COMPOSITEUR
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Jean-Philippe RAMEAU
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LIBRETTISTE
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Jacques Autreau/A.-J. Le Valois d'Orville
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ENREGISTREMENT
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ÉDITION
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DIRECTION
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ÉDITEUR
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NOMBRE
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LANGUE
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FICHE
DÉTAILLÉE
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1957
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1999
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Hans Rosbaud
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EMI Classics
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2
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français
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1988
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1988
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Jean-Claude Malgoire
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Sony Music
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2
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français
|

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1988
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2009
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Jean-Claude Malgoire
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Calliope
|
2
|
français
|

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1990
|
1990
|
Marc Minkowski
|
Erato
|
2
|
français
|

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1990
|
2011
|
Marc Minkowski
|
Erato
|
2
|
français
|

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1990
|
1995
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Marc Minkowski
|
Erato
|
1
|
français
|

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DVD
ENREGISTREMENT
|
ÉDITION
|
DIRECTION
|
ÉDITEUR
|
FICHE
DÉTAILLÉE
|
2002
|
2004
|
Marc Minkowski
|
TDK
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Comédie-lyrique ou Ballet
bouffon, en un prologue et trois actes (O.C. XII), sur un livret
tiré de Platée ou Junon jalouse, du dramaturge
Jacques Autreau (ou Hautreau), inspiré des
Béotiques, IXe livre, chapitre III, de la
Description de la Grèce, du géographe-historien grec
Pausanias. Rameau avait acheté les droits de cet ouvrage, et
demanda à l'homme de lettres Adrien-Joseph Le Valois
d'Orvilleet à Ballot de Sauvot d'en renforcer l'aspect
comique.
La première représentation eut lieu le 31
mars 1745, dans le grand manège couvert de Versailles, lors du
mariage du Dauphin avec l'Infante d'Espagne. Le rôle travesti
de Platée était tenu par Pierre Jélyotte
(haute-contre - 1713 - 1797)
L'Encyclopédie relate la
représentation : C'est-là que parut pour la premiere
fois Platée, ce composé extraordinaire de la plus noble
& de la plus puissante musique, assemblage nouveau en France de
grandes images & de tableaux ridicules, ouvrage produit par la
gaieté, enfant de la saillie, & notre chef-d'oeuvre de
génie musical qui n'eut pas alors tout le succès qu'il
méritoit.
La distribution était la suivante :
- Prologue : La Tour (Thespis, Inventeur de la
Comédie), Benoit (un Satire), Mlles Cartou et Dalman
(Vendangeuses), Mlle Fel (Thalie), Albert (Momus), Mlle
Coupé (l'Amour), Choeurs et Troupes de Satires,
Ménades, de Paysans vendangeurs, de leurs Femmes et de
leurs Enfants). Ballets : Satires (Dumay, Dupré,
Caillez, Feuillade), Ménades (Mlles Carville, Rabon,
Erny, Rosaly), Paysans vendangeurs (Sandy, Mlle Camargo,
Malter-3, Malter-C. Matignon, Mlles St Germain, Courcelle, Mrs
Hamoche, Dangeville, P-Dumoulin, Mlles Beaufort, Théry,
Puvigné-mère, Mrs Duval, Bourgeois, Mlles
Coraline-C., Gobbé).
- Ballet : Jélyotte (Platée,
Nymphe d'un grand marais au pied du Mont Cithéron), Le Page
(Cithéron, Roi de Grèce), Chassé (Jupiter),
Mlle Chevalier (Junon), Bérard (Mercure), ? (Iris),
Cuvillier (Momus), Mlle Fel (la Folie), Mlle Bourbonnois (Clarine,
Fontaine, Suivante de Platée), Mlle Metz (Nayade, autre
Suivante de Platée), Nayades de la Cour de Platée,
Aquilons, Choeurs Suivants de Momus, Suivants de la Folie, d'un
caractère gai, Suivants de la Folie, de caractère
sérieux, Satires et Driades, Troupe d'autres Satires,
Suivants de Momus sous la forme de Grâces, Choeurs et
Troupes d'Habitants de la campagne, de leurs femmes et de leurs
enfants.
- Divertissements du Ballet : acte I - Nayades,
Suivantes de Platée (Mlles Dalmand, Le Breton,
Carville, Rabon, Henry, Rosalie, Courcelle, Thery, Beaufort),
Aquilons (Pitro, Mrs Dumay, Dupré, Levoir, Hamoche,
Feuillade, De Vice) ; acte II - Suivants de la Folie d'un
caractère gai (Sandy et Mlle Dalmand, Laval et Mlle
Puvigné, Mrs Malter-C., Matignon, Hamoche, Levoir, Mlles St
Germain, Courcelle, Beaufort, Thiéry), Suivants de la
Folie d'un caractère sérieux (Gherardy, Mrs
Montservin, Dumay, Dupré, De Vice, Dangeville, F-Dumoulin)
; acte III - Satires (Dupré, Mrs Dumay,
Dupré, Caillez, Feuillade, Montservin), Driades
(Mlles Carville, Rabon, Herny, Rosalie), Suivants de Momus sous
la forme de Grâces (Gherardy, Pitro, De Vice),
Habitants de la campagne (Mlle Camargo, D-Dumoulin et Mlle
Sallé, Mrs Malter-C., Matignon, Mlles St Germain,
Courcelle, Mrs Hamoche, Dangeville, P-Dumoulin, Mlles Beaufort,
Thiery, Puvigné-mère, Laval et Mlle Puvigné,
Mrs Duval, Bourgeois, Mlles Caroline-C., Gobbé.
L'oeuvre, modifiée par Balot de Sauvot, fut
reprise à l'Académie royale de musique le 9
février 1749, au lieu du 4 février comme prévu,
en raison de la mort de la duchesse d'Orléans, mère du
Régent.
La distribution était la suivante : Poirier
(Thespis), Person (Un Satyre), Mlles Cartou et Chefdeville
(Vendangeuses), Mlle Coupée (Thalie), Lamarre (Momus) et Mlle
Rosalie (L'Amour) pour le prologue, La Tour (Platée), Le Page
(Cythéron), Person (Jupiter), Mlle Jacquet (*)
(Junon), Poirier (Mercure), Lamarre (Momus), Mlle Fel (La
Folie), Mlle Coupée (Clarine).
(*) Louise Jacquet, née le 26 septembre 1722,
entrée à l'Opéra en avril 1739. Une
indiscrétion de sa part fut la cause du renvoi de Mlle Petit,
qu'elle avait surprise en galante compagnie. Elle prit sa retraite
à Aix-en-Provence, après dix-huit ans de
service.
La BNF détient une partition manuscrite de cette
version de 1749.
Selon Rameau lui-même, il n'y eut pas au
théâtre de succès plus marqué que celui de
Platée. Les sept premières représentations
furent données en dix jours, puis poursuivies pour six
représentations durant le carême pour satisfaire
à l'empressement du public, avec une recette totale de 32
000 livres.
Charles Collé, dans son Journal des
spectacles de Paris, ne fut pas tendre avec le librettiste :
J\92y fus jeudi, 13 (décembre) ; & je croirai qu\92il y a
de la magie dans la composition de Rameau si ce ballet réussit
; les paroles ne peuvent être plus basses, plus sottes, plus
bêtes & plus ennuyeuses qu\92elles le sont. Cahusac est un
Quinault au prix ; j\92excepte pourtant le prologue, dont l\92idée
est heureuse, & qui aurait pu être excellent ; j\92avoue que
la musique en est bien jolie, mais il est déshonorant pour
notre nation qu\92on laisse jouer en public des choses aussi
détestables.
Dans sa Lettre sur Omphale, de 1752, qui
déclencha la Querelle des Bouffons, le baron Grimm
raconte qu'à peine arrivé à Paris, il assista
à une représentation de Platée,
ouvrage sublime dans un genre que M. Rameau a créé
en France, que quelques gens ont senti, et que la multitude a
jugé, avec Marie Fel, qui, avec le plus heureux organe
du monde, avec une voix toujours égale, toujours
fraîche, brillante et légère, connaissait encore
l'art de chanter...
Même Jean-Jacques Rousseau, guère enclin
à la louange pour Rameau écrivit : Appelez-la
divine... ne vous repentez jamais de l'avoir regardée comme le
chef d'oeuvre de M. Rameau et le plus excellent morceau de musique
qui jusqu'ici ait été entendu sur notre
théâtre.
Platée inspira plusieurs parodies : La
Jalouse désabusée, pantomime
représentée à la Foire St Germain en mars 1749,
et Le Jaloux désabusé, représenté
à l'opéra Comique en mars 1749,
précédé de la Vieillesse amoureuse et
des Dénicheurs de merles.
Une reprise eut lieu le 5 février 1750, avec la
même distribution, sauf le rôle de Momus, repris par
Albert. Marie-Anne Pagès, dite la Deschamps, âgée
de vingt ans, participa au ballet du Prologue, dans le rôle
d'une Paysanne vendangeuse.
L'oeuvre fut reprise, sans succès, le 21
février 1754, pour contrer un opéra bouffe de
Léo, avec une distribution réunissant : Poirier
(Thespis), Person (Un Satyre), Mlles Cazeau et Dalien (Vendangeuses),
Mlle Du Bois (Thalie), et Cuvillier (Momus) pour le prologue, La Tour
(Platée), Gélin (Cythéron), Person (Jupiter),
Mlle Jacquet (Junon), Poirier (Mercure), Cuvillier (Momus), Mlle Fel
(La Folie), Mlle Du Bois (Clarine). Ballets : Satyres et
Ménades, Paysans vendangeurs ; Nayades, suivantes de
Platée ; Suivans de la Folie d'un caractère gai,
Suivans de la Folie d'un caractère sérieux ; Satyres et
Dryades ; Habitans de la campagne.
Une nouvelle reprise eut lieu en 1759.
Synopsis
Acte I
Un lieu champêtre au pied du mont
Cithéron. En bas, un grand marais entouré de vieux
saules. Cithéron (baryton) résiste mal au vent. Sa
montagne est desséchée, plus rien ne pousse. Mercure
descend des cieux. Pour éteindre le vent, il faut calmer Junon
qui souffle sa jalousie. Cithéron a la solution. Il propose un
stratagème pour guérir la reine des dieux. Dans le
marais voisin, " monument du déluge ", règne
Platée, une " naïade ridicule ". Que Jupiter feigne un
amour fou pour elle, et Junon (soprano) sera guérie, " ils
l'attendront à l'éclaicissement ". Arrive Platée
(contre-ténor). Elle a quitté ses eaux saumâtres
et vient sur la montagne où le " séjour est
agréable ", et où vit Cithéron, qu'elle poursuit
de ses assiduités. Celui-ci la repousse. Platée ne
comprend pas pourquoi " pourquoi ? quoi ? quoi ? ". Elle pleure,
Mercure annonce à Platée la grande nouvelle. Jupiter
l'aime, il va bientôt descendre, il va se déclarer.
Platée, impatiente, se gonfle de bonheur. Elle appelle ses
sujets, grenouilles du marais.
Acte II
Mercure a envoyé Junon sur une fausse piste
à Athènes. Cithéron et lui se cachent pour
observer le succès de leur plan. Jupiter (basse) et Momus
descendent dans un char formé de nuages. Jupiter se transforme
en âne. La grenouille est conquise. Après quoi, il se
transforme en hibou. Platée appelle les oiseaux des bocages,
mais leur charivari fait s'envoler le bel hibou. Platée est
désolée. Elle pleure... quand une pluie de feu
révèle enfin le roi des dieux qui lui fait sa
déclaration. On célèbre la fiancée quand
survient la Folie (soprano) qui a volé la lyre d'Apollon. A
elle toute l'inspiration ! Elle est accompagnée de fous gais
et de fous tristes pour sa démonstration. Platée en
reste coite, elle peut juste répéter : " Bon, bon, bon.
"
Acte III
Junon revient furieuse et bredouille d'Athènes.
Mercure lui conseille la patience. Le cortège nuptial arrive.
Platée est pressée et s'étonne de l'absence
d'Hymen et de l'Amour. On danse un air noble et interminable pour
l'impatienter. Paraît Momus, déguisé
grossièrement en Amour, dont il apporte les présents :
peurs, douleurs, cris, langueurs. " Fi, fi, ce sont là des
malheurs ! " dit Platée. Alors, il lui offre
l'espérance, mais " l'espérance n'est que souffrance "
et ce cadeau ennuie Platée... Cithéron et les habitants
de sa campagne rejoignent la fête. Tous dansent, chantent et
célèbrent les " charmes de Platée ". Mais
Jupiter s'inquiète car Junon ne vient pas. Le roi des dieux
doit conclure... Enfin, Junon arrive en trombe et arrête la
fête en arrachant le voile qui cachait la mariée. En
voyant son erreur, elle éclate de rire. Tous les dieux
remontent alors au séjour du tonnerre tandis que la Folie
reste sur la terre. Accompagnée des humains, elle va
rechercher la pauvre Platée. Ils l'entourent, ils se moquent.
" Taisez-vous, taisez-vous " supplie la grenouille. Elle crie, elle
tempête, elle menace, elle se gonfle... sans succès !
Alors, la laide abandonnée prend sa course et, seule, va se
jeter dans le marais ruminer sa vengeance.
"L'oeuvre : Ecrite pour le mariage, en 1745, du
Dauphin et de l'Infante d'Espagne, Platée fit, lors de sa
création à Versailles, l'effet d'une petite
révolution. Car, outre le fait qu'on y raillait une vieille
nymphe jouée par un homme devant une jeune mariée " peu
gâtée " par la nature, on y voyait pour la
première fois un ouvrage purement burlesque. A la
différence de l'opéra italien, en effet, l'opéra
français n'admettait guère le mélange des
styles, pourtant constitutif du Baroque, et dans la " Tragédie
lyrique ", qui demeurait le modèle des théâtres
musicaux de ce temps, il était parfois permis de sourire, mais
jamais davantage. Platée, donc, joue
délibérément la carte du burlesque. Mais c'est
aussi parce que l'\9Cuvre elle-même est un énorme pastiche
de l'opéra français traditionnel. Tous les poncifs, les
tics, les manies du genre y sont regroupés et il suffit juste
de déplacer un accent ou de les replacer dans un autre
contexte pour en souligner l'aspect comique. Et comme le sujet le
plus courant de l'opéra traditionnel est l'Amour, avec toutes
ses vicissitudes, il est normal que la parodie s'étende
à ce sujet et que Platée présente une image
grotesque et dérisoire du " doux lien ". Sur le plan musical,
Rameau joue de la même ironie et, pour traduire la maladresse
et le ridicule de la pauvre Platée, invente des accords
dissonants et malmène les règles, sacrées au
XVIIIe siècle, de la bonne prosodie. Le baron Grimm et
Jean-Jacques Rousseau furent de fervents admirateurs de l'\9Cuvre.
La création : Platée a
été créé le 31 mars 1745, à La
Grande Ecurie de Versailles, avec Pierre Jelyotte dans le
rôle-titre.
L'oeuvre à l'Opéra de Paris :
Après des années d'oubli et une reprise en 1956 au
Festival d'Aix-en-Provence, l'oeuvre a été
représentée pour la première fois en 1977
à l'Opéra-Comique (Salle Favart), sous la direction de
Michel Plasson, dans une mise en scène d'Henri Ronse, des
décors et des costumes de Béni Montrésor, une
chorégraphie de Pierre Lacotte, avec Michel
Sénéchal dans le rôle-titre. En 1989, l'Atelier
Lyrique de Tourcoing présentait quatre représentations
de l'oeuvre à la Salle Favart, sous la direction de
Jean-Claude Malgoire, dans une mise en scène et une
chorégraphie de François Raffinot et avec Bruce Brewer
dans le rôle-titre. Les Musiciens du Louvre, dirigés par
Marc Minkowski, ont donné deux représentations en
version de concert, à l'Opéra-Comique en 1988 et au
Palais Garnier en 1990. Une nouvelle production mise en scène
par Laurent Pelly (qui signait également les costumes)
était présentée au Palais Garnier en avril 1999
sous la direction musicale de Marc Minkowski, dans des décors
de Chantal Thomas, avec Jean-Paul Fouchécourt et Tracey
Welborn en alternance dans le rôle-titre. C'est cette
production qui est de nouveau à l'affiche."
(Présentation de l'Opéra National
de Paris)
Représentations
:
- Opéra-Comique
- 20 mars 2014 - Ch\9Cur et orchestre des Arts
Florissants - dir. Paul Agnew - mise en scène Robert Carsen
- décors et costumes Gideon Davey - chorégraphie
Nicolas Paul - lumières Robert Carsen et Peter van Praet -
dramaturgie Ian Burton - avec Marcel Beekman (Platée),
Simone Kermes (La Folie), Cyril Auvity (Thespis / Mercure),
Emmanuelle de Negri (Clarine / Amour), Edwin Crossley-Mercer
(Jupiter), Marc Mauillon (Momus (Prologue) / Cithéron),
João Fernandes (Satyre / Momus), Emilie Renard (Junon),
Virginie Thomas (Thalie)
- Sablé, Centre
Culturel - 22 août 2013 - La Grande Ecurie et La
Chambre du Roy - dir. Jean-Claude Malgoire - avec Liliana Faraon,
Paul Agnew, Nicolas Rivenq
- Nüremberg,
Opernhaus - 8, 10, 16 juin, 16, 26 juillet, 12, 16, 27
octobre, 3 novembre 2013 - dir. Hervé Niquet - mise en
scène Mariame Clément - décors, costumes
Julia Hansen - chorégraphie Joshua Monten - chef de choeur
Tarmo Vaask - avec Tilman Lichdi (Platée), Randall Jakobsh
(Jupiter), Christiane Marie Riedl (Junon), Martin Platz (Thespis,
Mercure), Randall Jakobsh / Taehyun Jun (un Satyre),
Sébastien Parotte (Momus, Cythéron), Leah Gordon
(Thalie, la Folie), Franziska Kern (Amour, Clarine) - nouvelle
coproduction avec Opéra National du Rhin, Strasbourg


- Stuttgart,
Opernhaus - 4, 14, 23, 28 juin, 2, 11, 15 juillet 2013
- dir. Christian Curnyn - mise en scène Calixto Bieito -
décors Susanne Gschwender - costumes Anna Eiermann -
lumières Reinhard Traub - chorégraphie Lydia Steier
- chef de choeur Michel Laplenie - dramaturgie Patrick Hahn - avec
Cyril Auvity / Philippe Talbot (Thespis / Mercure), André
Morsch / Christophe Gay (Un Satyre/Cithéron), Shigeo Ishino
(Momus), Rebecca von Lipinski (Thalie), Ana Durlovski / Judith
Gauthier (Amour/La Folie), Thomas Walker (Platée), Andreas
Wolf / Benoît Arnould (Jupiter), Sophie Marilley (Junon),
Yuko Kakuta (Clarine)


"L\92opéra baroque
français, en terre germanique, est une grande rareté.
On avait parlé ici même d\92un magnifique Phaéton
de Lully, Platée a déjà fait quelques
apparitions, et le Theater an der Wien dans la capitale autrichienne
accomplit dans ce domaine une \9Cuvre méritoire, mais pour le
commun du public ce répertoire reste une terre presque
inconnue. Cela n\92empêche pas l\92opéra de Stuttgart, dont
la réputation d\92inventivité n\92est plus à faire,
d\92oser monter Platée avec son propre orchestre, sans pour
autant négliger de recourir à un excellent
spécialiste pour lui donner les nécessaires couleurs
ramistes.
Platée, il est vrai,
est sans doute une des meilleures portes d\92entrée possibles
dans l\92univers ramiste, même si on peut regretter que les
productions de ses grandes tragédies lyriques restent toujours
trop rares \96 y compris en France, d\92ailleurs. Encore faut-il que le
metteur en scène se montre capable de pénétrer
les arcanes de cette comédie à plusieurs niveaux,
où la cruauté se cache toujours là où on
ne l\92attend pas. La mise en scène poétique et tendre de
Laurent Pelly avait largement réussi ce pari, mais il n\92est
jamais mauvais de remettre en jeu ce qu\92on croit savoir sur une
\9Cuvre, et le choix de Calixto Bieito pouvait sembler prometteur. Le
résultat, pourtant, est sans doute ce qu\92on peut imaginer ici
de plus irritant, le metteur en scène ne faisant confiance ni
au livret, ni à la musique de Rameau. Tout n\92est pas perdu,
certes, parce que Bieito est un magicien des arts de la scène
et qu\92on peut admirer des effets de décors et de
lumières parmi les plus beaux qu\92on ait vu ces
dernières années ; mais l\92analyse de l\92\9Cuvre, elle, est
entièrement manquée, à l\92inverse de ce qu\92il
avait su faire dans son récent et admirable War Requiem
bâlois.
L\92idée centrale du
spectacle semble être une réflexion sur
l\92identité sexuelle : certes, l\92héroïne aux
discutables charmes féminins est interprétée par
un homme, mais c\92est si fréquemment le cas à
l\92opéra qu\92on peine à y voir un trait distinctif de la
comédie de Rameau, et l\92accumulation d\92indices ne suffit pas
à renforcer la cohérence du propos. Ces jeux du genre
sont avec des allusions sado-maso un peu trop revues tout ce que
Bieito trouve pour animer une \9Cuvre qu\92il réduit pour le reste
à sa nature de spectacle de cour, surlignant maladroitement
l\92apparente raideur des codes ramistes sans en comprendre les
arrière-plans. La chorégraphie de Lydia Steier, aussi
banale que répétitive, s\92appuie sur les mouvements
heurtés des danses d\92aujourd\92hui, mais elle est
profondément ambiguë dans son esthétique : tout en
semblant railler l\92aspect grégaire et vide de ces
trémoussements, elle les montre avec trop de
générosité pour qu\92on ne la soupçonne pas
de vouloir capitaliser sur leur pouvoir d\92attraction \96
dénoncer et séduire ceux qu\92on dénonce, en
quelque sorte. Comme cela ne suffit pas, Bieito ne se prive pas
d\92ajouter des bruits parasites sur quelques-unes des plus belles
danses de l\92opéra et d\92interrompre d\92interjections diverses
jusqu\92à la scène de la Folie \96 tant d\92efforts pour
conjurer l\92ennui qu\92il sent se dégager de la musique sonnent
comme un aveu d\92impuissance. War Requiem ou De la maison des morts
(Janácek, Bâle) plutôt que Platée : on ne
peut s\92empêcher de remarquer que Bieito semble ne jamais
être plus à l\92aise que là où la narration
n\92est pas le ressort primordial du spectacle.
Ce traitement maladroit est
d\92autant plus regrettable que le spectacle est d\92un niveau musical
très honorable. Le timbre de Thomas Walker, très loin
du haute-contre demandé, surprend au premier abord, mais il ne
donne qu\92à de rares moments l\92impression de lutter avec la
partition, et son français, comme celui de la plus grande
partie de la distribution, est sans tache. La Folie de Judith
Gauthier maîtrise de même sans problèmes sa
virtuose partition, même si
un peu plus d\92audace serait ici bienvenue \96 l\92absence
d\92applaudissements à l\92issue de son grand air en est un indice
certain. Le reste de la distribution n\92appelle que des éloges,
en particulier le duo de comparses formé par Christophe Gay et
Mark Milhofer, mais la grande réussite musicale du spectacle
est largement due au chef Christian Curnyn, qui n\92a rien à
envier en matière stylistique aux spécialistes
français ; plus qu\92un ch\9Cur parfois incertain dans ses
entrées, l\92orchestre de non-spécialistes le suit avec
engagement et précision dans sa soigneuse restitution des
audaces ramistes qui, 250 ans plus tard, sonnent aussi inouïes
qu\92au premier jour."
- Tourcoing,
Théâtre Municipal - 8, 10, 12
février 2013 - Versailles -
Opéra Royal - 17, 19, 22 février 2013 -
dir. Jean-Claude Malgoire - mise en scène François
Raffinot - costumes Sylvie Skinazi - vidéo Julien Delmotte
- chorégraphie François Raffinot - avec Paul Agnew
(Platée), Sabine Devieilhe (L'Amour/La Folie), Cyril Auvity
(Thespis/Mercure), Nicolas Rivenq (Un satyre/Cithéron),
Benoît Arnould (Jupiter), Aurélia Legay
(Thalie/Junon), Maïlys de Villoutreys (Clarine), Vincent
Bouchot (Momus)


"Platée 2013...
Chef-d'oeuvre lyrique du règne de Louis XV, et à vrai
dire d'un genre poétique totalement inclassable, Platée
de Jean-Philippe Rameau (1745) reprend du service dans la mise en
scène et l'univers visuel du chorégraphe
François Raffinot. Le créateur plasticien avait
déjà réalisé une première
production de l'ouvrage avec Jean-Claude Malgoire... en 1988.
Le directeur et fondateur de
l'Atelier Lyrique de Tourcoing parle de "beauté infernale",
soulignant le bouillonnement inventif et volcanique de l'orchestre ;
François Raffinot s'intéresse au profil humain,
pathétique et touchant de Platée comme à la
charge barbare et cynique de l'ouvrage où s'impose la figure
centrale et omniprésente de la Folie. Entre mouvements
incessants des danseurs, superbe incarnation de Paul Agnew dans le
rôle-titre, et fosse d'une irrésistible invention, la
nouvelle production de Platée confirme le génie
inclassable de Rameau...
En 2013, en prélude
à l'année Rameau 2014, la nouvelle production
crée l'événement de ce début
d'année: costumes repensés, vision
régénérée qui trouve un habile
équilibre entre comique, cynisme, tragédie ("
biologique, psychologique, désordre ", précise
François Raffinot dans sa note d'intention). Car la reine des
grenouilles, Platée en son marais bouillonnant, après
s'être pamée jusqu'à l'évanouissement
à l'apparition d'un Jupiter amoureux... coasse de dépit
comme d'impuissance, bouc émissaire et souffre douleur des
dieux de l'Olympe. Le dieu des dieux la blesse outrageusement face
à Junon de plus en plus jalouse. La batracienne qui avait cru
être aimée, retourne à sa mare en un basculement
(et un saut) de dernière minute d'une sincérité
émouvante. Par la magie de sa musique, le génial Rameau
humanise l'héroïne, plus humaine et digne, troublante et
attachante que toutes les divinités conviées sur la
scène."
- Opéra Magazine - avril 2013
C'est peu de dire que
Jean-Claude Malgoire est un familier de Platée. De ce
chef-d'\9Cuvre, qu'il a enregistré et maintes fois
dirigé, il connaît tous les secrets. On ne peut imaginer
direction plus vivante que la sienne, ce qui est atout
précieux dans une partition riche en passages
chorégraphiques.
Le: discours est alerte mais
jamais précipité, les phrasés naturels, les
tempi équilibrés et propres à exalter le jeu
permanent des contrastes auquel se livre un musicien en avance sur
son temps. La modernité de Rameau, pour Malgoire, n'est pas un
vain mot. Le son un rien métallique de La Grande Écurie
et la Chambre du Roy se fond dans l'allégresse
générale, mais la farce est cruelle, et l'on aimerait
parfois un peu plus d'émotion.
Il est vrai que le spectacle
conçu par FrançoisRaffinot joue davantage sur le
sarcasme, la raillerie et l'ironie grinçante que sur la
cocasserie. La dimension comique et satirique, que le metteur en
scène avait exploitée dans sa précédente
producction de 1988, est effacée au profit d'une vision qui
semble bien pessimiste. C'est sans doute pour cela que la couleur a
laissé la place au noir et blanc, agrémenté de
touches de rouge sombre. La scénographie consiste en quelques
rares éléments - squelettes d'animaux et petits
aquariums à l'acte I, par exemple.
Le recours au
théâtre d'ombres de la compagnie du Tilleul, la
vidéo d'Erwan Huon sont autant d'idées
intéressantes qui seraient encore plus convaincantes si elles
étaient utilisées de manière moins fugace. La
chorégraphie, en revanche, est insistante, et son exploitation
des tendances contemporaines habile. Mais s'il peine à faire
évoluer les chanteurs dont certains ont tendance à en
faire trop, et maladroitement, Raffinot ne sait pas non plus les
faire jouer. Et trouver le ton juste, dans sa conception, n'est pas
chose facile : la Folie est. selon lui, la meneuse de l'intrigue ;
elle est pourtant bien timide. Si la fantaisie est présente
ici, c'est avant tout dans les costumes exubérants de Sylvie
Skinazi.
\Malgoire a tablé sur
une distribution haut de gamme. et il a gagné. Tous respectent
le style, la diction, la déclamation : du coup, pas besoin de
surtitrage ! Dans le rôle-titre. Paul Agnew est épatant,
et son chant demeure d'une rare élégance ;
éberlué, pris au piège, blessé, il reste
touchant sans tomber dans le ridicule. Excellent aussi, Cyril Auvity
dont la voix s'élève vers l'aigu avec aisance ; plus
encore qu'en Thespis, il brille en Mercure
virevoltant.
Nicolas Rivenq reprend les
rôles du Satyre et de Cithéron avec brio, mais son
émission semble s'ètre durcie. Benoit Arnould incarne
un digne Jupiter, et Vincent Bouchot un Momus à la palette
vocale limitée et âpre. Maïlys de Villoutreys est
une Clarine sympathique, et Aurélia Legay, Thalie
délurée, est irrésistible en Junon jalouse et
moqueuse.
Sabine Devieilhe - à
laquelle Malgoire donna son premier grand rôle (Amina dans La
sonnambula) - est l'un des plus solides espoirs du chant
français. Délicieux Amour, elle campe une Folie
étincelante, au médium chaleureux et à l'aigu
scintillant ; le reegistrc grave pourra se développer et
l'actrice acquérir de l'assurance, mais d'ores et
déjà il faut compter avec celle qui sera, dans les mois
qui viennent, Lakmé à l'Opéra-Comique et la
Reine de la Nuit à l'Opéra Bastille !
Awc une telle équipe et
un tel chef, Platée peut sortir de son étang la
tête haute."
- Forum Opéra - L'étang
retrouvé ?
"De la Platée
montée en 1988 par François Raffinot avec Jean-Claude
Malgoire, on gardait le vague souvenir d\92un spectacle un peu
foutraque, aux couleurs de bonbon acidulé, très
eighties, où le contre-ténor Bruce Brewer dans le
rôle-titre jouait les Becassine à la plage, dans les
costumes invraisemblables de Sylvie Skinazi. La resucée qu\92en
propose aujourd\92hui l\92Atelier Lyrique de Tourcoing affiche des
ambitions plus sombres : « l\92action peut se comprendre comme la
description de la disparition d\92un monde, comme chez Proust ou Musil.
La décadence est sensible dans Platée, pour peu qu\92on
s\92y intéresse ». De ces déclarations bien
pessimistes du metteur en scène, il est pourtant assez
difficile de trouver une traduction concrète dans le
spectacle, où l\92on part sans grand espoir à la
recherche du sens perdu. Qui sont tous ces personnages ? On ne nous
le dit pas vraiment. L\92action semble commencer dans une sorte de
muséum d\92histoire naturelle, où sont exposés
quelques spécimens qui pourraient permettre d\92évoquer
le « marais profond » qu\92habite la nymphe, mais les objets
en question ne sont pas utilisés. Raffinot choisit de faire de
la Folie le personnage central, « meneuse, sinon de revue, du
moins d\92intrigue », mais il ne suffit pas de la laisser en
scène du début à la fin de l\92opéra pour
rendre cette interprétation vraiment convaincante.
Affublés de tenue écossaises orangées, Jupiter
et Junon sont ridicules, ce qui est censé représenter
« la vulgarité du pouvoir dont nous avons fait les frais
pendant quelques années ». Néanmoins, tout
ça ne fait pas un spectacle cohérent : les choristes en
costume noir et chemise blanche entrent et sortent au gré de
leurs interventions musicales, mais jamais leur présence ne
paraît clairement justifiée.
Heureusement, Paul Agnew n\92en
est plus à sa première Platée (il a tenu le
rôle à l\92Opéra de Paris dans la plupart des
reprises du spectacle donné à l\92Opéra de Paris
dans les années 2000), et il est chez lui dans le personnage
de la vieille nymphe coquette. Point de grenouille ici, mais un
individu ambigu dont l\92appartenance à un sexe plutôt
qu\92à un autre n\92est pas nettement marquée. Il est
regrettable que les apparitions en tant que chanteur de Paul Agnew se
raréfient car vocalement, le ténor britannique reste un
interprète hors-pair, malgré des graves un peu moins
sonores. Les années ont passé de manière plus
sensible pour Nicolas Rivenq, déjà Cithéron (ici
curieusement appelé Kithéron, à la Leconte de
Lisle) en 1988 ; le rôle est bref et ne lui permet pas de
s\92imposer vraiment. La mise en scène dessert également
Vincent Bouchot, moins à l\92aise dans la tessiture du prologue
(dans son enregistrement, Jean-Claude Malgoire avait jadis fait appel
à deux Momus différent, un baryton et un ténor),
et ce Momus-là ne marque guère les esprits.
Benoît Arnould propose un Jupiter assez transparent, dont la
divinité nous échappe complètement. Parmi les
messieurs, le seul, avec Paul Agnew, à vraiment camper un
personnage, c\92est Cyril Auvity, qui chante comme en se jouant les
deux rôles qui lui sont confiés : virevoltant Mercure
(de tous les chanteurs, il est le seul à escalader la barre de
pompier placée au centre de la scène, par où une
artiste de cirque mime les descentes des dieux), il est aussi celui
auquel les tenues conçues par Sylvie Skinazi pour cette
reprise vont le mieux.
Chez les dames, Maïlys de
Villoutreys, presque toujours en scène, a trop peu à
chanter en Clarine pour qu\92on puisse vraiment juger de ses talents
vocaux. Aurélia Legay offre une Junon truculente à
souhait, mais sa diction pourrait parfois être plus nette,
notamment en Thalie. En Folie, Sabine Devieilhe confirme toutes les
immenses qualités soulignées dans ses
précédentes incarnations, et étonne par ses
descentes dans le grave ; on aimerait la réentendre dans une
autre production, car même si elle lui impose une
présence constante, la mise en scène ne l\92aide en fait
pas tellement (le gag de la robe qui se déplace toute seule
est un peu trop exploité pendant son grand air « Aux
langueurs d\92Apollon »).
Quant à l\92orchestre, on
connaît la façon dont Jean-Claude Malgoire aborde ce
répertoire, dont il fut l\92un des premiers grands
défenseurs en France. Approche modérée, qui
exclut les nuances extrêmes, et qui paraît de ce fait un
peu tiède, voire un peu lourde dans certains passages que l\92on
a pris l\92habitude d\92entendre interprétés de
manière beaucoup plus enlevée. Cela permet aux
musiciens de mieux souligner certains détails d\92orchestration,
certes, mais le chef néglige curieusement quelques effets que
la partition semble pourtant appeler, comme les braiments de
l\92âne au deuxième acte. L\92excellent Ensemble vocal de
l\92Atelier lyrique de Tourcoing n\92est guère plus
autorisé à se montrer comique. Il semble
décidément qu\92on ait pris le parti de ne surtout pas
nous amuser avec cette Platée. « Rameau sans ride »,
s\92intitule le texte du chef dans le programme ; peut-être, mais
Rameau sans rire, aussi, et c\92est bien dommage."
- Stuttgart,
Opernhaus - 1er, 4, 6, 9, 13 juillet 2012 - dir.
Christian Curnyn - mise en scène Calixto Bieito, Lydia
Steier - décors Susanne Gschwender - costumes Anna Eiermann
- lumières Reinhard Traub - chorégraphie Lydia
Steier - chef de choeur Michel Laplenie - dramaturgie Patrick Hahn
- avec Cyril Auvity (Thespis/Mercure), André Morsch (Un
Satyre/Cithéron), Shigeo Ishino (Momus), Rebecca von
Lipinski (Thalie), Ana Durlovski (Amour/La Folie), Thomas Walker
(Platée), Andreas Wolf (Jupiter), Sophie Marilley (Junon),
Yuko Kakuta (Clarine) - nouvelle production



- Festival International de
l'Abbaye de Sylvanès - juillet 2012
- Cité de la Musique
- Paris - 21 février 2012 - Les Talens Lyriques
- dir. Christophe Rousset
- Enschede - Hengelo,
Rabotheater - 12 novembre 2011 - Groningen, Stadsschouwburg - 15
novembre 2011 - Utrecht, Stadsschouwburg
- 17 novembre 2011 - Nijmegen,
Stadsschouwburg - 19 novembre 2011 - Zwolle, Theater De Spiegel - 25
novembre 2011 - Amsterdam,
Stadsschouwburg - 29 novembre 2011 - Den Haag, Lucent Danstheater - 1er
décembre 2011 - Heerlen, Parkstad
Limburg Theaters - 3 décembre 2011 - Apeldoorn, Schouwburg Orpheus - 8
décembre 2011 - Leeuwarden, De
Harmonie - 11 décembre 2011 - Rotterdam, Schouwburg - 13
décembre 2011 - Breda,
Chassé Theater - 15 décembre 2011 -
Nationale Reisopera - Combattimento Consort Amsterdam - Koor van
de Nationale Reisopera - dir. Jan Willem de Vriend - mise en
scène Mirjam Koen, Gerrit Timmers - décors Gerrit
Timmers - costumes Carly Everaert - lumières Uri Rapaport -
chorégraphie Ton Lutgerink - avec Harry Nicoll
(Platée), Vincent Lesage (Thespis/Mercure), Claron McFadden
(La Folie/Thalie), Eugénie Warnier (L'Amour/Clarine),
,Frans Fiselier (Cithéron/Momus), Ashley Catling (Momus),
Philippe Kahn (Jupiter/Un Satyre), Machteld Baumans (Junon)

- Amsterdam -
Stadsschouwburg - Der Nederlandse Opera - 4, 6, 8, 10,
11, 13, 14 avril 2011 - Akademie für Alte Musik Berlin - dir.
René Jacobs - mis en scène Nigel Lowery / Amir
Hosseinpour - décors et costumes Nigel Lowery -
lumières Lothar Baumgarte - chorégraphie Amir
Hosseinpour - avec Colin Lee (Platée), Inga Kalna (La
Folie/Thalie), Anders J. Dahlin (Thespis/Mercure), Marcos Fink
(Jupiter), Anna Grevelius (Junon), Martijn Cornet
(Cithéron/Un Satyre), Johannette Zomer (L\92Amour/Clarine),
Maarten Koningsberger (Momus)



"Loin des querelles de
chapelle, c\92est à Amsterdam que René Jacobs s\92essaie
à Rameau, avec son chef-d\92\9Cuvre d\92un genre d\92autant plus
nouveau qu\92il est demeuré unique, le ballet bouffon
Platée. À la revue burlesque réglée par
Nigel Lowery et Amir Hosseinpour répond la fantaisie
rigoureuse d\92un plateau vocal surprenant et d\92un orchestre
menés tambour battant jusqu\92à la folie.
René Jacobs avait une
revanche à prendre sur l\92opéra français. Le
Roland présenté en clôture du cycle Lully du
Théâtre des Champs-Élysées demeure en
effet la seule ombre au tableau d\92une carrière d\92une
cohérence exemplaire, tant par ses choix que ses
réalisations. Quelle \9Cuvre mieux que Platée pouvait
dès lors célébrer son retour à un
répertoire qu\92il n\92avait plus fréquenté depuis
près de vingt ans ?
Car avec son ballet bouffon,
Rameau prend entre deux querelles \96 celle qui opposa Lullystes et
Ramistes, puis celle des Bouffons, justement \96 le parti d\92en rire.
Aucune des conventions de la tragédie lyrique n\92échappe
à son sens affuté de la parodie, de
l\92autodérision même, à commencer par le
rôle-titre, confiée à une haute-contre en
travesti \96 et pas n\92importe laquelle, puisque Jélyotte incarna
tour à tour Dardanus, Hippolyte, Zoroastre et Castor sur la
scène de l\92Académie royale de musique. Et à ceux
qui lui reprochaient ses penchants italianisants, le Dijonnais
répond en renvoyant dos à dos les vocalises de la
Folie, égrenées sur les voyelles proscrites par les
traités de chant, et sa déclamation non moins
boursouflée.
À travers cet esprit si
délectablement français, illustré avec plus ou
moins de subtilité par Marc Minkowski et Christophe Rousset,
René Jacobs se fraie un chemin éminemment personnel,
exaltant le triomphe de la symphonie et le « chef-d\92\9Cuvre de
l\92harmonie ». Et puisque Rameau pousse ses théories
jusqu\92à l\92absurde dans la scène de la Folie, le chef
belge s\92approprie cette loufoquerie. Avec quelle rigueur pourtant,
quel soin et quelle invention dans la peinture sonore, le coassement
même.
L\92Akademie für Alte Musik
Berlin se grise des timbres et des rythmes, de leurs ruptures fondues
enchaînées sans le moindre répit, s\92appropriant
un langage saillant sans se départir de sa rondeur. Et le
continuo se réinvente sans cesse, avec cette fantaisie, ce
sens du rebond dont Jacobs irrigue les récitatifs d\92opera
seria. Un Rameau exotique, ou simplement relevé des saveurs
des goûts réunis ?
La distribution vocale
n\92était a priori pas plus idiomatique, avec ses chanteurs peu
rompus au style français, à l\92exception du Thespis et
du Mercure agile, assumé jusqu\92au maniérisme d\92Anders
Dahlin. Pas un mot n\92échappe toutefois \96 y compris du ch\9Cur \96,
si le sens n\92est pas constamment prégnant. Et un
Cithéron jeune et clair \96 Martijn Cornet \96, un Jupiter barbon
\96 le fidèle Marcos Fink \96, une Junon éclatante, de voix
et de jalousie \96 Anna Grevelius \96, et une Clarine gorgée
d\92ornements \96 Johannette Zomer \96 forment en somme un ensemble plus
que réjouissant.
Pour la Folie, René
Jacobs a voulu une furie d\92opera seria, son Armida de Rinaldo, qui
fut aussi la Junon de sa dernière Calisto, et une
envoûtante Alcina : Inga Kalna. Timbre tranchant et
corsé à la fois, piqués étourdissants de
légèreté surgis d\92une pâte plantureuse,
ses langueurs d\92Apollon sont d\92une virtuosité ahurissante
autant qu\92incisive, union paradoxale et inquiétante des
esthétiques française et italienne.
Platée, enfin, est un
ténor rossinien. Verbe limpide, instrument glorieux, Colin Lee
se joue de la tessiture de haute-contre comme des pièges d\92une
partie ardue, un peu au détriment du caractère d\92abord.
Sans grimaces ni minauderies, le personnage prend cependant
consistance, d\92une féminité pataude qui conquiert la
sympathie. Et d\92un courroux enfin héroïque, mieux,
tragique.
Désertant son marais
profond, la naïade ridicule règne, concierge et dame
pipi, sur une H.L.M. et des vespasiennes, mais aspire au confort
moderne d\92un pavillon individuel. En substance \96 et par une
transposition assez similaire, entre années 1950 et 1970 \96,
Nigel Lowery et Amir Hosseinpour racontent la même histoire que
Mariame Clément à l\92Opéra du Rhin, celle de
« la fille qui pète plus haut que son cul et qui est bien
châtiée à la fin. » Mais là où
la Française, conservant à la nymphe ses atours
batraciens, ne s\92écartait jamais de la voie de la raison \96 et
de La Fontaine \96, les deux complices livrent Platée à
la Folie \96 sous ses habit de noces, une Ophélie, une Lucia,
d\92emblée détraquée, burlesque.
Il arrive certes que les gags,
d\92un humour sans doute plus anglo et surtout saxon que
français, se laissent distancer par les facéties
musicales, mais le coq-à-l\92âne \96 ou plutôt
l\92âne au hibou, s\92agissant des métamorphoses de Jupiter
\96 cultivé par Lowery et Hosseinpour fait assez
systématiquement mouche, ordonnant, par delà une
chorégraphie désinvolte, la plus improbable des revues
: des danseuses de music-hall \96 tour à tour féminines
et masculines \96, le susdit âne en chair et en os, des Inuits
squatteurs \96 ce sont eux, les Aquilons trop audacieux \96, des scouts,
l\92Embarquement pour Cythère de Watteau, et même
Wotan\85
Mais c\92est à
René Jacobs qu\92il revient de « finir par un coup de
génie » : plutôt que de se conformer à
l\92usage de terminer par les trois accords qui abandonnaient
Platée à son ire dans la version de 1745, il respecte,
après un silence accablant, la reprise du ch\9Cur Chantons
Platée, égayons-nous, mais entonné a cappella,
dans un murmure sardonique par la Folie. La cruauté du
châtiment n\92en est que plus insoutenable."
- Diapason - juin 2011 - Des hommes sans
les dieux
"Le chef René Jacobs
exalte Platée, premier ouvrage de Rameau qu'il aborde en
version scénique. Pour cette production de Platée, les
premières images du tandem Nigel Lowery-Amir Hosseinpour
situent l'action entre un HLM et des sanitaires (lavabos,
pissotières). Une mise en scène qu'on placerait, pour
le dire vite, entre Christoph Marthaler et Krzysztof Warlikowski. La
nymphe batracienne serait-elle devenue un objet théâtral
si commun qu'on peut la noyer dans un certain conformisme moderne? On
se le demande durant le Prologue, avant que cette Dame pipi
présente sur scène depuis le début nous
éclabousse par l'évidence de sa Platée.
Oublions les ballets, ici peu
inventifs et moyennnement interprétés. Mais pour le
bouffe, nous sommes servis. La farce est copieuse, à hauteur
d'hommes plus que des dieux, et alors? Les gags sont gros quoique
millimétrés (l'âne apparaissant sur le
canapé derrière la baie vitrée,
l'èvêque commmuniquant avec les puissances d'En-Haut
avant de célébrer l'hymen), les personnages
dessinés avec précision et entrain. Superbe Mercure,
façon coursier de chez UPS, campé par Anders J..
Dahlin, agile de phrasé et exquis de langue. Moins rayonnant,
Marcos Fink fait pourtant un Jupiter idéalement matois, genre
Aristote Onassis régnant sur un pavillon suburbain de nouveau
riche. Et sa Junon est une assez drôle mégère des
beaux quartiers ; dommage qu'elle ait le ton trop pointu d'Anna
Grevelius. Passons sur Inga Kalna, dont la Folie scéniquement
investie nous contaminerait davantage avec un français plus
intelligible, pour s'atttarder sur la star du plateau : la
Platée impayable de Colin Lee, ardente flamme, chant sans
apprêt, diction superlative. La lucidité finale d'une
nymphe si humaine nous bouleverse.
Ce moment fort de
théâtre en musique doit beaucoup à René
Jacobs, dirigeant au sein de sa chère Akademie fur Alte Musik
Berlin des cordes homogènes et enlevées, des bois aussi
exacts que colorés et un percussionniste inspiré hors
de la fosse, dans son alcôve. Le tout avec un naturel et un
sens des climats excellent. Après sa parodie, la
tragédie ramiste lui tend les bras."
- Opéra Magazine - juin 2011
"C'est au Stadsschouwburg, et
non au Het Muziektheater - jugé, à juste titre, trop
vaste pour la musique de Rameau -, que l'Opéra d'Amsterdam a
levé le voile sur sa nouvelle production de Platée. Ce
choix est bien le seul dont on puisse saluer la pertinence, à
l'issue d'une représentation qui restera l'une des plus
consternantes à laquelle il nous ait été
donné d'assister.
Le rideau s'ouvre sur l'une de
ces cours d'immmeuble sinistres, typiques de certaines banlieues. Des
climatiseurs se détachent des murs jaune sale du
bâtiment principal, deux urinoirs complétant le
dispositif, de chaque côté de la scène. Est-il
besoin de raconter la suite ? Ces urinoirs sont bien
évidemment le royaume de la nymphe Platée, qui s'y
ébat avec le concours de Clarine, transformée en «
dame pipi ». Jupiter, quant à lui, habite une maison
indépendante plutôt chic. Même si l'on trouve le
contexte visuel plutôt rebutant, on se dit que le décor
est planté pour une relecture intéressante de cette
comédie douce-amère, imaginée par Rameau et son
librettiste, Le Valois d'Orville. Sauf que Nigel Lowery et Amir
Hosseinpour ne l'entendent pas de cette oreille ! Le premier commet
l'erreur de rendre Platée tellement repoussante qu'elle ne
suscite jamais l'empathie avec le spectateur (son costume et ses
gestes la transforment en sosie du célèbre travesti
belge Fabiola, qui arpente tristement les rues d'Amsterdam depuis de
nombreuses années) ... Quant au second, ses
chorégraaphies stupides et répétitives, visant
régulièrement en dessous de la ceinture,
évoquent davantage un show de Benny Hill qu'une
représentation d'opéra baroque. À chaque gag, on
se dit qu'il sera impossible de faire pire ensuite ... et pourtant si
!
La distribution réserve
heureusement quelques instants de bonheur, notamment quand Johannette
Zomer entre en scène. La soprano néerlandaise chante
merveilleusement ses deux rôles, à l'instar d'Inga
Kalna, de Martijn Cornet et d'Anders J. Dahlin. Les autres ne
flattent guère l'oreille, en particulier Colin Lee, excellent
ténor belcantiste égaré dans un emploi de
haute-contre à la française. René Jacobs,
lui-même, dont les mérites ne sont plus à vanter
dans le répertoire baroque, paraît mal à l'aise
dans l'univers de Rameau.
Copieusement sifflée le
soir de la première, cette production a été
applaudie le jour où nous y avons assisté.
Précisons, tout de même, qu'un certain nombre de
spectateurs avaient quitté la salle à l'entracte..."
- Düsseldorf - Deutsche
Oper am Rhein - 28, 30 janvier, 1er, 3, 6, 10, 12
février 2011 - Neue Düsseldorfer Hofmusik - dir.
Konrad Junghänel - mise en scène Karoline Gruber -
décors Roy Spahn - costumes Mechthild Seipel -
lumières Volker Weinhart - chorégraphie Beate
Vollack - chef de choeur Gerhard Michalski - dramaturgie Hella
Bartnig - avec Thomas Michael Allen (Thespis, Mercure), Daniel
Djambazian (Satyre), Laimonas Pautienius (Momus), Alma Sadé
(Thalie), Iryna Vakula (Amour), Anders J Dahlin (Platée),
Timo Riihonen (Cithéron), Sami Luttinen (Jupiter), Marta
Marquez (Junon), Sylvia Hamvasi (La Folie), Julia Elena Surdu
(Clarine) - nouvelle production


- Opéra Magazine - mars 2011
"Platée n'est pas une
rareté en Allemagne; l'on y compte au moins cinq productions
ces dernières années, mais sur des scènes
secondaires (Augsbourg, Darmstadt, Kiel). Dans le cadre d'un cycle
Rameau, inauguré par Les Paladins en janvier 2010 (un CD de
bon aloi en témoigne, chez Coviello Classics), le Deutsche
Oper am Rhein a beaucoup investi dans cette nouvelle entreprise, avec
une équipe motivée et déjà bien
expérimentée sur ce terrain. L'Autrichienne Karoline
Gruber, qui s'est signalée notamment par un Dardanus à
Bonn (2004), a adopté un parti de modernisation, qu'on mettra
en parallèle avec les versions de Laurent Pelly pour
l'Opéra de Paris et de Mariame Clément pour
l'Opéra du Rhin. Très élaboré dans sa
conception et fondé sur une analyse poussée du livret,
comme du contexte de l'\9Cuvre, il s'en distingue pourtant par des
choix tout aussi perrsonnels, et qu'on peut à certains
égards préférer.
Le Prologue donne le ton, qui
situe l'action dans le contexte d'une fête promotionnelle pour
une firme lançant le « Jupiter », mélange de
champagne et de vodka! « Jupiter fait de vous une déesse
», proclame une immense affiche : cela permet, dans cette party
fort drôlement traitée, avec un Thespis
éméché dans le rôle de l'animateur, de
récupérer les références à
Bacchus, mais aussi d'introduire Platée. La nymphe
apparaît d'abord dans une brève scène muette, au
milieu d'un cortège de miséreux errant dans la cour
d'un palais classicisant, auquel succède une autre
architecture de même style, avec peintures du Grand
Siècle, gardant ainsi un lien constant entre passé et
présent, le tout dans les éclairages raffinés de
Volker Weinhart. À la fin du Prologue, l'orage bouleverse
tout. Platée réapparaît à travers
l'affiche crevée, à l'emplacement exact de la star
aguicheuse qui y figurait : c'est fait, elle peut se prendre pour une
beauté. La suite développe en ce sens avec une
inventivité soutenue, que marque notamment l'irruption d'une
monumentale chaussure de satin rose dans la brisure du décor :
celle que Junon a abandonnée sur terre dans sa colère
jalouse... Ainsi, les thèmes lancés se retrouvent et se
recoupent au fil de l'\9Cuvre, jusqu'au suicide final de Platée,
dans l'espace redevenu désert du début.
Pas de grenouilles donc, et on
peut le regretter pour la scène des « Quoi ? Quoi
?», qui ne fait que partiellement son effet. Et pas de franche
bouffonnerie non plus, malgré la drôlerie de nombreux
épisodes. Domine un climat d'ensemble doux-amer, où le
portrait de Platée, plus attendrissante que pitoyable et
ridicule, mais sans verser dans le mélodrame non plus, est
tracé avec une particulière finesse. La
chorégraphie moderne de Beate Vollack, bien
intégrée à l'action, complète
heureusement.
Soutenu par une direction
d'acteurs poussée, le plaateau entre admirablement dans ce
jeu. Et, au premier chef, Anders J. Dahlin dans le rôle-titre.
Une mince et pâle figure de travesti dans sa pauvre robe de
deux sous, dont la voix a une portée limitée, mais qui
maîtrise remarquablement le style et les composantes d'un
personnage qu'on pourrait trouver ailleurs un peu trop
affecté, en situation ici. Sami Luttinen est un Jupiter
éclatant et brillant en scène, y compris dans ses
incursions dans la salle à la poursuite d'une nymphe se
réfugiant un temps au balcon!
Thomas Michael Allen,
inénarrable en Thespis, incarne ensuite un virevoltant et
duplice Mercure de classe. Marta Marquez est une Junon
impétueuse, Sylvia Hamvasi triomphe sans peine des coloratures
de la Folie, et Thalie, l'Amour et Clarine offrent des voix
charmantes. Un peu en retrait, en revanche, le Momus de Laimonas
Pautienius et le Cithéron de Timo Riihonen, comme lui de
médiocre prononciaation (car tous les autres ont un
français de qualité), malgré la beauté du
grave. Cerise sur le gâteau, ou plutôt corps même
du gâteau, la direction de Konrad Junghanel."
"Platée, qui suscita en
son temps autant de louanges que de critiques, occupe une place
à part dans l\92\9Cuvre de Rameau. L\92excellent livret, jugé
par certains vulgaire et provocant, met en scène une cour de
grenouilles dans un marécage et leur Reine, Platée, qui
se flatte d\92obtenir bientôt les faveurs de Jupiter, au grand
dam de Junon. Il paraît étrange, à
première vue, que Rameau ait choisi un tel sujet pour
célébrer les noces du Dauphin Louis, alors
âgé de 15 ans, et de Marie-Thérèse
d\92Espagne, de trois ans son aînée. A y regarder de plus
près, le propos est didactique : l\92aventure de Jupiter avec
Platée est une satire des infidélités
répétées de Louis XV, qui néglige ses
devoirs de Roi en pleine guerre de succession d\92Autriche, et qui
constitue donc un très mauvais exemple pour le Dauphin, les
rapports harmonieux d\92un couple royal, surtout dans des temps aussi
troublés, contribuant à une bonne gouvernance et
attirant sur lui la faveur populaire.
La lecture contemporaine de
Karoline Gruber, assez proche de celle de Mariame Clément
à l\92Opéra du Rhin, transpose l\92action dans notre
société de consommation où la publicité
fausse le jugement de nos contemporains, leur faisant croire que tout
est possible. Ce qui différencie les deux lectures, c\92est la
conception du rôle-titre. La naïade vue par Karoline
Gruber, privée de ses attributs batraciens, est maladivement
sensible et donc plus vulnérable que la solide Platée
vue par Mariame Clément.
L\92univers visuel
proposé par Roy Spahn et Mechthild Seipel, très
inventif et humoristique, est empreint de merveilleux. Aux actes I et
III, il a pour cadre la cour d\92un château à
l\92architecture classique mâtinée de gothique, totalement
irréaliste. Le deuxième acte situe l\92action à
mi-chemin entre la Terre et l\92Olympe, on n\92aperçoit plus que
les étages élevés et les festons flamboyants qui
couronnent le château. Grâce à de nombreux
indices, on navigue d\92un siècle à l\92autre. Tout est
volontairement décalé sur le plateau, magiquement
éclairé par Volker Weinhart : costumes, accessoires et
personnages. L\92excellente chorégraphie de Beate Vollack, qui
mêle le plus souvent chanteurs et danseurs, et la direction
d\92acteurs raffinée de Karoline Gruber métamorphosent
les invités du prologue tour à tour en Suivantes de
Platée, Satires, Ménades, Dryades, Naïades,
Grâces, Paysans, Suivants de la Folie, sans qu\92ils changent de
costume. Les pas de deux entre le double de Jupiter, au torse d\92or,
et la star glamour en robe rouge de l\92affiche, semblent
matérialiser les rêves érotiques de
Platée, privée de vie sexuelle, qui reçoit
à son tour une robe rouge et conçoit l\92espérance
d\92être enfin comblée.
Le timbre très clair
d\92Anders J. Dahlin souffre d'une émission limitée mais
l\92artiste domine sa partie avec un beau style et une grande
maîtrise. Il exprime, par un jeu d\92acteur très
diversifié, toutes les facettes d\92un personnage richement
caractérisé par la partition. Sa Platée n\92est
pas une laideur. Maigre comme un clou, mal vêtue, elle fait
preuve d\92une maladresse, d\92une emphase et d\92une certaine brusquerie
qui traduisent son mal-être et nous la rendent sympathique.
Elle n\92est pas réellement vaniteuse, elle prend simplement ses
désirs pour des réalités. Pas de bouffonnerie
à proprement parler. Pittoresque et imprévisible, elle
est cocasse et nous attendrit par son absolue naïveté.
Jusqu\92au point de rupture, à l\92acte III, quand sans
défense, torturée par les moqueries et les quolibets de
la foule impitoyable, détruite, elle prend enfin conscience de
la cruelle vérité. Son suicide apparaît alors
comme une délivrance et suscite une grande émotion.
Un autre personnage joue un
rôle fondamental dans cette partition : la Folie, qui tient son
nom d\92une danse médiévale portugaise devenue figure
allégorique au XVIII° siècle. Mechthild Seipel
s\92est inspirée, pour son costume, d\92un portrait de Louis XV en
Apollon qui met en évidence la satire implicite. Sylvia
Harnvasi incarne avec brio et fraîcheur ce personnage
extravagant, libertin, qui prône la joie de vivre. Elle se joue
des vocalises, enchaîne bravement les modulations les plus
hardies, mais sa voix éclatante est parfois un peu dure, il
lui manque de la rondeur et de la magnifique articulation de Mireille
Delunsch sous la baguette de Minkowski. La Junon de Marta
Márquez au mezzo cuivré, chaleureux, dont les
apparitions sont pourtant limitées, laisse un souvenir
marquant, tout comme la Clarine de Iulia Elena Surdu, au soprano
lumineux et transparent.
Le Jupiter de Sami Luttinen,
au timbre radieux, est tout à fait convainquant. Qu\92il se
rase, pomponne et parfume à sa fenêtre avant de
rejoindre Platée, qu\92il poursuive une nymphe à travers
la salle en faisant lever des rangées de spectateurs, ou qu\92il
accueille Junon avec un franc éclat de rire, il ravit le
public. De même, le Mercure de Thomas Michael Allen,
véritable vif argent, tant pour sa voix que pour son jeu
scénique. Le magnifique grave du Finnois Timo Riihonen en
Satire et en Citheron évoque celui de Matti Salminen à
ses débuts. Le Momus de Laimonas Pautienus est efficace, la
voix manque un peu d\92éclat.
Le ch\9Cur de la Deutsche Oper
am Rhein, que nous avions tant apprécié dans
Zauberflöte et La Clemenza di Tito, ne démérite
pas dans cette nouvelle production.
Reste le couronnement :
l\92interprétation inspirée du chef Konrad Junghänel
a rendu hommage à la partition de Rameau, démontrant
avec brio la thèse du compositeur selon laquelle l\92orchestre
ne se borne pas à accompagner les voix mais joue un rôle
fondateur, la mélodie résultant, elle, de la structure
harmonique. Il soutient parfaitement les chanteurs et anime de
l\92intérieur la Neue Düsseldorfer Hofmusik qui joue sur
des instruments anciens, lui insufflant rythme, phrasés et une
grande subtilité de nuances. Amateurs de Rameau, le voyage
à Düsseldorf s\92impose ! "
- Toulouse - Nouveau
Théâtre Jules Julien - 1er octobre 2010 -
Ch\9Cur et orchestre À Bout de souffle - dir. Stéphane
Delincak - mise en scène Patrick Abéjean - costumes
Sohüta - lumières Amandine Gérome - avec Paul
Crémazy (Platée), Aurélie Fargues (Thalie /
La Folie), Emmanuel Gardeil (un satyre / Jupiter), Pierre-Emmanuel
Roubet (Thespis / Mercure), Omar Hasan (Momus), Cécile
Laroche (Amour / Clarine), Jean-Manuel Candenot (Cithéron),
Stéphanie Barreau (Junon)

- Opéra de
Strasbourg - 12, 14, 16, 18, 20, 22 mars 2010 -
Mulhouse - La Sinne - 26, 30
mars 2010 - Bruxelles - La
Monnaie - 1er avril (en version de concert) - Les
Talens Lyriques - dir. Christophe Rousset - mise en scène
Mariame Clément - décors, costumes Julia Hansen -
lumières Reinhard Traub - chorégraphie Joshua Monten
- dramaturgie Clément Hervieu-Léger - avec
Salomé Haller (Thalie, la Folie), Cyril Auvity (Thespis,
Mercure), Evgueniy Alexiev (Momus), Céline Scheen
(L'Amour), Emiliano Gonzalez-Toro (Platée), François
Lis (Jupiter), Judith van Wanroij (Junon), Evgueniy Alexiev
(Cithéron), Christophe Gay (Satyre) - nouvelle
production


"Faire parler les animaux. Du
moins faire chanter un animal, c\92est ce à quoi consentit
Rameau charmé par le meilleur livret qu\92il ait jamais eu sous
les yeux, celui qu\92André-Joseph Le Valois d\92Orville
déduisit de Pausanias. Car si Platée est une nymphe,
elle est d\92abord une grenouille, et son drame vient justement de ce
qu\92elle se sait Nymphe et ne se voit jamais grenouille.
Que pensèrent le
Dauphin et l\92Infante d\92Espagne, devant lesquels on représenta
Platée à l\92occasion de leurs Noces au Grand
Manège de Versailles le 31 mars 1745 ? On sait que l\92Infante
était dotée d\92un visage peu gracieux, pour tout dire
batracien justement. Comment ce Ballet bouffon a pu finir dans une
noce royale ? On n\92y a vu en tout cas que du feu.
Rameau oublié,
malgré les efforts de D\92Indy et de Saint-Saëns, c\92est par
Platée que le dijonnais retrouvera le chemin des
théâtres : en Allemagne d\92 abord (en 1901 à
Munich très remise à la sauce du jour) puis à
Monte Carlo (1917), enfin, reprise signifiante qui s\92inscrira dans le
retour d\92autres \9Cuvres lyriques (Les Indes galantes dans les
embellissements de Busser, avaient précédées de
peu : 1952 !), à Aix-en-Provence en 1956, grâce à
une habile réalisation de Renée Viollier. Michel
Sénéchal y chantait la nymphe, retrouvant par le
fausset les artifices de Jélyotte, inventant autant que
ressuscitant un personnage proche du délire.
Depuis, Marc Minkowski s\92est
fait le champion de la partition, et c\92est donc avec une
curiosité aiguisée que l\92on ira découvrir
à Strasbourg la conception de Christophe Rousset et de ses
Talents Lyriques, supportée par la régie de Mariame
Clément. Ce challenger promet beaucoup et d\92abord par sa
distribution : l\92incisif Emiliano Gonzalez-Toro dans le rôle
titre, Cyril Auvity en Mercure, François Lis en Jupiter, et
vrai luxe, Judith van Wanroij en Junon furibarde. En Folie
Salomé Haller aura fort à faire pour égaler et
Jennifer Smith et Mireille Delunsch !"
"Difficile de monter une
nouvelle Platée après la célèbre
production de Marc Minkowski/Laurent Pelly, reprise un peu partout en
France puis enregistrée : elle a marqué les esprits. La
gageure est pourtant largement réussie par Christophe Rousset
et Marianne Clément avec un spectacle enthousiasmant,
jubilatoire, euphorisant et musicalement superbe.
Christophe Rousset s\92affirme
ici comme un « ramélien » émérite, le
discours est parfaitement et rondement mené : cela vit, cela
trémousse, cela s\92agite en parfaite concordance avec l\92action,
les situations et la folle mise en scène de Marianne
Clément. Les tempi sont ainsi généralement vifs
et il n\92y a pas de temps morts dans cette direction. Le tout est
cependant fait sans excès et permet à l\92écriture
orchestrale si novatrice de Rameau d\92être joliment mise en
valeur. L\92orchestre des Talens Lyriques suit à la perfection
son chef et montre une belle sonorité d\92ensemble. La fusion
fosse plateau est en outre excellente, ce qui n\92est pas un mince
exploit dans une partition qui ne manque pas de difficultés
à ce niveau.
Folle, la mise en scène
de Marianne Clément l\92est assurément. La
première surprise vient de la transposition de l\92action durant
les Trente Glorieuses, soit une période où le
matérialisme, la vie de famille dans un pavillon
équipé des dernières nouveautés de
l\92électroménager (dont la télévision mais
aussi la sacro-sainte voiture), constituent un idéal de vie.
C\92est justement à cet idéal que rêve
Platée : transformée en une sorte de têtard
(Marianne Clément rappelle qu\92il n\92est en effet nulle part
spécifié que Platée soit une grenouille), elle
est repoussante à souhait, mais aussi coquette... et ridicule
(son tailleur rose dont elle se vêt pour les actes II et III
traduit ainsi parfaitement tous ces aspects).
Jupiter et Junon
possèdent, eux, tout ce dont rêve Platée... sauf
la paix du ménage. Tout le Prologue évoque cette
dispute au cours d\92une soirée dans le pavillon des
époux. Les crises de rire qui nous ont saisi empêchaient
presque de goûter la musique : les jeux de scène d\92une
Junon sauvant les apparences et surveillant si tout se passe bien
sont absolument hilarants (et réalisés à la
perfection par Judith Van Wanroij). L\92action se déroulera
ensuite dans un aquarium (celui-là même qui ornait le
salon de Jupiter et Junon et dans lequel se trouve Platée)
puis à l\92extérieur du pavillon, avec stores
colorés et porte basculante du garage laissant
apparaître la fameuse voiture, ou encore dans un bar aux
banquettes blanches et rouges et aux serveuses en patin à
roulettes (on se croirait dans la série Happy Days !).
Mais tout cela ne serait qu\92un
catalogue de belles et drôles images s\92il n\92y avait une
direction d\92acteurs absolument prodigieuse et des
chorégraphies (de Joshua Monten, remarquablement
réalisées par le Ballet de l\92Opéra) d\92une
incroyable inventivité qui visent à moquer ce fameux
idéal dont rêve Platée. A ce titre, l\92apparition
de la Folie en icône de la réclame (et ce, dans une
télévision géante qui aura vu défiler
auparavant des extraits de Autant en emporte le vent, d\92un western...
et de la météo !) vantant les mérites d\92une
lessive, de produits nettoyants ou encore, des tupperware, est
là encore, d\92une drôlerie mais aussi d\92une pertinence
étonnante : la Folie ne se vante-t-elle pas de tout
métamorphoser, de transformer un air triste en un air gai, et
inversement, « en d\92autres termes, qu\92elle peut vendre n\92importe
quoi » (Marianne Clément) et donc, pourquoi pas, un
mariage entre un Dieu et un naïade ?
On n\92en finirait pas de
décrire ce travail scénique étourdissant tant il
se passe de choses sur scène, suivant en cela, redisons-le,
l\92incroyable folie du rythme de la partition de Rameau, et «
coulant » avec un naturel confondant : rien ne nous a paru
outré. On pourra malgré tout regretter que
l\92émotion ne pointe pas davantage son nez, notamment dans le
dernier acte lorsque Platée devient réellement
touchante.
Il faut encore évoquer
l\92époustouflant décor de Julia Hansen (qui dessina
également les très nombreux et réussis costumes)
dont l\92ingéniosité réserve nombre de surprises
et dont les transformations successives doivent se faire à
force d\92activité en coulisses pendant la musique, et ce, sans
aucun bruit : chapeau aux techniciens de plateau !
On retrouve la même
excellence dans la distribution, à commencer par un
Platée anthologique d\92Emiliano Gonzales Toro dont la
performance est absolument exceptionnelle. Beauté de la voix,
extrême finesse du chant (jamais malmené malgré
tout ce qui lui est demandé scéniquement),
maîtrise de toute la tessiture et du rôle (dont les
terribles vocalises qui parsèment ici ou là sa partie),
incarnation sensible et prenante (sa déchéance et sa
colère sont vraiment touchantes à la fin de l\92ouvrage)
: on est plus qu\92admiratif devant cette prise de rôle qui
égale, sinon dépasse, les incarnations de ses
prédécesseurs (et pas des moindres : Gilles Ragon, Paul
Agnew, Jean-Paul Fouchécourt...).
A ses côtés,
celui qui sera peut-être aussi un jour un très beau
Platée, Cyril Auvity, en Thespis et Mercure, assure
également une superbe prestation. Par rapport à un
Pygmalion nancéien de 2004, la voix, qui a gardé son
très beau timbre, a gagné en puissance et en
projection, ce qui permet au chanteur de passer le grand orchestre de
Rameau.
Le couple formé par le
Jupiter de François Lis et la Junon de Judith Van Wanroij est
superbe et d'une belle prestance. La Clarine de Céline Scheen
affiche un chant particulièrement élégant et
agréable tandis que Christophe Gay campe un très beau
Satyre.
Il faut avouer que la Folie de
Salomé Haller a un peu déçu par un chant qui
trahit aujourd'hui quelques duretés dans l'aigu. Le registre
grave est par contre très beau, ce qui laisse à penser
que la chanteuse pourrait se diriger avantageusement vers des
rôles qui la mettraient davantage en valeur dans ce registre.
L'incarnation du personnage et la prestance sur scène restent
parfaites de bout en bout.
Le seul chanteur qui
dépare hélas dans cette belle distribution est le
Momus/Cithéron d'Evgueniy Alexiev, la voix usée et le
fort accent gâchent singulièrement sa prestation et l'on
se demande un peu ce qu'il fait là\85
Bien entendu, les ch\9Curs de
l'Opéra National du Rhin n'affichent pas une couleur
très idiomatique pour un opéra baroque. Cependant, il
faut louer leur souci d'offrir une sonorité plus fine et
légère que celle que nécessite un opéra
de Verdi ou Wagner et leur capacité à répondre
aux exigences de l'écriture vocale baroque. Extraordinaire et
jubilatoire soirée donc, qui montre combien la maison
alsacienne a la capacité d'offrir des spectacles
marquants."
- L'Humanité - Platée entre
dérision et compassion
"À Strasbourg, l\92\9Cuvre
de Jean-Philippe Rameau associe les ch\9Curs de l\92Opéra national
du Rhin et l\92ensemble baroque Les Talens lyriques mis en scène
par Mariame Clément. Dans la renaissance actuelle de
l\92opéra baroque, si Rameau demeure le parent pauvre,
Platée a toutes les qualités requises pour rendre
justice au compositeur. C\92est ce qu\92a compris Marc Clémeur,
directeur de l\92Opéra national du Rhin avec sa production
actuellement à l\92affiche. Dès le lever de rideau, se
dessine la volonté d\92apporter un regard neuf, de donner du
sens pour le public d\92aujourd\92hui. Avec Platée, Rameau
crée un style nouveau. Rompant avec la tradition chère
à Lully comme avec l\92art du pastiche de l\92opéra italien
et ancré dans l\92esprit du siècle des Lumières,
il développe une nouvelle esthétique de l\92harmonie. Sa
détermination et son caractère réputé
difficile ne font pas pour autant de Rameau un compositeur
austère. Dans Platée, autour d\92un jeu de dupes, sa
musique, précise jusque dans l\92illustration d\92un
détail, est toute de légèreté, d\92humeur,
de moquerie sans méchanceté. Et les malheurs de la
laide et naïve grenouille amoureuse de Jupiter ne tournent
jamais à la tragédie, grâce à
l\92éblouissante fantaisie du compositeur. Détournant les
procédés d\92écriture de la tragédie
lyrique, il crée un effet miroir avec sa nymphe des marais,
objet de dérision mais aussi de compassion. Elle est
également victime de sa prétention sociale. Quant aux
habitants de l\92Olympe, leur fatuité masque leur propre
crédulité et leur sottise, et le happy end en forme de
réconciliation n\92est lui aussi qu\92un jeu de dupes.
Musicalement, l\92ensemble est mené avec retenue par Christophe
Rousset et son orchestre Les Talens lyriques. Des chanteurs,
animés par un esprit de troupe, ce qui réduit les
inégalités, émerge le Platée d\92Emiliano
Gonzalez-Toro. Pour sa prise de rôle, ce jeune ténor
formé à Genève ne manque pas de ressource, la
voix est sûre, l\92articulation irréprochable et souple
sur toute l\92étendue de la tessiture. Convaincante,
Salomé Haller (la Folie) privilégie avec bonheur
l\92expression à la virtuosité pure. Les nombreux
épisodes dansés ne manquent pas de fantaisie et sont
habilement exécutés par le ballet
maison.
La mise en scène de
Mariame Clément s\92appuie sur des référents
contemporains. Dès le début, le dispositif
scénique à tiroirs de Julia Hansen, d\92où
émergent tour à tour les protagonistes, évoque
un monde à la Tati. Tout cela fonctionne plutôt bien, le
choix d\92une certaine distance dans l\92expression évite la
caricature même si l\92abondance des gags finit par
lasser."
"On ne peut recommander «
Platée » de Jean-Philippe Rameau autrement.
Puisqu\92à notre époque, où l\92on croule sous le
flot permanent d\92informations de tous genres, il faut être
concis, soyons concis: ceux qui n\92ont pas envie de continuer à
lire, peuvent s\92en tenir là ! Mais je dirais à tous
ceux qui veulent savoir ce qui se passe actuellement à
l\92Opéra National du Rhin : Ce qui s\92y passe est génial
!
Au premier regard, il s\92agit
d\92une \9Cuvre encombrante. De nos jours, le sujet semble être
tiré par les cheveux. Les passages de danse classique sont
nombreux et l\92ambiance sonore est d\92une sobriété
baroque. Voilà, le décor est planté ! La mise en
scène de Mariame Clément crée pourtant une
ambiance fabuleusement joyeuse dans la salle \96 et au-delà de
la salle : Le ciel divin, où Jupiter se dépatouille
avec ses problèmes de jalousie par rapport à sa femme,
Junon, est en fait un appartement New Yorkais des années
cinquante. Les dieux, qui échafaudent des plans pour faire
entendre raison à Junon, sont d\92élégants
businessmen qui font bien sagement les courses pour leurs
épouses respectives, toutes mères au foyer. La sottise
sort directement d\92une publicité à la
télévision pour continuer à essayer de vendre un
produit de consommation après l\92autre.
Platée, l\92affreuse
déesse grenouille tellement malmenée par Rameau, se
transforme à Strasbourg : Après avoir subi un «
embellissement » elle mue du monstre vert aux seins nus en une
sorte de croisement entre Miss Piggi et HP Kerkeling. C\92est une
créature pathétique, vivant dans un monde fascinant
pour elle, certes, mais où, intellectuellement parlant, elle
ne peut donner l\92échange. Clément ne se permet pas une
seule fausse note dans sa mise en scène. Du début
à la fin elle reste dans cette époque où tout
paraissait possible, et où une fin de la
prospérité générale était plus
qu\92improbable. La chambre à coucher du prologue avec son grand
lit conjugal, d\92où sortent non seulement Jupiter et Junon,
mais également un nombre impressionnant de dieux et
déesses, se transforme en pièce à vivre avec un
aquarium géant. Platée et son amie Clarine, en plein
milieu des plantes aquatiques, y sont confortablement
installées. Céline Scheen, qui avait déjà
fait rire le public en « Cupidon » ayant pris l\92apparence
de Marylin Monroe, est la seule dans cette mise en scène,
d\92avoir la chance de porter un costume de fée ravissant. Sa
voix claire et vive s\92accorde du reste parfaitement avec son
rôle. Les nymphes, en revanche, font leur apparition en costume
de bain moulant, des bonnets à fleurs en caoutchouc sur la
tête. Elles dansent leur ballet avec un tel entrain, qu\92on a
envie de « nager » avec elles.
La voix de basse pleine et
claire de François Lis dans le rôle de Jupiter occupe
parfaitement l\92espace. Dans le double-rôle de Thespis et
Mercure on pouvait entendre Cyril Auvity, dans celui de Momus et
Cithéron, Evgueniy Alexiev. Le jeu de ces divinités
n\92omet aucun cliché pour faire du père des dieux un
homme d\92affaires à succès.
Des voitures, comme la
Cadillac rouge en papier mâché, dont Platée fait
malencontreusement exploser le moteur, en font partie. Tout comme une
aventure torride avec une serveuse en rollers derrière le
canapé en simili cuir rouge dans un restaurant «
self-service ». Que toutes les idées se juxtaposent les
unes aux autres tout au long du fil conducteur dans une bonne humeur
contagieuse, n\92est pas uniquement dû au travail de
Clément.
Les ballets, des
créations du chorégraphe Joshua Montent, y contribuent
aussi de façon considérable. Montent ne les
conçoit pas comme de petits interludes artificiels, mais
plutôt comme des pièces faisant partie d\92un tout, qui
sont du coup, encore bien plus drôles. Un bel exemple est le
ballet des cowboys et indiens qui gesticulent respectivement avec
leurs révolvers et tomahawks de telle façon que le
public finit par être dans tous ses états. Ou alors le
passage, où les trois Grâces, couturières pour la
circonstance, « équipent » Platée d\92un voile
de mariée et ornent sa queue de n\9Cuds blancs. Ce passage
comporte des enchaînements de pas baroques, ce qui est,
transposé dans le contexte du miracle économique, tout
simplement désopilant.
Mais une lecture approfondie
de cette \9Cuvre permet aussi sans problème de mettre la
critique de la société de consommation en
évidence. A la fin, personne ne veut plus prendre l\92affreuse
Platée au sérieux qui, malgré tout, et ce n\92est
certainement pas un hasard, continue à vouloir faire entendre
sa voix. On essaie même de la noyer dans son propre aquarium,
sans succès. Personne ne prête attention à la
force de la nature qui se manifeste sous forme de la queue
mouchetée de Platée, dont la pointe dépasse en
permanence sous ses habits roses du dimanche. Ceci pourrait nous
faire prendre conscience que l\92époque, où l\92on se
moquait de la nature, est révolue depuis longtemps. Mais il
semblerait que nous continuions sur cette lancé avec le plus
grand enthousiasme.
Après l\92annulation du
mariage de Jupiter et Platée, auquel tous les grands du monde
avaient été conviés (Einstein, Elvis Presley, de
Gaulle, Mère Theresa et la statue de la liberté en
personne), Jupiter et Junon disparaissent dans leur immense lit
conjugal. Platée reste, visible pour tous, accroupie devant le
lit en question, ce qui veut dire, que son rôle dans
l\92opéra s\92arrête peut-être là, mais que par
ailleurs elle n\92a pas encore dit son dernier mot.
Christophe Rousset assure la
direction musicale. Il travaille aussi proche que possible du son
original pour livrer ainsi une interprétation musicale
transparente et très fine. Les prestations d\92Emiliano Gonzalez
Toro dans le rôle de Platée sont exceptionnelles : Aussi
bien en tant que chanteur qu\92acteur. Son ténor chaud enchante
dans toute forme d\92expression, si difficile soit-elle. Ses mouvements
maladroits sont touchants et son regard perturbé et lourd du
malheur qui menace, annonce, comme déjà indiqué,
un avenir inquiétant. Les applaudissements
frénétiques et les « bravos ! » du public
confirment, qu\92Emiliano Gonzalez Toro est un artiste qui a vraiment
toutes les cordes à son arc. Nous lui souhaitons encore
beaucoup de soirées comme celle-ci, pour la plus grande joie
du public, où qu\92il se trouve dans le monde.
Restent à mentionner
les costumes pimpants ainsi que le décor changeant et plein de
surprises de Julia Hanson qui s\92accordent parfaitement avec la mise
en scène de cette pièce qui vaut vraiment la peine
d\92être vue plus d\92une fois."
- L'Alsace.fr - Les malheurs de Platée font
pourtant des heureux
"Qui a eu envie d\92aller
à l\92opéra sans jamais oser en franchir le seuil a une
occasion unique de le faire, avec « Platée » de
Rameau. Cet opéra baroque, dernière production de
l\92Opéra national du Rhin, est en passe de devenir une
référence dans le milieu. Non seulement par la
qualité musicale indéniable proposée par les
Talens lyriques de Christophe Rousset, mais aussi par la mise en
scène ingénieuse, fine, drôle et malicieuse de
Mariame Clément.
Déjà
ovationnée par le public alsacien avec sa Belle
Hélène, cadeau de l\92Opéra national du Rhin
à son public pour finir l\92année 2006, Mariame
Clément revisite tout aussi remarquablement l\92univers des
dieux mis en musique par Rameau. Sur un plateau ingénieux,
conçu comme un appartement cossu des Trente glorieuses,
où l\92aspirateur est un signe extérieur de richesse,
évoluent avec une décontraction déconcertante
des chanteurs inspirés, affûtés et surtout
très drôles. Superbe Judith Van Wanroij en Junon femme
au foyer désespérément furieuse face à
son mari volage, Jupiter, campé par un François Lis
parfait. Cyril Auvity en Mercure et Evgueniy Alexiev en
Citéron jouent à merveille les chaperons pour la
naïade Platée, choisie par le duo pour rendre jalouse
Junon et la faire revenir vers Jupiter. Là encore,
l\92imagination de Mariame Clément étonne et ravit le
public, sous le charme. Et que dire d\92Emiliano Gonzalez-Toro, si ce
n\92est qu\92il a mis la barre très haut pour la prochaine
Platée : voix délicieuse, jeu parfait. Une
référence.
La présence des
danseurs du Ballet du Rhin, dans une chorégraphie
signée Joshua Monten, apporte aussi une touche
déterminante dans le succès de la production. On se
plairait à voir davantage d\92\9Cuvres communes avec ch\9Cur et
ballet à l\92avenir\85
« On rit beaucoup »,
nous avait prévenu la soprano alsacienne Salomé Haller,
qui joue une Folie furieusement drôle. On rit beaucoup,
vraiment ? Plus que cela, on jubile."
- Opéra Magazine - mai 2010
"Elle n'a pas fini d'enchanter
des générations de mélomanes, cette
Platée, naïade selon le texte d'Autreau, Le Valois
d'Orville et Ballot de Savot, grenouille pour la tradilion, monstre
aquatique ridicule et touchant. victime idéale des farces
cruelles deJupiter et de ses compagnons. Qui est-elle vraiment?
Marianne Clément, metteur en scène de cette nouvelle
production de PLatée à l'Opéra National du Rhin,
n'apporte pas vraiment de réponse originale à la
question. D'où sort-elle? D'un aquarium garni de plantes,
où elle voisine avec d'autres habitants des eaux. À
quelle époque vit-elle ? Dans les années de renouveau
économique qui ont suivi la Secondc Guerre mondiale, et
probablement. si l'on en croit meubles et vêtements, aux
États-l'nis, pays où tout se vend et s'achète,
appareils ménagers, produits d'entretien - pour un peu, on se
croirait dans le film Martin Ritt, No Down Payment !
Les dieux ne sont certes pas
tombés sur la têle : ils mènent une vie de
petits-bourgeois pareils à tant d'autres (on n'employait pas
encore, au début de ces Trente Glorieuses, l'expression
"cadres dynamiques"). Du coup, c'est celle dont ils se moquent qui
devient sympathique, de par sa différence ; malheureusement,
elle ne souhaite qu'une chose, ressembler aux autres.
Le propos est clair, lisible,
un brin didactique, mais s'accorde sans peine aux intentions du
compositeur et du librettiste. Marianne Clément le
défend avec perrtinence et finessse, aidée par une
direction d'acteurs tout en ssousplesse et un chorégraphie
spirituelle de Joshua Monten, d'autant plus efficace qu'elle
s'intègre parfaitrement à l'action, non sans
impertinence - Rameau aurait-il jamais imaginé, dans la party
du Prologue, être l'inventeur du twist ?
Décors et costumes de
Julia Hansen sont à l'unisson, dans des couleurs
contrastées qui manquent volontairement de chaleur. Le jeu sur
les perspectives est hilarant, le minuscule aquarium du début
étant confronté à son double gigantesque pour
que l'infortuné batracien, lorsqu'il apparaît enfin,
atteigne une taille crédible. Le public rit souvent à
ce spectacle intelligent, monté avec soin, tellement qu'il
manque parfois de spontanéité, mais néanmoins
plaisant.
A la tête des Talens
Lyriques, Christophe Rousset célèbre Rameau avec bonne
humeur ; la vitalité sonore de ses musiciens conférant
à la partition une allure de danse perpétuelle, au
point que l'auditeur ne tarde pas à sentir des fourmis dans
ses jambes. La jeune équipe de chanteurs est inégale.
Christophe Gay connaît quelques démêlés
avec la justesse, François Lis n'est pas sans raideur, et
Evgueniy Alexiev, qui a du mal à se plier au stvle ramiste,
n'est pas plus convaincant en Momus qu'en Cithéron - il est,
de plus, le seul dont le français n'est pas
irréprochable. Styliste, Cyril Auvity l'est jusqu'au bout des
notes : s'il manque d'assurance dans l'entrée de Thespis,
l'interprète se reprend rapidement, et son Mercure au chant
délié est épatant, désinvolte et malin.
Du coté féminin,
pas de problème : l'Amour de Céline Scheen, en robe
blanche à la Marylin Monroe, est un délice, sa Clarine
aussi. Judith van Wanroij campe une Junon de grande classe, au verbe
haut, et Salomé Haller une exubérante Folie,
transformée en démonstratrice pour publicité
télévisée. Toutes font assaut de fraîcheur
vocale et de musicalité. Enfin, le rôle-titre
échoit au jeue ténor helvético-chilien Emiliano
Gonzalez-Toro, et il marquera sa carrière. La voix est pure,
impeccablement projetée, l'aigu facile, et la diction
excellente. Le musicien se double d'un comédien adroit, qui
saisit toutes les ambiguïtés de son personnage.
La vidéo de cette
production sera disponible pendant plusieurs mois sur le site
www.arteliveweb.com avant d'être plus tard diffusée
à l'antenne. Un DVD serait le bienvenu."
- Linz - Landestheater
- 6, 8, 11, 23 février, 10, 16 mars, 9, 22
avril, 30 mai, 16, 18, 30 juin 2010 - dir. Martin Braun - mise en
scène Anthony Pilavachi - décors, costumes Tatjana
Ivschina - chorégraphie Guido Markowitz - dramaturgie Felix
Losert - avec William Saetre Platée, Franz Binder
(Cithéron), Florian Spiess (Jupiter), Isaac Galan (Momus),
Karen Robertson / Katrin Adel (Junon), Gotho Griesmeier (La
Folie), Elisabeth Breuer (Amour/Clarine), Cheryl Lichter (Thalie)
- nouvelle production


- Opéra
Garnier - 2, 6, 8, 11, 14, 17, 21, 24, 25, 27, 29, 30
décembre 2009 - Choeur et musiciens du Louvre-Grenoble -
dir. Marc Minkowski - mise en scène et costumes Laurent
Pelly - avec Xavier Mas (Thespis), Marc Labonnette (un Satyre),
Aimery Lefèvre (Momus), Mireille Delunsch (Thalie, La
Folie), Judith Gauthier (L\92Amour, Clarine), Paul Agnew (2, 8, 14,
21, 25 et 29 décembre) et Jean-Paul Fouchécourt (6,
11, 17, 24, 27 et 30 décembre) (Platée), Alain
Vernhes (Cithéron), François Lis (Jupiter), Yann
Beuron (Mercure), Doris Lamprecht (Junon)

- Concertclassic - Petite
déconvenue
"On aime Platée,
à l\92éhonté, et l\92on aime la production
dérisoire, inventive, baroque jusque dans le moderne (quel
plus beau compliment ?) - voyez la guerre des sexes selon Laura
Scozzi au III mais pas seulement - dont Pelly et sa fidèle
garde ont redoré cette vieille fantaisie. Au fil des reprises
ce spectacle est devenu le « Christmas Holiday on Ice » de
Garnier, on ne s\92en plaindra pas. Mais en cette matinée
pluvieuse de décembre, le plateau dépareillait
sensiblement la fête attendue. C\92était couru mais on ne
voulait pas y croire, Jean-Paul Fouchécourt a beau faire son
courageux (les sauts des escaliers certes un par un, mais au fond
mieux que Chaban-Delmas, à deux jambes !) et comique
spectacle, il ne chante pas Platée, il la parle et escamote
les aigus, renonçant au fausset (Sénéchal !) qui
lui donnerait et du son et de l\92altitude. Décidément
Jélyotte n\92a jamais été aussi loin de sa
grenouille.
Que peut, après ses
éloquents et sensuels Narraboth, Xavier Mas pour Thespis,
sinon en tuer la vocalité et le style, regardant
incrédule dans sa réjouissante gymnastique, sa voix le
trahir à chaque prodige physique qu\92il déploie (et le
simple charme entêtant de sa silhouette, avide de
lumière, n\92est pas le moindre). Et pendant ce temps, Yann
Beuron, attend en coulisse son Mercure en regrettant justement le
beau chant ivre qu\92il mettait jadis à son Thespis !
Gâchis. Quoi dire d\92Alain Vernhes, sinon que son chant est
noble, alors que Cithéron, magouilleur en chef, ne l\92est
jamais ? Fausse bonne idée.
La Clarine de Judith Gauthier
porte et dit, mais sa voix trop peu prévenue pour le petit
chef-d\92\9Cuvre pré-mozartien (même si pour la critique
contemporaine la prescience artistique n\92existe pas) qu\92est «
Soleil fuit de ces lieux », montre combien lui manquent le
timbre pulpeux, le legato (une faute au baroque d\92aujourd\92hui !), la
longueur emmiellée et pourtant attristée de la voyelle,
tous tombant secs comme autant de coquilles de noix. Le Satyre de
Marc Labonnette passe inaperçu, la voix bue par les cintres ou
par le décor (qui dans le Prologue de Platée est
très soiffard : voyez l\92infini buffet de verres où
Thespis connaît ses premières hallucinations
batraciennes), et on arrête là pour les
déconvenues.
Bravo au Mercure toujours si
finement joué et admirablement chanté de Yann Beuron,
bravo au Jupiter sonore et ironique (pour les autres, pour lui
même, comme se prémunissant contre la fatuité) de
François Lis, bravo à la Junon de Doris Lamprecht qui
nous convainc, au point de toujours convulsivement nous boucher les
oreilles, qu\92elle va bien tirer avec sa pétoire, seul vrai
remède - c\92est prouvé par les tribunaux - à la
jalousie. Archi bravo ! aussi au Momus en Amour d\92Aimery
Lefèvre qui fait sombrer Garnier dans l\92hilarité d\92une
seule de ses poses, mais dont il ne faut pas oublier le chant
sostenuto, sonore et châtié jusque dans la farce. Et
à genoux devant la Folie de Mireille Delunsch,
comédienne terrible qui comme une Yvonne de Bray sait que la
voix parle dans le chant, mais l\92inverse aussi, et se souvient, sotto
voce, de l\92impérissable Jennifer Smith.
Ch\9Curs et ballets,
mariés dans les mêmes gestes, absolument
irrésistibles ; ce sont d\92abord eux qui font le show. Une
griffe à Marc Minkowski : on a connu sa Platée plus en
muscle et aussi plus poète, mais au fond l\92\9Cuvre est toujours
là, double, drôle et tragique, réjouissante et
insupportable, et qui jamais en a mieux parlé la langue que
les Musiciens du Louvre ?"
- L'Avant-Scène Opéra - 2
décembre 2009
"Le Palais Garnier
réouvre ses portes à Platée, pour une reprise de
la production de Laurent Pelly \96 dix ans, déjà, qu\92elle
y fut créée ! On y retrouve le
marais-théâtre de Chantal Thomas, peu à peu
envahi de mousses, d\92algues et de joncs géants au fur et
à mesure que se développe cette folie carnavalesque
où sont détournés par Rameau aussi bien les
codes de l\92opéra de son temps que ceux de la mythologie.
L\92humour de ce détournement n\92aura d\92égal que la
cruauté de la fable : Platée, naïade trop
sûre de ses charmes pourtant très batraciens, croit
naïvement au mariage promis par Jupiter\85 dans le seul but de se
rire d\92elle et de regagner la confiance de Junon. Vouée aux
moqueries, Platée est une victime pitoyable et attachante :
ses accents de douleur sonnent et touchent juste, alors même
que le compositeur a passé l\92opéra à
dérouler les discours hypocrites des dieux et les
délires paradoxaux de la Folie (qui démontrera par
exemple qu\92on peut, par la musique, rendre gai le texte le plus
funèbre, ou triste le plus joyeux). Et pourtant ce pauvre
bouc-émissaire est aussi un personnage complexe, peu «
aimable » : laid, aveuglé par sa vanité,
obsédé de grandeur, nombriliste finalement\85 Et, bien
sûr, drôle et ambigu puisque cette nymphe est
chantée par un haute-contre. Il faut donc un interprète
subtil, émouvant autant que ridicule, touchant autant que
dérisoire. Paul Agnew, familier du rôle comme de la
production, se glisse impeccablement dans la peau de la
Platée-grenouille imaginée par Laurent Pelly : avec ses
gros doigts palmés battant l\92air comme pour faire
sécher un vernis de coquette, avec sa jupe-nénuphar
très girly et son petit sac à main très
Saint-Honoré-les-flots, de sa démarche crapaudine, il
crève le plateau, tire à lui les regards, les rires \96
et à la fin, mais oui, l\92émotion vraie. Diction
précise qui « sôagne » le mot, «
vôa » mouvante qui pleure ou qui hoquette, il est au
meilleur de l\92équipe vocale, où se distinguent aussi le
Mercure impérieux et aisé de Yann Beuron, le Jupiter
altier de François Lis et la Junon tempétueuse de Doris
Lamprecht.
L\92autre star de la fable,
c\92est la Folie, qui tire les ficelles du désordre et se taille
la part du lion du deuxième acte ; aidée par une mise
en scène qui en fait une prima donna pétulante,
Mireille Delunsch ose tout. Couleurs nasales dans des vocalises qui
mitraillent en roue libre, cadences anarchiques à en irriter
le chef le plus zen, elle est l\92allégorie d\92une Musique rendue
folle par les conventions buffa et seria \96 sa robe de partitions file
la métaphore, qui nous fait sourire mais aussi songer, nous
renvoyant à l\92humour étonnant de Rameau, qui s\92amuse
ici des règles et les déforme jusqu\92à l\92absurde.
Malgré un Prologue plus faible (voix un peu courtes) et une
sonorité un peu mate des Musiciens du Louvre-Grenoble, la
soirée se tient bien, sous la direction très libre de
Minkowski, entre alanguissements évaporés et coups de
fouets nerveux. La chorégraphe Laura Scozzi fait merveille des
multiples ballets de la partition, et ballotte ses danseurs dans les
éléments (vent et pluie les chassant en tous sens) et
l\92ambiguïté d\92étreintes farfelues, où la
caresse glisse à la gifle, l\92enlacement à la prise de
judo. On rit là aussi beaucoup. Un spectacle idéal pour
(re-)découvrir l\92opéra par son bout le plus fou, dans
un cocktail chant-théâtre-ballet placé sous le
signe de la\85 cocôasserie."
"Il y a dix ans tout juste
quand est née cette ébouriffante mise en boite de la
Platée de Rameau, le metteur en scène Laurent Pelly
n\92avait abordé qu\92une fois le terrain de l\92opéra avec
un Orphée aux Enfers - déjà savoureux -
monté à Lyon. La mare aux grenouilles qu\92il inventa
pour illustrer la fable pastiche que Rameau composa en 1745 pour le
mariage du Dauphin et de l\92Infante d\92Espagne le propulsa au premier
rang des nouveaux visiteurs du lyrique. La Belle
Hélène, Ariane à Naxos, La Grande Duchesse de
Gerolstein allaient rapidement confirmer cette place qu\92il n\92a plus
quittée. C\92est donc la troisième fois qu\92est repris au
Palais Garnier ce petit chef d\92\9Cuvre d\92humour où les gags
fusent comme des pets, coquins, déjantés,
abracadabrants, folledingues osant tout sans jamais tomber dans la
facilité encore moins dans le vulgaire. C\92est et reste un
régal qui dilate les rates les plus coincées et fait du
bien. Autant dire qu\92à l\92approche des fêtes de fin
d\92année, il constitue une sorte de must que l\92Opéra de
Paris exploite pour le plaisir de tous.
Presque tous les hurluberlus
chanteurs et danseurs d\92origine sont à nouveau au rendez-vous
à commencer par Marc Minkowski et ses Musiciens du
Louvre-Grenoble dans la fosse surélevée pour cause
d\92instruments anciens du répertoire baroque. L\92avantage du
dispositif n\92est pas seulement acoustique, il permet d\92observer le
maestro qui se régale à faire pétiller Rameau en
bulles de champagne et à nouer avec les chanteurs une
complicité en farces et attrapes.
« Quoi quoi quoi »,
ça coasse cocasse dans l\92étrange ménagerie
aquatique qui s\92imprime dans le décor d\92un
théâtre, comme si la scène devenait le miroir de
la salle. \85Au fil des bourrasques les gradins éclatent, se
couvrent de mousse de végétaux bizarres et de bestioles
surréalistes qui peuplent le plateau où les dieux de
l\92Olympe descendent accrochés à des lustres\85 En
costumes extravagants, danseurs et danseuses du corps de ballet
s\92ébattent dans la chorégraphie rocambolesque de Laura
Scozzi.
On retrouve avec bonheur les
principaux protagonistes des précédentes distributions
et qu\92importe si certains comme Alain Vernhes ont perdu quelques
degrés de leur tonus vocal, Yann Beuron/Mercure fringué
en star de music hall manipule toujours ses aigus et son jeu à
la perfection, Mireille Delunsch, une fois de plus, impose une
désopilante Folie, diva shootée de musique jusque dans
les feuilles de partitions qui compose sa robe. Le Jupiter de
François Lis a de la gueule et de beaux graves tandis que la
Junon chic et choc de Doris Lamprecht lui fait écho avec le
même punch.
Le clou de la soirée
repose toujours sur les épaules, la voix, la dérision
et la présence de Paul Agnew qui incarne le rôle titre
(en alternance avec Jean-Paul Fouchécourt). Passé du
timbre de haute contre à celui de ténor léger,
l\92impayable Agnew continue de nager dans le baroque comme s\92il
était chez lui, mais au-delà de la performance vocale
il interprète cette pauvre et laide Platée
tournée en bourrique sur un caprice de Jupiter, avec une
gaucherie bouffonne qui la rend attendrissante. Humaine en quelque
sorte."
"Cette Platée, on l\92a
vue et revue. La production de Laurent Pelly fête son
dixième anniversaire et tient superbement la route,
légitimant tout à fait sa reprise. Voir le «
ballet bouffon » de Rameau après André
Chénier montre - mutatis mutandis - à quel point on
peut revisiter une \9Cuvre sans la détruire, donner dans le
misérabilisme et convoquer l\92Allemagne de l\92Est des
années 1970. Le spectacle frappe toujours par son invention,
sa cocasserie, sa coquinerie, sa cruauté aussi dans la
peinture d\92un monde où la laideur n\92a pas droit de
cité. Jamais le metteur en scène n\92abuse des gags, qui
collent à la musique et au texte. Quant à la
transposition, elle fait mouche, avec d\92abord ce théâtre
d\92opéra où Thespis figure le compositeur d\92aujourd\92hui,
puis cette Folie déchaînée, tout habillée
de partitions, qui chante haut et fort la gloire de la musique. La
chorégraphie désopilante de Laura Scozzi, non moins
inventive, joue son rôle et imprime à la mise en
scène un irrésistible rythme. Laurent Pelly, qui a pu
ensuite se montrer inégal, renouvelait ici sa réussite
d\92Orphée aux enfers et de La Belle Hélène,
prenant rang parmi les metteurs en scène d\92opéra avec
lesquels il faudrait compter. Et Marc Minkowski, pas moins
inégal, est chez lui quand il fréquente Rameau, comme
ses Musiciens du Louvre-Grenoble \96 au remarquable ch\9Cur. On a
rarement entendu Platée dirigé avec un tel sens du
théâtre, un tel humour, une telle liberté, une
telle gourmandise : ce n\92est pas seulement décapé,
c\92est vivant, coloré, parfois ému \96 si la « nymphe
des grands marais » fait rire, elle doit également
attendrir.
La distribution, en revanche,
appelle des réserves, à commencer par Jean-Paul
Fouchécourt, hier impayable Platée. Toujours aussi
parfait comédien, hilarant ou pitoyable, il chante aujourd\92hui
la batracienne excitée d\92une voix écourtée et
usée, recourant à des artifices pour s\92accommoder plus
ou moins bien d\92une tessiture de haute-contre qu\92il ne peut plus
vraiment assumer. Xavier Mas, pour le coup, n\92a rien d\92une
haute-contre, qu\92il s\92agisse de l\92émission ou du style, et
n\92aurait jamais dû être distribué en Thespis. Yann
Beuron, heureusement, sauve l\92honneur des voix aiguës, Mercure
rocker d\92anthologie, d\92une suprême élégance, au
service du Jupiter de belle allure de François Lis, complice
de l\92excellent Cithéron d\92Alain Vernhes \96 pas forcément
attendu ici \96 et du Momus d\92un Aimery Lefèvre prometteur,
ancien membre de l\92Atelier lyrique . Doris Lamprecht en fait beaucoup
en Junon, Judith Gauthier est trop nasale en Amour, mais Mireille
Delunsch renouvelle sa performance en Folie, se livrant à son
incroyable numéro de diva hystérique\85 qui domine
parfaitement ses notes, ses mots et ses roulades."
- Opéra Magazine - février
2010
"On court toujours le risque,
en évoquant un spectacle auquel on a assisté plusieurs
annnées auparavant, de se laisser tromper par ses souvenirs ou
son attente ; si on ne l'a jamais vu, on trompera l'attente du
lecteur avide de comparaisons... Créée au Palais
Garnier en 1999, et déjà donnée plus de trente
fois, cette production de Platée pourrait bien acquérir
le statut du Faust de Lavelli ou des Nozze di Figaro de Strehler, en
cela qu'elle conserve toute sa fraicheur en s'accommodant des
changements de distribution. Si ce spectacle porte la griffe de
Laurent Pelly, ce qu'on a vu de lui depuis dix ans n'en sape pas
l'originalité : il fonctionne avec une sorte d'évidence
heureuse dans le décor mutant de Chantal Thomas. Comme la
gaité de ce «ballet bouffon» reste limitée
à quelques onomatopées si l'on n'est pas sensible aux
transgressions des codes de la tragédie lyrique, les danses
forment le n\9Cud de la comédie. Alors que si souvent, chez
Rameau, elles semblent des hors-d'oeuvre, elles assurent ici la
vitalité dramatique. La chorégraphie de Laura Scozzi,
si inventive dans sa variété, ses contrepoints et ses
imprévus comiques s'impose en jouant avec l'anachronisme.
Dès lors, même les mouuvements du ch\9Cur
réjouissent l'\9Cil.
L'élément
lyrique ne passe pas pour autant au second plan et, tout
naturellement, l'air de la Folie a valu à Mireille Delunsch,
en très grande forme vocale et dramatique, des
applaudissements prolongés. Jean-Paul Fouchécourt (en
alternance avec Paul Agnew) réussit à convaincre avec
d'autres moyens : sa Platée touchante, jamais chargée,
pas plus dupe qu'il ne faut, est toujours musicale dans les limites
d'une voix de ténor léger. Le Cithéron noble et
paternel d'Alain Vernhes, moins noir, moins percutant que celui de
Laurent Naouri, rend le rôle plus ambigu ; si le diapason
abaissé lui facilite quelques aigus redoutables, c'est parfois
au détriiment du grave.
Il n'est pas superflu de louer
le Jupiter éclatant de François Lis, la Junon
impérieuse de Doris Lamprecht et le Mercure vif-argent de Yann
Beuron. Xavier Mas, qu'on vient d'applaudir en Narraboth de Salome,
et Aimery Lefèvre apportent un rayonnement au Prologue qui en
manque un peu.
Marc Minkowski savoure la
partition et ne craint pas, à l'occasion, de stimuler
l'imagination de ses Musiciens du Louvre-Grenoble par des gestes
étrangers au vocabulaire de la direction d'orchestre. Mais le
courant passe avec la fosse comme avec le plateau et la tension ne
baisse jamais."
- Theater Augsburg
- 19, 22, 24 avril, 3, 6, 8, 14, 22 mai 2009- dir.
Friedemann Seitzer - mise en scène Peer Boysen -
décors, costumes Peer Boysen - dramaturgie Ralf Waldschmidt
- avec Florian Mock (Thespis), Ai Ichihara (Thalie), Sophia
Christine Brommer (Amour), Christian Tschelebiew (Momus), Jan
Friedrich Eggers (Un Satyre), Frederik Akselberg (Platée),
Manuel Wiencke (Cithéron), Per Bach Nissen (Jupiter),
Seung-Hyun Kim (Mercure), Kerstin Descher (Junon)
- Opéra de Santa
Fé - 28 juillet, 1er, 10, 16, 22 août 2007
- dir. Harry Bicket - mise en scène Laurent Pelly -
décors Caroline Ginet d'après Chantal Thomas -
costumes Laurent Pelly - lumières Duane Schuler -
chorégraphie Laura Scozzi - avec Jean-Paul
Fouchécourt (Platée), Wilbur Pauley (Jupiter), David
Pittsinger (Cithéron), Norman Reinhardt (Mercure, Thespis),
Heidi Stober (la Folie, Thalie), Ariana Chris (Junon), Leena
Chopra (Amour, Clarine), Joshua Hopkins (Momus) - nouvelle
production


- Athènes - Alexandra
Trianti Hall - 16, 17 octobre 2006 - English Bach
Festival - dir. Jean-Claude Malgoire - mise en scène Tom
Hawkes - décors Terence Emery - chorégraphie
Christopher Tudor - avec Daniel Auchincloss (Platée),
Graeme Broadbent (Jupiter), Della Jones (Junon, Thalie), Marc
Boucher (Citheron), Olivier Dumait (Mercure), Sally Harrison (La
Folie), Philip Salmon (Thespis, Momus), Yvette Bonner (Clarine),
Stefan Holmström (Un Satyre), Jean-Claude Ohms (Momus,
Prologue), Nicola Stonehouse (Amour), Gabriela Di Laccio (Une
Naïade)
- Palais Garnier
- 14, 17, 19, 21, 24, 26, 28, 30 avril, 2, 4, 5, 6 mai 2006 - mise
en scène et costumes Laurent Pelly - décors Chantal
Thomas - lumières Joël Adam - chorégraphie
Laura Scozzi - dramaturgie Agathe Mélinand - avec Paul
Agnew / Jean-Paul Fouchécourt (les 19, 24, 28 avril, 2, 5
mai) (Platée), Mireille Delunsch (La Folie, Thalie), Yann
Beuron (Mercure), Bernard Richter (Thespis), Doris Lamprecht
(Junon), François Le Roux (Cithéron, un Satyre),
Valérie Gabail (L\92Amour, Clarine), Franck Leguérinel
(Momus)
- Anaclase.com - 19 avril 2006
"Notre pays a toujours
raffolé des fables animalières et moralistes, propres
à dire aux puissants ce que beaucoup murmuraient tout bas.
Preuve en est l'indécrottable succès de La Fontaine -
dont le langage désuet a fait souffrir des
générations d'élèves - et le beau
succès remporté par le Platée de Jean-Philippe
Rameau, dans une production de Laurent Pelly reprise plusieurs fois
à Garnier depuis 1999. Comme l'auteur du Paon se plaignant
à Junon s'inspirait d'Esope et de Phèdre, c'est aussi
vers l'Antiquité que nous ramène le livret
d'Adrien-Joseph Le Valois d'Orville pour l'histoire de cette reine
des grenouilles, persuadée de l'amour sincère que lui
porte Jupiter, alors qu'elle est l'objet d'une mascarade. Rappelons
que cette comédie lyrique, créée le 31 mars 1745
à la Grande Ecurie de Versailles, a été
écrite à l'occasion du mariage du Dauphin avec
l'Infante d'Espagne, et gageons que cette dernière n'a pas
goûté comme d'autres le burlesque de cette
opérette à l'ancienne - comme la présentait
Gabriel Dussurget, il y a cinquante ans.
L'arrivée des choristes
en spectateurs guidés par des ouvreuses demeure un moment rare
: rythmé au cordeau, passant du réalisme à
l'absurde avec une succession de déplacements, d'enjambements
et de reptations, il attire immédiatement l'adhésion
d'un public hilare. Passé le prologue qui annonce la farce
à venir, la mise en place du marécage de Platée
séduit moins, tout comme le troisième acte du mariage,
prétexte à des bonds plus qu'à des
rebondissements. Le manque de péripéties de l'intrigue
se fait malheureusement sentir, bien que compensé par les
propositions énergiques et variées de la
chorégraphe Laura Scozzi. A bien des égards, le clou du
spectacle (sous-titré Ballet bouffon) est donc
l'arrivée de la Folie au deuxième acte,
accompagnée d'un cortège de comparses
maniaco-dépressifs. Adieu Violetta et Donna Elvira ! Mireille
Delunsch sort de sa réserve pour s'amuser avec ce personnage
extrême. La voix est évidente, les aigus faciles,
même si le timbre paraît toujours frôler le
métallique.
Evidence également pour
Jean-Paul Fouchécourt dans le rôle-titre. Le chant est
bien mené, et un léger grain du timbre convient
idéalement à son personnage atypique. Bernard Richter
incarne Thespis avec souplesse et fraîcheur, et Yann Beuron
Mercure, avec vivacité, chaleur et rondeur. Franck
Leguérinel - Momus - s'avère fiable, tant dans la
vaillance que dans le jeu. François Lis - Jupiter - est une
basse sonore quoique un peu monolithique. François Le Roux -
Cythéron -, surtout quand il est en retrait de la
scène, paraît souvent fatigué, mais la
déclamation est subtile. De même Valérie Gabail,
Amour confidentiel tout d'abord, qui livre ensuite une Clarine
habitée, au chant cristallin, tout à fait dans le
style. Les Ch\9Curs du Louvre-Grenoble, enfin, s'engagent avec ferveur,
tant physiquement que vocale-ment, et sont pour beaucoup dans la
dynamisation de l'\9Cuvre, ce soir. Dommage que Marc Minkowski n'ait
pas saisi l'occasion de nuancer plus et que sa direction n'ait pas
accordé plus de relief à la partition. Au final, un
spectacle qui reste sympathique."
- Goldberg
- août 2006 - 14 et 19 avril 2006
"La Platée de Rameau
génialement débridée par Laurent Pelly est en
revanche un classique. Sa reprise à l\92identique n\92en
était donc que plus périlleuse. En effet, Marc
Minkowski a depuis la création exploré bien d\92autres
rivages, et bien souvent abandonné ses Musiciens du
Louvre-Grenoble. On relève désormais bien de
facilités dans ce Rameau à la texture trop
épaisse et uniforme, et surtout beaucoup d\92effets qui, ainsi
soulignés, font basculer la satire dans la farce. Mais Paul
Agnew dont le contre-emploi est définitivement plus savoureux
que l\92évidence irrésistiblement passée de
Jean-Paul Fouchécourt, a gagné en aisance et
subtilité, quand Mireille Delunsch répète avec
un soupçon de lassitude au seul soir de la première un
numéro trop parfaitement huilé. Reste alors une mise en
scène parmi les plus inventives que ce répertoire ait
connues, aussi hilarante au premier degré qu\92en un
époustouflant jeu de références mythologiques et
chorégraphiques \97 décoiffants ballets de Laura Scozzi \97
qui toujours font mouche."
- Concertclassic - Ma vie pour une grenouille
- 14 avril 2006
"Les aventures de la Nymphe
batracienne sont de retour sur les planches de Garnier, le public s\92y
presse avide d\92humour et de fantaisie qui le délasseront d\92une
saison souvent sombre. Evidemment Platée garde, affirme
même à chaque reprise, sa modernité, ou
plutôt sa différence. D\92où vient cette musique,
comment Rameau a-t-il pu en inventer le lexique délirant et
pourtant architecturé, comment a-t-il osé
présenter pour les épousailles du Dauphin et de
l\92Infante d\92Espagne, célèbre pour ses traits
disgracieux, ce spectacle corrosif et bouffon où la promise ne
pouvait manquer de se reconnaître ? Rameau savait-il le miroir
qu\92il tendait ? Et le tendait-il intentionnellement ? Mais surtout,
hors les contingences, d\92où jaillit cette musique ? Elle
s\92autorise à travers le prétexte de la dérision
une langue qui aujourd\92hui encore nous parle, mieux nous surprend.
Si l\92on s\92interroge aussi
longuement c\92est que Marc Minkowski révèle
Platée depuis plus de quinze ans qu\92il la fréquente et
qu\92à chacune de ses lectures on découvre de nouveaux
angles d\92approche d\92un univers qui semble inépuisable. Mieux,
Minkowski et ses musiciens ont réinventé Rameau de
l\92intérieur, se sont appropriés son art au point qu\92ils
s\92ébattent dans cette musique avec un naturel
révélateur. Laurent Pelly avec son système de
décor déconstruit \96 une salle de théâtre
envahie acte après acte par le marais \96 illustre les pouvoirs
ravageurs d\92une \9Cuvre demeurée sans postérité.
La distribution reprend la
troupe de la production crée en 1990 et illustrée par
un DVD, à trois exceptions près : au prologue Yan
Beuron cède Thespis à Bernard Richter (mais garde
heureusement son Mercure crâneur) ; le ténor suisse
apparaissait déstabilisé à la première
mais son timbre perçant tombe exactement dans la voix du
rôle. François Le Roux remplace Laurent Naouri en
Cithéron, l\92un comme l\92autre excellant dans cet exercice de
caractère et y déployant la même ironie mordante.
En Jupiter François Lys renoue avec la tradition de la basse
chantante française, pas revisitée depuis André
Pernet. Quel Boris il nous fera demain ! Mireille Delunsch a
retrouvé sa voix mise à mal par Donna Elvira, et sa
Folie décoiffe, calquée sur le numéro
inventé par Jennifer Smith qui reste ici
inégalée, Valérie Gabail ne tend pas assez l\92arc
du plus bel air de la partition, ce « Soleil, fuis de ces lieux
» confié à Clarine et assorti d\92un hautbois et
d\92un basson mélancoliques, Lamprecht atteint au génie
dans sa Junon à pétoire.
Reste Paul Agnew. Il est
Platée, avec un art assez fin du burlesque, et son courroux
qui donne aux dernières pages de l\92\9Cuvre le noir violent avec
lequel elle avait flirté sans cesse, impressionne. Mais a-t-il
la voix de Platée ? On y entend, contre son baryton plus
assumé aujourd\92hui qu\92en 1990, un ténor plus
élevé, au timbre plus acide, à l\92aigu coupant,
non pas les manières de Sénéchal, mais bien la
verdeur, la méchanceté, l\92ironie amère, le buffo
désopilant qu\92y mettait jadis Gilles Ragon. Jean-Paul
Fouchécourt, annoncé pour les représentations
des 19, 24, 28 avril et des 2 et 5 mai, risque de proposer une
alternative diablement excitante."
- Gelsenkirchen -
Musiktheater im Revier - 22, 29 janvier,
1er, 12, 16, 18, 25 février, 12, 18, 24 mars,
1er, 7, 9 avril 2006 - dir. Samuel Bächli - mise
en scène Andreas Baesler - chorégraphie Bernd
Schindowski - décors, costumes Felix Eckhard Wegenast -
chef de choeur Nandor Ronay - dramaturgie Wiebke Hetmanek -
nouvelle production
- Opéra de
Kiel - 12 janvier 2006, 10, 19, 24 février 2006
- mise en scène Aurelia Eggers - décors Norbert
Ziermann - costumes Moritz Jünge - avec Michaela Rams
(Thalie, Clarine), Heike Wittlieb (Amour, la Folie), Marina Fideli
(Junon), Fedrick Akselberg (Thespis, Mercure), Andres J. Dahlin
(Platée), Jörg Sabrowski (Cithéron, un Satyre),
Mirko Janiska (Momus)
- Darmstadt - Kleines Haus
- 8, 26 janvier, 2, 27 février 2006 - dir.
Norbert Biermann - mise en scène John Dew - décors
Heinz Balthes - costumes José Manuel Vázquez - avec
Jordi Molina (Thespis / Mercure), Andreas Daum / Dimitry
Ivashchenko(Ein Satyr / Jupiter), Werner Volker Meyer (Momus /
Cithéron), Andrea Bogner / Sonja Gerlach (Thalie / La
Folie), Hyeon Kyoo Lee (Amor / La Clarine), Jeffrey Treganza
(Baccus / Platée), Sebastian Bollacher (Momus), Katrin
Gerstenberger / Elisabeth Hornung (Juno)
- Opéra de
Kiel - 16, 22, 29 octobre 2005, 6 novembre 2005, 22
décembre 2005 - mise en scène Aurelia Eggers -
décors Norbert Ziermann - costumes Moritz Jünge - avec
Michaela Rams (Thalie, Clarine), Heike Wittlieb (Amour, la Folie),
Marina Fideli (Junon), Fedrick Akselberg (Thespis, Mercure),
Andres J. Dahlin (Platée), Jörg Sabrowski
(Cithéron, un Satyre), Mirko Janiska (Momus)

- Opéra de
Kiel - 19, 25, 29 juin 2005 - dir. Christof Spering -
mise en scène Aurelia Eggers - décors Norbert
Ziermann - costumes Moritz Jünge - avec Michaela Rams
(Thalie, Clarine), Heike Wittlieb (Amour, la Folie), Marina Fideli
(Junon), Fedrick Akselberg (Thespis, Mercure), Andres J. Dahlin
(Platée), Jörg Sabrowski (Cithéron, un Satyre),
Mirko Janiska (Momus)

- Darmstadt -
Staatstheater - 10, 12 juin 2005 - dir. Raoul
Grüneis - mise en scène John Dew - décors Heinz
Balthes - costumes José Manuel Vazquez - nouvelle
production

- New York City Opera
- 28 septembre, 2, 6, 8, 10, 14, 16 octobre 2004 - Mark
Morris Dance Group - dir. Daniel Beckwith - mise en scène
et chorégraphie Mark Morris - décors Adrianne Lobel
- costumes Isaac Mizrahi - lumières James F. Ingalls - avec
Philip Salmon (Thespis, Mercure), Marcus DeLoach (Satyre,
Citheron), Lisa Saffer (Thalie, Clarine), Christine Brandes
(L'Amour, La Folie), Jean-Paul Fouchecourt (Platée), Andrew
Drost (Momus), Jennifer Roderer (Junon)
- Utrecht - 30,
31 août 2002 - Entschede
- 3 et 5 septembre 2002 - Apeldoorn -7 septembre 2002 - Amsterdam - 10 septembre 2002 -
Eindhoven - 13 septembre 2002
- Heerlen - 15 septembre 2002
- Maastricht - 18 septembre
2002 - Rotterdam -22, 24 et 25
septembre 2002 - Choeur du Nationale Reisopera - Combattimento
Consort Amsterdam - dir. Jan Willem de Vriend - mise en
scène Mirjam Koen et Gerritt Timmers - décors
Gerritt Timmers - costumes Carly Everaert - lumières Paul
van Laak - chorégraphie Ton Lutgerink - avec Harry Nicoll
(Platée), Claron McFadden (La Folie, Thalie), Frans
Fiselier, Jean-François Vinciguerra (Jupiter, un Satyre),
Benoît Boutet (Thespis, Mercure), Machteld Baumans (Junon),
Frans Fiselier (Cythéron, Momus), Johanette Zomer (L'Amour,
Clarine), Michael Hart-Davis (Momus)
- Opéra Garnier
- 11, 13, 15, 18, 20, 22, 24, 27 février 2002 -
Valence - Palau de la Musica -
version de concert - 28 février 2002 - Coproduction avec le
Grand Théâtre de Genève, le Grand
Théâtre de Bordeaux, l\92Opéra de Montpellier,
De Vlaamse Opera et le Théâtre de Caen - Orchestre et
Ch\9Curs des Musiciens du Louvre-Grenoble - dir. Marc Minkowski -
mise en scène et costumes : Laurent Pelly - collaboration
à la mise en scène : Agathe Mélinand -
décors : Chantal Thomas - lumières : Joël Adam
- chorégraphie : Laura Scozzi - avec Paul Agnew (11, 13,
18, 20, 24 fév.) ou Gilles Ragon (15, 22, 27 fév.)
(Platée), Mireille Delunsch (La Folie, Thalie), Yann Beuron
(Thespis, Mercure), Vincent Le Texier (Jupiter), Doris Lamprecht
(Junon), Laurent Naouri (Cithéron, un Satyre),
Valérie Gabail (L\92Amour, Clarine), Franck Leguérinel
(Momus)
- Opéra International - 13 et 22
février 2002
"Paul Agnew crée un
stupéfiant univers de nonsense. Vocalement, ce pur
ténor britannique poursuit la technique registrale apprise
dans les maîtrises d'enfants de son pays, en sollicitant son
registre de tête dès le médium ; son aisance est
ici sans faille...Dramatiquement, Paul Agnew, étonnant feu
follet, fait de nous les spectateurs hilares de cette
comédie...Quant à Gilles Ragon, anciennement pure
haute-contre et devenu ténor de caractère, avec un
timbre plus corsé...il dessine une trajectoire plus
construite...Avec Gilles Ragon, le rire est grinçant et
teinté de douleur. Avec un égal talent et une identique
réussite, ils magnifient une production
étourdissante...Le reste de la distribution est au
diapason...Mireille Delunsch au premier chef, qui peint une Folie
délirante et aussi inoubliable que son
costume."
- Le Monde - La "Platée"
rêvée de Rameau - 19 février 2002
Le baron Grimm et Jean-Jacques
Rousseau - lesquels n'étaient pas précisément
des enjoués - auraient sans doute trouvé "sublime"
(comme à la création de l'\9Cuvre, en 1745) cette
Platée de Rameau montée en avril 1999 par Laurent Pelly
et Marc Minkowski. Véritable révélation musicale
et dramaturgique, la production n'a rien perdu de son implacable
cruauté, de son joyeux piquant ni de sa noirceur et de son
ineffable pouvoir de nostalgie. Car ce chef-d'\9Cuvre du
répertoire lyrique du XVIIIe siècle pose un regard
d'une extraordinaire acuité sur l'objet opératique
lui-même, au point d'en assurer à la fois la
déconstruction (Rameau y parodie à loisir les
ingrédients de la tragédie lyrique) et la survie (et
cela avec un raffinement, un art, un brio !). A ce jeu du juge et
parti s'opère la mise en scène miniature de ce qui,
à la manière de la grenouille bovine de la fable,
s'enflera jusqu'à l'éclatement quelques années
plus tard de la querelle des Bouffons.
Si la prestation de Jean-Paul
Fouchécourt dans le rôle-titre est encore dans les
mémoires, celle de Paul Agnew (à l'époque
"simple" Thespis) n'a rien à lui envier. De la nymphe
naïve et ridicule, il pénètre l'âme navrante
et ravie, rendant avec un scrupule d'entomologiste émois et
pâmoisons de cette Bécassine touchante jusque dans
l'expression d'une laideur qui s'ignore pour mieux se
reconnaître dans le miroir de la tromperie. Parfaite
antithèse, la Folie incarnée par une Mireille Delunsch
belle et arrogante à souhait. Une incarnation magistrale de ce
que l'esprit français a produit de plus cruellement
drôle, de plus sombrement comique, de plus radicalement lucide.
Un régal d'intelligence scénique et
d'ingéniosité musicale. A tel point que les dieux
mêmes en pâlissent quelque peu : le rutilant Mercure de
Yann Beuron, le fringant Jupiter de Vincent Le Texier, la belle
autorité de Laurent Naouri en maître du jeu,
l'impertinent Amour de Valérie Gabail, le désopilant
Momus de Franck Leguérinel et jusqu'à la furie de
service qu'est la Junon de Doris Lamprech.
Enlevée, inventive,
poétiquement désespérée, la mise en
scène de Laurent Pelly se veut baroque au premier sens du
terme. Les gradins rouge et or du grand théâtre des
dieux vont se fracturer comme un grand navire en perdition pour
s'échouer dans les marécages de Platée,
Atlantide glauque et dérisoire. Quant à la
chorégraphie de Laura Scozzi, sa vitalité
exacerbée prend à son compte la violence d'un propos de
séduction qui, sous le manteau de la parodie, cache le
poignard assassin d'une certaine critique sociale.
Dans cet apologue en forme de
ballet bouffon, l'Orchestre et les Ch\9Curs des Musiciens du Louvre -
Grenoble ne se contentent pas d'être de formidables orateurs.
Ils sont aussi de remarquables acteurs. La direction de Marc
Minkowski, vive et sensible, ironique et sensuelle, donne à
l'\9Cuvre la véritable force rhétorique que le
théoricien Rameau appela toute sa vie de ses écrits et
de ses v\9Cux.
"L'un des meilleurs spectacles
proposés ces dernières années par l'Opéra
de Paris...Platée est présenté ici dans une
version moderne et très délirante, bien que
respectueuse du livret. On rit sans retenue, on est ému par
moments, on est embarqué par la mise en scène et
l'excellente direction d'acteurs de Laurent Pelly, on admire les
ingénieux et superbes décors de Chantal Thomas, on est
ébahi devant la chorégraphie de Laura Scozzi et ses
danseurs, on savoure le travail des Musiciens du Louvre et
l'excellent choeur dirigés avec fougue par Marc
Minkowski."
- ConcertoNet - Coâ de neuf
? - 11 février 2002
"Même imagination
généreuse, même pertinence du décalage et
de la parodie, même accomplissement de la direction d'acteurs,
d'une vitalité et d'un naturel rares (sans parler des
géniales chorégraphies de Laura Scozzi) : la production
de Laurent Pelly demeure l'une des plus réussies dont ait
bénéficié un ouvrage baroque cette
dernière décennie, et recèle toujours quelque
plaisir inédit à chaque nouvelle vision. La direction
de Marc Minkowski a sensiblement évolué pour sa part,
peut-être face aux accusations de motorisme
proférées par certains ramistes collet monté -
dans cette optique, les représentations bordelaises de la
saison passée constituèrent une forme
d'apothéose. Tempos plus larges, attaques plus rondes,
assorties d'un approfondissement du travail sur les timbres et la
polyphonie (les longues tenues des basses ressortent ainsi dans toute
leur étrangeté harmonique, tandis que Nicolas Mazzoleni
effectue un superbe travail au pupitre de premiers violons). Cette
volonté d'apaisement entraînait au soir de la
Première un léger divorce avec les danseurs, dont la
motivation, l'élan rythmique semblait venir d'eux mêmes
plutôt que de la fosse (chaconne et tambourin du
troisième acte en particulier) ; lors de la
représentation du 15 toutefois, Marc Minkowski semblait
être parvenu à un équilibre idéal entre
ces recherches plus fouillées et la vitalité qui lui
est habituelle, les décalages ch\9Cur - orchestre induits par la
mise en scène au troisième acte s'étant
également atténués. Mireille Delunsch a suivi le
chef dans cette maturation, et leur complicité scénique
et musicale rend inoubliable la grande scène de la Folie.
Aucune outrance, mais une force comique foudroyante et
dérangeante dans ces attitudes, ces expressions et ces regards
d'une extraordinaire subtilité, ces couleurs vocales pleines
d'audace, ce phrasé d'un parfait raffinement (Amour, lance tes
traits passera avec un peu moins de facilité), cette diction
française en net progrès. On retrouve avec bonheur Yann
Beuron, plus épanoui que jamais en Mercure (l'aigu
paraît raffermi), et Laurent Naouri, un peu contraint le 11,
plus libre de son émission le 15. Franck Leguérinel
compense par la verve de son numéro la banalité de la
voix, Le Texier vire à l'inécoutable, incapable de
phraser et d'articuler. Nouvelle venue, Doris Lamprecht ne vaut
guère mieux, mais au moins ne lui demande-t-on guère de
musique et beaucoup de burlesque, ce dont elle s'acquitte à
merveille. Valérie Gabail réussit en revanche de
splendides débuts sur la scène de l'Opéra : le
timbre brillant mais équilibré et bien ancré
dans le médium, le soutien assuré nous valent un
Soleil, tu luis en vain remarquable de lignes et de nuances.
Jean-Paul Fouchécourt, sa totale identification au personnage,
la personnalité de son timbre, la perfection de ses mots faits
musique et l'alliage inimitable entre grotesque et bouleversant ont
manqué à cette reprise. Mais les deux titulaires sont
mieux que des doublures, et lui rendent des comptes sur plusieurs
terrains où ses limites étaient patentes. Paul Agnew
souffre de l'impossible jonction entre ses registres, et ne parvient
pas à trouver la vraie couleur du rôle. Il arrive
fatigué à l'acte final, où l'émission
devient trop fixe et la ligne incertaine. Tout le début fait
valoir, outre une diction soignée, une autorité
virtuose et une précision des ornements qui ne souffrent
guère de concurrence dans les redoutables Habitants
fortunés ou Quittez, Nymphes, quittez, et le personnage,
finement dessiné, est à la fois drôle et
touchant. En comparaison, Gilles Ragon se prend pour Zaza Napoli dans
ses deux premiers actes et affiche des manières musicales\85 de
camionneur. Mais la voix est parfaite de volume et de projection pour
cette salle, le timbre égal et large sur toute la tessiture,
et le final exceptionnel, tant par sa véhémence que par
une incarnation dramatique soudain juste, signant comme peu d'autres
la résolution tragique de la farce."
- Concertclassic - 11 février
2002 - Épatante Platée : Rameau à
l'Opéra Garnier
"Platée demeure dans
l'histoire de l'opéra français et disons le, dans
l'histoire de l'opéra tout court, une exception fulgurante. La
partition est une bouffonnerie inimaginable par laquelle Rameau,
l'érudit et le savant, ose tourner en dérision
l'intouchable et noble mythologie, non pas dans les sujets
abordés (voici une Janon Jalouse, un Jupiter empressé
volage), mais plutôt dans les registres choisis : le
délire, la désarmante ironie dont le comique de
situation, et quelles situations où de facétieuses
métamorphoses transforment le Dieu des dieux en âne et
en hibou, permet toutes les mises en abîme, échafaude
à l'infini, les perspectives de l'illusion baroque la plus
libre. Ici règne la Folie, personnage emblématique de
cette parodie burlesque inédite.
Mais là où
Rameau émerveille, puissant génie du
théâtre, c'est assurément lorsque la verve
divertissante dénonce l'essentiel de la vie, sa
cruauté, sa terrifiante vérité : l'amour qui est
au centre des relations entre les êtres, est ici
épinglé sous les feux de sa brûlante horreur. Il
n'est d'amour que dans l'illusion. Nous voilà bien au c\9Cur du
théâtre baroque. Junon est trompée par Jupiter,
et Platée, grenouille aussi laide que vaniteuse, reine des
Marais, souveraine grotesque, paie très cher les fruits de sa
naïve sincérité qui la fait croire aimée du
plus puissant des Dieux. Proie des astuces d'un Priape excité,
Platée incarne sous le masque de l'humour, le désarroi
final de la souffrance la plus aiguë. En elle retentissent avec
douleur, les déchirures de la solitude impuissante.
Platée in fine peint un comble du tragique. Voilà bien
pourquoi l'ouvrage est un laboratoire où les contraires
s'associent : délire du comique, vagues du tragique,
surenchère parodique, pointes
délirantes.
La musique est violente et
perfide par sa justesse. Rameau y a conçu une matière
en incandescence. Et son trait le plus ingénieux est
évidemment d'avoir réservé le rôle de
Platée à un ténor léger. Rôle
travesti, le personnage central est un morceau de bravoure pour tout
chanteur élu. C'est l'incomparable Jélyotte qui
créa l'ouvrage à Versailles le 31 mars 1745. Pendant la
Querelle des Bouffons en 1752, confrontés aux fulgurances de
la partition, les pourfendeurs de l'Opéra Français,
Jean Jacques Rousseau et Grimm - qui goûtaient mieux les
délices intimistes des intermèdes italiens -
reconnurent de mauvaise grâce, la valeur de Platée
où Rameau signait l'un de ses chefs d'\9Cuvre.
Revoici donc la production qui
fut déjà en 1999, un succès
mérité. Les ors et rouges de la salle Garnier, comme le
volume du théâtre se prêtent idéalement
à l'ouvrage. Qu'il s'agisse des fureurs ourlées de la
fosse d'orchestre, du jeu des acteurs et des nombreux ballets
parcourant une \9Cuvre dense, riche en rebondissements, le duo
Minkowsky/Pelly a montré avec quel tempérament les
oppositions contenues dans la partition ressuscitaient avec passion.
Qu'en sera-t-il en 2002 ? Le plateau de cette reprise promet un aussi
bon crû qu'en 1999. Deux ténors « baroques »
se partagent la vedette dans le rôle-titre : Paul Agnew (les
11, 13, 18, 20 et 24 février) et Gilles Ragon (15, 22, 27
février) qui interpréta la Reine du Marécage
dans la version discographique signée Minkowski (Erato).
Mireille Delunsch sera La Folie dans l'un des airs les plus
débridés de l'Opéra baroque du XVIIIe
siècle. Quoiqu'il en soit, courrez voire Platée car
Rameau à l'Opéra demeure trop rare !"
- Londres - Covent Garden
- 3, 5, 6 octobre 2001 -
Mark Morris Dance Group - Philharmonia Baroque Orchestra - UC
Berkeley Chamber Chorus - dir. Nicholas McGegan - mise en
scène et chorégraphie Mark Morris - costumes Isaac
Mizrahi - avec Jean-Paul Fouchécourt (Platée),
Philip Salmon (Thespis/Mercure), Marcos Pujol
(Satyre/Cithéron), Lisa Saffer (Thalie/Clarine), Bernard
Deletré (Momus/Jupiter), Amy Burton (L\92Amour/La Folie),
Mary Phillips (Junon), John McVeigh (Momus)
- Opéra de Bordeaux
- 18, 19, 21, 22 février 2001 - Grenoble - La Rampe - Echirolles - 26
février - version de concert -
Opéra de Montpellier - 2 et 4 mars 2001 -
coproduction Opéra National de Paris, Grand
Théâtre de Genève, Grand Théâtre
de Bordeaux, Opéras de Montpellier, Théâtre de
Caen et Opéra de Flandre - Les Musiciens du Louvre - Ch\9Curs
du Grand Théâtre de Genève - direction
musicale Marc Minkowski - mise en scène et costumes Laurent
Pelly - décors Chantal Thomas - chorégraphie Laura
Scozzi - avec Jean-Paul Fouchécourt / Gilles Ragon
(Platée), Mireille Delunsch (La Folie, Thalie), Yann Beuron
(Mercure, Thespis), Vincent Le Texier (Jupiter), Martine
Mahé (Junon), Jean-Philippe Courtis (Un satyre,
Cithéron), Cassandre Berthon (L\92amour, Clarine), Franck
Leguérinel (Momus).
- Grand Théâtre
de Genève - 28, 29, 31 janvier, 1er,
3, 4 février 2001 - Les Musiciens du Louvre-Grenoble, le
ch\9Cur baroque et le ballet du Grand Théâtre de
Genève - dir. Marc Minkowski - mise en scène Laurent
Pelly - avec Mireille Delunsch (Thalie, la Folie), Martine
Mahé (Junon), Cassandre Berthon (L\92Amour, Clarine),
Jean-Paul Fouchécourt et Gilles Ragon (Platée), Yann
Beuron (Mercure, Thepsis),Vincent Le Texier et Christophe Fel
(Jupiter), Jean-Philippe Courtis (Cythéron, un Satyre),
Franck Leguérinel (Momus), Emilien Palenzuela (La
grenouille de Thepsis).
"Quoi, quoâ,
côâ !", vous reprendrez bien un peu de cette
Platée-là. Non seulement les lyricomanes en reprennent
mais ils en redemandent. Car les grenouilleries délirantes qui
avaient enthousiasmé Paris en mai passé n\92en finissent
pas de conquérir tous les publics sur leur passage. À
Genève, cité calviniste où règne
traditionnellement un quant-à-soi de bon ton, les spectateurs
ont succombé, comme partout ailleurs, à la fantaisie et
à l\92humour de l\92opéra de Rameau. Revu par la fine
équipe de Laurent Pelly à la mise en scène, Marc
Minkowski à la baguette, Chantal Thomas aux décors et
Laura Scozzi aux ballets, l\92\9Cuvre prend, il faut bien l\92avouer, un
salvateur coup de jeunesse. On ne redira jamais assez ce que le
répertoire baroque, quand il est dopé par des esprits
frondeurs et joueurs peut apporter de renouvellement dans le domaine
lyrique. Et de l\92imagination, les comparses de cette production n\92en
manquent pas. On se souvient de leurs Orphée aux enfers et
Belle Hélène d\92Offenbach avec délice. Dans le
cadre de la musique ancienne, ils auraient pu se fourvoyer.
C\92était sans compter avec l\92oeuvre piquante et ironique de
Rameau, qui se complaît à critiquer, par Dieux
interposés, les travers d\92une société pas
franchement loin de la nôtre\85
La musique, d\92abord, a
trouvé le bon révélateur de ses
espiègleries. Marc Minkowski en souligne toute la verdeur, la
drôlerie et les attendrissements en alliant fougue et finesse
avec une énergie du diable. Les Musiciens du Louvre-Grenoble
s\92avèrent aussi remarquables dans la virtuosité des
traits, poussée à l\92extrême par leur chef, que
dans la subtilité des sonorités, tirées, elles,
aux limites du possible. C\92est donc dans l\92ivresse que les chanteurs
s\92appuient sur l\92interprétation inspirante qui sévit
dans la fosse. Jean-Paul Fouchécourt en irrésistible et
attendrissante Platée, Yann Beuron (Mercure éclatant),
Vincent Le Texier (hilarant Jupiter) et Mireille Delunsch en folie
étourdissante se lancent dans l\92aventure avec une gourmandise
intacte. Et l\92extravagante salle de spectacle que des mousses
marécageuses envahissent progressivement, permet à
Laurent Pelly les digressions les plus acrobatiques. Placeuses
affolées, banquet de grenouilles et autres courses
hystériques d\92un public désorienté trouvent leur
place dans cette histoire de nymphe grotesque et de Dieux ridicules,
décapée de toutes ses afféteries baroques. Avec
en prime les ballets déjantés de Laura Scozzi, qui
bouscule de façon désopilante les relations de couple,
on entre de plain pied dans le c\9Cur d\92un sujet éternel :
l\92amour et ses caprices. Un régal. (Altamusica - "Vent de
folie sur Genève")
- New York City Opera
- 11, 14, 16, 18, 20, 22 avril 2000 - mise en
scène Mark Morris - décors Isaac Mizrahi - avec
Jean-Paul Fouchécourt, Christine Brandes

- Vlaamse - Gand
- 1er, 3, 4, 6,7 novembre 1999 - Anvers 14, 16, 17, 19, 21 novembre 1999
- Théâtre de Poissy
- 9 novembre 1999 - verssion de concert - Coproduction
avec Opéra National de Paris, Opéra de Bordeaux,
Opéra de Montpellier, Théâtre de Caen - Les
Musiciens du Louvre - dir. Marc Minkowski - mise en scène
Laurent Pelly - décors Chantal Thomas - costumes Laurent
Pelly - lumières Joël Adam avec Jean-Paul
Fouchécourt / Tracey Welborn (Platée), Mireille
Delunsch (La Folie / Thalie), Paul Agnew (Thespis / Mercure),
Christophe Fel (Jupiter / Un Satyre), Doris Lamprecht (Junon),
Thierry Felix (Cithéron), Cassandre Berthon (L'Amour /
Clarine), Franck Leguérinel (Momus)
- Salzbourg - Festival de
Musique Ancienne - Mozarteum - 23 mai 1999 - Halle - Händelfestspiele - 5 juin
1999 - version de concert - Les Musiciens du Louvre - dir. Marc
Minkowski - avec Jean-Paul Fouchécourt (Platée),
Mireille Delunsch (La Folie, Thalie), Laurent Naouri
(Cithéron), Yann Beuron (Mercure, Thespis), Vincent Le
Texier (Jupiter, Satyre), Nora Gubisch (Junon)
- Palais Garnier
- 28, 29, 30 avril, 2, 3, 4, 6, 7, 9, 10 mai 1999 - Théâtre de Caen - 19, 20
mai 1999 - Grenoble-Echirolles
- 25 mai 1999 - version de concert - Les Musiciens du
Louvre-Grenoble - dir. Marc Minkowski - mise en scène
Laurent Pelly - décors Chantal Thomas - chorégraphie
Laura Scozzi - avec Jean-Paul Fouchécourt / Tracey Welborn
(Platée), Annick Massis/Mireille Delunsch (la Folie,
Thalie), Yann Beuron (Mercure), Paul Agnew (Thespis), Vincent Le
Texier (Jupiter), Nora Gubisch (Junon), Laurent Naouri (Un Satyre,
Cithéron), Cassandre Berthon (L'Amour, Clarine), Franck
Leguérinel (Momus).
- Opéra International - juin 1999
" Une grande majorité
du public s'amusait franchement le soir de la première de
Platée à l'Opéra de Paris et il est difficile de
nier que le spectacle de cette "comédie lyrique" ou "ballet
bouffon" est souvent réjouissant, avec d'indéniables
réussites et des gags réjouissants comme,
d'entrée de jeu, le Prologue situé dans un
théâtre, un opéra ou un cinéma,
côté salle, avec des fauteuils rappelant de loin ceux du
Palais Garnier. N'assiste-t-on pas à la naissance de la
comédie, avec le projet d'une réalisation qui vise
à corriger les défauts des humains en se servant du
mauvais exemple des dieux (ici la jalousie de Junon, mise à
l'épreuve par son mari à travers son grotesque mariage
avec Platée). Thespis (dont c'est peut-être un
rêve auquel on va assister), Thalie, Momus, l'Amour, satyres et
ménades, vont et viennent, rampent, s'asseoient et se
lèvent au milieu des fauteuils, conduits par des ouvreuses de
cinéma, munies de lampes de poche. Dans le Prologue ainsi
traité, sans l'habituelle célébration bachique,
déjà un ballet s'esquisse et annonce ce qui est,
à notre sens, un des points forts de cette production, les
divertissements dansés, où la chorégraphe Laura
Scozzi n'a pas tenté une hypothétique reconstitution,
mais s'est mise à l'écoute de la musique. La verve de
Rameau a été pour elle une source d'inspiration
débridée et quelques mouvements imaginés par
cette artiste italienne, inspirés du hip hop et du rap, ont
fait à cette occasion leur entrée à
l'Opéra de Paris. Par la suite, en ce qui concerne la
représentation scénique, se pose le problème de
l'encombrant décor de fauteuils du Prologue. Chantal Thomas le
transforme certes progressivement - avec notamment des ajouts de
mousse -, mais tout de même bien maladroitement, et sans que ce
soit vraiment en harmonie avec l'ambiance musicale, en "grand marais
plein de rozeaux et entourés de vieux saules" sur lequel
règne la disgracieuse et précieuse nymphe
Platée. Le dispositif s'améliore vers la fin de
l'ouvrage, sans verser pour autant dans le réalisme. Reste une
interrogation : le vaste plateau de Garnier convient-il à cet
opéra qui y perd de son impact, obli-geant Laurent Pelly
à forcer le trait?
L'orchestre des Musiciens du
Louvre-Grenoble est installé dans la fosse, dont le plancher a
été judicieusement surélevé. Marc
Minkowski les mène à la cravache, en donnant à
chaque note, chaque inflexion, une finalité expressive et
musicale. Son travail n'est pas aisé, car la partition de
Rameau est complexe. Le compositeur, en accord avec son librettiste
Le Valois d'Orville, n'y livre-t-il pas une satire de son propre
style dans la tragédie lyrique, avec également des
références au style italien en vogue
àl'époque ? La lecture de Minkowski évite toute
emphase malvenue. A l'écoute de l'interprétation
vocale, le soir de la première, on ne retrouvait pas la
même exigence de la part du chef : la distribution, en effet,
manquait d'homogénéité, tant sur le plan du
style que de la prosodie, fort inégale. Le cas du
rôle-titre est à part : comme comédien, Jean-Paul
Fouchécourt, auquel on a fait une tête frisée
à la Harpo Marx, est irréprochable. Le soir du 28
avril, il avait ce que l'on appelle une présence, une
intelligence et une sensiblité, sans aucune trace de
vulgarité, mais son chant demeurait décevant, comme en
deçà. Les aigus de ce ténor - ou
contre-ténor, on ne sait plus - manquent d'impact et de
projection, bien qu'émis dans un diapason très bas.
Où sont les sons ouverts qui obligent à l'utilisation
de la voix mixte ? On ne retrouve surtout pas, dans son chant, ce qui
fait l'étrangeté et la préciosité de
cette laide, et finalement pathétique, vieille nymphe qui
croit, dur comme fer, être aimée de Jupiter.
Etrangeté et préciosité qui doivent s'exprimer
autant dans la voix que dans le jeu. Le reste de la distribution, le
soir de la première, était dominé par la
présence d'Annick Massis (Folie efficace, drôle, mais au
style parfois un peu relâché), de Yann Beuron (Mercure),
Vincent Le Texier (Jupiter) et Franck Leguérinel (Momus), au
style et à la prononciation parfaits. Laurent Naouri ne trouve
pas, en Citheron, son meilleur emploi, Nora Gubisch s'avérant
incompréhensible en Junon.
Pour les rôles de
Platée et de la Folie, l'Opéra National avait
prévu une alternance. Le soir du 7 mai, l'Américain
Tracey Welborn a apporté à la nymphe sa haute taille et
sa silhouette dégingandée, qui confèrent une
allure totalement différente au personnage. Sa voix de
ténor, plus corsée que celle de Jean-Paul
Fouchécourt, s'épanouit à merveille dans le bas
médium et le grave de la tessiture ; l'aigu, en revanche, lui
pose des problèmes d'intonation, surtout dans l'air
d'entrée, faute d'un allégement suffisant de
l'émission. Mais l'engagement de l'interprète balaie
toute réserve, et le tableau final est un grand moment,
à la fois de chant et de théâtre. Mireille
Delunsch, pour sa part, tire le meilleur parti de la mise en
scène, qui place la Folie à l'avant-scène,
presque au milieu des musiciens de l'orchestre. Elle se livre
à un ahurissant numéro d'actrice, avec des accents de
tragédienne tout droits sortis de ses récentes Armide
et lphigénie de Gluck, au point de faire oublier les
aspérités de son timbre et son manque d'aisance dans
les vocalises."
- ConcertoNet - 28 avril 1999
"Retour du tandem Pelly -
Minkowski à la parodie mythologique, après cet
Orphée aux Enfers déjanté présenté
à Lyon, Grenoble et Genève. Rameau bien sûr exige
une profondeur, des zones d'ombre que le jeune Offenbach ignore
encore. Nous les avons. La première qualité de ce
spectacle est de refuser l'intellectualisme pédant comme la
préciosité esthétique pour assumer un rire franc
dont naîtra spontanément l'émotion, au besoin le
malaise. Veut-on un seul exemple ? Prenez la chaconne de l'acte
nuptial, dont la sublime inspiration s'harmonise étonnamment
avec le ballet burlesque, à l'imagerie sexuelle
appuyée. La chorégraphie de Laura Scozzi,
épinglant avec une virtuosité redoutable certaine
vacuité de la danse contemporaine comme des clichés
classiques, contribue puissamment à la réussite d'une
production qui restitue à l'oeuvre ses jeux de
décalages entre le discours noble et la culture populaire.
Puisque le théâtre de foire n'est plus dans nos rues,
c'est dans l'univers du cartoon, voire de Chantal Goya que Pelly et
sa décoratrice vont chercher l'indispensable farce,
déclinée de la naïveté attendrissante
(cette grenouille qui sautille dans la fosse d'orchestre) à la
plus extrême élégance (le pas de deux du
street-dancer tenu en laisse et de sa hautaine maîtresse).
Exigeant beaucoup des choristes et des chanteurs, Pelly en obtient
dans la tenue de scène (les mains en particulier, avec ces
gants de batracien hilarants) et dans les mimiques une
réceptivité rare, et construit avec eux une progression
implacable du rire au déchirement, à laquelle le
spectateur s'identifie profondément. Nous nous trouvons tous,
tour à tour, dans la situation de Platée et de ses
bourreaux, victimes de la concupiscence, de l'humiliation, de la
détresse.
Marc Minkowski, qui
mûrit l'oeuvre depuis plus de dix ans, est évidemment
pour beaucoup dans l'approfondissement de sa dimension dramatique.
Ses Musiciens du Louvre prônent le même engagement
virtuose, les mêmes articulations incisives, mais le tempo
respire avec davantage d'ampleur, les plans sonores se superposent
avec une netteté qui est à la fois source de plaisir en
soi et illustration théâtrale (plus que les bruits de la
nature, son atmosphère : quels pupitres d'harmonie, quels
frémissements du continuo, quels tourbillons des cordes !).
Là encore, l'émotion naît aussi bien de la
perfection formelle - les danses, vigoureuses et aériennes -
que de la violence des accents, proprement terrifiants dans la
scène finale. Minkowski s'est entouré des chanteurs
qu'il affectionne, s'offrant même le luxe d'un Naouri qui peut
se permettre aujourd'hui des emplois plus gratifiants que celui de
Cithéron. Yann Beuron prouve encore une fois ses immenses
qualités (cette plénitude du timbre et du soutien dans
la déclamation de l'annonce faite à Platée !),
on aime le couple infernal Gubisch - Le Texier et le numéro de
Franck Leguérinel. Annick Massis, qui peine toujours à
se libérer complètement, est une Folie ravissante et
mutine, au timbre admirablement fin et coloré, à la
diction savoureuse, au phrasé délié sinon
toujours très précis rythmiquement, jouant avec esprit
des cocottes et des grands éclats dans l'air de Daphné
- mais il faudra voir, aussi, la flamme d'une Mireille Delunsch. Et
puis il y a Fouchécourt, hallucinante Platée, d'une
féminité plus touchante que grotesque dans les
scènes de coquetterie, d'une drôlerie à la fois
rayonnante et fragile. La voix n'a pas tout à fait l'ampleur
que demande la scène finale, mais la lumière
ambiguë du timbre (extraordinaire intégration du registre
de tête), la subtilité de la dynamique, la
précision des ornements et la musicalité inscrite dans
les mots eux-mêmes en font l'un des plus formidables
interprètes du rôle-titre jamais entendus. On en
reprendrait bien une cuisse..."
"Changements de tête
pour le Platée de Pelly et Minkowski chaleureusement accueilli
par le public du Palais Garnier. En total contraste avec Jean-Paul
Fouchécourt, Tracey Wellborn prête au rôle titre
une stature physique et vocale héroïque - avouons que son
apparition évoque un petit peu Priscilla folle du
marécage. Sans l'ambiguïté du timbre, la
facilité dans la voix mixte (d'où un aigu fixe et
souvent bas), la finesse d'ornementation et la parfaite diction de
son collègue, il peine dans la coquetterie comme dans la
tendresse, mais livre un dernier acte bouleversant par
l'intensité dramatique, la vigueur des accents portés
par un souffle inépuisable. Delunsch est au delà de ce
qu'on espérait ; évidemment moins fière de
suraigu (d'ailleurs absent de la partition) et moins
déliée de phrasé que Massis, mais ample
d'émission et de dynamique, riche en couleurs jusque dans
l'extrême grave, rythmiquement sûre, formidablement
concernée scéniquement et musicalement. Il faut la voir
toiser l'orchestre, regard perdu et sourire malsain au lèvres,
avant d'attaquer les couplets de Daphné d'une voix arrogante
(et avec une diction aussi claire que savoureuse, contrairement
à ses prestations antérieures), la main fourrageant
haineusement dans les partitions de sa robe, la vocalise hululant
à plaisir, pour comprendre que les meilleures incarnations
comiques se nourrissent souvent de la fibre de
tragédienne."
- Opéra de San
Francisco - Berkeley - Zellerbach Hall - 10, 12, 13
juin 1998 - dir. Nicholas McGegan - mise en scène Mark
Morris - avec Jones, Tibbels, Brandes, Jean-Paul
Fouchécourt (Platée), François le Roux
(Jupiter), Mark Padmore (Mercure, Thespis), Philip Salmon (Momus),
Rath
- Londres - Barbican Theatre - 22, 24, 30
septembre, 3, 7, 10 octobre 1997 - dir. Nicholas McGegan - mise en
scène Mark Morris - avec Jean-Paul Fouchécourt
(Platée), Diana Montague (Junon), François le Roux
(Jupiter), Nicole Tibbels (La Folie, L'Amour), Susan Gritton
(Clarine, Thalie), Mark Padmore (Mercure, Thespis), Philip Salmon
(Momus)
"Nouvelle production du Royal
Opera, présentée au Festival d'Edimbourg en août
1997"..."Le chorégraphe Mark Morris livre un spectacle en tous
points divertissant et délicieux"..."Adrianne Lobel,
décorateur, imagine un marais vivement coloré"..."Le
ténor aigu de Jean-Paul Fouchécourt trouve un emploi
idéal dans le rôle de la nymphe : maquillé comme
un personnage de cauchemar, il n'en demeure pas moins humain de bout
en bout, avec un style impeccable et une diction absolument
exemplaire." (Opéra International - novembre
1997)
- Festival d'Edimbourg -
Festival Theatre - 11, 13, 14 août 1997 - dir.
McGegan - mise en scène Mark Morris - avec Jean-Paul
Fouchécourt (Platée), Diana Montague (Junon),
François le Roux (Jupiter), Susan Gritton (Clarine,
Thalie), Mark Padmore (Mercure, Thespis), Philip Salmon
(Momus)
- Opéra Garnier
- 18 novembre 1990 - Les Musiciens du Louvre - Ensemble
vocal Françoise Herr - dir. Marc Minkowski - avec Gilles
Ragon, Jennifer Smith, Jean-Paul Fouchécourt, Vincent Le
Texier, Bernard Delétré, Catherine Bott, Michel
Verschaeve.
- Opéra International
- février 1989 - Platée en
tournée - La Diva Grenouille - Chanter Rameau
- Atelier Lyrique de
Tourcoing - 17, 20 et 22 janvier 1989 - Versailles - Opéra Royal - 26,
27 et 30 janvier 1989 - Montpellier
- 8, 10 et 12 février 1989 - Paris - Opéra Comique - 16, 18,
26 et 28 février 1989 - La Grande Ecurie et la Chambre du
Roy -Ensemble vocal du Centre national d'Insertion professionnelle
d'Art Lyrique de Marseille (chef de choeur Danièle Facon) -
Membres de l'Ensemble vocal Sagittarius (dir. Michel
Laplénie) - dir. Jean-Claude Malgoire - mise en
scène et chorégraphie François Raffinot -
Ensemble chorégraphique Ris et Danceries - costumes Sylvie
Skinazi - scénographie Majo Coppens, François
Raffinot - avec Bruce Brewer, ténor (Platée),
Isabelle Poulenard, soprano (Amour, la Folie), Gilles Ragon,
ténor (Thespis, Mercure), Nicolas Rivenq, baryton (un
Satyre, Cithéron), Chris de Moor, basse (Jupiter),
Elisabeth Baudry, soprano (Thalie, Clarine), Bruno Boterf,
ténor (Momus), Christine Batty, mezzo (Junon)
"Il n'y a rien à
redire de la prestation de la Grande Ecurie, visiblement en peine
forme et parfaitement préparée. La distribution vocale
remplit sur le plateau les promesses du disque et confirme les
talents de Nicolas Rivencq (Cithéron), Isabelle Poulenard
(Amour, la Folie), Chris de Moor (Jupiter), et les autres. Une mise
en scène poure le moins décalée et grand
guignolesque...Ce joyeux délire s'exprime d'abord à
travers d'invraisemblables costumes, au demeurant fort bien
conçus et réalisés ; l'ennui, c'est qu'au
cinquantième degré de distanciation, le spectateur n'a
plus aucune chance de saisir ce qu'on cherche au juste à
parodier...Tout ceci fourmille sans doute d'idées, mais
partition et livret s'éclipsent, faute de se sentir chez eux".
(Opéra International - mars 1989)
- Paris - Salle Favart
- 19 mai 1988 - dir. Marc Minkowski - avec Isabelle
Poulenard (La Folie), Guillemette Laurens (Junon), Gilles Ragon
(Platée), Ian Honeyman, Michel Verschaeve, René
Schirrer - version de concert
- Spoleto Festival -
Charleston - 1987 - avec Renée Fleming
- Festival de Spolète
- 1986 - dir. Mark Stringer - mise en scène
Filippo Sanjust - chorégraphie Vittorio Biagi
- Heidelberg - 12 juin 1984 - dir. Jean-Claude
Malgoire - mise en scène Peter Osolnik -
scénographie Klaus Teepe - avec Fitts, Hornung, Axel
Reichardt, Clark, Giammarusco, Senator
"Une lecture d'une grande
vitalité et d'une belle expressivité, avec un art
consommé des différenciations rythmiques"..."Si le
timbre de Axel Reichardt est pour le moins peu avenant, il
caractérise à merveille le rôle titre."
(Opéra International - septembre 1984)
- Opéra Royal de
Versailles - 27 septembre 1983 - Londres - Sadlers Wells Theatre - 1983
- English Bach Festival - dir. Jean-Claude Malgoire - mise en
scène Tom Hawkes - scénographie Terence Emery - avec
Jean-Claude Orliac, Hill Smith, Herford, Opie, Peter Jeffes,
Eidowen Harrhy
"Un Platée anglais,
hélas"..."la vision de Rameau précieuse,
maniérée, hyper-raffinée, et dépourvue de
sensualité lasse vite"..."Honnête musicien,
malgré une voix terne et à,l'aigu
décoloré, Jean-Claude Orliac se contente de jeux de
scènbe stéréotypés"..."Un décor
banal de Terence Hemery, des costumes aux couleurs acides, une
chorégraphie sans grâce"..."Sous la baguette de
Jean-Claude Malgoire, qui entraînait l'English Bach Festival
Baroque Orchestra , la musique retrouvait sa verve et ses couleurs."
(Opéra International - novembre 1983)
- Théâtre
antique de Fiesole - Festival de Fiesole - 1982 - dir.
Nicholas Kraemer -
- Festival de Drottingholm
- juillet 1978 - dir. Charles Farncombe - mise en
scène Bengt Peterson - scénographie Michael Stennet
- chorégraphie Regina Beck-Friis - avec Zachrissen
- Opéra Comique
- mai 1977 - dir. Charles Farncombe - mise en
scène Henri Ronse - décors et costumes Béni
Montrésor - chorégraphie Pierre Lacotte (ou Gigi
Caciuleanu ?) - avec Michel Sénéchal
(Platée).
- Opéra de
Lyon - saison 1971/72 - dir. Theodor Guschlbauer - mise
en scène Louis Erlo
- Brême -
1963 - en allemand - dir. Schäfer - avec van Kesteren, de la
Cruz, Novack
- Festival d'Aix en
Provence - 22 au 31 juillet 1956 -
Société des Concerts du Conservatoire - dir. Hans
Rosbaud - mise en scène Jean-Pierre Grenier - décors
et costumes Jean-Denis Malclès - réalisation
musicale Renée Viollier - avec Michel
Sénéchal (Platée), Jacques Jansen
(Cithéron), Nicolaï Gedda (Thespis, Mercure), Janine
Micheau (La Folie), Nadine Sautereau (Clarine, Thalie), Huc
Santana (Jupiter), Jean-Christophe Benoit (Momus), Christiane
Castelli (Junon), Monique Lindval (l'Amour), Robert Tropin (un
Satyre). Tournée à Versailles (Théâtre
Montansier), Bruxelles, Amsterdam, Genève.
- Scala de Milan
- Côme - janvier
1921 - en italien
- Monte Carlo -
1917 - première recréation en français.
- Paris -
Société des Concerts du Conservatoire -
16, 23 février 1908 - air de la Folie - dir. Georges Marty
- avec Mlle Suzanne Cesbron, de l\92Opéra-Comique, Mme
Narçon, Mille et Boussagol
- Munich - 1901 -
en allemand, dans une adaptation du livret par Félix
Schwagintweit, et de la musique par Hans Schilling-Ziemssen, sans
les rôles de la Folie et de Momus.
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