COMPOSITEUR
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Agostino STEFFANI
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LIBRETTISTE
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Luigi Orlandi
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ENREGISTREMENT
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ÉDITION
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DIRECTION
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ÉDITEUR
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NOMBRE
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LANGUE
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FICHE
DÉTAILLÉE
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Newell Jenkins
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Voce
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3
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italien
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Drama per musica en trois actes, sur un livret de Luigi
Orlandi, d'après les Métamorphoses d'Ovide.
Créé au Hoftheater de Munich, le 5
janvier 1688.
Parfois attribué à
Giuseppe Antonio Barnabei (1649 - 1732).
Livret édité en
1688 par J. Jäcklin, à Munich, en italien et en
allemand.
Personnages : Niobe,
soprano, Manto, soprano, Clearte, mezzosoprano, Creonte,
ténor, Tiberino, ténor, Anfione, basse, Tiresia, basse,
Poliferno, basse
- Livret en italien et en anglais
La légende de
Niobé, reine de Thèbes
"La composition d’opéra
occupa la majeure partie de la carrière d’ Agostino Steffani,
son premier opéra, Marco Aurelio, étant
représenté en 1681 à Munich où il venait
d’être nommé directeur de la musique de chambre. Il fit
représenter trois autres œuvres sur des livrets de Terzago et
deux sur des textes de Luigi Orlandi, Alarico il Baltha (1687) et
Niobe, regina di Tebe (1688). Sa nomination de maître de
chapelle à Hanovre fut l’une des tentatives de la part du duc
Ernst August pour importer de l’opéra italien, et Steffani
composa donc d’autres œuvres. Quand il partit à Dusseldorf,
bien qu’il soit actif dans des sphères ecclésiastiques,
il composa encore trois opéras.
Les distributions des
opéras que Steffani écrivit pour Munich ne peuvent
être reconstituées, car les noms des chanteurs
n’apparaissent pas dans les livrets et peu de noms apparaissant sur
les fiches de paies des musiciens de la cour peuvent être
identifiés avec certitudes comme des chanteurs. Certains des
chanteurs furent recrutés sur place, comme le castrat soprano
Clementin Hader (qui était membre de la Hofkapelle
impériale entre 1682 et 1686) qui chanta à Munich en
1682 et 1686, entra en service là bas en 1687 et qui chanta
vraisemblablement dans Niobe, puis suivit Steffani à Hanovre.
La ressemblance entre ses airs et ceux d’Alcibiade dans La
Libertà contenta (Hanovre, 1693) chantés par Hader
donne des indices supplémentaires. Amphion, roi
éclairé et musicien est évidemment un symbole et
un hommage à l’électeur Maximilien II Emmanuel, qui
était un chanteur amateur et joueur de viole, tout comme le
dédicataire de l’opéra.
Si on ne possède pas le
nom des chanteurs, on est mieux renseignés sur les
instrumentistes venant de la ville et de la paroisse qui vinrent
renforcer l’orchestre de la cour en 1688. Une autorisation de
paiement signée par Max Emmanuel le 19 mars 1688 donne des
dates et des lieux de répétitions d’opéras, les
noms des instrumentistes, mais non leurs instruments ( !) et la somme
leur restant due. On possède donc des renseignements
précieux sur l’organisation des festivités pour le
Carnaval de 1686 tant opéra que ballet. Les membres de
l’orchestre participèrent à 4 répétitions
pour l’opéra à la Residenz (les 12, 18,et 26 nov et 2
déc 1687) et trois au Salvatortheater (4 , 30 déc et 2
janv 1688) Les représentations eurent lieu les 5,11,et 26
janvier et 3 février. Le titre de l’œuvre n’est pas
donné, mais il s’agit très certainement de Niobe, dont
l’orchestration est très riche et qui demandait des
répétitions nombreuses à l’orchestre.
Dans les divertissements de ce
même carnaval, on représenta "La gloria festeggiante"
et, "Diana amante", sur des textes d’Orlandi et la musique de
Giuseppe Antonio Bernabei.
Orlandi écrivit aussi
le livret de Steffani. C’est son premier opéra fondé
sur une légende grec, les Métamorphoses d’Ovide, livre
VI. on sait que le compositeur en 1778 en possédait une
édition d’Amsterdam de 1683. L’opéra survit en
manuscrit autographe.
Le livret de Niobe fut
publié en éditions séparées en Allemand
et Italien.
La scène du Palais de
l’harmonie, fut ensuite intégrée dans la cantate de
Pietro Torri, La reggia dell'armonia (1715) .
Les danses des opéras
de Steffani sont tributaires du modèle français. Chaque
acte des opéras composés pour Munich s’achèvent
avec un ballet. Des danses sont aussi exigées au moment de la
prière d’Anfione (Amphion) à la scène 4 du
second acte. La musique des ballets de Niobe fut composée par
Melchior d'Ardespin, un corniste qui travailla à Munich de
1669 à sa mort en 1717.
Dès l’ouverture, Niobe,
regina di Tebe apparaît comme une oeuvre exceptionnelle par la
profusion de trompettes et de percussion. L’orchestration en est bien
plus soignée et subtile que les opéras
antérieurs de Steffani, et l’harmonie et la mélodie y
atteignent de nouveaux sommets. Pour la première fois de sa
carrière, il y a moins de 60 arias dans l’œuvre et les airs
écrits avec ostinato tombent sous le chiffre de 5, des
chiffres qu’il ne dépassa jamais plus.
Le sujet est tiré des
Métamorphoses d’Ovide. Comme Orlandi l’explique dans sa
préface, Niobe et Amphion / Anfione, les souverains de
Thèbes, étaient justement célèbres. Fille
de Tantale, elle avait reçu le courage en héritage.
Fils de Jupiter, il était un souverain éclairé
et un musicien doué. Le couple avait un statut plus divin
qu’humain. Mais Niobe en conçu de l’orgueil, méprisa
les dieux, et empêcha Manto, fille du devin Tiresias d’offrir
un sacrifice à Leto (Latone). Les dieux frappèrent
à mort ses sept fils. Amphion, désespéré,
se suicida.Niobe en mourut de désespoir ; Manto alla en Italie
et épousa Tiberinus, roi d’Albe.
Comme Orlandi le
précise, la légende s’enrichit par la suite :
l’élévation des murs de Thèbes fut
attribué au pouvoir du chant d’Amphion ou par le pouvoir de sa
lyre. Leto et ses enfants, Apollon et diane punirent Niobe en la
changeant en pierre. Selon Ovide, Leto incita ses enfants à la
vengeance en les faisant tuer les fils de Niobe. Malgré cela
et le suicide d’Amphion, Niobe se vanta d’avoir eu plus d’enfants que
Leto ; devant ce second affront, les sept filles de Niobe furent
tuées et elle se changea en pierre de chagrin.
Si le livret se focalise
à la fin sur l’arrogance de Niobe, la partition est
centrée principalement sur le pouvoir merveilleux de la
musique, personnifiée par Amphion. Ce rôle est l’un des
plus riches jamais écrit par Steffani. Huit de ses 9 airs et
demi (le demi étant une strophe dans une aria in duetto) et
son duo, demandent des parties ajoutées au continuo. Il n’y a
jamais moins de 4 parties, et souvent bien plus. Dans cinq de ses
airs, les instruments accompagnent la ligne de chant du soliste. Il a
sans doute moins d’airs que Niobe, mais seulement quatre des airs du
rôle-titre demandent ce type d’instrumentation.
Les airs attribués au
début de l’opéra sont relativement modestes : «
Sollievo del mio seno » (I, 1) est un air sur basse
obstinée en forme ABA (le da capo est écrit) ; elle
répond avec une seconde strophe, « Mia gioia, mio diletto
».
Dans “Miratemi, begl'occhi’”
(I, 2) , il lui demande de lui accorder un seul regard. L’air est
assez simple dans sa structure. La première scène
importante arrive au milieu de l’Acte I, quand, resté seul au
Palais de l’Harmonie, il cherche un réconfort à ses
soucis dans la musique. L’ochestration de la scène (i, 13) est
particulièrement riche. Amphion est accompagné sur
scène par un ensemble de violes et de basses, ainsi que par
l’orchestre. La scène commence par un récitatif
accompagné qui s’étoffe petit à petit,
l’orchestre entrant avec le chanteur.
L’air « Sfere amiche, or
date al labro” invoque la musique des sphères,
l’évolution des planètes étant
représentée par le rythme obstiné, qui
crée un effet de rotation.
“‘È di sasso chi non
t'ama” (I, 15) est un air exubérant, puisque le personnage
exulte dans son amour pour Niobe.
Les capacités du roi
comme musicien sont soulignées dans « ‘Come padre e come
dio” (I, 21), dans lequel il demande à Jupiter de
protéger Thèbes contre l’armée des Tessaloniens.
La prière est intense, mais lorsqu’il voit les murs
s’élever au grè de son chant, il s’interrompt et l’air
se transforme en récitatif.
Les deux premiers airs de
l’acte II sont notable pour leur orchestration, le troisième
pour sa colorature. « Ascendo a le stele » (II, 4), est la
réaction d’Amphion face à sa déification par
Niobe, accompagné au tutti par un concertino de hautbois et
bassons. Dans « ‘Dal mio petto, o pianti, uscite » (II, 5)
Poliferno a invoqué les enfers, et Amphion est
terrifié. Plus loin dans l’acte, il apprend de Tiresias que
Creon s’est enfui avec Niobe : fou de rage, il entonne un air de
vengeance : c’est un des airs de bravoure les plus fous que Steffani
ait écrit, « Tra bellici carmi » (II, 12)
Au IIIe acte, le premier air
suit la décision de Niobe de défendre Thèbes
conte Creon. Lui ayant transmis son autorité royale, il se
sent désormais le jouet de la Fortune (« Ho perduta la
speranza » III, 4), menuet en forme de rondeau. Pour son dernier
air, « Spira già nel proprio sangue » (III, 12)
qu’il commence après s’être transpercé de son
glaive, il meurt avant d’atteindre la fin de l’air. Comme il expire,
Niobe voit horrifiée la mort de ses enfants et de son mari,
comme elle se change en pierre, elle chante un air « Funeste
immagini’ » terrifiant dans son intensité, qu’elle ne
peut achever. A part ses deux airs amoureux adressés à
Amphion et Creon, et son belliqueux « In mezzo a l'armi »
(III, c’est le sommet de son rôle. Il ne reste pour conclure
qu’une brève scène où Creon est couronné
roi." (Colin Timms - Polymath of the Baroque : Agostino Steffani and
His Music. Oxford, Oxford University Press, 2003)
Représentations :
- Boston - Cutler Majestic
Theatre - Emerson College - 12, 14, 15, 17, 19 juin
2011 - Great Barrington Mahaiwe
Performing Arts Center -24, 25 juin 2011 - Boston Early
Music Festival - dir. Paul O'Dette et Stephen Stubbs - mise en
scène et décors Gilbert Blin - costumes Anna Watkins
- chorégraphie Caroline Copeland et Carlos Fittante -
lumières Lenore Doxsee - avec Amanda Forsythe (Niobe),
Philippe Jaroussky (Anfione), Yulia Van Doren (Manto), Charles
Robert Stephens (Tiresia), Kevin D. Skelton (Clearte), Matthew
White (Creonte), Jesse Blumberg (Poliferno), Colin Balzer
(Tiberino), and José Lemos (Nerea)

- Londres - Covent Garden -
Royal Opera - 23, 25, 27, 29 septembre, 1er, 3 octobre
2010 - Luxembourg - Grand
Théâtre - 3, 5 décembre 2010 -
Balthasar-Neumann-Ensemble - dir. Thomas Hengelbrock - mise en
scène Lukas Hemleb - décors et lumières
Raimund Bauer - costumes Andrea Schmidt-Futterer -
chorégraphie Thomas Stache - avec Véronique Gens
(Niobe), Jacek Laszczkowski (Anfione), Amanda Forsythe (Manto),
Bruno Taddia (Tiresia), Tim Mead (Clearte), Iestyn Davies
(Creonte), Alastair Miles (Poliferno), Lothar Odinius (Tiberino),
Delphine Galou (Nerea)


"Ressuscité au Festival
de Schwetzingen en 2008, Niobe voit sa production reprise pour la
première fois à Covent Garden, un théâtre
où l’opéra baroque n’est que très rarement mis
à l’affiche. Peu couru à l’ouverture de la billetterie,
le spectacle a fini par jouer pratiquement à guichets
fermés, malgré des critiques partagées,
essentiellement grâce à un bouche-à-oreille
favorable. Composée en 1688 pour Munich (Monaco di Baviera en
italien), cette partition de 3 heures ne distille pas une minute
d’ennui, grâce à une intrigue assez délirante
d’une part, mais surtout grâce à une musique qui ne
l’est pas moins : les audaces ou trouvailles musicales abondent, le
récitatif est vif, les airs sont plutôt courts, d’une
coupe d’une très grande liberté, les mélodies
inventives, et l’orchestration incroyablement originale. L’ouvrage
alterne un certain comique et le drame le plus noir, des passages
enlevés et de longues et tristes plaintes. Les airs,
récitatifs et ensemble, s’enchaînent sans coupure, dans
un flot musical ininterrompu. Une partition étonnante, entre
Cavalli et Haendel mais beaucoup plus proche du premier. Ce n’est pas
tous les jours que les musicologues trouvent une perle : en voici
une, et de la plus belle eau, une exception si l’on en croit notre
ami Sylvain Fort.
Au premier acte (qui dure un
peu plus d’une heure et demie), Anfione, lassé de
régner, confie la couronne royale à sa femme Niobe. Il
ordonne néanmoins à celle-ci de prendre pour conseiller
Clearte, dont il ne sait pas qu’il est secrètement amoureux de
la reine. Parallèlement, Tiberino, prince d’Albe, a pour
ambition de conquérir Thèbes (tout seul, semble-t-il).
Sur son chemin, il rencontre une jeune thébaine, Manto, et les
deux jeunes gens tombent amoureux l’un de l’autre (cette intrigue se
développe indépendamment de la précédente
tout au long de l’opéra). Parallèlement toujours,
Poliferno, ennemi d’Anfione, a réussi par la magie à
ensorceler un jeune thessalien, Creonte : séduit par la vision
de Niobe, le jeune homme tuera le roi. Celui-ci est, d’ailleurs, un
usurpateur, le trône revenant légitimement à
Creonte qui en a été écarté autrefois.
Alors qu’Anfione et Niobe chantent leur amour, la ville est
attaquée : par le seul pouvoir du chant du roi, des remparts
s’élèvent autour de la cité : Niobe
déclare qu’Anfione n’est plus un humain, mais un dieu, ce qui
a le don de mettre en rage le grand prêtre Tiresias qui appelle
la vengeance des « vrais » dieux.
A l’acte suivant, la
séductrice Niobe invite Clearte à s’asseoir sur le
trône à ses côtés. Surpris par Anfione,
Niobe lui explique qu’il ne peut plus être roi, puisqu’il est
un dieu, et que son trône est dans les cieux. Poliferno, qui a
gagné Thèbes avec Creonte, toujours envouté,
fait enlever Anfione par des esprits et donne à sa
créature l’apparence du dieu Mars. Flattée dans son
orgueil, Niobe tombe amoureuse du dieu. Pendant ce temps, Tiberino
est toujours tourmenté entre son désir de
conquête et l’amour de Manto.
Le dernier acte commence par
le duo d’amour de Niobe et du pseudo dieu. La reine se croit aux
cieux, mais Poliferno vient détruire brutalement son
rêve et la jeune femme s’évanouit. Anfione
réconforte Niobe qui comprend qu’elle a été
jouée. Furieuse, elle s’en prend à Manto qui invoquait
la déesse Laton : elle seule est digne d’offrandes. Les dieux
ne tardent pas à punir un tel blasphème : le palais
explose, les quatre enfants de Niobe sont tués, le roi se
suicide au vu du spectacle et la reine se change en statue ! Creonte
retrouve la couronne mais n’est guère reconnaissant puisqu’il
chasse Poliferno en raison de ses intrigues. L’opéra finit par
la bénédiction du mariage de Tiberino et Manto.
Articulée autour d’un
décor quasi-unique de Raimund Bauer (la scène de base
est complétée suivant les ambiances par quelques
changements à vue), la production de Lukas Hemleb sait animer
les différents lieux et les personnages. On évoquera,
pour l’exemple, la cité des dieux et ses ballons de baudruches
géants qui lui donnent son côté aérien :
c’est en les faisant exploser par ses mauvais génies que
Poliferno fait revenir Niobe sur terre ; ou la destruction finale du
palais par les flammes, avec des cendres noires qui tombent des
cintres ; ou encore le « monstre » qui accompagne
Poliferno, sorte de limace noire géante qui absorbe
littéralement les êtres humains. L’ensemble est
esthétiquement remarquable et théâtralement
très efficace. La direction d’acteur est au diapason, avec un
réel travail dramaturgique, qui sait intelligemment s’effacer
pour laisser le chant s’épanouir dans les scènes
purement musicales.
Véronique Gens compose
une Niobe séductrice et orgueilleuse, parfaite vocalement et
scéniquement (une sorte de marquise de Pompadour par la
grâce des robes d’Andrea Schmidt-Futterer). La voix est ample,
le timbre riche (même s’il n’est pas très remarquable),
la déclamation parfaite. Passons sur l’entrée
désastreuse du contre-ténor Jacek Laszczkowski
alternant fausset et sons poitrinés dans une espèce de
parodie des adieux de Leyla Gencer. On a du mal à imaginer que
tel était l’art des castrats au XVIIe siècle. Ou alors,
c’est que l’otite avait succédé à la peste dans
les fléaux épidémiques frappant les populations
! Fort heureusement, à défaut d’une grande projection,
la voix reprend de l’homogénéité au fil des
interventions et l’écriture ultérieure du rôle
met davantage en valeur un haut medium riche et une grande
musicalité. Second contre-ténor de la distribution,
Iestyn Davies a un peu moins d’occasion de briller et de mettre en
valeur une belle voix, parfaitement homogène cette fois et
bien projetée. La Manto d’Amanda Forsythe offre un timbre un
peu acide, mais qui correspond bien à la personnalité
un peu « pimbêche » de l’héroïne. Son
amoureux, Lothar Odinius, le soupirant de Niobe Tim Mead ou
l’infernal Alastair Miles offrent des voix solides mais pas toujours
très raffinées, davantage à l’aise dans
l’urgence déclamatoire du récitatif que dans les
moments purement musicaux.
Mais le succès ne
serait pas au rendez-vous sans les talents de Thomas Hengelbrock et
de son ensemble : rarement on aura entendu une formation baroque
aussi précise techniquement et capable à ce point de
donner l’impression d’une totale liberté. Du très grand
art."
"Donnée en septembre
2010 au Covent Garden de Londres, cette production initialement
conçue pour le festival de Schwetzingen et le Sao Carlos de
Lisbonne avait divisé la critique britannique sur la
qualité de la musique de Steffani. Nous avons pour notre part
plutôt prisé cette partition d’une grande
originalité qui constitue un des nombreux maillons entre
l’opéra vénitien à la Cavalli et l’opera seria
de type haendélien du XVIIIe siècle. Autant le rythme
effréné de l’action que la présence – parfois
quelque peu confuse – d’une intrigue secondaire somme toute assez
conventionnelle, sans compter la succession rapide de très
nombreux morceaux extrêmement brefs, tirent résolument
l’ouvrage de Seffani vers l’esthétique de l’opéra
vénitien, fortement marquée en Italie par les principes
de la diversité et du mélange des genres. En revanche,
la présence de plusieurs airs envoutants, dont quelques un
suivent déjà la formule appelée à devenir
canonique de l’aria da capo, annonce fièrement
l’esthétique lyrique du siècle à venir. Toujours
pleine de grâce et d’élégance, la musique de
Steffani sait se montrer audacieuse quand il le faut, notamment dans
son instrumentation souvent atypique – particulièrement dans
l’emploi des cuivres – mais aussi dans son chromatisme et dans ses
harmonies parfois osées, de même que dans le traitement
formel du rapport entre morceaux musicaux et récitatifs.
Les plus beaux airs de la
partition échoient au personnage d’Anfione, le roi de
Thèbes dont la déraisonnable abdication –doit-on y voir
des échos lointains de la tragédie du Roi Lear ? –
conduit aux multiples débordements de l’ouvrage puis à
la catastrophe finale. Le rôle est tenu par le sopraniste
polonais Jacek Laszczkowski, lequel fait valoir quelques sublimes
phrases dans les notes les plus aiguës de sa voix, mais au prix
de très vilaines attaques dans le médium et de
regrettables ruptures de registre qui nuisent considérablement
à l’homogénéité de la ligne de chant.
Dans le rôle-titre, Véronique Gens fait valoir en
revanche des phrasés d’une beauté lunaire, et son
investissement dramatique dans le personnage de Niobe est total.
Autant par son ravissant physique, rehaussé par les superbes
costumes d’Andrea Schmidt-Futterer, que par son jeu scénique,
la soprano française parvient à rendre attachant un
personnage pour le moins antipathique – un étrange croisement
entre la Pompadour, Maryline et Sémélé… –,
victime autant de sa soif d’absolu que de ses ambitions de pouvoir.
Parmi les deux contreténors, au timbre étrangement
similaire (et d’ailleurs assez peu plaisant…), c’est finalement
Iestyn Davies, le chanteur qui monte, qui monte…, qui l’emporte sur
son partenaire Tim Mead, notamment par la vaillance de son chant et
par l’assurance de ses vocalises. Tous les autres rôles sont
impeccablement tenus, à commencer par la soprano Amanda
Forsythe, tout à fait craquante sous les traits de l’innocente
Manto à la découverte de l’amour et de la
sensualité. Excellents également sont la basse Alastair
Miles, toujours à l’aise dans la vocalisation rapide
même si sa voix semble avoir un peu perdu de sa puissance,
ainsi que la jeune Française Delphine Galou, autre espoir du
chant baroque pour les années à venir. Les deux autres
membres de la distribution, le ténor Lothar Odinius et le
baryton Bruno Taddia, sont davantage remarquables pour leur
investissement dramatique que pour leurs qualités vocales,
somme toute assez moyennes. Au pupitre, Thomas Hengelbrock, à
la tête de l’ensemble instrumental Balthasar-Neumann, met tout
son talent au service d’une partition dont il se plaît à
démontrer les nombreuses qualités esthétiques,
ainsi que les multiples audaces.
La mise en scène de
Lukas Hemleb, aidée en cela par les éclairages et les
décors de Raimund Bauer, parvient elle aussi à
souligner, par des images d’une beauté ineffable, les moments
de grâce de la partition. On retiendra tout
particulièrement ces scènes au cours desquelles un
subtil jeu de miroirs et l’utilisation de boules sphériques ou
autres ballons gonflés à l’hélium contribuent
à évoquer les diverses illusions dont se bercent tour
à tour les personnages du drame. La mise scène sait
également quand il le faut se faire délicieusement
ironique et décalée, et n’hésite à
recourir à toutes les ressources du comique pour ridiculiser
délicatement cet ensemble de personnages historiques ou
mythologiques, mais tristement humains dans leurs travers et dans
leurs ambitions.
Il s’agit en somme d’un
spectacle extrêmement accompli, qui aura donné
l’occasion – et surtout l’envie – de redécouvrir une part
encore inexplorée de l’univers lyrique des dernières
décennies du XVIIe siècle."
- Opéra de Lisbonne
- 25, 27, 28, 30, 31 mars, 5 avril 2010 - dir.
Sébastien Rouland - mise en scène Lukas Hemleb -
costumes Andrea Schmid-Futterer - lumières Raimund Bauer -
chorégraphie Raimund Bauer - avec Alexandra Coku (Niobe),
Jacek Laszczkowski (Anfione), Chelsey Schill (Manto), Luis
Rodrigues (Tiresia), Pasqual Bertin (Clearte), Peter Kenell
(Creonte), Leandro Fischetti (Poliferno), Musa Nkuna (Tiberino),
Delphine Galaud (Nerea) - production de Schwetzingen

- Schwetzingen,
Rokokotheater - 25, 27, 30 avril,
1er, 3 mai 2008 - Balthasar-Neumann-Ensemble - SWR Vokalenensemble
Stuttgart - dir. Thomas Hengelbrock - mise en scène Lukas
Hemleb - décors Raimund Bauer - costumes Andrea
Schmidt-Futterer - avec Maria Bengtsson (Niobe), Jacek
Laszczkowski (Anfione), Ana Maria Labin (Manto), Peter Kennel
(Creonte), Lothar Odinius (Tiberino), Pascal Bertin (Clearte),
Delphine Galou (Nerea), Tobias Scharfenberger (Tiresia), Matjaz
Robavs (Poliferno)



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