes à Jérusalem, au temps de la première croisade : Goffredo (Godefroy de Bouillon) et son général Rinaldo (Renaud) sont à la veille de conquérir la cité gouvernée par Argante. Avec le concours de son amante, la magicienne Armide, reine de Damas, Argante tente de vaincre Renaud. Pour attirer le chevalier dans son royaume magique, la sorcière enlève Almirène, sa promise. Mais les amis de Renaud prennent d'assaut le château d'Armide et libèrent le général...

Pour coller à l'époque de la création, Louise Moaty n'a pas seulement recours à la bougie. Elle a élaboré une sorte de « book de tendances » iconographiques. « J'ai travaillé à partir des tableaux d'Uccello et de Botticelli, mais aussi de manuscrits orientaux richement enluminés, ainsi que des constellations des traités d'astrologie », explique-t-elle. Bois des lances, des fortifications, forêts de mâts et de bannières; métal des armes, des armures, des trompettes, ce sont les matériaux qui impriment non seulement les images mais les tournants de l'histoire.

L'imagination du compositeur est à son sommet : la pièce est une collection d'airs plus beaux et touchants les uns que les autres, le célébrissime Lascia ch'io pianga en tête. Händel a pourtant composé Rinaldo en quinze jours.

C'est dans cette urgence qu'il utilisa le matériau de plusieurs \9Cuvres précédentes (Almira et Résurrection par exemple), habitude courante à l'époque. Le brio de l'écriture, la virtuosité des arias, tout était destiné à impressionner le public londonien, qui fut d'ailleurs conquis.

Cette croisade palestinienne chantée en italien devait en outre édifier le public dans le sens d'une morale protestante anglicane. Händel préfère ainsi confier les rôles masculins à des femmes plutôt qu'à des castrats, victimes de Rome. C'est aussi un ouvrage étourdissant de virtuosité musicale et théâtrale, sur un livret débordant de tendresse, d'héroïsme et de magie. Ici, les airs s'affranchissent souvent du «da capo», la reprise obligée, pour mieux épouser les sentiments ou l'action, et leur succession est sans cesse bousculée par des duos, des ensembles, des moments de danse, des accélérations du récit et du tempo, qui font de l'opéra un spectacle toujours palpitant."

"Dans cette nouvelle production, créée au Théâtre National de Prague en 2009, Louise Moaty poursuit son travail de recherche et nous offre une ambiance XVIIIe respectueuse de tous les codes baroques : maquillages et costumes magnifiquements éclairés à la bougie, gestuelle, déclamation... À la baguette, le chef tchèque Václav Luks dirige avec énergie et précision son ensemble de musique baroque fondé à Prague en 1991, Collegium 1704, tout au service des airs sublimes de cet opéra. Cet excellent orchestre est l\92invité régulier des grands festivals baroques français comme Sablé ou encore La Chaise Dieu. Il a également été récompensé par 5 diapasons pour son enregistrement des Concertos pour clavecin de J.A. Benda. À seulement 26 ans, Handel présente à Londres son premier opéra, quelques mois après son arrivée dans la capitale anglaise. Rinaldo est donné le 24 février 1711 au Queen\92s Theatre \96 devenu King\92s Theatre pour la représentation d\92une deuxième version vingt ans plus tard. L\92ouvrage est un triomphe. Il faut dire que tout a été fait pour séduire le public. Le plateau réunit les meilleurs chanteurs, dont le castrat Nicolino dans le rôle-titre. Et le théâtre veut montrer sa machinerie flambant neuve. Changements de décors à vue, effets scéniques spectaculaires, effets de lumière, tonnerre et même lâcher de moineaux finissent de remporter l\92adhésion des spectateurs. Sur un livret de Rossi, tiré de La Jérusalem délivrée du Tasse, on dit que Handel composa Rinaldo en deux semaines, sans doute grâce aux nombreux emprunts qu\92il fait à ses précédentes productions. Entre airs et récitatifs, le compositeur impose sa maîtrise dramatique et sa connaissance des passions humaines, dans des pages vibrantes d\92émotions."

"C'est la première collaboration entre le Théâtre de Caen et le Théâtre National de Prague (l'Opéra de Rennes et le Grand Théâtre de Luxembourg sont également coproducteurs). Ses artisans musicaux sont le chef tchèque Vaclav Luks et son Collegium 1704, des valeurs montantes dans le monde du baroque depuis qu'ils se sont fait entendre à La Chaise-Dieu et à Sablé en jouant des \9Cuvres de Zelenka, dont certaines ont été enregistrées par le label Zig-Zag Territoires.

Pour monter Rinaldo, premier opéra écrit par Haendel pour Londres et créé en février 1711, en prémices d'une carrière fructueuse, il a été fait appel à Louise Moaty, qui signe là sa première mise en scène. La jeune femme ne manque pas d'expérience, puisqu'elle travaille depuis plusieurs années avec Benjamin Lazar et a notamment participé au mémorable Sant'Alessio de Landi (Caen, 2007). Elle est de fait une adepte de l'esthétique «lazarienne» : éclairage à la bougie, attitudes d'époque (les acteurs face au public, gestuelle symboliquc, machinerie), à l'opposé donc du Regietheater.

Le contexte guerrier du livret n'a pas suscité une transposition de nos jours à Gaza ou en Irak mais une scénographie proche de l'enluminure, avec un décor fort simple (de grands fûts de bois symbolisant la forêt d'Armida), des lumières à la Caravage, des costumes aux teintes d'or doux et de cuir tendre, une chorégraphie minimaliste mais suffisante, et quelques effets fantastiques (char de la magicienne descendant des cintres, feux d'artifice ... ). On retrouve la cohérence des spectacles de Benjamin Lazar, avec une direction d'acteurs respectant à la lettre les sentiments évoqués dans le livret.

Un beau travail, conforté par la qualité d'un Collegium 1704 dont les couleurs instrumentales sont superbes, et les membres d'une virtuosité à toute épreuve notamment la flûtiste (dans le célèbre «Augelletti, che cantate» d'Almirena) et les quatre trompettistes participant à l'action sur scène. Vaclav Luks prête une transparcncc, unc variété constante à l'orchestre haendélien. Sa direction manque un peu d'élans dramatiques, mais comment ne pas admirer la manière dont il construit l'accompagnement en forme de chaconne, avec toute une gradation dyynamique subtile, des complaintes de Rinaldo (« Cara sposa ») ou d'Almirena « Lascia ch'io pianga ») ?

Si la fin du premier acte souffre d'un déficit d'engagement, la faute en revient peut-être aussi à Mariana Rewerski, point faible de la distribution en raison d'un timbre un peu passe-partout et d'un manque de charisme : son Rinaldo n'émeut guère. Il est vrai qu'ici il n'y a pas de stars, mais une brochette de jeunes chanteurs tchèques et slovaques n'ayant pas toujours la pointure de leur rôle, mais formant une troupe séduisante. Les meilleurs sont Adam Plachetka, Argante à la voix solide et bien posée, Katerina Knezikova, charmante Almirena, Stanislava Jirku, Goffredo viril au grave profond, et Marie Fajtova, impressionnante Armida, dont les coloratures et la puissance d'émission laissent entrevoir un bel avenir.

Triomphe total auprès du public. De quoi attendre avec confiance les prochaines coproductions Prague-Caen."

"Dernière production lyrique de la saison du Grand Théâtre de Luxembourg, ce Rinaldo était originaire de Prague, où la production a été créée l\92hiver dernier au Théâtre des Etats, la même salle qui a vu il y a deux siècles la naissance de Don Giovanni.

Production singulière que ce Rinaldo, car son équipe de mise en scène , emmenée par Louise Moaty, longtemps assistante de Benjamin Lazar, y utilise des moyens matériels aussi proches que possible de ceux de l\92époque de la composition, du moins les moyens visibles par le spectateur. La scène est donc éclairée exclusivement à la bougie, les machineries sont les plus traditionnelles possibles, et costumes et accessoires ne comportent aucun détail moderne.

Le spectacle réalisé d\92après ces recettes au demeurant fort simples produit un effet poétique rarement vu sur scène. C\92est la lumière qui produit cet effet, avec ces couleurs chaudes, les visages éclairés par le dessous, qui acquièrent plus d\92expressivité, et cette semi-pénombre qui donne un effet d\92espace, force l\92attention et semble enrober l\92action de mystère. Histoire de chevalerie mêlant intrigue amoureuse et magie, Rinaldo est une \9Cuvre qui est particulièrement adaptée à ce traitement qui rend parfaitement son caractère merveilleux. Outre la lumière, il y a aussi un très intéressant travail sur la gestuelle des personnages. La direction d\92acteurs peut sembler un peu figée, surtout dans le premier acte, mais elle s\92accompagne d\92une gestique qui renoue avec une rhétorique ancienne, très expressive et naturelle dans ce cadre. On devine que ce travail pourrait être plus poussé, que l\92ensemble des gestes est pour le moment une ébauche, mais cette base est déjà très prometteuse, et il faut savoir que les chanteurs font partie de la troupe du Théâtre national de Prague, ce qui leur laisse un temps de répétition assez court par rapport à une production qui aurait été montée dans un théâtre de saison. Même si elle est relativement peu utilisée, la machinerie fait également un bel effet, avec l\92entrée spectaculaire d\92Armida sur un fantastique char volant. Notons aussi les chorégraphies, qui prennent naturellement leur place dans cet ensemble.

Finalement, le mérite ultime du travail très recherché, subtil et onirique de Louise Moaty et de son équipe est d\92avoir saisi tout l\92esprit de cet opera seria plein de magie et de rebondissements, et d\92avoir réalisé un spectacle qui reste somptueux et fascinant même lorsqu\92il est donné dans une vaste salle comme celle du Grand Théâtre de Luxembourg, très différente d\92un théâtre baroque.

Musicalement, ce Rinaldo est également de très bonne facture, avec une distribution stylistiquement au point, même si tous ses membres ne sont pas au même niveau d\92excellence. Parmi ses membres les plus satisfaisants, Yeree Sun en Almirena, voix petite mais fraîche et tendre, techniquement très sûre, qui ornemente impeccablement et varie ses da capo de façon très expressive et prenante. Même constat pour l\92Armida de marie Fajtova, une voix légère aux aigus radieux et à la vocalisation précise, qui fait preuve de style, de vigueur et de musicalité. On entend également un Argante de premier plan en la personne d\92Adam Plachetka, voix bien timbrée, à l\92aise sur toute la tessiture, au chant plein d\92autorité et de vaillance, et qui se révèle être un redoutable adversaire pour les chevaliers croisés. Une distribution soignée également pour les petits rôles, avec un mage/Aroldo très solide et bien chantant, et par des sirènes subtiles, à la vocalité séduisante.

Les trois autres protagonistes importants sont un peu moins convaincants, Stanislava Jirku en Goffredo et Marketa Cukrova en Eustazio réalisant des prestations presque identiques : un chant correct, sans défaut véritable, mais manquant clairement de caractérisation et d\92ampleur, les deux interprètes se cantonnant à une expression très prudente, sans projection et sans saveur. Enfin, la prestation de Mariana Rewerski dans le rôle-titre est la plus problématique : l\92intonation est fausse presque de bout en bout, et legato et phrasé semblent des notions qui lui sont étrangères ce soir. Son investissement étant en plus très limité, on tentera d\92oublier vite ce faux-pas, alors que l\92ayant entendue à l\92automne, dans une partie bien moins exposée il est vrai, nous l\92avions trouvée assez prometteuse.

L\92orchestre vient également de République tchèque, c\92est le Collegium 1704, un ensemble créé en 2005. Celui-ci se distingue par son énergie et par l\92excellente qualité de ses solistes, dont toutes les interventions sont tranchantes et pleine de verve. La sonorité de l\92ensemble est un peu verte, mais ses musiciens sont disciplinés, et conduits avec un sens dramatique très sûr par leur chef Vaclav Luks.

Voici donc une production de Rinaldo qui fera date dans l\92histoire de l\92opéra haendelien, et même plus généralement dans celle de l\92opéra baroque. Aux reconstructions modernistes, aux transpositions hasardeuses répond ici un travail qui fait confiance à l\92\9Cuvre, à sa dramaturgie et à sa musique, et qui force à regarder la scène avec une attention émerveillée par la poésie des lumières et des décors."

 

 

 

 

Rinaldo fut le premier opéra crée par Haendel sur le sol anglais, représenté à 15 reprises au Queen's Theatre de Londres en 1711. \8Cuvre pyrotechnique, d'une bouillonnante inventivité, où le jeune Haendel utilise une gamme de couleurs orchestrales extrêmement large, l'opéra héroïque s'inspire de la Jérusalem Délivrée du Tasse et, quoiqu'il porte le nom du héros chrétien, brosse avec complexité et tendresse le portrait de la magicienne torturée.

Ottavio Dantone a décidé de pratiquer quelques coupes dans l'\9Cuvre, justifiées sans doute par une plus grande urgence dramatique pour une version de concert. Passée l'ouverture un peu guidée et où les cordes de l'Accademia Bizantina n'ont pas encore eu le temps de s'épanouir, Ottavio Dantone prend le drame à bras le corps, et enchaîne avec force les numéros, imprimant des tempi allant et décidés à un opéra qui, sous sa houlette, revêt sa cuirasse épique, aidé en cela par une distribution homogène et investie.

Il faut bien avouer que le preux paladin campé par Varduhi Abrahamyan a mis du temps à convaincre. Le timbre, androgyne et cuivré, d'un bronze qui n'est pas sans rappeler une Marijana Mijanovic en plus voilé, est tout à fait idoine pour le rôle. Toutefois, l'artiste à la voix très mate a fait d'abord preuve d'une émission imprécise, comme embuée, manquant de précision et d'assise, mais avec une indéniable prestance. Le "Cara sposa" tant attendu est parfaitement exécuté, mais émotionnellement vague, l'incarnation un peu monolithique, tout comme le "Cor ingratto". Ces réserves se dissipent lors du 3ème acte, franchement splendide, avec un "Or la tromba" d'anthologie, martial et virtuose, d'une fierté arrogante, d'une déconcertante facilité et au da capo frénétique.

Et il y a l'Armide de Karina Gauvin, impériale, écrasante de haine, écrasée par l'amour, redoutable et touchante à la fois. Techniquement, la soprano au timbre riche et nuancé, puissante et altière, se laisse parfois emporter par son investissement théâtral. Ainsi, les coloratures de "Furie terribili" ne sont pas toujours bien placées, et l'on surprend de temps à autre la grande chanteuse à devancer l'orchestre, ou à jeter d'un geste rageur ses rangées de double-croches sans asseoir les notes, ce qui provoque ça et là des aigus tirés. Mais quelle incarnation, quelle vie, quelle ivresse furieuse ! La magicienne sarrasine s'avère - et de loin - le personnage le plus humain et le plus intéressant de l'\9Cuvre qu'elle porte par la violence de ses passions. Un duo "Fermati - No crudel" noble et menaçant, un "Vo' far guerra" musclé, et surtout le "Ah! crudel, il pianto mio" désolé, en apesanteur, avec son orchestre soudain enveloppant, illustrent le talent tragique de Gauvin.

Christophe Dumaux n'est jamais plus à l'aise que quand il peut surjouer les "bad guys" haendéliens, comme son Ptolémée chez Giulio Cesare l'avait démontré (Glyndebourne, captation DVD Opus Arte). Ici, le voici du bon côté et le contre-ténor s'en amuse, campant un Godefroy petit bouillon, assez carton-pâte ("No, no quest' alma"), d'une agilité vocale certaine, un peu instable et changeant, un brin ironique.

Quant à la belle Almirena, fiancée de Renaud, confessons que vocalement Rinaldo aurait plutôt dû s'éprendre d'Armide... Non que la prestation de Maria Grazia Schiavo manque de charme, mais cette voix agréable et bien projetée demeure néanmoins forcée dans les aigus, aplatie dans les graves. L'air "Augelette" normalement champêtre et galant (superbe flûte obligée) est fêlé dans les aigus et croulant sous une ornementation tellement florissante qu'elle en devient excessive, d'autant plus qu'elle touche même la section initiale de l'air. On relève cependant un "Lascia ch'io pianga" inégal, avec une première section lyrique et ronde, puis une reprise tournant encore une fois à vide sous les fioritures pléthoriques.

Enfin, l'Argante d'Alain Buet est... embué. Le timbre est riche et chaud, un peu rocailleux mais l'émission trop large, le phrasé emphatique et trop legato, le vibrato parfois mal contenu ("Sibillar gli angui d'Aletto") trahissent un style plus tardif. Peu effrayant, un rien bougon, cet Argante même dans ses airs guerriers peine à s'imposer, et accrédite l'hypothèse d'une marionnette dominée par Armide.

Dantone - qui ne résiste pas à prendre lui-même le clavier dans le solo du "Vo' far guerra" - mène ce petit monde avec délectation et énergie. L'Accademia Bizantina révèle un son plein, opulent, un brin narcissique du côté des instruments obligés, très martial et dynamique, tout en maintenant savamment quelques moments de suspension. Les basses sont très bien pulsées, le continuo disert, le noyau de cordes compact et ferme.

Et en sortant du TCE, après des rappels aussi nombreux que mérités, on sifflote son "cara sposa" le c\9Cur aussi délivré de ses soucis que la Jérusalem du Tasse."

... Varduhi Abrahamyan qui \96 levons le suspens tout de suite \96 aura été à été à la hauteur du rôle. Il s\92agit d\92une jeune chanteuse qui s\92est déjà illustrée dans Ariodante (avec le rôle de Polinesso), qui n\92a peut-être pas encore assez d\92assurance et de prestance sur scène, mais qui possède de magnifiques couleurs et une belle agilité vocale, comme l\92exige l\92air Venti, turbini, qui conclut le premier acte de l\92opéra.

On ne peut pas en dire autant, en revanche, de Maria Grazia Schiavo qui a toujours le timbre aussi ingrat, aussi acide. En plus d\92être dotée d\92un méchant organe, cette chanteuse n\92a vraiment pas de chance... Chaque fois (ou presque) que je la vois sur scène, c\92est pour chanter des rôles que Cecilia Bartoli a interprétés avant elle. Et comme elle n\92a ni le moelleux, ni la subtilité, ni les coloratures, ni le sens des nuances de sa compatriote, la comparaison lui est, à chaque fois, fatale, surtout dans le Lascia ch\92io piango. Elle s\92en tire un peu mieux avec Bel piacer (capturé dans la basilique de Beaune cet été) et Augellati che cantate, l\92un des plus célèbres airs de l\92opéra dans lequel Händel fait concerter la voix avec la flûte dans un air qui, bien avant Va tacito, s\92apparente à une véritable joute musicale.

Karina Gauvin, qui aurait pu interpréter le rôle d\92Almirena (après tout, nous l\92avions bien entendue au mois de mars dernier chanter Laschia ch\92io piango) interprétait ce soir celui de la magicienne Armida qui s\92emploie à détourner Rinaldo de sa fiancée et lui apparaît sous les airs d\92Almirena.

Le rôle lui allait à merveille et, naturellement, c\92est avec son Furie terribili qu\92elle m\92a fait le plus\85 terrible effet.

Côté homme, c\92était parfait aussi. La basse Alain Buet avait assez de souffle pour se tirer d\92un air aussi difficile que Sibilar gli angui qui, au moins, aura été interprété encore plus presto que chez Jacobs. Mais c\92est surtout Christophe Dumaux qui m\92aura le plus impressionné. Il interprétait le rôle de Goffredo, alors qu\92avec Jacobs, il n\92était cantonné qu\92au petit rôle d\92Eustazio. J\92adore ce chanteur, il a une facilité incroyable, un dynamisme déconcertant, une souplesse et une fluidité parfaite dans le chant, et assure très bien le fondu entre la voix de tête et la voix de poitrine. J\92espère le revoir en février prochain dans Giulio Cesare aux côtés de Bartoli. La distribution n\92est pas encore totalement arrêtée pour Ptolémée, un rôle dans lequel il excelle, mais on prie très fort pour que ce soit lui qui sorte du chapeau de Christie !

Il convient enfin de terminer sur le chef, Ottavio Dantone qui dirigeait au clavecin son Accademia Bizantina. Son Rinaldo est l\92un des plus « ornés » que j\92ai vus. Tous les chanteurs ont pris d\92énormes risques et produit d\92admirables da capo, y compris Schiavo, qui a réussi à faire du neuf avec du vieux ou du déjà 1000 fois entendu. Le problème, quand on voit un opéra comme celui-ci, c\92est qu\92on ne sait jamais si les ornements sont à l\92initiative du chanteur ou du chef qui les a fixés sur la partition. On sait, par exemple, que c\92est René Jacobs qui écrit tous les ornements, sauf pour Lawrence Zazzo, le seul chanteur à qui il laisse carte blanche. Qui furent les auteurs des ornements ce soir ? Difficile à dire. Retenons qu\92ils n\92étaient pas seulement étourdissants, mais très inventifs et très beaux, ce qui est loin d\92être toujours le cas. Bravo a tutti."

 

 

 

 

 

 

 

"Avez-vous décidé de faire une espèce de reconstitution de la première de l\92opéra Rinaldo qui a avait eu lieu à Londres ou est-ce une conception moderne?

Ce n\92est pas une reconstitution, mais il s\92agit quand même de travailler dans l\92esthétique baroque, c\92est-à-dire, comme les instrumentistes utilisent des instruments anciens, d\92utiliser aussi les instruments pour qui ces textes, ces chants et cette musique ont été écrits. Nos instruments, ce sont les corps des chanteurs qui sont développés jusqu\92aux bouts des doigts et accompagnent le chant d\92une gestuelle. Donc il y a tout un travail là-dessus. Nous travaillons aussi selon certains codes de représentations comme la frontalité - le fait de jouer face aux spectateurs, ce qui donne au public une place très importante puisque c\92est lui qui est au centre des rapports, et le fait de jouer aux bougies. S\92y ajoute aussi un travail de la scénographie et des costumes et tout cela permet de faire revivre, non pas de reconstituer, non pas de reconstruire la première représentation, mais plutôt de faire revivre un esprit, une énergie qui est propre à l\92esthétique de cette époque et à laquelle on essaie de s\92inscrire tout en gardant notre liberté de regard contemporain aussi sur cette forme.

Voulez-vous raconter dans votre production l\92histoire de Rinaldo telle qu\92elle est racontée par le Tasse ou aimeriez-vous donner à l\92opéra une autre signification, une signification moderne?

J\92ai vraiment envie de raconter l\92histoire de Rinaldo parce que j\92ai été très touchée par « La Jérusalem délivrée » du Tasse que j\92ai adorée et que je considère comme, je dirais, le fondateur de notre civilisation. Du coup, j\92ai vraiment eu envie de travailler dans son esprit et de raconter son histoire. Evidemment avec la situation actuelle dans le monde on pourrait aussi être tenté de faire de cet opéra une Jérusalem moderne, contemporaine, avec la guerre. Mais je n\92ai pas choisi cette option\85 (rires)"

 

 

  "Premier opéra italien conçu spécifiquement pour une scène londonienne, Rinaldo présente des difficultés vocales particulièrement redoutables. La distribution réunie pour cette nouvelle production zurichoise marquant la création de l\92ouvrage in loco, est certes correcte mais le spectateur venu assister à d\92époustouflantes prouesses techniques reste sur sa faim, surtout que l\92ornementauion des da capo ne brille pas par son exubérance... .Avec son jeu appliqué et son chant agile mais sans éclat, Juliette Galstian reste ainsi en deçà des exigences du rôle-titre. Par comparaison. Malin Hartelius fait monter la tension de plusieurs crans grace à une présence d\92un érotisme appuyé, une intonation cristalline et un réel brillant dans les vocalises. C\92est pourtant Ann Helen Moen qui décroche la palme, Almirena magnifique de tendresse, la seule pour laquelle la salle a semblé retenir son souffle pendant un « Lascia ch'io pianga » murmuré sur un fil de voix.

Liliana Nikiteanu ne sait que faire de la musique de Goffredo, qui outrepasse les limites d\92un instrument avant perdu tout impact, tandis que Katharina Peetz et Irène Friedli se contentent d\92esquisser les silhouettes d\92Eustazio et du Mage chrétien. Dans Argante, Ruben Drole fait valoir de vrais dons de comédien et une prestance vocale de bon aloi, sans pourtant s\92imposer comme un digne partenaire d\92Armida. Dans la fosse, en revanche, l\92orchestre La Scintilla démontre, sous la direction vivifiante de William Christie, que la musique de Haendel peut à la fois éblouir et émouvoir lorsque ses interprètes savent trouver le dosage adéquat entre virtuosité et expressivité.

Après le forfait de Claus Guth pour cause de maladie, Jens-Daniel Herzog a accepté de régler la mise en scène, em restant fidèle au concept d\92origine et au décor de Christian Schmidt, déjà construit. Difficile, dans ces conditions, de porter un jugement valable sur cette réalisation, dont l\92amateurisme catastrophique s\92est apparenté à un naufrage. Signalons simplement que l\92intrigue est transposée dans les salons impersonnels d\92un hôtel d\92aéroport, avec deux rampes d\92escaliers roulants peinant à rendre plausibles les sortilèges du monde d\92Armida. Au milieu, un ballet incessant d\92hommes et de femmes d\92affaires en costumes gris souris, maniant leurs attachés-cases comme d\92invraisemblables cimeterres.

Et, au final, un divertissement tellement puéril que beaucoup de spectateurs ont préféré quitter la salle après la pause !"

 

 

"Ce Rinaldo faisait figure d\92événement car il devait marquer les débuts dans le rôle-titre de la star des contre-ténors, Philippe Jaroussky, un chanteur habitué à fouler les planches tourquennoises depuis son fulgurant début de carrière. Cette prise de rôle a malheureusement été retardée, Philippe Jaroussky ayant déclaré forfait pour ce premier concert, remplacé au débotté par un autre contre-ténor français, le jeune Christophe Dumaux, habitué comme Jaroussky à chanter Eustazio, et qui eut ainsi l\92occasion inopinée de se mesurer au rôle principal. Il se sort de cette situation risquée avec tous les honneurs, et ce qu\92on perd avec cet alto en virtuosité et en aigus stratosphériques par rapport à ce qu\92aurait donné le sopraniste Jaroussky, on le récupère en virilité, en vérité dramatique et en équilibre de la distribution, les interprètes d\92Eustazio et Goffredo étant des contre-ténors à la voix plutôt aiguë. Christophe Dumaux est un chanteur au timbre attachant, sombre et velouté, qui vocalise avec aisance, et est très attentif à ses partenaires : ses duos avec Almirena et Armida sont très réussis. Il est un peu sur la réserve dans la première partie : "Cara sposa" et "Cor ingrato" sont chantés avec pudeur mais sans beaucoup de relief, mais il est ensuite bien plus impliqué : "Un incendio fra due venti" chaleureux et engagé, un "Venti turbini" virtuose et déchaîné et un "Or la tromba" dans lequel il prend le dessus sur la trompette.

Ingrid Perruche est en passe de devenir une excellente chanteuse. Son timbre sombre et sensuel, sa ligne de chant déliée, sa projection, sa puissance et sa noblesse de ton en font une très belle Almirena, piquante et espiègle dans "Combatti da forte", tendre dans "Augelleti che cantate", noble et touchante dans "Lascia ch\92io pianga". Cette prestation très prometteuse de la jeune soprano est seulement troublée par une vocalisation parfois laborieuse et un aigu manquant un peu d\92éclat. En Armida, Delphine Gillot fait valoir l\92étendue d\92une voix riche et pleine et un tempérament éruptif, quoiqu\92un peu excessif, ce qui fait de sa magicienne, qui est pourtant aussi une amoureuse et une séductrice, un personnage de furie véhémente, sans ambiguïtés ni finesse. Nigel Smith est un Argante de toute beauté, à la voix de baryton riche et souple, capable de graves impressionnants, mais aussi d\92aigus et de nuances belcantistes remarquables. Les deux contre-ténors restants viennent malheureusement plomber un plateau qui aurait pu être inoubliable. Dominique Visse miaule ses airs d\92une voix d\92une laideur caricaturale, donnant le mal de mer quand il vocalise, et criant des aigus râpeux. Avec une voix en lambeaux, la maîtrise du style ne vaut plus grand-chose, et on ne peut croire une seconde qu\92il interprète un guerrier de la trempe de Godefroi de Bouillon. Thierry Grégoire est un chanteur attachant, aux intentions louables, mais à la voix blanche et privée d\92aigus, ce qui fait de ses airs une longue pénitence. Dommage car sa noblesse de ton le rend très bon dans les récitatifs. Dans cette version de concert, les petits rôles ont été omis (le mage, les sirènes... ) mais sans que la dramaturgie, assez sommaire encore dans cet opéra qui est plutôt une succession d\92airs fameux, en souffre.

Direction fine, dansante et subtile de Jean-Claude Malgoire, très attentif au confort de ses chanteurs. Le chef doit composer avec une Grande Ecurie impliquée et enthousiaste, mais à la sonorité agressive, à la cohésion précaire et dont certains solistes n\92arrivent pas à cacher les limites de leur virtuosité." (ResMusica)

 

 Michael Chance

Emma Matthews

 

"C'est à Gand, avant Anvers, que l\92Opéra de Flandre propose Rinaldo dans la présentation scénique du tandem Nigel Lowery-Amir Hosseinpour, coproduite avec Innsbruck, Berlin et Montpellier, où le spectacle (à l\92époque avec le concours du Freiburger Barockorchester dirigé par René Jacobs) avait été commenté dans ces colonnes par Pierre Cadars. Avec les conflits qui ont éclaté depuis en Afghanistan et en Irak, la mise en scène paraît encore plus en prise avec l\92actualité, sans rien perdre de son humour confinant parfois à la caricature (les clins d\92oeil à Rambo et Barbie pour figurer l\92Occident et, à l\92opposé, les allusions aux enlèvements et prises d\92otages, les soldats kamikazes et les décapitations pour le Moyen-Orient). Pour les artisans du spectacle comme pour Haendel, c\92est la civilisation chrétienne qui triomphe, l\92église, temporairement transformée en mosquée, retrouvant in fine sa destination première.

Seule rescapée de la distribution de Montpellier, Inga Kalna est une Armida vocalement brillante et scéniquement irrésistible. La mezzo britannique Christine Rice, après avoir incarné Ariodante à Gand dans la mise en scène de David Alden, fait ses débuts en Rinaldo. Des premiers pas acclamés à juste titre, l\92artiste imposant une crédibilité et un naturel époustouflants, avec un timbre chaleureux et une bonne maîtrise des trilles et des fioritures, en dépit de quelques décalages le soir de la première. Vocalisant à merveille, Olga Pasichnyk est une Almirena aussi touchante que naïve, particulièrement émouvante dans «Lascia ch\92io pianga ». La basse polonaise Robert Gierlach campe avec bonhomie et une agilité suffisante le personnage ambigu d\92Argante. La distribution a enfin l\92avantage d\92afficher trois contre-ténors aux timbres nettement différenciés. En Goffredo, Nicola Marchesini impose une émission tranchante, non dépourvue de certaines sonorités nasillardes, mais à la technique bien huilée. Philippe Jaroussky chante Eustazio de manière éthérée et musicale. En Mage chrétien, Steve Dugardin imprime des accents bouffes à la façon de Dominique Visse. Il est sans doute vain de vouloir comparer les couleurs et la légèreté de texture d\92un ensemble d\92instruments anciens comme le Freiburger Barockorchester avec celles de l\92orchestre de l\92Opéra de Flandre, même si on lui ajoute un théorbe pour assurer le continuo avec deux clavecins et un violoncelle. Il n\92empêche que le chef allemand Andreas Spering, qui dirige régulièrement aux Festivals Haendel de Karlsruhe et de Halle, a effectué un excellent travail, avec des rythmes souvent jubilatoires, dans la plus pure veine haendelienne."

"La production de Rinaldo proposée actuellement au public du Vlaamse Opera a déjà beaucoup voyagé : créée à Montpellier en 2002, la mise en scène du duo Nigel Lowery/Amir Hosseinpour avait provoqué les huées du public et un flot de critiques acerbes de la part de la presse française, avant de gagner le Festival d\92Innsbruck puis le Staatsoper de Berlin où elle a fini par remporter le prix de « Production de l\92année » du magazine Opernwelt, ce qui n\92était pas sans susciter nos craintes, eu égard à ce qui est généralement proposé en Allemagne en matière de mise en scène lyrique. Pour l\92occasion, nous serons d\92accord avec nos confrères français : cette mise en scène est grotesque et en totale contradiction avec le merveilleux, la noblesse, la beauté de l\92opera seria, genre qui n\92a même pas eu le temps de renaître avant que des fossoyeurs de l\92espèce Lowery/Hosseinpour s\92appliquent à l\92enterrer.

De ce duo de pitres, difficile de savoir qui est Benny et qui est Hill, mais une chose est sûre, les chorégraphies sont signées Hosseinpour. On sait donc à qui on doit ces danses ridicules, mélange entre l\92esthétique des chorégraphies de Chantal Goya en sa glorieuse époque, et celle des clips de Britney Spears. Il faut quand même reconnaître une circonstance atténuante à nos duettistes : ils ont voulu faire rire, noble ambition, et ils y sont parvenus par endroits (enlèvement d\92Almirena par un poussin géant, transformation d\92Armida en poupée gonflable, ... ) mais le prix du rire est lourd à payer car cette mise en scène, en plus de ridiculiser l\92opéra est, c\92est plus grave, totalement anti-musicale. L\92attention de l\92auditeur est presque constamment détournée de la musique, la plus belle qui soit pourtant, par des gesticulations, des gags, des pantomimes, ... Le décor en lui-même, constitué de hauts panneaux recouverts d\92un papier peint comme il devait y en avoir dans la salle à manger de votre vieille tante de la campagne, forme une caisse de résonance qui donne l\92impression que le chanteur est dans une cathédrale à chaque fois qu\92il quitte le proscénium. Heureusement, sur le plan musical, la soirée est d\92un excellent niveau, grâce à Christine Rice qui incarne le rôle-titre avec beaucoup de générosité et de tendresse. Elle chante parfois un peu bas (« Cara sposa » et « Cor ingrato » surtout), mais son timbre de mezzo riche et corsé est séduisant, elle vocalise avec beaucoup de sûreté, et elle se montre très brillante dans les airs à panache comme « Venti, turbini, prestate ». Sa fiancée Almirena est interprétée avec classe par la magnifique Olga Pasychnik, dont le timbre brillant et la technique sans faille font merveille. Il est bien dommage que ses airs soient les plus parasités par le fatras visuel imposé par les scénographes, mais elle a quand même droit à l\92un des rares moments de calme de la mise en scène dans le délicat « Augelletti che cantate », rendu avec humour mais beaucoup de poésie, qu\92elle chante avec charme et simplicité.

Seul véritable point noir de la distribution : le Goffredo de Nicola Marchesini. Le timbre est assez joli, très brillant, mais la voix est instable, les aigus sont difficiles et faux, et les cadences de ses airs sont très raides. Son frère Eustazio est chanté avec son brio habituel par Philippe Jaroussky. On pouvait nourrir quelques craintes pour le contre-ténor français, confronté à une tessiture assez basse pour lui, mais la voix s\92est enrichie dans le grave, les aigus sont toujours aussi brillants, et l\92art du chant encore une fois incomparable.

Du côté des « méchants », Robert Gierlach fait un Argante impressionnant, venant à bout sans trembler du crucifiant « Sibillar gli angui d\92Aletto », et Inga Kalma est une Armida théâtralement irrésistible, elle a participé à la création de cette production à Montpellier et s\92y montre très à son affaire. Vocalement la qualité de ses vocalises et les couleurs qu\92elle donne à son chant compensent une voix un peu mince et quelques aigus serrés. Elle manque également un peu de projection au début, mais une fois la voix chauffée, elle devient bien plus convaincante. Encore un mot pour souligner la jolie prestation de Steve Dugardin qui fait un mage bien chantant et pas trop caricatural.

La réussite de cette soirée, c\92est aussi celle du chef Andreas Spering, à la direction souple et contrastée, très précise, mais aux tempi parfois alanguis dans les airs élégiaques. Il a su donner aux instrumentistes du Vlaamse Opera les éléments essentiels du style haendelien, ce qui permet à l\92orchestre sur instrument « modernes » de se montrer efficace et convaincant, malgré des sonorités pas toujours idoines. Cette prestation de haute tenue est une belle preuve de la versatilité et de la souplesse constitutives des formations lyriques, à l\92heure où l\92orchestre du Vlaamse Opera est menacé par l\92absurde projet de M. Bert Anciaux, ministre de la Communauté Flamande, qui a la culture dans ses attributions, et qui a eu l\92idée de supprimer l\92orchestre et le ch\9Cur de l\92Opéra et d\92en répartir les membres dans les deux dernières formations symphoniques permanentes de Flandre."

"Pure provocation ou esprit de contradiction, les metteurs en scène actuels semblent prêts à tout pour ne pas prendre l\92opera seria au sérieux. Plus ludique que de raison, ce Rinaldo signé Nigel Lowery et Amir Hosseinpour, déjà vu au Festival de Montpellier et au Staatsoper de Berlin, détourne avec une habileté parfois outrancière les codes d\92un genre corseté, alors qu\92Andreas Spering mène sans excès une distribution plus solide qu\92inspirée.

« Rinaldo, opera seria\85 Laissez-nous rire ! » semblent clamer Nigel Lowery et Amir Hosseinpour. Le livret du premier opéra londonien de Haendel, inspiré de la Jérusalem délivrée du Tasse, ne manque certes pas de s\92enchevêtrer dans un dédale de personnages stéréotypés débauchés par les sortilèges de la magicienne Armide. Mais de là à transformer les croisades, aux terribles résonances contemporaines, en un simple jeu d\92enfants rappelés à l\92ordre par la cloche du collège, il n\92y a qu\92un pas que les metteurs en scène osent franchir, non sans habileté, au risque de lasser dans un troisième acte redondant. Si leur esthétique cultive le mauvais goût avec jubilation, la direction d\92acteurs, chorégraphie répétitive digne des plus mauvais shows télévisés des années 1970, confère paradoxalement à l\92intrigue la plus rigoureuse clarté, nourrie de contrastes brutaux et maîtrisés, permettant à chaque personnage, pantin consentant, d\92exister, d\92autant qu\92elle souligne les rouages d\92un genre que Haendel ne cessera de contourner, passé maître en l\92art de la distance ironique.

Armide, magicienne fantasque, nymphomane et dominatrice, est la première, sinon la seule, à bénéficier de ce foisonnement ludique, servie par une armada de jouets et poussin jaune dans l\92improbable combat l\92opposant à Rinaldo Action man. Passée la retenue du premier acte, Inga Kalna impose avec un art recherché l\92évolution du personnage : actrice sensationnelle aux ressources vocales sidérantes, elle lance un Ah, Crudel aux couleurs éperdues avant de se livrer à une métamorphose échevelée en poupée gonflable géante sur les cadences plus interminables que véloces du clavecin de Vo\92 far guerra. De sa rivale, pure et innocente Almirena, fuyant les assauts engorgés de l\92Argante de Robert Gierlach, Olga Pasichnyk possède le physique et la ligne raffinée, mais le timbre corsé, le vibrato voluptueux sont d\92une Poppée, une Cléopâtre même. Plus probe qu\92héroïque rôle éponyme, Christine Rice impressionne par l\92ampleur romantique de l\92instrument, malgré une émission parfois relâchée, en piani trop pâles pour émouvoir. Projection spectaculaire \96 et pas seulement pour un contre-ténor \96 mais ligne chaotique et timbre aigre, Nicola Marchesini n\92embarrasse pas Goffredo de scrupules stylistiques, alors que Philippe Jaroussky, dont le timbre ne cesse de s\92enrichir dans le bas de la tessiture, offre une parfaite leçon de bel canto, dans un rôle soudain moins mineur.

De cette distribution solide, Andreas Spering sait garantir l\92équilibre sans concession à la facilité, tempi raisonnés et contrastes jamais appuyés, maintenant une progression dramatique plus efficace que palpitante. Les instruments modernes de l\92Orchestre symphonique de l\92Opéra des Flandres ne sont pas, il est vrai, toujours des plus malléables, avares de tenue dans les airs introspectifs, où le théorbe pertinent d\92Israel Golani sait parer le discours d\92accents plus authentiques. Si ce Rinaldo fait l\92impasse, visuellement comme musicalement, sur le flamboyant et le merveilleux, la présence maléfique d\92Inga Kalna aura fait souffler un indispensable vent de folie sur l\92épopée haendélienne."

 

 

"Prévue le 2 avril, mais annulée en raison d\92une grève de l\92orchestre et d\92autres catégories de personnels de la Scala, la première de Rinaldo a finalement eu lieu, de manière un peu insolite, le dimanche 3 en matinée, dans un climat presque surréel, au lendemain de la démission de Riccardo Muti et de la disparition de Jean-Paul II, auquel les artistes ont dédié cette représentation.

Créé au Queen\92s Theatre de Londres en 1711, Rinaldo fut probablement le plus grand succès de Haendei de son vivant. Souvent repris au cours des années suivantes, il fut plusieurs fais remanié, selon les exigences et la disponibilité de tel ou tel chanteur. Confié en 1711 au sopraniste Niccolini, le rôle-titre fut, par exemple, incarné en 1731 par un autre castrat, Senesino, qui chantait en alto; Goffredo, contralto en 1711, devint ténor vingt ans plus tard ; Argante, basse en 1711 (le grand Giuseppe Maria Boschi), se transforma, lui, en contralto...

La version choisie par Ottavio Dantone est plutôt libre : elle propose un mélange des deux versions principales (1711 et 1731), avec de nombreuses coupures réduisant la durée totale à deux heures de musique environ. Dans le cadre d\92une direction toujours alerte et incisive, Dantone n\92oublie pas de mettre en évidence la richesse orchestrale de cette partition, où les instruments sont souvent appelés à instaurer un véritable dialogue avec les voix, selon un schéma dramaturgique assez typique du théâtre baroque. Eloquente dans le chant élégiaque et vigoureuse dans la coloratura, Daniela Barcellona confirme sa prédilection pour les rôles en travesti, avec un Rinaldo d\92une crédibilité scénique et d\92une opulence vocale indéniables. Avec son timbre lumineux et sa ligne scrupuleusement contrôlée, Annick Massis campe une admirable Almirena et nous offre un « Lascia ch\92io pianga » vraiment touchant, à la fois mélancolique et désespéré. Darina Takova se montre plutôt exubérante dans le chant d\92agilité, parfois presque téméraire, ce qui convient au personnage d\92Armida, dont elle souligne l\92agressivité et la fureur. Mark Steven Doss manque de puissance et de profondeur en Argante, mais il en offre un portrait somme toute convaincant. Tomislav Muzek on revanche, aux vocalises pénibles, est un médiocre Goffredo. La célèbre production signée il y a vingt ans par Pier Luigi Pizzi (elle lui valut le Prix Abbiati en 1985), avec ses chars, ses costumes fastueux et ses couleurs très vives, demeure spectaculaire. Mais ce type de démarche visant uniquement au plaisir de l\92oeil n\92est-elle pas un peu dépassée après la « révolution » opérée ces quinze dernières années dans l\92univers du théâtre baroque par Peter Sellars, David Alden ou David McVicar? (Opéra International - mai 2005 - 3 avril 2005)

 

 

  "Dans le cadre de l'Ode to Europe conçue par Stefan Sutkowski dans un esprit d'intégration, l'intendant et directeur artistique de l'Opéra de Chambre de Varsovie offre un riche panorama des cultures musicales des vingt-cinq nations nouvellement unies. L'hommage rendu à Haendel comportait le populaire Rinaldo et le méconnu Imeneo, présentés dans des productions dues l'une et l'autre à la collaboration du metteur en scène Ryszard Peryt et d'Andrzej Sadowski, auteur du décor et des costumes, artistes également signataires du cycle complet des opéras mozartiens. Fidèles à leur esthétique inspirée de l'univers pictural et de la gestuelle baroques, ils atteignent à une traduction extrêmement vivante et communicative des oeuvres sans avoir besoin de recourir àla moindre actualisation ni Verfremdung à la mode en Allemagne. Il faut dire que la lecture musicale de Wladyslaw Klosiewicz, au pupitre de la formation réunissant l'Ensemble instrumental de musique ancienne de l'opéra de Chambre et le Musicae Antiquae Collegium Varsoviense, s'harmonise dans sa constante plasticité avec l'aspect visuel du spectacle et fait ressortir autant le coloris instrumental que les subtiles fluctuations mélodiques. Tenant également le clavecin italien, le chef s'avère un interprète en tous points magistral du discours baroque.

...Marta Bobeska et Andrzej Klimmczak, devenus respectivement Armida et Argante, se retrouvaient avec Olga Pasiecznik en Almirena dans la distribution de Rinaldo (1711), où leurs prestations ont été pareillement acclamées (le lancinant "Lascia ch'io pianga" d'Almirena eut un effet particulièrement poignant dans sa sobriété de ton). Superbement stylés, les deux contre-ténors Jan Monowid et Piotr Olech se sont distingués dans Goffredo et Eustazio par leur ampleur de phrasé. Le triomphe fait au Rinaldo d'Anna Radzieijewska, notamment pour sa fulgurante exécution de l'air final avec trompette "Or la tromba in son festante", a rendu spontanément un hommage unanime à une jeune cantatrice dont l'ambitus vocal, la fermeté du timbre sur tout le registre, l'impétuosité vocale et dramatique, l'éblouissante maîtrise des coloratures signalent déjà une artiste d'exception. Dans son enthousiasme débordant, le public n'a pas non plus manqué de renouveler sa gratitude au maître d'oeuvre de la réalisation musicale, Wladyslaw Klosiewicz" (Opéra International - décembre 2004)

 

 

 

Diana Moore 

"Après quelques égarements ces deux dernières années, le Festival de Göttingen propose enfin, avec cette nouvelle production de Rinaldo, un spectacle réellement appréciable. Le théâtre étant indisponible, les représentations ont lieu dans une salle de concert aux moyens scéniques réduits. Aux boiseries claires de la salle, Manfred Kaderk ajoute un mur de briqué et des toiles peintes. Le plateau est constitué d\92un disque incliné vers le public et partiellement entouré par une rampe, l\92orchestre prenant place dans la salle, devant ce disque. L\92ensemble permet, sous les lumières de Peter Sandvoss et avec quelques accessoires intelligemment utilisés (miroirs, sphère géante servant d\92écran de projection...), de créer des reliefs et de donner une intensité particulière à certains regards. Dans ce cadre, Igor Folwill défend une approche sobre et contemporaine où les Sarrasins portent des costumes colorés et brillants, les Croisés des uniformes gris, sans décoration. Il faut malheureusement souligner les trop nombreuses coupures pratiquées dans la partition, rendant certaines scènes peu cohérentes et affadissant des personnages aussi importants que Rinaldo et Armida. De plus, les Sarrasins sombrent dans une bouffonnerie mal venue au cours des deuxième et troisième actes, laquelle s\92efface heureusement à la fin du spectacle. Les toutes dernières scènes se déroulent ainsi sans costumes, les interprètes semblant rejoindre le public dans un geste qui fait ressortir l\92intemporalité de ces situations amoureuses et belliqueuses. Bonnes idées et maladresses se côtoient donc, mais la réussite de l\92ensemble est indéniable grâce aux prestations remarquables des interprètes. Diana Moore prête sa jeunesse et son vibrato serré à Rinaldo ; une plus grande présence vocale devrait venir avec l\92expérience. Cyndia Sieden est une Almirena idéale, de même que Dominique Labelle dans le rôle souvent mal servi et pourtant capital de la magicienne Armida. Andnew Foster-Williams et Cecile van de Sant excellent et portent Argante et Goffredo à un rare niveau d\92émotion pour l\92un et de consistance dramatique pour l\92autre. Le contre-ténor Chnistophe Dumaux est un Eustazio sans reproche. Enfin, sous la direction vive, dramatique et pleine d\92esprit de Nicholas McGegan, le Concerto Köln est simplement phénoménal." (Opéra International - juillet/août 2004)

 

 

 

 

 

 

 

 

"Le traitement que Nigel Loweiry inflige à Rinaldo en collaboration avec le chorégraphe Amir Hosseinpour déçoit d\92autant plus que ces qualités sont gommées par une volonté de parodier qui, malheureusement, n\92en reste pas toujours au stade de l\92ironie mais arrive trop souvent à celui de la caricature. Il est bien spécifié sur le livret qu\92il s\92agit d\92un « dramma per musica ». Lowery et Hosseinpour en font un opéra-bouffe où tout est bon pour déclencher le rire du spectateur. Après tout, pourquoi pas ? On ne leur reprochera donc pas d\92être allés jusqu\92au bout de leur concept décidément bien assumé. Le problème reste que les dimensions poétique, magique, émotionnelle ne trouvent pas leur place dans cette mise en scène. Le personnage d\92Almirena, par exemple, élément sentimental moteur, devient alors insignifiant et reléguée au second plan, au profit de celui d\92Armida. Celle-ci est d\92ailleurs le personnage qui semble avoir le plus fasciné Lowery et Hosseinpour qui réussissent alors une extraordinaire dramaturgie pour le finale du deuxième acte parfaitement réussi. Les sortilèges de la magicienne furieuse de la trahison de son amant Argante (air « Vo\92 far guerra ») sont remarquablement illustrés par une insensée transformation corporelle d\92Armida, accompagnée par une cadence au clavecin tout aussi délirante. Le talent de comédienne d\92Inga Kalna est pour beaucoup dans l\92indéniable impact de cette scène complètement déjantée. Théâtre et musique sont alors bien en accord, ce qui n\92est pas le cas la plupart du temps.

René Jacobs, lui, respecte la partition d\92Haendel à la lettre, tout en faisant preuve d\92imagination lorsque des éléments musicologiques font défaut (l\92emploi des castagnettes lors de l\92apparition des sirènes, l\92usage de la harpe dans les continuo, par exemple). Rinaldo est chronologiquement le deuxième opéra de Haendel (1711) après Agrippina. Justement Jacobs dirige celui-ci après celle-là, à Bruxelles et Paris. La rigueur de sa direction lui permet de mener ses troupes avec précision et d\92éviter toute monotonie, en particulier par le travail très précis (hypercontrôlé diront certains\85) sur le texte et la dynamique des récitatifs, empêchant ainsi une fatale baisse d\92attention entre les airs. Ceux-ci sont traités avec souplesse et émotion, avec une attention particulière sur le style lors des « da capo » haendeliens.

Est-ce le même Freiburger Barockorchester qu\92à Montpellier ? A Innsbruck, en tout cas, cette formation se révèle de premier ordre, sans qu\92aucun défaut ne trouble le déroulement de la représentation. On louera en particulier les trompettes naturelles qui ne se laissent pas démonter par la difficulté de leurs interventions (« Or la tromba » !) et par Nicolau de Figueiredo, excellent continuiste qui a l\92occasion de briller dans la cadence de l\92air de furie d\92Armida.

Les choix artistiques de René Jacobs peuvent bien-sûr être discutés comme ceux de tout musicien créatif : il n\92en demeure pas moins qu\92ils sont stylistiquement cohérents et éminemment respectables. Il sera peut-être intéressant d\92attendre la prochaine parution de l\92enregistrement de l\92\9Cuvre réalisée par Harmonia Mundi entre les représentations de Montpellier et d\92Innsbruck.

Jacobs a fait appel à de jeunes chanteurs, certains contestables, comme Vivica Genaux, annoncée comme une révélation et qui déçoit par sa projection insuffisante, ses graves détimbrés, son aigu cotonneux ; pourtant le travail sur le style avec Jacobs a porté ses fruits : elle sait triller merveilleusement, nous offre une belle démonstration de « messa di voce » dans l\92air « Cara Sposa » et vocalise avec netteté. Inga Kalna est une si fabuleuse personnalité et interprète qu\92on lui pardonne bien volontiers une vocalisation hors propos au premier acte et un suraigu acide et serré (ce qui ne l\92empêche pas de rajouter pour cette dernière représentation lors d\92une cadence un contre-ré surprenant !). Miah Persson a plus de mal à s\92imposer tant le personnage d\92Almirena verse dans la fadeur dans cette production ; elle réussit néanmoins une belle interprétation vocale (timbre d\92une belle couleur fruitée), arrivant même à émouvoir pendant son « Lascia ch\92io pianga » malgré l\92inadéquation de la mise en scène. James Rutherford, après un début difficile (lourdeur des vocalises lors de son entrée) incarne Argante avec une indéniable autorité vocale.

Mais ce sont les contre-ténors qui donnent le plus de satisfactions (en mettant de côté la courte apparition d\92un Dominique Visse bien fatigué) : Lawrence Zazzo, déjà apprécié dans Agrippina est devenu un spécialiste très sur de ce répertoire et surtout, bien que dans un rôle somme toute secondaire, la révélation de la soirée est apportée par Christophe Dumaux, faisant ses débuts professionnels scéniques, jeune interprète français sur qui il faudra compter." (ConcertoNet - 16 août 2002)

 

 

"La réalisation de Nigel Lowery et et Amir Housseinpour a frisé le scandale. La transposition des croisades dans le contexte d'un affrontement entre les USA et les pays arabes ne va pas sans "dommages collatéraux". Les huées s'adressent à l'esthétoique criarde, à Barbie and Ken, au terroriste arabe qui s'explose, à l'Argante du pays de l'or noir qui mange du friskies, à ces images qui se déversent en diarrhée...La surabondance visuelle, quand on ne s'indiqgne pas de la récupération racoleuse de l'actualité, nuit à l'oeuvre...La vraie mise en scène est dans l'orchestre. René Jacobs est partout et les musiciens du Freiburger Barockorchester ont une "pêche" terrible...Le triomphe de cete production tient à l'excellente distribution...Vivica Genaux est divine de présence et d'une virtuosité vocale qu'on a du mal à imaginer...Inga Kalna est une Armida hystérique et incandescente...La douceur, la rondeur du son de Miah Persson lui conquièrent tous les coeurs..."

"Personnages en archétypes militaires et religieux, couleurs post-soixante-huitardes, diapos, vidéos, marionnettes, caméras et télévision : la mise en scène fait feu d tout : vieille quincaillerie et technologie de pointe...Haro sur une chorégraphie épileptique, prétendument mimétique de la dynamique vocale...Dans le camp des chevaliers chrétiens, le Goffredo de Lawrence Zazzo affiche une belle vocalité qui ira crescendo jusqu'à la fin, Christophe Dumaux est un Eustazio à la voix joliment timbrée et agile...Dominique Visse joue à merveille le vieux mage chrétien à la voix pointue...Miah Persson, en Almirena, et Inga Kalna, en Armide, toutes deux excellentes scéniquement, le sont aussi vocalement...James Rutherford campe un Argante plein d'arrogance vocale...La vraie déception vient du Rinaldo de Vivica Genaux, dramaturgiquement et vocalement. Le timbre manque de rrondeur, de couleur, ls extrêmes de la tessiture sont de faible projection...quant à la virtuosité, elle se cantonne dans le registre de l'aseptisation clinique..."

"La mise en scène voulait frapper, à coups de références pop, de remâchages d'art contemporain, d'animaus et de gadgets. Rien ne manquait au menu réchauffé de la pseudo-provocation, ni les incontournables caméras vidéo, ni les voitures...Les interprètes sont l'heureuse antithèse de leur décor...Une musique de rêve dans un monde consumériste, toujours entre le sarcasme et l'esbroufe."

"Ami djeune, tu rêves de devenir musicien et de gagner beaucoup d'argent sans avoir à apprendre la musique? Alors, laisse tomber Graine de Stars et, toi aussi, fonde ton orchestre baroque. Tu ne sais pas jouer ? Pas grave, la fausse note, c'est méga-cool. Tu ne sais pas chanter ? Aucune importance, le tout est de savoir remuer le bas-rein, dans une mise en scène top-tendance. Le gagnant de notre grand concours de l'été sera peut-être invité au prochain festival de Montpellier. On croyait avoir touché le fond avec le meurtre en direct de Háry, mais, à Montpellier, le pire n'est jamais sûr. Prenant cette fois Händel en otage, les \93géniaux\94 Lowery et Housseinpour nous offrent un Rinaldo dans le plus pur style Noces et banquets de sous-préfecture, voire chef-lieu de canton, revisité par Benny Hill. Après mûre réflexion, le critique éc\9Curé renonce à faire ne serait-ce qu'une vague description du vertigineux, de l'abyssal déchaînement de n'importe-quoi qui envahit l'Opéra-Comédie. Il suffit de savoir, pour l'édification des masses, que la scène est traversée tour à tour par une Almirena déguisée en Marilyn bécasse des abris-bus, un Rinaldo en treillis (classique), un Goffredo en politicard vicelard et grimaçant, une Armide obsédée sexuelle qui finit en poupée gonflable à bouche pipeuse, des arabes aux sourcils forcément libidineux, avec barbouze et gourmette au poignet, un monstre transformé en poussin de peluche de trois mètres de haut (!!), une Barbie et un Kent paras (!!!!)\85

Tout, absolument tout, dans l'opéra est tourné en ridicule, encombré de naïades grassouillettes et de chorégraphies façon Claude François mâtiné Bioman, de gesticulations et grimaces outrées, de gags lourdauds à la simili-Chuck Jones (mais lui avait une certaine forme de génie). Pas un moment n'échappe aux rires rentrés d'un public flatté dans ses charentaises par un humour à la petite semaine, résolument situé en-dessous de la ceinture, pétri de références à la sous-culture télévisuelle la plus abêtie.

Et l'\9Cuvre dans tout cela, et Haendel ? Il paraît, après tout, que Rinaldo est un opera seria, de style noble, que certains airs y sont d'une absolue beauté, pleins d'émotion. Oui, mais \93Lascia ch'io pianga\94 chanté (très mal) par une fausse sirène à la queue en plastique vert brillant, tandis qu'Argante roule des yeux fous en s'accrochant au rideau, est tellement couvert par le murmure des fous-rires qu'on l'entend à peine, de même que les magnifiques cadences de clavecin pour \93Vo' far guerra\94 disparaissent sous les gesticulations hystériques d'Armida. Piètre consolation, ce que l'on perçoit de la part de Jacobs et de ses troupes est si laid que c'en est presque une bénédiction qu'on les entende si peu. Orchestre étriqué, sec et faux, aux décalages constants, la battue saccadée, sans schéma directeur, de Jacobs fait des ravages. Côté voix, ce n'est pas mal non plus. Vivica Genaux, annoncée comme une révélation, montre une voix dure et mal placée, dans le nez et les joues principalement. Le grave, tubé et forcé, est laid et la vocalisation remplacée par une émission saccadée en mitraillette (c'est de saison). Quant à l'émotion\85 Miah Persson a certainement raté le casting de Star Academy : voix blanche, à l'intonation défectueuse et aux tenues aléatoires. Le reste est indicible. Seuls émergent Eustazio (dont l'interprète n'est pas cité dans le dossier de presse, charmante attention) : chant soigné, voix agréable, quoique de puissance limitée, lui a les moyens de son rôle, et Inga Kalnar, la seule parmi les femmes à apporter un certain professionnalisme à son chant, mais le style fait défaut et l'on entend plutôt Puccini que Haendel. Les vocalises, surtout, paraissent souvent hors de propos.

Arrivé à ce stade, le critique, qui a pourtant le sens du devoir chevillé au corps, car nous sommes comme cela, nous, à Concertonet, prêts à tous les sacrifices, se demande pourquoi il reste là, effondré sur son fauteuil, à subir cette\85 chose. Reste alors la seule solution possible, s'enfuir à toutes jambes et se rincer les oreilles. Au fait, Marilyn Horne chante, elle, remarquablement bien Haendel ! Aussi, je laisse la parole à mon éminent collègue Etienne Müller, qui a accepté, avec sa grandeur d'âme habituelle, de rendre compte du troisième acte, le malheureux.

Quid du dernier acte? le chroniqueur doit s'armer, non d'un attirail de \93Fusco\94 (Fusiller commando, terme militaire) sorti d'un nanar de Jean-Claude Van Damme, style Universal Soldier, mais d'une patience à toute épreuve pour endurer pareil supplice de Tantale. Après le tristounet \93ballet\94 de fausses fées défraîchies, plus à leur place dans un bastringue miteux et l'épisode de la sirène ( une Esther Williams, même décatie, eût été plus sensuelle), voici l'arrivée des Playmobils, \93symbolisant\94 Eustache et Godefroy à la rescousse du héros capturé par la magicienne trahie. Pourquoi des Playmobil ? Mystère ! On les voit gravir, trotti-trottant, d'un pas conquérant la grande Muraille de Chine. Mais que diable vient-elle faire dans cette galère? On n'en sait fichtrement rien. Ah si (détail mineur) les copains tarés de Rinaldo vont consulter un mage très sage, tel Le Père Fouras, de Fort Boyard. Son office, s'il l'accepte, sera de les assister, dans leurs tribulations contre la terrifiante Armide : une Circé en plus volcanique, très portée sur la \93chose\94. Mais tout finira bien, les missiles \93Exocet\94 - tiens ? point de chars AMX 13, ni de batterie antimissile Patriot ? - enseveliront l'orgueil musulman sous la poussière sablonneuse. Magnanime, Rinaldo, sous le regard bienveillant de la Vierge Marie et de Joseph en pâmoison devant une baudruche infâme censée évoquer l'Enfant-Roi (anticléricalisme primaire), pardonne a tous.

Et la Musique dans ce gourbis sordide, vulgaire et racoleur ? Il est impossible de l'entendre respirer ; pourtant, elle regorge de moult beautés fulgurantes qui convertiraient le mélomane le plus réfractaire à cette esthétique particulière : le flamboyant opéra baroque, nanti de fioritures abracadabrantes et d'ornementations somptuaires. De la chatoyance au plan orchestral : jeux sur les timbres du clavecin, des flûtes ou des trompettes - incrustations de \93poèmes symphoniques\94 reliant les divers tableaux. On croule sous une tempête sonore, M. Jacobs tambourine, cogne et matraque ; et souvent matraque faux. Brisons là, on en a marre de ces mises en scènes vomitives et gerbatoires - que l'on excuse ce langage ni amène, ni châtié - mais motivé par une immarcescible colère. Haro sur les corrupteurs, impies et sacrilèges. N'est pas Sellars, Carsen ou Wilson qui veut."

"Les mauvaises idées (surtout les plus basses) font davantage d\92émules que les bonnes. Elle se propagent même à la vitesse de la lumière ! Il suffit que, pour Salzbourg 2001, Monsieur Mortier ait requis la collaboration scabreuse d\92un metteur en scène bêtement provocateur dans La Chauve-Souris, par exemple. On y admirait - en vrac - masturbation, fellation, sodomie, etc\85 Bon sang, mais c\92est bien sûr ! Que voilà une voie nouvelle s\92offrant à l\92art lyrique ! Ainsi qu\92une chaîne de télévision privée, faisons donc de l\92audimat (et du visumat) avec le sexe et ce qui tourne autour... On sait combien la chair est triste, pourtant, dès lors qu\92on se prend à la représenter - ne serait-ce que par des « gags » allusifs, au ras des déflorations. En l\92occurrence, que penser d\92une face de poupée gonflable géante, bouche grande ouverte, entre deux gigantesques mains de plastique écartant les rideaux avec une finesse de strip-teaseuse ? C\92est bien la « vision » que nous assènent MM. Lowery et Hosseinpour (oui, ils se sont mis à deux) au terme de l\92acte II d\92un Rinaldo haendélien massacré. Logique : Armida étant imposée comme une magicienne érotomane, sa représentation en appelle aux gadgets de sex-shop. Étant également dominatrice, elle se plaît à soumettre Argante à ses fantasmes. Ce dernier est consentant, et accepte d\92être traîné en laisse tel un bon toutou, et de croquer ses « Friskies » à même le sol. Véridique. Des filles de joie et travestis en jambière sortent et ressortent de deux moitiés de Mercedes encastrées dans une photo-cocotiers pour agence de voyages : on rit sans retenue. Almirena se retrouve captive d\92Argante : elle est donc un top-model sirénien, dotée d\92une queue à écailles vertes que son ravisseur promène sur son torse et son bas-ventre. Heureusement, la chaste femme-poisson s\92échappe - et ainsi la morale reste sauve.

Toutes les métaphores de la production évoluent-elles dans ce registre, demanderez-vous ? Que nenni : il n\92y a pas que cela dans la vie ! Almirena est enlevée par des gros poussins jaunes à la solde d\92Armida ; Argante apparaît (« Sibillar gli angui d\92Aletto ») en Palestinien à keffieh et lunettes de soleil (normal, il représente le mauvais camp, celui des Sarrasins). La télévision intervient pour filmer et retransmettre sur écran - magie du direct - les péroraisons de schtroumpf à lunettes de Goffredo. Le malheureux Eustazio doit chanter avec un havresac sur le dos ; souhaitons que, comme à l\92armée, on ne le lui ait pas empli de pierres ! Le décor de fond représente sur d\92exquises couleurs (rouge pompier ou vert diarrhée) des warriors des deux sexes, armés de pistolets et mitraillettes, et traités en poupées géantes (non gonflables) - Barbie pour World Company. Des scènes de Guignol (?!) ou des diaporamas débiles sponsorisés par Toy\92R\92Us, un tapis roulant, une église en carton avec clocher-minaret reconvertie en étable de la Nativité après la déroute arabe ; des petites voitures téléguidées, des chasubles pour évêque avec mitre (Goffredo), pour sacristain (Eustazio) et pour oblat (Rinaldo)... Et encore, des danses grotesques de majorettes ou d\92enfants de ch\9Cur sous ecstasy. On vous passe : les costumes volontairement laids (du second degré, sans doute) - dont la robe jaune à fleurs vertes très « sixties » d\92Almirena -, le treillis de Rinaldo ; le terroriste pour attentat-suicide laissant derrière lui deux moignons de pieds sanguinolents et le Mage Chrétien directement téléporté du minable Tamerlano de M. Miller au Théâtre des Champs-Élysées (en tenue de Mongol). Ne refaisons pas l\92air du catalogue : tout est à l\92avenant. Le pire est que pour faire « mode », la régie semble nous dire : l\92opéra, c\92est du toc ; des vieilleries encombrées - tenez-vous bien - par de la musique. Rions-en donc, renvoyons ces vocalises et ces instruments obligés dans l\92ennui qu\92ils génèrent, en les gommant systématiquement par de l\92 « esprit » Panzerdivision : il en restera bien quelque chose. En effet : il demeure une sorte d\92esthétique du kitsch, de la « beaufitude » même, contemplant son propre néant dans une salle transformée en « Dimanche Martin ».

On est sévère : il y avait parfois des choses émouvantes, chez Jacques Martin. Lowery et Hosseinpour appartiennent à la catégorie des pourceaux selon qui le public mélomane est une entrave à la floraison de leur inestimable génie. La dramaturgie du décalage, du persiflage et de l\92anachronisme n\92est donnée qu\92aux plus grands (Sellars, Carsen...). Des sous-sous-produits de bourgade peuvent toujours s\92employer à essayer d\92imiter : ils ne mettent que davantage en valeur leur propre vide, et les dons de ceux qu\92ils croient copier. A noter qu\92il s\92agit d\92une coproduction entre Montpellier, Innsbruck et Berlin - vive l\92ouverture européenne vue sous cet angle ! Libre circulation du nivellement par le bas, il faut que tout le monde en profite. Bon. On a dit, donc, que cette forme décatie d\92art qu\92est l\92opéra contient de la musique, très envahissante. Mais enfin, sursum corda : il faut quand même la jouer et la chanter, on est professionnel ou on ne l\92est pas. Mandé (on suppose) à grands frais, René Jacobs plonge ce qui survit de l\92auditoire amoureux de Haendel dans la consternation. Pourtant, il y avait des gages : une grande réussite pour le Caro Sassone, Giulio Cesare (Harmonia Mundi, 1991) ; et quelques perles « cavalliennes » (Giasone, Serse, Calisto) sous le même label. Depuis, de l\92eau a coulé sous le pont belge. On l\92a remarqué par l\92intrusion de ce chanteur reconverti chez Mozart : battue de bûcheron, sensibilité de bloc opératoire, ordonnancement militaire tiennent lieu de prosopopée. Par un curieux retour de balancier, c\92est cette sacralisation du brutal et du sec, qui est revenue contaminer le baroque « jacobsien » - porté au pinacle par René K\9Cring -, alors qu\92on rêvait - pour son plus grand bonheur - de la prime tendresse du Jules César précité.

Dans l\92ouverture, le chef réussit à faire plus décharné que le Nikolaus Harnoncourt des années 1960, c\92est un exploit. Se mordant sans cesse les joues, il mouline un orchestre véritablement affreux : matitude et atonie en sont les deux mamelles. Crudité des bois, raideur des cordes, percussions inutilement violentes débouchent sur des trompettes « naturelles » d\92une fausseté effrayante (les couacs de « Or la tromba »). Néanmoins, Jacobs essaie - reconnaissons-lui au moins ce mérite - de solidariser une troupe vocale en perdition. Un seul artiste tient son rang dans l\92escouade : le très jeune (vingt-trois ans) Christophe Dumaux, contre-ténor (Eustazio) au timbre et à la souplesse exceptionnels. De petite volumétrie, ce qui est loin d\92être une tare quand on songe à Genaux, il chante avec tact, raffinement, humour (le vrai). Un sans-faute tout en élégance, où se reconnaît le fin musicien ayant pratiqué le violoncelle - pour un personnage, hélas, assez secondaire. Son tuteur en voix de tête, Lawrence Zazzo, n\92est pas mauvais : déjà remarqué dans la Medea de Rolf Liebermann à Bastille cette année, il déclame avec netteté et probité - mais aussi avec raideur, et une conviction de nonne : c\92est un Godefroy qui boit le bouillon. Percutant, se sortant même des pièges redoutables de sa partie, James Rutherford (Argante) pourrait « y faire croire » ; malheureusement, le style est aussi cochonné que la mise en scène, l\92italien étant transformé au cas particulier en bouillie scandinavo-teutonne. Face à lui, l\92Armida d\92Inga Kalna est proprement terrifiante : que l\92on sache, seule Chistine Weidinger à La Fenice de Venise en 1989 (avec Horne\85) a réussi à faire plus strident et plus débraillé dans ce rôle ; les suraigus font frémir de peur dans l\92air d\92entrée. Non seulement Kalna chante « Vo\92 far guerra » (fin du II) avec une certitude de collégienne ; mais elle y est entravée par la noyade de l\92ébouriffante partie du clavecin - préfigurant le Cinquième Concerto Brandebourgeois - par le chef, qui la transforme en tapotage sur épinette. Il est vrai que c\92est la fameuse scène de la poupée gonflable : l\92attention ne doit donc pas être dévoyée par de la musique adventice.

Protagoniste complètement cruche, Almirena dispose ce nonobstant d\92une partie vocale extraordinaire. Mais son nom est Persson, avec une onction, là encore, raide comme la justice ; et une incapacité à faire vivre le plus techniquement simple (donc le plus musicalement ardu), savoir le célèbre « Lascia ch\92io pianga » - avec sa queue à écailles vertes. Voix aigrelette, et parfois bien fâchée avec la justesse. Ou Dominique Visse (Mago Cristiano) a perdu sa présence irrésistible, ou la mise en scène l\92a inhibé pour le compte : cet expert des rôles de composition, Nireno de Giulio Cesare par exemple, ne nous fait même plus rire en chirurgien extrême-oriental (quelle idée !). On a laissé le principal pour la fin ; occupons-nous un tantinet de Vivica Genaux. Depuis le terme de Montpellier 2001, sa venue est annoncée telle celle du Messie dans la mégalopole de Georges Frêche. Elle est, en effet, précédée d\92une réputation flatteuse (« la nouvelle Horne », sic), et la plaquette trousse à sa jeunesse une hagiographie sur quatre colonnes, déjà. On y lit qu\92elle chante les travestis « lourds » rossiniens, haendéliens, vivaldiens, belliniens (ce qui se devine aisément, la voix est puissante). Également, qu\92elle triomphe sur toutes les scènes des États-Unis, sa nation. Très bien. Qu\92on juge sur pièces cette perle rare. L\92air initial « Ogn\92indugio d\92un amante » ne provoque rien de particulier, il n\92est du reste qu\92une mise en bouche, mais très correctement chantée. C\92est lors du duo avec Almirena, puis après le rapt de celle-ci par les gros poussins jaunes, que les choses se compliquent. On constate de prime abord que la cantatrice ne ressent strictement rien de ce que sa partie peut avoir de pathétique. Blocage scénique, là encore ? Allons donc : la notice nous dit à quelle point elle est expérimentée, cela ne tient pas. Le « Cara sposa » est un monument d\92ennui, tout simplement parce qu\92il pourrait être la version mise en musique d\92un flash de LCI. Ne parlons pas du « Cor ingrato » qui s\92emboîte, véritablement botté en touche émotionnelle. C\92est déjà très fâcheux, mais pas rédhibitoire : qu\92en est-il de la technique ?

Elle est inexistante, et cela se perçoit dès les longs accords suppliants, tenus sur plusieurs rondes liées, dudit « Cara sposa » : aucun souffle. Le « Venti, turbini » qui clôt le I (ici, avec un Te Deum de Tosca version faussement Marx Brothers) met le doigt sur le plus sérieux : Vivica Genaux ne sait pas vocaliser, orner, diminuer ; « fioriturer », quoi ! Et elle s\92emploie dans le bel canto (baroque comme romantique) ?... En fait de vocalité, on a droit à une découpe labialisée au hachoir, un peu comme si la dame expirait des apéricubes ; et vu qu\92elle court sans cesse après la respiration, redoutez, bonnes gens, les trilles en oscilloscope. Droite dans ses bottes comme certain Premier Ministre, elle est une actrice inexistante, et parachève son brassage d\92air par l\92accouchement de graves tubés d\92une franche laideur. Ne continuons pas plus avant. Depuis sa renaissance, qui ne remonte pas aux « baroqueux » comme on essaie de nous le faire croire - mais à Leipzig en 1929, avec Alcina - Haendel en a vu d\92autres. Nous aussi, du reste. Simplement, devant pareille déroute musicale et théâtrale, au final d\92un Montpellier 2002 très petit millésime (¹) et après tant d\92âneries scéniques et autres pas de l\92oie musicaux rebattus depuis des décennies dans le répertoire dix-huitiémiste - lassitude et résignation débouchent sur un cri des plus spontanés à l\92égard de tous ces bateleurs : « ça suffit ! ».

"On se réjouissait en ce soir de juillet en se rendant à l'Opéra comédie de Montpellier. Au programme, un des plus beaux ouvrages de Haendel, celui-là même qui marqua son entrée triomphale dans la vie musicale londonienne . Le chef ? Un spécialiste de ce répertoire : témoin sa superbe Agrippina au théâtre des Champs-Elysées en 2000, et son enregistrement de Jules César au sommet de la discographie. La distribution ? Des plus prometteuses, avec dans le rôle-titre une cantatrice présentée comme une nouvelle Diva. Oui, l'on pouvait s'attendre à vivre une soirée lyrique excitante, voire mémorable.

Mémorable, elle le fut, hélas ! On n'oubliera pas de sitôt un désastre pareil ! Jugez plutôt : au lever du rideau, le cadre de scène est occupé par un mur rouge sur lequel l'effigie géante d'un soldat en treillis, mitraillette au poing, fait songer à une publicité pour un improbable Rambo V. Sauf que le soldat a la tête de Ken, l'ami de Barbie. D'ailleurs au deuxième acte nous aurons droit, sur fond bleu cette fois, à la poupée blonde et sexy, un revolver à la main. Rinaldo et Almirena, sans doute ? Passons sur la fenêtre qui s'ouvre, dévoilant un théâtre de Guignol avec des marionnettes qui se tapent dessus. Le mur rouge disparaît, laissant place à un hémicycle tapissé de motifs fleuris rose et vert du meilleur goût. Au centre, une bâtisse couleur parme avec un clocher orné de haut-parleurs est placardée de manuscrits en arabe : on suppose que ce monument ridicule - sorte d'église relookée en mosquée- est censé représenter Jérusalem aux mains des Musulmans. En effet, au tableau final, manuscrits et haut-parleurs s'effondrent. Une croix apparaît sur le clocher, à la fenêtre, une Vierge à l'enfant, échappés d'une crèche vivante. Trois figurants habillés en Rois Mages, façon Les Inconnus, s'engouffrent dans l'édifice...

Revenons au premier acte : Rinaldo, on s'en serait douté, est en G.I. avec une barbe de deux jours, c'est tellement plus viril ! Almirena porte une mini-robe de mariée avec voile et couronne de fleurs sur la tête. Elle chante "Combatti da forte" entourée d'un groupe de donzelles qui se livrent à une gestuelle grotesque en comparaison de quoi les chorégraphies des Clodettes, dont elles ont un peu l'allure, étaient du très grand art ! De plus, ces délicieuses créatures gloussent joyeusement juste avant le da capo. Ensuite arrive Argante, djellaba et veste blanches, petits mocassins marron et, sur le crâne, un torchon de cuisine à gros carreaux noirs et gris qui évoque vaguement le foulard palestinien. Pendant l'aria de Goffredo, les Clodettes apportent une télévision et filment le chanteur dont l'image apparaît à l'écran (tiens, cela ne vous rappelle rien ?) Argante est très en colère, il arrache l'antenne : neige, puis, ô miracle, le visage d'Armida emplit la lucarne, juste avant son entrée. Bon sang, mais c'est bien sûr, c'est une magicienne ! En complet veston noir, elle ressemble à l'héroïne de Chapeau melon et bottes de cuir. Soudain elle agite devant les spectateurs médusés une boîte de Friskies dont elle répand le contenu sur le sol, et tandis que le pauvre Argante, à quatre pattes, mange les croquettes avec application, elle lui passe autour du cou une laisse pour chien. Au tableau suivant, Almirena se saoule au whisky pendant l'aria "Augelletti che cantate". Après elle offre ce qui reste dans la bouteille à Rinaldo. Tous deux terminent leur superbe duo "Scherzano sul tuo volto" en titubant comme des fêtards sortant d'une boîte de nuit. Tout à coup un canari géant, sorte de Titi (sans Gros Minet) enlève la pauvre jeune fille ! A la fin de l'acte, Eustasio habille Goffredo et Rinaldo respectivement en évêque et sacristain, puis des enfants de choeur surgissent et gesticulent comme les Clodettes du début !

Faut-il vraiment continuer ? On se bornera à citer pêle-mêle les sirènes aux seins nus qui s'agitent autour de Rinaldo, la Mercedes coupée en deux sur fond de soleil couchant et, comble du raffinement, la tête monstrueuse d'une poupée gonflable, la bouche béante, projetée en gros plan derrière Armida qui tente d'interpréter dignement "Vò far la guerra" avec des mains postiches démesurées. Au trois, un kamikaze cagoulé, des bâtons de dynamite autour de la taille, explose, laissant sur le plateau ses deux pieds sanguinolents. Sur un écran, nous pouvons voir des Playmobils assaillir une forteresse et aussi quelques monstres issus d'un mauvais dessin animé japonais. Auparavant, un âne (un vrai !) traverse la scène : sur son dos le petit missile des Musulmans ; de leur côté les Clodettes apportent l'énorme missile des Chrétiens... Vous l'avez compris, ceux qui ont le plus gros seront vainqueurs ! ..Et ceux qui aiment Haendel auront du mal à réfréner leur envie de hurler "Assez !" Haendel, justement, on avait bien failli l'oublier dans tout ce fatras! Faut-il que les metteurs en scène aient jugé sa musique ennuyeuse et dépourvue d'intérêt pour en distraire le spectateur avec tant d'acharnement et déclencher l'hilarité au moyen de gags stupides et vulgaires même au beau milieu des scènes dramatiques et des airs de déploration. Comment garder en effet une oreille objective quand l'oeil est agressé de la sorte ?

Disons-le d'emblée cependant, Vivica Genaux a déçu. Le rôle dépasse-t-il ses moyens ? Nous sommes loin, en tout cas, de la merveille annoncée : la voix, souvent dans les joues, est à court de projection, le timbre a paru bien mat et certains graves fort disgracieux. Enfin, la cantatrice a une façon étrange de vocaliser qui évoque les improvisations des chanteuses de jazz. Quant à l'expression, elle est proche du néant, mais encore une fois, avec un tel environnement... N'empêche, la comparer à Bartoli, voire à Horne ( !) relève de la supercherie pure et simple. Son "Or la tromba" est l'un des plus calamiteux jamais entendus avec en prime des trompettes fausses et un tempo pour le moins déroutant. Mais qu'est-il arrivé à René Jacobs ? Etait-il donc troublé à ce point par ce qu'il avait sous les yeux ? Toujours est-il qu'il nous a gratifié d'une direction parfois sèche, souvent brutale, et totalement dépourvue d'émotion, à des années-lumières de ses Haendel précédents. Point d'émotion non plus dans le chant de Miah Persson, qu'on a entendue bien plus impliquée ailleurs. Peut-on vraiment lui en vouloir ? On l'a obligée à chanter le somptueux "Lascia ch'io pianga", l'un des sommets de la partition, couchée par terre, coiffée et maquillée comme une héroïne des Feux de l'amour, affublée d'une queue de sirène vert fluo et faisant des oeillades d'un goût discutable à Argante... James Rutherford a, certes, des moyens importants, mais sa voix encore mal dégrossie est privée de nuances. Ses vocalises, en particulier dans son air d'entrée, sont bien laborieuses. Inga Kalnar ne manque ni de personnalité, ni d'abattage, elle incarne avec une conviction méritoire la sulfureuse Armida. Sa grande scène à la fin du deux, dramatiquement idoine, convainc, mais ne saurait faire oublier les stridences qui avaient entaché son air d'entrée. Les trois contre-ténors en revanche n'appellent que des louanges. Imperturbable, Dominique Visse campe le mage chrétien avec sa truculence coutumière, mais pourquoi donc l'a-t-on accoutré comme un mandarin chinois ? L'Eustasio du tout jeune Christophe Dumaux capte l'attention durablement : présence indéniable, timbre séduisant, sa ligne de chant est impeccable, malgré les sacs à dos et autres valises qu'il est contraint de porter en permanence. Depuis l'Agrippina du Théâtre des Champs-Elysées, Lawrence Zazzo ne cesse de confirmer les espoirs qu'on avait alors placés en lui. Son Goffredo a toute l'autorité requise, la voix agréable et homogène possède une technique solide qui lui permet de triompher d'une partie souvent ardue. De plus, il évolue avec aisance et réussit à n'être jamais ridicule, un exploit ! "

 

 

 

 

 

 

"Premier des opéras londoniens de Haendel, Rinaldo, créé le 24 février 1711, requiert un déploiement de machineries et d'effets scéniques totalement irréalisable au manoir de Grange Park, sur un plateau dépourvu de véritables coulisses. Mais David Fielding, avec l'aide d'Andrew Walsh pour les décors, de Wayne McGregor pour les mouvements et de Wayne Dowdeswell pour les éclairages, a prouvé que l'imagination pouvait aisément triompher des contraintes budgétaires ou techniques. Pendant l'ouverture, Fielding nous montre la projection on couleurs d'un papier peint français du XIXe siècle, offrant une illustration panoramique de l'intrigue. Par la suite, on peut regretter quelques excès (Almirena transformée en "pom-pom girl" dans son air d'entrée, par exemple), mais on s'incline devant la réussite du tableau final, où la bataille se déroule comme sur un échiquier. Sara Fulgoni, Rinaldo à la virtuosité impeccable, sait également se montrer émouvante dans le célèbre "Cara sposa . Emma Bell (Almirena) se hisse au même niveau d'intensité dans "Lascia ch'io pianga", l'Américaine Susan Roherts triomphant avec aplomb des coloratures du grand air d'Armida, au deuxième acte. Mezzo-soprano au beau timbre riche, Yvonne Howard campe un Goffredo plein d'autorité, le contre-ténor William Towers relevant le défi de l'autre emploi de castrat, Eustazio, avec beaucoup d'expressivité, mais également une tendance à se laisser emporter par l'exubérance de son jeu, au point de perdre de vue la justesse. Tim Mirfin enfin, apporte une présence charismatique au roi sarrasin Argante." (Opéra International - octobre 2000)

 

Dorothea Röschmann

"Difficile de caractériser cette estshétique qui tient à la fois de la pantalonnade à grosses ficelles, de la caricature de spectacle de music-hall, voire du cartoon façon Tex Avery. Faut-il souligner que bon goût et cohérence dramatique ne sont pas les vertus cardinales de ce genre de soirée, où l'on rit certes beaucoup, mais de façon à peu près aussi subtile et spontanée que dans les sitcoms américaines ? D'esthétique baroque, d'opera seria, de perspective historique, il n'est évidemment plus du tout question : on cherche à séduire un public davantage curieux de nouveauté que de culture, et si l'on en juge par les réactions très positives d'une salle comble, ce concept a un bel avenir devant lui... Et pourtant, quel effroyable début de soirée ! En fait de croisés, David Alden met en scène les membres plus ou moins déjantés d'une sorte de secte, dirigée par un gourou idéaliste et niais (Goffredo), assisté d'un frère beaucoup plus pragmatique, voire vénal (Eustazio). Rinaldo coexiste avec ces gens bizarres, sans vraiment appartenir au même univers.

Traduction visuelle de cette "relecture" : un décor hideux, sorte de salon reconverti en lieu de culte (ah ! l'horrible papier peint à motifs cabalistiques, le salon en mousse recouvert de chintz orange vif, le lustre géant dans le plus pur style années 1970... c'est irregardable !), avec, dans un coin, une minuscule tente canadienne rouge, d'où Rinaldo s'extirpe, de temps à autre, à quatre pattes. Comme la mise en scène renonce à toute forme de rôle travesti, ce ne sont pas moins de quatre (!) falsettistes qui se partagent ce premier acte, et de surcroît mal assortis, d'une projection vocale souvent limitée. Pour tenter d'habiter un tel vide, la direction d'acteurs accorde une énorme importance aux accessoires : que ce soit un crucifix, une valise, un lampadaire, chacun passe son temps à tripoter quelque chose en attendant l'air suivant... Bref, on s'ennuie à périr. Après le premier entracte, l'univers magique d'Armida inspire davantage David Alden, et surtout son décorateur quelques jolies visions, un humour de meilleur aloi, que l'on doit on fait essentiellement à l'abattage des deux rôles féminins... Mais il est déjà fort tard ! Quant au dernier tableau, il retombe dans le gag lourdingue et le sous-entendu stupide, avec une consternante absence de complexes.

Irréprochable côté dames (les délicieuses Dorothea Röschmann et Noémi Nadelmann, fraîches, accortes, très en voix), la distribution donne à entendre un curieux échantillonnage de falsettistes, qui va du calamiteux au fastueux. Le Mage de Charles Maxwell est inécoutable. Axel Köhler, splendide tessiture d'alto, apparaît moins convaincant que d'habitude. David Walker ne délivre qu'un chant étranglé et sans couleur. Enfin David Daniels, nouvelle coqueluche montante du chant baroque, fait crouler la salle dans le rôle-titre, à l'issue d'un "Or la tromha" ahurissant le timbre reste d'une opulence moyenne, mais quelle vélocité dans la vocalisation ! La solide voix grave d'Egils Silins se taille également un beau succès, de même qu'un orchestre très discipliné (l'instrumentarium est moderne, mais les effectifs sont clairsemés et les phrasés relativement inventifs), sous la direction d'Harry Bicket." (Opéra International - octobre 2000)

 

 

 

 

 

 

 

 

"Treize ans après sa création, ce spectacle total, signé du magicien Pier Luigi Pizzi, paraît plus jeune, plus enchanteur que jamais. C'est que le raffinement dans l'esthétisme, la précision dans l'intelligence du texte et de la musique, ont rarement été poussés aussi loin. S'inspirant de la Jérusalem délivrée du Tasse, le livret transpose les Croisades en un récit merveilleux, au sens premier du terme, qui pourrait sembler à mille lieues de nos préoccupations actuelles...Pizzi...privilégie la musique, avec ces airs où Haendel exalte, dans d'éblouissants feux d'artifice, l'amour, la jalousie, la colère, la fureur guerrière. Ainsi transcendés, ces airs acrobatiques échappent à la gratuité : chacun est enchâssé comme une pierre précieuse dans la splendeur du spectacle...Triomphatrice de la soirée : Jennifer Larmore dans le rôle-titre. Comme elle incarne un farouche guerrier que l'amour humanise, la mezzo américaine colore de sombres reflets sa voix, module avec finesse chaque nuance de la partition. Par la qualité de son chant et la sensibilité de son talent d'actrice, Lillian Watson transcende les noires machinations de la magicienne Armida. Les volutes de ses vocalises traduisent la haine et l'amour d'une femme, face à la douce Almirena de Donna Brown. L'Argante de Frode Olsen dans ses voiles écarlates, le Goffredo de Charles Workman, le Mago Cristiano de Tomas Tomasson opposent des voix viriles et percutantes aux ambiguïtés fascinantes du trio féminin. Sous la baguette experte de Daniel Beckwith, l'Orchestre de la Suisse Romande est visiblement à la fête, ravi de faire partager au public, en un enthousiasme communicatif, les secrets éclatants de ce spectacle de légende." (Opéra International - juin 1997)

 

 

 "Satisfaction du retour de Sara Mingardo, mezzo vénitienne...Voix chaude, bien conduite, projetée mais suave : à elle seule un spectacle. On applaudit Maria-Costanza Nocentini en Armide pour la ferveur, Sandrine Piau en Almirène pour l'aisance, Robert Scaltriti en Argant pour l'allure. A la tête des Talens lyriques, moins lyriques que talentueux, Rousset jubile. L'opéra italien lui plaît, son plaisir se transmet." - (Diapason - septembre 1996)

 

 

 

 

Teresa Berganza dans Rinaldo

"Le sublime Rinaldo de Pizzi poursuit sa route...et rencontre Teresa Berganza...La complicité de Nicholas Kraemer devient aujourd'hui éclatante : une pure jubilation instrumentale, d'une justesse exemplaire...La distribution est à hauteur de l'évènement...Le timbre aigre, l'inégalité expressive des registres confirment certes l'impossibilité musicale et stylistique de l'Armida de Christine Weidinger...Michael Chance, à l'opposé, possède toute la placidité angélique des contre-ténors d'école anglaise...Le baryton clair de José Fardilha sait préserver toute sa dignité musicale grâce à une ligne de chant d'une rare noblesse...Une superbe ligne de chant et un timbre d'une pureté remarquable qu'on reconnaît dans l'Almirena mozartienne de Maria Bayo...Et il y a la fascinante Teresa Berganza...Il faut surtout entendre le passionnant jeu de couleurs, l'émouvante articulation des mots, la légendaire transparence des legati. Un Rinaldo tout en nuances, d'une incroyable vulnérabilité humaine." (Opéra International - mars 1991)

 

 

Marilyn Horne en Rinaldo

"La machinerie de Pizzi, savamment huilée, retrouve l'éclat de jadis. Rinaldo est un superbe condottiere de la Renaissance, et Armida la plus redoutable des magiciennes...Face au statisme des airs et des duos, Pizzi ne cesse de recréer des espaces et des lieux, jusqu'à l'affrontement final où quatre statues équestres livrent leur dernier duel dans un tournoi fantastique...Maîtrisant toute la tessiture , Marily Horne s'est abandonnée aux roulades les plus folles, avec une rapidité d'exécution déconcertante. Cecilia Gasdia n'a pas les mêmes notions de style...son chant sait pourtant devenir précieux et précis dans les cantilènes. Ernesto Palacio, nullement rompu au chant baroque, songe un peu trop souvent à Rossini, tandis que Natale de Carolis, au timbre dur et revêche, se trompe carrément de répertoire...John Fisher fait de Rinaldo une oeuvre sans imagination et sans délires, sans rêve et sans démesure."

 

 

 

 Rinaldo au TMP

"N'en déplaise à quelques uns, ce Rinaldo demeure un éblouissement constant. Pizzi a imaginé un vaste décor en triptyque où les colonnes se déplacent pour agrandir ou rétrécir l'espace...On n'oubliera pas de sitôt la vivacité des couleurs, la luminosité des costumes, les vagues d'une mer faite d'un simple voile animé...Ewa Podles et Zehava Gal ont affronté vaillament toutes les difficultés de Rinaldo. De son côté, Jeannette Scovotti, d'une voix précise, agile et claire, a bien fait percevoir la caractère ambigu de la magicienne Armida, tandis que Gianna Rolandi campait une touchante Almirena, et Terry Cook un Argante de fière allure. Le Goffredo de James Bowman a paru légèrement placide. L'Orchestre de Paris jouait avec une acuité exemplaire, un plaisir évident, sous la baguette vigoureuse de Charles Mackerras."

 

"...La façade d'un palais au tout devant de la scène, tel un rideau, dans les niches latérales desquelles apparaissent comme des statues, Rinaldo et Goffredo qui, tout en devenant des êtres humains, vont garder pendant toute la soirée leur impassibilité marmoréenne...Tout pourrait être statique...et pourtant tout bouge constamment, dans le respect même de toute la virtuosité inhérente au style baroque....On aurait souhaité une distribution peut-être plus éclatante...James Bowman est un Goffredo crédible, Benita Valente une touchante et langoureuse Almirena, Simone Alaimo une Argante de fière allure, et Cynthia Clarey un Rinaldo digne d'attention...Charles Farncombe a réalisé sa propre version de ce Rinaldo, qu'il a dirigé avec un très grand scrupule et suivant le rythme implacable imposé par la mise en scène de Pizzi." (Opéra International - mars 1985)

 

 

 Samuel Ramey en Argante au Met

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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