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Mardi 3 (janvier), à Versailles. \97 Le roi dîna à son petit couvert, et alla à la chasse. \97 Monseigneur alla à Paris à l'Opéra avec madame la princesse de Conty.
Lundi 9, à Versailles. \97 Le roi dîna à son petit couvert et alla tirer ; il revint de Trianon sur les quatre heures. Monseigneur y alla à la même heure, et on y joua au lansquenet et aux portiques jusqu'à sept heures, que l'opéra commença. Le roi le vit de la tribune, à l'ordinaire ; c'étoit l'opéra de Roland.
Dimanche 5 (février), à Versailles. \97Monseigneur, après son dîner, alla à Paris avec les princesses ; il entendit l'opéra de la loge de Monsieur, ensuite il y eut grand jeu avant souper, et à onze heures le bal commença. Monseigneur et les princesses sont revenues ici à cinq heures du matin.
Mercredi 10, à Versailles. \97 Il devoit y avoir opéra à Trianon, mais la reine d'Angleterre, pour qui la fête se faisoit, s'étant trouvée mal, cela a été remis à mercredi prochain.
Mercredi 17, à Versailles. \97 Le roi et Monseigneur allèrent l'après-dînée à Trianon; la reine d'Angleterre vint ici de bonne heure voir madame la Duchesse, et puis le roi et la reine d'Angleterre allèrent à Trianon. Ils furent quelque temps enfermés avec le roi, et puis Sa Majesté les mena dans la tribune de la salle des comédies. Monseigneur et Monsieur y étoient avec eux ; Madame étoit en bas qui tenoit la cour. On représenta l'opéra de Roland, et, au sortir, le roi et la reine d'Angleterre retournèrent à Saint-Germain, et le roi revint ici. Il n'y eut point de jeu ni devant ni après l'opéra.
(*) selon les Chroniques secrètes et galantes de Georges Touchard-Lafosse, Chassé, qui avait quitté l'Opéra de 1739 à 1742, déçut le public, et il courut ce quatrain :
Diapason - mars 2004 - Lausanne - 9 janvier 2004 "Les tragédies lyriques de Lully sont-elles condamnées à retomber dans l'oubli, ou, du moins, à ne faire battre le coeur des mélomanes qu'à la grâce de quelques disques? Car, si l'on a fêté la naissance d'une "génération Atys" après le triomphe de la collaboration Christie-Villégier en 1987, les dernières représentations des opéras du Surintendant remontent à plus de dix ans, auPhaéton de Lyon(1992)et au fameux cycle Lully que présentait le Théâtre des Champs-Elysées en 1992-1993. Depuis, seulement quelques expériences à l'étranger (dont le "Persée" de Toronto, reprise en avril prochain), et dans l'Hexagone, des lots de consolation, ces "mises en espace" qui font ce qu'elles peuvent. C'est-à-dire pas grand-chose, s'agissant de ce théâtre à grand spectacle conçu pour faire tourner les têtes de la cour, rendre visible la part divine de la monarchie, signifier à tout le royaume la gloire de Louis. Pourquoi tant de préliminaires avant d'en venir à Roland ? Parce qu'il vaudrait peut-être mieux, dans ce contexte, laisser de côté notre sentiment, et se contenter d'encourager l'expérience de l'Opéra de Lausanne - il donne enfin une chance à ungenre dont aucune scène française ne semble se soucier, tandis que son soupirant le plus tenace, le Centre de musique baroque de Versailles, n'a pas les moyens de l'honorer. Ce serait faire l'autruche devant le fond du problème : dans la tragédie lyrique, seule l'excellence de chaque ingrédient permet l'alchimie des arts. Des conditions de travail honorables, une affiche prometteuse - et c'était assurément le cas pour ce Roland - ne suffisent pas. Presque tout était bien (à l'exception des décors, hideux, et des costumes). Mais pas assez pour que prenne la sauce, pour que, par exemple, l'immense Chaconne placée par LuIly au centre de l'édifice fascine, enchante, au sens fort du terme, hypnotise, au lieu de plaire. Parachuté en remplacement de Viliégier, Stephan Grogler trace son sillon, naïvement (ce qui n'est pas a priori un problème ici), habilement quand il utilise le dispositif vidéo de Charles Carcopino. Côté solistes, un Médor bien modeste et une Angélique parfaite, mais si peu attachante que la dialectique de la force et du charme polie par Quinault tourne à vide, déséquilibrent à eux seuls le spectacle. Tout ira donc mieux à partir du quatrième acte, après la fuite des amants: le Roland de Nicolas Testé, à la fois instinctif et stylé, conjugue comme peu le plaisir physique du mot à l'éloquence du chant, secondé par l'Astolphe de Robert Getchell, le délicieux Coridon d'Anders J. Dahlin et la Logistille de Salomé Haller, qui distille le seul instant magique de la soirée. Si Daniel Larrieu a certainement raison de penser que, dans certaines danses, le mouvement doit prendre possession de tout l'espace, le pis-aller qui associe les choristes aux six danseuses suscite moins l'exaltation que le malaise. L'orchestre assure, efficace quand on le rêve somptueux (vingt-six musiciens, hier cinquante-deux pour Atys), limité dans sa palette par des parties intermédiaires qui ne sonnent pas (problème de disposition ?). Enfin, on ne reprochera pas à Rousset de se concentrer sur la musique en oubliant le théâtre : il défend la partition avec une foi inébranlable, joue des transitions dramatiques, attise la folie de Roland, privilégie, même, une déclamation rapide dans les récits, au point de parfois sacrifier le mot au geste de la phrase et aux diminutions. Bref, la déception n'est pas à mettre au crédit de ce spectacle en particulier - ce serait reprocher aux Talens Lyriques de ne pas baisser les bras -, mais d'une "génération Atys" qui fêtera sa majorité sans pouvoir espérer, un jour, offrir à Lully le même luxe, nécessaire, constitutif, qu'à n'importe quelle production de Puccini."
Opéra International - février 2004 - Lausanne - 11 janvier 2004 "On ne peut pas dire que les opéras de Lully suscitent chez les directeurs de théâtre le même engouement que ceux de Rameau Peu présents à l'affiche depuis la révélation d'Atys en 1987, ils n'ont guère trouvé que le disque pour faire vraiment écho à leur magnificence. On se rappelle néanmoins certaines productions du Théâtre des Champs-Elysées : l'Alceste du tandem Malgoire-Martinoty en 1991, la pâle Armide de Philippe Herreweghe en 1992 et le Roland hybride de René Jacobs en 1993 avec José Van Dam dans le rôle-titre. Rien n'a depuis réellement marqué les esprits, si ce n'est quelques versions de concert pas toujours très digestes. C'est aujourd'hui au tour de Christophe Rousset, chef-claveciniste dont on connaît les affinités avec ce répertoire en particulier, de présenter son Roland dans une mise en scène de Stephan Grögler. Déjà, le formidable travail réalisé sur l'enregistrement de Persée préludait à une nouvelle étape lulliste passionnante. Le résultat est là. Cette production de l'Opéra de Lausanne est une grande réussite. Dans la fosse, Rousset donne tout ! Il dirige son orchestre (les Talens Lyriques en grande forme) avec la précision d'un orfèvre et rehausse véritablement chaque subtilité de la partition. Attentif à la structure comme aux détails qui composent cette longue tragédie lyrique (presque trois heures de musique), il révèle une à une toutes les ressources de l'ouvrage. Incisif et tendre, diabolique et consolateur, il insuffle à son plateau vocal une énergie proprement irrésistible. Ainsi galvanisés, les chanteurs n'ont aucun mal à prendre place au coeur du drame. Mis à part quelques tiraillements çà et là (le Roland un peu monolithique de Nicolas Testé et le Médor parfois à court de souffle d'Olivier Dumait), la distribution reste de très haute tenue. Les voix féminines tout particulièrement : Salomé Haller (Logistille), Anna Maria Panzarella (Angélique) et Monique Zanetti (Témire) montrent ce que des chanteuses maîtresses de leurs pointes savent faire en la matière. La première est le charme incarné, la seconde tire des larmes par la beauté de son timbre, quant à la troisième, l'autorité de son style est toujours aussi patente. Côté mise en scène, chorégraphie, décors, costumes et vidéo, on atteint là aussi des sommets d'efficacité. Stephan Grögler, Daniel Larrieu, Véronique Seymat et Chartes Carcopino ont tous conjugué (et le mot est faible!) leurs talents pour servir au mieux cette production. Il en résulte une véritable féerie moderniste et lumineuse, dans laquelle les artistes (chanteurs, danseurs et choristes) sont autant de facettes miroitantes qui captent les couleurs changeantes de cet immense kaléidoscope. Les éclairages, les projections sur les panneaux suspendus sont visuellement magiques et la structure du décor, somme toute assez simple (sorte de passerelle tendue vers l'horizon), laisse la lumière inventer des perspectives infinies qui transportent cet opéra vers l'irréel. Un Roland furieusement beau."
Anaclase.com / Opéra Mag - février 2004 "L'Opéra de Lausanne a réuni une distribution intéressante, dynamisée autant par les qualités vocales que par de vrais talents d'acteurs, parfaitement canalisés par la direction judicieuse et attentive de Stefan Grögler, où rien n'est laissé au hasard. Le ch\9Cur y est traité comme des individualités construites qu'on aurait regroupées plutôt que comme une masse indifférenciée. On aura particulièrement remarqué le jeune ténor suédois Anders J. Dahlin, prêtant un timbre clair habilement projeté à Coridon, Robert Getchell nettement plus convaincant en Astolphe qu'à Ambronay cet automne, Salomé Haller que l'on retrouvait avec plaisir dans une forme splendide, et surtout la soprano Monique Zanetti (Témire) offrant ici un style parfaitement travaillé, une diction exemplaire, et une imparable agilité. Le rôle de Médor était assuré par Olivier Dumait, assez inégal ; cet artiste semble hésiter pour réaliser ses aigus, si bien qu'ils sont parfois légers et veloutés, ou à d'autres moments presque arrachés et artificiellement gonflés. Le personnage y perd sa crédibilité, car sur le plateau, un homme à deux voix passe généralement pour fourbe ou dément. On rencontre un problème comparable dans le chant de Evgueny Alexeïev (Ziliante/Demogorgon) : le timbre possède une identité qui n'a que faire des prothèses d'une projection trop en appui, de vocalises nasalisées et alourdies ; la basse bulgare se bonifie cependant au fil de la représentation, et ne s'obstine pas dans l'erreur, comme elle le fit parfois (Arianna in Creta au Festival de Halle en juin 2002, par exemple). Enfin, Angélique était chantée par Annamaria Panzarella avec une grâce incomparable, un grand sens musical doté d'une belle présence en scène, tandis que Nicolas Testé donnait un Roland fabuleusement lyrique, cependant parfois dominé par la vivacité des récitatifs. La mise en scène de Stefan Grögler évolue à travers des panneaux de projections (images de Charles Carcopino) qui permettent d'évoquer les lieux autant que les ambiances, tout en proposant des symboliques plus directement poétiques ; le fond est un immense miroir incliné (comme on put en rencontrer dans les dernières réalisations de Yannis Kokkos) offrant une infinie profondeur de perspective où l'on distingue jusqu'aux reflets de la fosse et du chef, par moment. Une passerelle métallique interrompue traverse le plateau en diagonale, sur laquelle les personnages semblent toujours dans l'attente d'évènements. Le sol est couvert de sable et de rochers pouvant figurer une plage, et une dizaine de téléviseurs répondent aux projections des panneaux. Ce dispositif s'avère d'une grande richesse d'utilisation et offre une alternative esthétique et ingénieuse au fantastique de l'ouvrage. La datation bouge également : le Prologue est contemporain (voir première photo), tandis que peu à peu les chinoiseries deviennent plus évidentes, revenant à aujourd'hui pour la fin. Le ballet est naturellement fondu à l'ensemble, si bien qu'on en oublie presque la construction de l'\9Cuvre. Tout cela est brillant et relève d'un goût sûr, savamment associé aux lumières toujours plus travaillées de Laurent Castaingt. Malheureusement, Grögler paraît s'enfermer dans cette géniale sophistication, tout à fait probante sur les trois premiers actes, mais paralysante pour la suite ; c'est un peu comme s'il n'avait pas réussi à faire fonctionner sa belle machine jusqu'au bout. Du coup, la deuxième partie du spectacle devient rapidement ennuyeuse, d'autant que le rôle titre n'est pas aussi bon acteur que sa voix et son physique nous donnerait envie qu'il le soit. Mise à part cette réserve, cette production demeure une réussite."
Concertclassic - Montpellier - 15 janvier 2004 "Relativement peu représenté, le Roland de Lully était ici donné dans la salle du Corum, à Montpellier. Opéra en cinq actes, l\92\9Cuvre s\92inspire bien évidemment du célèbre Orlando Furioso, le fameux poème de l\92Arioste. Donné pour la première fois à Versailles en 1685, l\92\9Cuvre fût sans aucun doute commandée par le Roi Louis XIV qui proposa le sujet, et à qui elle fut dédicacée. Occasion rêvée pour louer le monarque (garant de la paix et de la sécurité, emblème d\92un patriotisme sans précédent), l\92ouvrage se divise en deux parties. Si la première plante le décor et accorde la primauté aux aventures audacieuses de la reine de Cathay, Angélique, et de son amant Médor (qui lui est de lignage inférieur), la seconde met en scène le héros Roland. Moins furieux que chez Vivaldi, moins fou et moins sauvage, c\92est davantage sous le signe lyrique que se positionne le personnage. Plus de tendresse et de désespoir, moins de délire en somme. C\92est d\92ailleurs dans la même optique que Christophe Rousset et sa fidèle équipe des Talens Lyriques abordent ces pages. Secondé par le remarquable Ch\9Cur de Lausanne, le chef nous a ce soir là offert un Lully tout de finesse et de subtilité. Si les dynamiques orchestrales n\92étaient pas de mises (et sans doute aussi masquées par l\92acoustique un rien sèche de la salle), le tout fut fort bien mené, si l\92on s\92en réfère à la consistance du recueil. Un geste un peu précipité, mais des attaques précises, un léger manque de souplesse dans l\92enchaînement des scènes mais du caractère dans la direction, de la lucidité et de la cohérence dans la vision globale de l\92\9Cuvre définissent assez bien cette version, côté instrumental. Quant à la palette soliste, on dira en un mot qu\92elle fut joliment composée. En effet, les deux rôles titres, Angélique et Roland, respectivement incarnés pas Nicolas Testé et Anna-Maria Panzarella ont littéralement subjugué la salle. Une justesse et une diction parfaite, conjugués à une fervente expressivité ont réunis ces deux chanteurs au travers du livret. A leurs côtés, des artistes de moins d\92éclat, mais à l\92expérience certaine, comme Monique Zanetti ou Olivier Dumait, très à l\92aise, bien qu\92ayant moins de voix\85 A noter également la présence de Salomé Haller, nouvelle diva des scènes actuelles, et ici fée de l\92enchantement, dans un rôle dont la tessiture sans risque ne pouvait que lui apporter son succès. Bref, une belle version, solidement menée, que l\92on aimerait bientôt pouvoir ré-entendre au disque ! "
Res Musica - Roland, Le chevalier à la prose "Plutôt qu\92un tube du répertoire ou une opérette surannée, Lausanne a proposé Roland de Lully pour entrer de plain-pied dans la nouvelle année. Roland, c\92est le moins que l\92on puisse dire, n\92a pas souvent connu les honneurs de la scène depuis les reprises de... Jean-Philippe Rameau, qui renonça par ailleurs à remettre en musique le poème de Quinault \97 d\92après Arioste \97 vraisemblablement par crainte des détracteurs de Lully. Lully est, on le sait, le père de la tragédie lyrique dans l\92hexagone. Il est surtout l\92auteur d\92innovations, de prises de libertés avec les formes traditionnelles. À ce titre, Roland, onzième de ses douze tragédies lyriques et avant-dernière collaboration avec le librettiste Philippe Quinault, reflète quelques évolutions marquantes et aussi une certaine distanciation du modèle préétabli : le rôle-titre est ainsi confié à une basse, les ch\9Curs et ballets, certes représentés comme à l\92accoutumée à la fin du prologue et des cinq actes « réglementaires », investissent parfois un rôle en prise directe avec l\92action. La fonction instrumentale est en outre étoffée, l\92orchestre accompagne non seulement les divertissements mais également les passages dramatiques. Airs, récitatifs et ritournelles instrumentales épousent enfin avec fluidité les contours du récit. Mentionnons encore que la chaconne, généralement réservée pour la toute fin, surgit ici au troisième acte déjà et se trouve être jouée, chantée et dansée. Le livret de Quinault emprunte son sujet à un roman de chevalerie. Roland est donc, du point de vue de sa référence littéraire, une première puisque, auparavant, les héros mythologiques de l\92Antiquité demeurait pour Lully le seul vivier dans lequel il puisait. Le thème central de l\92ouvrage est l\92éternel conflit entre le devoir de servitude du chevalier envers son roi et la passion amoureuse. On le devine, la vertueuse attitude d\92un preux chevalier amène gloire et honneur suprême, alors que les souffrances morales qu\92impriment à l\92âme les amours difficiles ne peuvent que le désarçonner. Outre ce thème difficile à transplanter dans notre époque, le livret de Quinault est assorti d\92une morale conclusive qui vante les mérites du modus vivendi chevaleresque. Roland a donc maille à partir avec des valeurs irrémédiablement datées s\92il veut retrouver sa cote à l\92orée du XXIe siècle. Dans la mise en scène de Stephan Grögler, le chevalier laisse du reste sa cotte de maille au vestiaire pour revêtir des costumes que l\92on situera, à défaut de repères plus précis, dans les années cinquante. L\92action paraît atemporelle dans le cadre imaginé par le maître d\92\9Cuvre natif de Berne. Un ponton horizontal, lieu de villégiature des attitudes procédant de la raison, surplombe une zone qui se veut désertique mais qui souffre d\92un encombrement laissant perplexe. Du temps de Lully, les représentations de ses tragédies lyriques se vivaient dans la grandiloquence, à grands renforts de cabestans et de poulies qui hissaient et trimbalaient des décors sans cesse renouvelés, parfois dans un fracas qui couvrait les chanteurs, voire l\92orchestre. Des draps peints suspendus offraient par ailleurs autant de points d\92accrochage visuels permettant d\92illustrer tout ou partie de l\92action. Les costumes et accessoires étaient eux aussi au diapason de ces exigences scénographies qui confinaient peut-être à la mégalomanie. Faire revivre aujourd\92hui un tel déploiement en essayant de reconstituer cette machinerie archaïque eût été un travail de muséographie ennuyeux présentant en outre d\92innombrables écueils dont le cinéma peut parfois s\92accommoder mais pas le théâtre. La réflexion en amont du travail de Stephan Grögler portait sur l\92équivalent à trouver aujourd\92hui à cette grandiloquence scénique. La réponse proposée, parfaitement pertinente, est que la vidéo, les images projetées sur écran peuvent constituer un tel équivalent. Ainsi comprend-on mieux les intentions du scénographe relayées par les lumières de Laurent Castaingt et la vidéo de Charles Carcopino. L\92aboutissement de leur travail, hélas, laisse trop souvent apparaître un bariolage lumineux qui se déploie au gré de réflexions aléatoires sur les divers éléments métalliques jonchant le plateau. Les images projetées se brouillent à trop vouloir s\92interpénétrer sur différents niveaux de profondeur. Les écrans dispensent des taches lumineuses qui ne sont pas sans rappeler le come-back des Pink Floyd vers la fin des années quatre-vingt. L\92action finit par se diluer dans cette pléthore de décors abstraits et par devenir elle-même abstraite. Les interrogations que soulèvent ces partis pris cèdent même le pas à un certain agacement lorsque les pans géants sur lesquels se projetaient les images précitées sont tout simplement démontés par les acteurs des scènes de divertissement et inclinés nonchalamment sur les pierres jouxtant le ponton. Il va falloir attendre le quatrième acte pour voir l\92espace scénique se dégager quelque peu. Paradoxalement, la direction d\92acteurs se révèle brillante au sein de cet univers. Les scènes de divertissement portées par les chorégraphies fraîches, bien rythmées et délicatement malicieuses de Daniel Larrieu, dont c\92est les débuts à Lausanne, remplissent leur rôle au pied de la lettre : divertir ; d\92autant que cela permet de se distancer du cadre pictural par trop conceptuel proposé sinon. Le Ch\9Cur de l\92Opéra de Lausanne, restreint pour l\92occasion, se plie avec talent aux exigences techniques et artistiques du chorégraphe et s\92acquitte avec aplomb et professionnalisme des copieux extraits qui lui échoient. Il est à noter que l\92ensemble de la distribution séduit par ses innombrables qualités, théâtrales, vocales et de diction. Au premier titre peut-être Annamaria Panzarella (La Reine Angélique). L\92Italienne allie sa puissance d\92émission à d\92incontestables qualités d\92interprète de musique ancienne. Des caractéristiques non mutuellement exclusives comme on le croit trop souvent. Le rôle-titre tenu par la basse Nicolas Testé est également servi avec une vaillance à toute épreuve. L\92acte IV de cette tragédie voit Roland réaliser qu\92il est un soupirant éconduit par une reine qui aime un veule soldat sarrasin, Médor. Cela provoque chez le chevalier un courroux explosif repris dans la fosse par des Talens lyriques chauffés à blanc et mené avec la poigne et la précision que l\92on connaît à Christophe Rousset. Nicolas Testé occupe tout l\92espace avec brutalité et autorité dans la déclamation de sa prose. L\92Astolphe de Robert Getchell est magnifique de rondeur, tout comme le chant soigné de Monique Zanetti dans le rôle de Temire, subtilement déployé avec modération comme pour souligner la différence d\92extraction sociale avec la Reine à laquelle elle donne à maintes reprises la réplique. Olivier Dumait en Médor séduit par sa finesse et sa clarté, même s\92il paraît sporadiquement un peu court. Les seconds rôles ne déméritent pas et assurent un soutien probant au reste du plateau. Roland demeure une rareté qu\92il est de bon aloi d\92avoir présenté. On louera dès lors volontiers la prise de risque de l\92Opéra de Lausanne qui, en cette période de fêtes encombrée de manifestations et de divertissements, a pris le parti de proposer un ouvrage de la fin du XVIIe siècle alors que le public romand affiche généralement une prédilection marquée pour la musique dont la production s\92étale entre Bach et Brahms. Si une certaine perplexité demeure, force est de reconnaître qu\92une musique superbe était au rendez-vous, de surcroît magnifiquement servie. Roland nous invite d\92ailleurs à le retrouver tout prochainement au disque puisque, lundi 5 janvier 2004, un enregistrement intégral de l\92\9Cuvre a débuté dans les murs de l\92Opéra de Lausanne. Le directeur artistique de Musica Numeris et preneur de son Nicolas Bartholomée, qui signe notamment les captations de Pierre Hantaï et Jordi Savall, est aux commandes. Un coffret en 3 CD est donc à paraître ces prochains mois chez Ambroisie, un label qui a récemment accueilli le même Christophe Rousset pour les Suites anglaise de Bach. La distribution retenue pour cette production lausannoise paraît donc idéale pour l\92enregistrement en première mondiale de cet opéra de Lully. Un éventuel DVD peut, pour sa part, attendre une mise en scène plus pleinement convaincante."
Le Monde - L'éclatant retour d'une momie nommée "Roland" - Christophe Rousset dirige la réalisation magnifique d'un opéra peu connu de Lully "Que nous dit aujourd'hui la vieille tragédie lyrique - ce creuset où s'unissent le chant, la déclamation rythmée et la danse -, inventée par Jean-Baptiste Lully au dernier tiers du XVIIe siècle ? Que nous dit aujourd'hui un ouvrage dont certains personnages s'appellent Médor (sic !), Logistille (re-sic !) ou Demogorgon (re-re-sic !) ? Que nous enseigne aujourd'hui un Roland furieux, avant-dernier des douze ouvrages lyriques de "Monsieur de Lully", en partie inspiré de l'Orlando furioso de l'Arioste, créé en janvier 1685 à la Grande Ecurie de Versailles ? Le claveciniste et chef d'orchestre Christophe Rousset, qui dirige cette nouvelle production de l'Opéra de Lausanne, répond, dans un entretien publié dans la gazette de son ensemble, les Talens lyriques : "Je ne peux pas croire que l'opéra de Lully ait eu deux siècles de vie - puisqu'on a continué à - le - jouer jusqu'à la fin du XVIIIe - simplement parce qu'il était le protégé de Louis XIV. J'ai voulu faire confiance à ce répertoire-là, essayer d'en tirer au maximum la substance, de lui donner vie. Il s'agit de redonner des couleurs à une momie. On a une partition en noir et blanc sur du papier, il faut que tout cela devienne de la chair et du sang." Rousset a merveilleusement réussi le "désembaumement" de Roland. On admire le sérieux du travail de préparation, très audible jusque dans les moindres détails, et l'investissement total du musicien, qui révèle non seulement un amour profond pour cette musique, une subtilité, une élégance, un lyrisme, mais aussi - ce qui fait toute la différence - un sens des proportions dans l'architecture de ces trois heures de musique. Alors qu'on serait heureux d'entendre simplement détaillé avec soin chacun des extraordinaires maillons de cette pièce, Rousset opère une remarquable intégration de ceux-ci à une chaîne constamment tendue. A tel point qu'on n'est aucunement gêné par un rôle-titre un peu gros de traits, par un Médor en relative méforme et quelques petites interventions moins parfaites dans les petits rôles. Du côté des tragédiennes, on frôle le sans-faute. La Française Anna Maria Panzarella, talent trop méconnu, est d'une présence et d'une émotion bouleversantes. Elle intériorise ce que d'ordinaire tant de chanteuses expriment, dans ce même répertoire, comme ce qu'elles croient être de la rhétorique baroque. On donne la palme de l'élégance vocale et stylistique à Salomé Haller, "fée principale", envoûtante en "dame blanche" toute en demi-teintes, dans le "Sommeil" de l'acte V (qui vaut bien celui, célébrissime, d'Atys). Monique Zanetti, dans un rôle plus discret, confirme la belle artiste qu'elle ne cesse d'être depuis la Sangaride qu'elle incarnait, il y a quinze ans déjà, dans ledit Atys. Avec le chorégraphe Daniel Larrieu, qui a mis en mouvements subtils et poétiques, décalés mais jamais ironiques, non seulement six danseuses mais tous les chanteurs de la production, le metteur en scène suisse Stephan Grögler a conçu un spectacle d'une insolente et tonique liberté, mêlant les époques, les costumes, les registres de jeu. Il l'a situé dans un décor mi-jardin zen mi-ruine désertique, espace propice à toutes les métamorphoses, sur lequel il a juché un promontoire et qu'il a jonché d'écrans de télévision et de projections vidéo (diffusées en temps réel - travail remarquable). Mais, au lieu de se fourvoyer dans l'un de ces lieux communs de la mise en scène high-tech, il fait un travail d'une ineffable poésie, raffiné, tendre, amoureux et respectueux de cette musique, qu'il baigne de lumières mauves, bleues et vertes, et qui plongent le spectateur dans une féérie merveilleuse de vérité artificielle. On n'avait pas passé un moment aussi fort et émouvant à l'opéra depuis belle lurette. Bravo à l'Opéra de Lausanne, principal producteur, et au Théâtre de Nîmes, qui reprend le spectacle dans quelques jours ; honte aux théâtres français et parisiens qui ont cru bon de ne pas coproduire cette merveille et n'ont pas le courage d'oser imaginer un autre "triomphe d'Atys"."
Forum Opéra - 31 décembre 2003 - Faites la guerre, pas l'amour !
- Roland avant Orlando - Lully aux Champs Elysées - Opéra International - novembre 1993