Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue,
sur un livret de Henry Guichard d'Hérapines, contrôleur
des Bâtiments du roi, représentée, sans
succès, à l'Académie royale de musique, le 21
(ou le 23) janvier 1703, avec une distribution réunissant
Cochereau (Orphée), Mlle Clément (La Seine),
Thévenard et Desvoyes (Deux Sauvages), Mlle Cochereau,
Dupérey et Loignon (Bergères) pour le prologue,
Hardouin (Urilas), Mlle Desmatins (Circé), Mlle Clément
(Euphrosine), Mlle Maupin (Pénélope), Mlle Lallemand
(Céphalie), Mlle Loignon (Junon), Thévenard (Ulysse),
Chopelet (Euryloque), Mlle Clément (une Nymphe), Boutelou
(Mercure), Cochereau (Télémaque), Mlle D'Humé
(Pallas).
Le livret fut édité par Ballard en 1703,
avec une partition réduite ne comportant pas les trois parties
d'alto de l'orchestre, ni les deux parties de haute-contre et de
ténor du choeur. La bibliothèque d'Uppsala, en
Suède, détient par ailleurs un jeu de parties
séparées manuscrites ne figurant pas dans
l'édition Ballard.
Le livret conservé à la BNF comporte la
mention manuscrite : « la musique (…) ou il y a très
peu de bon et cet opéra est des plus mauvais / les parolles
sont de (..) Guichard et elles ne sont pas supportables
».
Selon certaines sources, il n'y aurait eu qu'une
représentation, interrompue par les sifflets du public. Selon d'autres, il y aurait eu cinq ou six
représentations.
Quelques extraits furent
intégrés en 1704 dans Télémaque, ou les Fragments des
modernes, par André Campra et
Danchet.
Personnages : Urilas, roi, amant de Pénélope ;
Circé, princesse magicienne, fille du Soleil et reine des
Sarmates ; Euphrosine, confidente de Circé ;
Pénélope, reine d'Itaque ; Céphalie, confidente
de Pénélope ; troupe de génies de Circé,
sous la forme de Jeux et de Plaisirs ; Junon ; troupe de Lutins et de
Furies ; Ulysse, roi d'Itaque ; Euryloque, confident d'Ulysse ;
troupe de Grecs, compagnons d'Ulysse ; troupe de Furies, sous la
forme de Tritons et de Néréydes ; troupe de Nymphes de
la cour de Circé ; une Nymphe ; Mercure ; troupe de
Démons ; troupe de Vents ; choeur de Grecs combattants du
parti d'Ulysse ; choeur de Combattants du parti contraire ; troupe de
Grecs victorieux ; troupe de Suivants d'Ulysse et de
Pénélope ; troupe d'Esclaves de Pénélope
; Télémaque ; Pallas
Dans l'Avertissement, le
librettiste précise que pour observer l'unité de lieu,
il a été obligé
d'établir la scène dans l'île d'Ithaque, et de
supprimer ce qui s'est passé dans l'île de Circé
entre cette princesse et Ulysse,
mais qu'il y supplée par des
épisodes qui s'y rapportent, et fait trouver Circé dans
l'île d'Ithaque, où elle prévient Ulysse qui
l'avait quittée et où elle fait de nouveaux efforts
pour l'engager encore.
Synopsis
Prologue
Une forêt
agréable où paraissent plusieurs arbres isolés.
Orphée vient en rêveur et va s'asseoir sur un gazon un
peu élevé aau pied du principal arbre. Là il
prépare sa lyre, et, l'ouverture finie, on entend quelques
mesures d'une symphonie tendre qui précède le premier
récit qu'il chante.
Orphée s'adresse aux
arbres, au rivage, aux rochers. Au fur et à mesure qu'il
chante, les Nymphes, les Satyres et les Faunes, les oiseaux et les
animaux sauvages viennent l'admirer et l'écouter.
Orphée s'adresse ensuite à Flore, la déesse des
Fleurs, puis à la Seyne. La Seyne apparaît et
reconnaît Orphée. Tous deux chantent la gloire du
Héros de la Seyne, et assistent à la fête
donnée par les Faunes et les Sylvains. Orphée annonce
qu'on va maintenant chanter les glorieux travaux d'Ulysse.
Divertissement : Faune, Nymphes,
un Berger et une Bergère
Acte I
Les Jardins du palais
d'Ithaque
(1) Urilas se désole :
épris de Pénélope, il ne parvient pas à
s'en faire aimer. (2) Circé vient le rassurer : avant la fin
du jour, elle soupirera pour lui. (3) Circé explique qu'elle
veut se venger d'Ulysse qui l'a délaissée, et qui
revient à Itaque. Les Démons qui lui sont tout
dévoués se substitueront aux Jeux et aux Plaisirs. (4)
Pénélope se lamente. Elle attend le retour d'Ulysse que
Télémaque est allé chercher. Céphalie
tente de la réconforter, ete l'incite à faire confiance
à Circé. (5) Pénélope renouvelle ses
lamentations. (6) Elle interroge Circé sur le retour d'Ulysse.
Circé répond en organisant un divertissement. Les
Génies déguisés en Plaisirs et Jeux apportent
des corbeilles de fleurs où le charme de Circé est
enfermé. Ils invitent Pénélope à
céder à l'amour. Pénélope résiste
et reproche à Circé de l'avoir trahie. Circé
presse d'aller chercher Urilas pour profiter du trouble de
Pénélope.
Divertissement : Génies,
sous la forme des Jeux et des Plaisirs
Acte II
Une Forêt, voisine des
jardins du palais d'Itaque. On y voit des torrents qui se jettent
entre les rochers et un ancien temple consacré à
Junon.
(1) Pénélope est
bien décidée à résister aux
Démons. Mais elle sent faiblir son amour pour Ulysse au profit
d'un autre, Urilas. On entend Urilas. Pénélope veut le
fuir. Céphalie l'entraîne dans le temple de Junon.
Toutes deux implorent la protection de Junon. (2) Junon vient assurer
Pénélope de son soutien. (3) Urilas voit
Pénélope lui échapper, et se lamente, invitant
Junon à lui ôter la vie. (4) Circé engage Urilas
à enlever Pénélope pour la faire fléchir.
(5) Circé est toute à ses idées de vengeance.
Elle invoque les Furies. (6) Les Furies répondent à son
appel. Mais Circé a la vision du retour d'Ulysse et ordonne
aux Furies de lui faire accueil dans un palais, sous la forme de
Tritons, et de tenir son retour secret.
Divertissement :
Démons
Acte III
Une campagne
délicieuse, où on voit un palais enchanté : le
port et la mer d'Ithaque dans le fond
(1) Ulysse, heureux de son
retour, ne reconnaît pas Ithaque, non plus qu'Euriloque. Ulysse
recommande à ses compagnons d'observer sans être vus.
(2) Ulysse, seul, bout d'impatience. (3) Les Furies sortent de la mer
sous la forme de Tritons et Néréïdes jouant des
instruments. Les Tritons appellent à céder à
l'amour. Ulysse est stupéfait mais reconnaît Euphrosine.
(4) Celle-ci annonce que Circé a voulu célébrer
son retour, et qu'elle vient armer son bras pour combattre les
prétendants qui importunent Pénélope. (5)
Circé survient, suivie de Nymphes dont une porte une
épée enchantée. Circé assure Ulysse de
son soutien, et lui remet l'épée enchantée.
Ulysse saisit l'pée et se sent une ardeur nouvelle en faveur
de Circé. Tous deux échangent des serments d'amour.
Circé appelle les Nymphes à chanter leur amour. Choeur
des Nymphes. (6) Circé invite Ulysse à quitter Ithaque
pour son île, et laisse Ulysse dans le palais pour aller
préparer leur départ.
Divertissement : Tritons et
Nymphes
Acte IV
Le palais enchanté
s'ouvre et laisse voir un magnifique salon où les triomphes de
l'Amour sont dépeints
(1) Euriloque appelle
Ulysse à la raison et le met en garde contre les artifices de
Circé. Il échange l'épée de Circé
contre la sienne. L'enchantement cesse et Ulysse reprend ses esprits,
et veut courir au combat contre les prétendants. (2)
Circé revient et voit Ulysse lui échapper. Celui-ci la
repousse. Circé appelle les démons à
détruire qui détruisent le palais, et menace Ulysse.
(3) Ulysse ne se laisse pas impressionner. (4) Euriloque fait part
à Ulysse des ravages causés par la colère de
Circé : celle-ci a changé les Grecs en rochers. Ulysse
se reproche d'avoir irrité Circé, et veut se tuer.
Euriloque veut l'en empêcher, mais Circé est la
première à prévenir son geste. (5) Circé
avoue que son amour est plus fort que son désir de vengeance,
et lui rend ses compagnons. (6) Ulysse repousse à nouveau
Circé qui se lamente et feint de se retirer. Les compagnons
d'Ulysse défient Circé. Celle-ci les a entendus et se
venge en les rendant aveugles. (7) Ulysse et ses compagnons se
lamentent. Ulysse invoque le Ciel. On entend un bruit
éclatant, la voûte du salon s'ouvre, et on voit
apparaître Mercure. (8) Circé voit que Ulysse lui
échappe avec la protection de Mercure. Elle décide de
reporter sa vengeance sur Télémaque, et invoque les
vents pour qu'ils provoquent une tempête en mer.
Divertissement : Vents
souterrains et Vents de l'air
Acte V
La principale ville
d'Ithaque
(1) Pénélope se
lamente de savoir Ulysse exposé à un combat. On entend
un bruit de guerre, et le choeur des deux partis qui combattent. (2)
Céphalie annonce qu'Ulysse est sorti vainqueur.
Pénélope voit apparaître Ulysse. Tous deux
échangent des paroles d'amour. Ne manque
Télémaque à leur bonheur. (3) Euriloque annonce
que l'arrivée de Télémaque est proche. Ulysse
ordonne une fête. (4) Une troupe de jeunes Grecs qui tiennent
des couronnes de mirthe, et une troupe , chargées des
dépouilles des ennemis, en élèvent un
trophée aux pieds d'Ulysse et de Pénélope.
Ulysse et Pénélope appellent aux réjouissances.
Tout d'un coup, le ciel s'obscurcit, on entend un bruit souterrain ;
on voit avancer du fond un nuage épais d'où passent des
éclairs. (5) Le nuage s'ouvre et laisse voir
Télémaque enchaîné entre Euphrosine et
Circé qui tient un poignard. Circé annonce que sa
vengeance va se porter sur leur fils Télémaque. Au
moment où elle va frapper, son bras est retenu, on entend un
bruit éclatant, et l'obscurité se dissipe. (6) Pallas
apparaît qui rassure Ulysse et Pénélope. (7)
Circé se soumet et décide de fermer à jamais son
coeur à l'amour.
Divertissement : Guerriers et
Guerrières
L’Ulysse de Jean-Féry
Rebel (1666-1747), avec son prologue et ses cinq actes, fut
donné à l’opéra de Paris le 23 janvier 1703. Le
Livret d’Henry Guichard, d’après Homère, relate le
retour d’Ulysse à Ithaque, où Circé, toujours
éprise de lui, tente de le reconquérir par la magie.
Les dieux jouent un rôle actif pour contrer le projet de
Circé : Junon empêche Pénélope de
succomber à son prétendant Urilas, Mercure
libère des ténèbres les compagnons d’Ulysse, et
Minerve sauve Télémaque. Si bien que l’opéra
s’achève dans le triomphe de l’amour sur le mal. Rebel a suivi
le cadre formel des tragédies lyriques de son maître
Lully, en incluant notamment des scènes qui se prêtent
au merveilleux. Mais son écriture orchestrale annonce aussi
Rameau, notamment lorsqu’elle évoque batailles, tremblement de
terre ou tempêtes. (Présentation Symphonie du
Marais)
Cité de la
Musique - 9 juin 2007 -
St Sulpice-le-Verdon (85) - Logis
de la Chabotterie - 11 juillet
2007 - en version de concert - La Simphonie et le Choeur du Marais
- dir. Hugo Reyne - avec Bertrand Chuberre (Ulysse), Guillemette
Laurens (Circé), Stéphanie Révidat
(Pénélope), Céline Ricci (Céphalie,
Minerve), Eugénie Warnier (Euphrosine), Howard Crook
(Orphée, Euriloque), Vincent Lièvre-Picard (un
Génie, Télémaque), Bernard Deletré
(Urilas) - Coproduction festival Musiques à la Chabotterie,
La Simphonie du Marais.
"Au centre, une île
oubliée, Ulysse, unique tragédie lyrique de
Jean-Féry Rebel, boudée à la création,
jamais reprise, et dont le matériel dut être
rapatrié d'Uppsala et reconstitué. L'oeuvre
méritait d'être entendue (malgré le livret
médiocre, aux vers peu harmoinieux, d'Henry Guichard), ne
setait-ce que pour donner une idée de ce qui s'écrivait
qquinze ans après la mortde Lully, dont Rebel fut le disciple,
trente ans avant l'avénement de Rameau. L'héritage de
Lully est partout sensible, particulièrement dans la ligne
vocale, très déclmatoire (et plutôt pauvre
mélodiquement), mais aussi dans cette propensison à
faire de l'orchestre le protagoniste, comme l'esquissaient les
dernières poartitions du Florentin (Acis et Galatée).
C'est donc à l'orchestre que Rebel se révèle,
dans la grande scène tragique de Pénélope (avec
minitremblement de terre), et l'invocation infernale de l'acte II,
dans les divertissements (raccourcis, ce soir-là), ainsi que
lors de puissantes scènes pour choeur : bataille polychorale
du V ou magique « Brillant soleil » du IV. Ces moments sont
aussi les plus satisfaisants du concert. En dépit de quelques
attaques imprécises, La Simphonie du Marais s’avère
formidable de densité (basses), de virtuosité
(violons), de couleurs (bois), et le choeur est à l’unisson.
Côté solistes, on ne s’étonne pas qu’une
Guillemette Laurens (Circé) en grande forme éclipse des
partenaires plus éteints, notamment une Stéphanie
Révidat (Pénélope) bien terne, guère
à la hauteur de son rôle, tandis que Bertrand Chuberre
(Ulysse) se repose sur son timbre ombreux. Fêtant les vingt ans
de son ensemble, Hugo Reyne impose une direction sensible et
dramatique, qui nous fait regretter que cet Ulysse ne soit pas promis
à l’enregistrement."
Présentation
Cité de la Musique
"L’Ulysse de Jean-Féry
Rebel (1666-1747), avec son prologue et ses cinq actes, fut
donné à l’Opéra de Paris le 23 janvier 1703. Le
livret d’Henry Guichard, d’après Homère, relate le
retour d’Ulysse à Ithaque, où Circé, toujours
éprise de lui, tente de le reconquérir par la magie.
Les dieux jouent un rôle actif pour contrer le projet de
Circé : Junon empêche Pénélope de
succomber à son prétendant Urilas, Mercure
libère des ténèbres les compagnons d’Ulysse, et
Minerve sauve Télémaque. Si bien que l’opéra
s’achève dans le triomphe de l’amour sur le mal. Rebel a suivi
le cadre formel des tragédies lyriques de Lully, en incluant
notamment des scènes qui se prêtent au merveilleux. Mais
son écriture orchestrale annonce aussi Rameau, notamment
lorsqu’elle évoque batailles, tremblement de terre ou
tempêtes.
Ulysse ne sera pas repris
à l’Opéra après sa création. On en trouve
d’ailleurs des passages cités dans le pastiche d’André
Campra et Antoine Danchet, Télémaque ou Les Fragments
des modernes (1704), un pot-pourri composé à partir de
tragédies lyriques n’ayant connu qu’une seule
représentation. "
Forum Opéra
"A l’issue d’une
représentation aussi mémorable, l’on aurait envie de
n’écrire qu’un seul mot : Bravo ! Bravo à Hugo Reyne
qui a dû rechercher les parties manquantes de la partition
à Uppsala, bravo à sa direction joviale et
gonflée à bloc, bravo à des solistes totalement
impliqués dans l’entreprise et à Guillemette Laurens,
superlative. Mais reprenons. Au commencement était le
beau-frère de Michel-Richard Delalande, Jean-Fery Rebel.
Célèbre violoniste, compositeur de symphonies
chorégraphiques novatrices par l’usage de dissonances tels les
Eléments, Rebel s’est essayé une seule fois à la
tragédie lyrique où planait encore l’ombre imposante du
grand Lully dont les farouches partisans passaient leur temps
à monter des cabales contres ses impudents successeurs. Ulysse
sera un aller sans retour. L’unique représentation sera
interrompue par les sifflets du public et l’œuvre dormira dans un
oubli immérité jusqu’à sa résurrection
par Anssi Mattila à Helsinki en août 2000. Toutefois,
c’est bien à une quasi première mondiale que nous avons
assisté hier.
Le livret d’Henri Guichard
d’Hérapines, s’il ne rivalise pas avec la grâce de
Quinault, accumule les contrastes de climats, et prodigue toutes les
opportunités pour de grandes scènes visuelles : enfers,
tempête, bataille, tremblement de terre, ainsi que moult
divertissements : Génies, Démons, Tritons, Nymphes,
Vents souterrains, Vents de l'air, Guerriers et Guerrières.
N’en jetez plus, la cour est pleine ! De façon plus
surprenante, l’intrigue n’a que peu à voir avec
l’Odyssée homérique (elle s’inspire très
vaguement du chant X à XII) et se concentre sur le personnage
de Circé, magicienne et amante rejetée par Ulysse, qui
tente de la reconquérir ; ce qui rappelle fortement l’Armide
de Lully. D’ailleurs, à dire vrai, Pénélope et
Ulysse deviennent presque des personnages accessoires.
Musicalement, Ulysse est en
avance sur son temps par l’usage intensif de l’orchestre et des
récitatifs accompagnés, l’abondance de ses danses, ses
chœurs pré ramistes comme « Brillant soleil, flambeau du
monde », le jeu sur les timbres et l’usage à
géométrie variable de l’orchestre avec des combinaisons
très intéressantes de continuo et flûtes par
exemple. La fragmentation du propos et la place des cordes est plus
proche du Scylla & Glaucus de Leclair (1746), que des amples
pages suggestives de Lully, Marais, voire Rameau.
Les formalités
musicologiques étant satisfaites, que faut-il penser de cet
Ulysse hué, enterré, dépecé par la haine
des hommes et la poussière des siècles ?
L’équipe de solistes
est d’un excellent niveau, et interagit de manière complice
avec une belle intelligence dramatique. On distinguera
particulièrement Guillemette Laurens à qui
échoit le difficile rôle de Circé et ses
magnifiques récitatifs accompagnés. Ainsi, son
imprécation maléfique « Que tout tremble à
ma voix » n’est pas sans rappeler la Médée de
Charpentier (« Qu’il le cherche mais qu’il me craigne ») et
annonce la Circé du Scylla et Glaucus de Leclair («
Noires divinités »). Avec une fougue digne de Rachel
Yakar, et en dépit d’aigus un peu durs, la mezzo soprano a
campé avec vraisemblance le personnage complexe d’une
puissante magicienne, amante fière et passionnée, et
finalement femme abandonnée et perdue. Dans «
Démons, accourrez à mes vœux », sa rage est
soulignée par une basse continue déréglée
directement inspirée de la scène de folie du Roland de
Lully. L’œuvre se conclut d’ailleurs sur un ultime récitatif
de cette nature attachante et indomptable. On sent que Rebel
préféra Circé à Ulysse comme Mozart
regardera avec tendresse Dom Juan pour mépriser le lisse et
vertueux Don Ottavio.
Don Ottavio, pardon Ulysse,
est confié non à un haute-contre héroïque
mais à une basse-taille : Bertrand Chuberre laisse admirer son
timbre résonnant et chaud, la beauté de sa
déclamation et de ses phrasés, nimbée d’un
vibratello fragile. Le chant est beau, même si le personnage
demeure fade en raison du livret. En guise de dulcinée,
Stéphanie Revidat a dessiné une sensible et aimante
Pénélope avec une élégance sans faille,
accumulant les nuances, évitant les excès, usant avec
à propos de sa capacité de projection dans les grands
moments d’émotion. On distinguera ainsi ses tirades «
Terre d’Ithaque, avec toi sous mes pas » et surtout «
Destin trop rigoureux, ô ciel inexorable ». L’on passera
plus rapidement sur Howard Crook, l’un des grands spécialistes
de la tessiture de haute-contre à la française depuis
près de 20 ans. Hélas, si la noblesse et la
musicalité du phrasé sont toujours là, les aigus
fatigués et les changements de registre douloureux et
apparents en font un Orphée brisé. Côté
chœur, la masse puissante et homogène des Chœurs du Marais
s’est régalée dans les grandes pages glorieuses proches
du grand motet « Belle Circé, brillant soleil », et
dans une épique bataille où les deux chœurs se
répondent (encore un hommage à Lully, Alceste cette
fois-ci) sur fond de martiales trompettes et timbales.
Enfin, l’orchestre : l’on
connaissait la Simphonie du Marais pompeuse (au sens classique du
terme), mais un peu embourbée au disque et parfois
étriquée. Il n’en fut rien. Dopée par la
direction nerveuse d’Hugo Reyne en forme olympique, l’ouverture, les
ritournelles et symphonies ont été
interprétées avec vigueur et sans précipitation.
Seul l’usage intempestif d’envahissantes castagnettes pour l’une des
danses était à déplorer, tandis que la
variété des percussions était la bienvenue
(tambours, tonnerre, timbales…). Le continuo était
coloré grâce au couplage d’une basse de viole avec un
violoncelle ; un second théorbe aurait peut-être
été envisageable. Les bois étaient
grainés, les flûtes coulantes, les cordes suggestives
même si les attaques manquaient légèrement de
précision, les trompettes rutilantes (elles ont eu le droit de
rappeler le public après l’entracte par une fanfare, avant
qu’Hugo Reyne n’annonce facétieusement : « Ulysse, le
retour !»).
Après un tel
succès planétaire, confirmé par un public en
délire, il ne fait aucun doute que Rebel est un grand
compositeur d’opéra, et qu’il est grand temps de lever la
malédiction dont il est victime par la parution d’un disque
désormais indispensable."
Altamusica
"Autant le livret de Giacomo
Badoaro s’appuie fidèlement, et même scrupuleusement,
sur les chants XIII à XXIII de l’Odyssée, autant Henri
Guichard s’en affranchit dans l’unique tragédie en musique de
Jean-Féry Rebel qui, tel Scylla et Glaucus de Jean-Marie
Leclair, aurait dû s’intituler Circé plutôt
qu’Ulysse. Les fidèles époux, pour ne rien dire de la
brève apparition de Télémaque, y font presque
figure de prétexte à attiser la jalousie et la fureur
de la magicienne, débarquée à Ithaque par on ne
sait quelle licence. Créé le 23 janvier 1703, et
tombé au bout de dix représentations, à l’instar
de la plupart des tragédies lyriques qu’entreprirent les
héritiers de Lully, Ulysse n’en respecte pas moins tous les
codes de l’opéra magique à rebondissements multiples
avec une exaltante efficacité, des fulgurances même,
notamment au quatrième acte, où culmine l’ire de
Circé, à grand renfort de sortilèges.
Pénélope et
Ulysse n’en sont pas négligés pour autant, et se
partagent jusqu’à leur duo de retrouvailles de magnifiques
déplorations. Quant au chœur, soudain privé de la
lumière jour, ses accents ne sont pas sans annoncer
l’invocation des nymphes et des bergers qui ouvre l’Orphée et
Eurydice de Gluck.
Hugo Reyne défend cette
partition, restituée à partir de l’édition
originale et des parties séparées conservées en
Suède, avec persuasion, à la tête d’une Simphonie
du Marais d’une texture aérée, sans doute plus
poétique que véloce, et aux arêtes insuffisamment
vives dans les scènes les plus spectaculaires. Mais la
Circé incendiaire de Guillemette Laurens y supplée de
son métal ardemment tendu par la déclamation, ne
faisant qu’une bouchée de l’Ulysse trop appliqué de
Bertrand Chuberre, et dominant la scène jusqu’à son
repentir final. La lumière corsée et souple de la
Pénélope de Stéphanie Révidat n’en
transparaît pas moins, et Howard Crook, malgré la
fêlure de l’aigu, rappelle, Orphée, Euriloque et
Mercure, qu’il fût, de timbre comme d’expression, le plus
élégant défenseur des emplois de haute-contre
à la française."
Helsinki - Alexander
Theatre - 18, 20, 22, 23, 25, 26,
27, 29, 30 août, 1er, 2, 3
septembre 2000 - The Sixth Floor Orchestra - Taite Choir - dir.
Anssi Mattila - mise en scène Ville Sandqvist - avec Boman,
Huhta, Kotilainen, Kortekangas, Tenkanen