Le compositeur

AGRIPPINA

Agrippine

COMPOSITEUR

Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE

Cardinal Vincenzo Grimani

ENREGISTREMENT
ÉDITION
DIRECTION
EDITEUR
NOMBRE
LANGUE
FICHE DÉTAILLÉE
1983
1983
Christopher Hogwood
Mondo Musica
3
italien
1991
1992
Nicholas McGegan
Harmonia Mundi
3
italien
1991
2007
John Eliot Gardiner
Philips
3
italien
1991
1998
John Eliot Gardiner
Philips
1 (extraits)
italien
2003
2004
Jean-Claude Malgoire
Dynamic
3
italien
2010
2011
René Jacobs
Harmonia Mundi
3
italien

DVD

ENREGISTREMENT
ÉDITION
DIRECTION
ÉDITEUR
FICHE DÉTAILLÉE
2003
2004
Jean-Claude Malgoire
Dynamic
2004
2005
Jan Willem de Vriend
Challenge Classics
1985
2005
Arnold Östman
EuroArts

 

Dramma per musica en trois actes (HWV 6), sur un livret en trois actes du cardinal Vincenzo Grimani (1655 - 1710), ecclésiastique et diplomate érudit, ambassadeur impérial au Vatican, vice-roi de Naples. Cette attribution est toutefois aujourd'hui contestée.

Haendel était revenu à Rome au printemps 1709, où il était l'hôte du marquis Francesco Maria Ruspoli. Ce dernier habitait le Palazzo Bonelli, aujourd'hui Palazzo Valentino, sur la piazza Santi Apostoli, où il avait fait aménager un petit théâtre privé. Il fréquentait également les soirées de l'Académie d'Arcadie, fondée en 1690, et du cardinal Ottoboni, neveu du pape Alexandre VIII.

Francesco Maria Ruspoli

Il est admis que l'opéra fut créé au Teatro San Giovanni Grisostomo, à Venise, le 26 décembre 1709, date inscrite sur le livret. Toutefois, selon la musicologue Ursula Kirkendale, il pourrait avoir été créé dès novembre 1706, les représentations de 1709 ne constituant qu'une reprise. Il eut un tel succès qu'il fut représenté vingt-sept fois consécutives.

Teatro San Giovanni Grisostomo

Haendel dirigeait lui-même. Le rôle d'Agrippina était tenu par la célèbre soprano Margherita Durastanti, en alternance avec Elena Croce, Poppea par la soprano Diamante Maria Scarabelli, dite la Diamantina, Nerone par le castrat soprano Valeriano Pellegrini, Claudio par la basse Antonio Francesco Carli, Ottone et Giunone par la contralto Francesca Maria Vanini-Boschi, Narciso par le castrat alto Giuliano Albertini, Pallante par la basse Giuseppe Maria Boschi, Lesbo par Nicola Pasini, basse, prêtre de la Capella di San Marco.

Margherita DurastantiDiamante Maria Scarabelli

Giuseppe Maria Boschi dans le rôle de Pallante

 L'oeuvre eut un énorme succès, mais Haendel quitta Venise peu après pour Hanovre.

Outre des réemplois, notamment de motets et oratorios, et d'opéras, Almira, Rodrigo, Aci, Galatea e Polifemo, elle comporte de nombreux emprunts à d'autres compositeurs : Reinhard Keiser (Claudius, Octavia), et Johann Mattheson (Cleopatra, Porsenna), et Cesti

Elle fut reprise à Naples, le 15 favrier 1713, dans un version remaniée par l'imprésario Andrea Del Po et le compositeur Francesco Mancini, ainsi qu'à Hambourg en 1718, à Vienne en 1719, avec des ajouts de Caldara et Fux.

 

Le livret situe l'action dans la Rome impériale, miroir de la Rome papale ; ainsi l'empereur Claude serait la caricature du pape Clément XI.

Personnages : Claudio, empereur romain (basse), Agrippina, son épouse (soprano),Nerone, son fils (castrat soprano), Pallante, suivant d'Agrippina (basse), Narciso, suivant d'Agrippina (castrat alto), Lesbo suivant de Claudio (basse), Ottone (castrat alto), Poppea, courtisane (soprano), Giunone (contralto) 

 

"L'impératrice Agrippine apprend la mort de son époux Claude, et s'occupe de faire monter son fils Néron sur le trône. Néron gagne la faveur du peuple en distribuant de l'argent et est proclamé empereur, avec l'aide de Pallas et Narcisse, soupirants d'Agrippine. Lesbos, serviteur de Claude, annonce que ce dernier a survécu à une tempête, sauvé par Ottone, et revient à Rome. Othon, à qui Claude a promis le trône en récompense, est épris de Poppée, tout comme Claude. Poppée, trompée par Agrippine, obtient de Claude qui lui a rendu visite, qu'il prive Othon de ses faveurs. Celui-ci persuade Poppée de sa fidélite, qui se rend compte qu'elle a été trompée. Agrippine obtient de Claude qu'il désigne Néron comme son successeur. Poppée invite Néron et persuade Claude que Néron convoite son trône. Claude pardonne à tous, accorde le trône à Néron et la main de Poppée à Othon.

 Livret de Vincenzo Grimani, cardinal de Naples, protecteur de Haendel, propriétaire du théâtre San Crisostomo. Les faits historiques sinistres deviennent sur la scène une comédie licencieuse dans laquelle le souverain et des deux jeunes rivaux, Néron et Ottone, se disputent, outre le pouvoir, l'amour de la belle Poppée. L'attirante jeune femme, assiégée de toutes parts, fait de son mieux pour tenir en respect ses soupirants, les enfermant à tour de rôle dans des placards. Agrippine, de son côté, manoeuvre ses propres amants pour mettre son fils sur le trône et suppprimer les concurrents. En fin de compte, ses intrigues seront dévoilées, mais dans un dernier sursaut, elle réussira à redresser la siytuation : Néron aura la couronne, Otton sa chère Poppée, tandis que Claude restera les mains vides.

A Venise, en 1709, tout le monde reconnaissait, sous les vêtements de l'orgueilleux empereur Claude, le pape Clément XI, ennemi du cardinal Grimani et compromis dans la querelle pour la succession impériale entre les Habsbourg et les Bourbon." (Opéra International - décembre 1983)

 

"Créé à Venise à la fin de 1709 ou durant le carnaval de 1710 (avec la Durastanti dans le rôle-titre), Agrippina est un drôle de chef-d'oeuvre qui se propose d'explorer aussi bien les arcanes du pouvoir que celles de l'opera seria. Avec cette intrigue complexe, où les courtisans influencent les têtes couronnées et où sexe et pouvoir marchent main dans la main, le jeune Haendel (il a l'âge de Néron dans la pièce, c'est-à-dire même pas vingt-cinq ans !) trouve un livret en or à mettre en musique. Particulièrement inspiré, il vêtit ses personnages, déjà croqués au vitriol par Grimani (qui écorche avec une vicieuse gourmandise la société telle qu'il la voit), de costumes chatoyants et hauts en couleurs, brossant à coups de recitativi accompagnati et d'arie un opéra riche, tant sur le plan formel (37 arie, deux ensembles, deux cori, ainsi qu'ariette, ariosi et même un magnifique duo d'amour remplacé à la création par deux airs) que stylistique, d'une rare incandescence théâtrale, et dont le ton corrosif ne peut que réjouir les audiences modernes." (Forum Opéra)

Personnages : Agrippina (soprano), Poppea (soprano), Nerone (soprano), Claudio (basse), Ottone (contralto), Pallante (basse), Narciso (alto), Lesbo (basse), Giunone (contralto)

 

Synopsis détaillé

Acte I

Dans le cabinet d'Agrippine

(1) Agrippine vient d'apprendre que son époux, l'empereur Claude, est mort dans une tempête. Elle fait part à son fils Néron, âgé de vingt-cinq ans, de son intention de l'asseoir sur le trône. Elle lui conseille de se faire valoir auprès du peuple, en lui distribuant de l'or. Néron est plein de reconnaissance pour sa mère (air Con saggio tuo consiglio). (2) Agrippine, restée seule, pense mettre à profit les espoirs amoureux de Narcisse et Pallas, et fait chercher ce dernier. (3) Agrippine éprouve la fidélité de Pallas, qui avoue son inclination pour elle. Elle lui apprend la mort de Claude, et lui demande de rassembler les sénateurs au Capitole pour faire proclamer Néron empereur. Pallas chante son destin favorable (air La mia sorte fortunata). (4) Après Pallas, Agrippine fait appeler Narcisse. (5) Agrippine fait avouer à Narcisse qu'il l'aime, et lui demande de rassembler le peuple et l'armée en faveur de Néron. Narcisse chante sa joie (air Volo pronto, e lieto il core). (6) Agrippine, restée seule, chante sa détermination (air L'alma mia fra le tempeste).

Place du Capitole, avec un trône. Néron est entouré par la foule à laquelle il distribue des cadeaux

(7) Néron compatit au malheur du peuple. (8) Pallas et Narcisse recherchent les faveurs de Néron. (9) Agrippine, suivie du peuple, prend place sur le trône. Elle informe les peuple de la mort de Claude, et lui demande de choisir Néron comme empereur. Agrippine et Néron montent sur le trône. Des trompettes retentissent. (10) Lesbos, le serviteur de Claude, annonce l'arrivée de Claude à Antium, sauvé par Othon. Après avoir accusé le coup, Agrippine feint de se réjouir. Tout le monde acclame Claude. (11) Othon arrive pour raconter comment il a sauvé Claude de la noyade, et comment Claude l'a choisi pour lui succéder. (12) Othon reste seul avec Agrippine pour lui confier qu'il aime Poppée plus que le trône. Agrippine lui promet de l'aider. (air Tu ben degno) (13) Othon se réjouit (air Lusinghiera mia speranza).

La chambre de Poppée. Poppée devant son miroir

(14) Poppée chante sa beauté (air Vagne perle, eletti fiori) et s'amuse d'être aimée par Othon, Claude et Néron. (15) Lesbos vante l'amour que Claude lui porte ; Poppée feint qu'il soit partagé. (16) Alors qu'Agrippine est cachée, Lesbos confie à Poppée que Claude va lui rendre visite durant la nuit. Poppée répond qu'elle est prête à l'accueillir, mais comme souverain et non comme amant. Poppée chante l'amour qu'elle sent naître en elle (air E un foco d'amore). (18) Agrippine se montre à Poppée, et lui demande si elle aime Othon. Elle lui fait croire qu'Othon l'a trahie en la laissant à Claude, et lui conseille de susciter la jalousie de Claude (air Ho un non so che nel cor). (19) Poppée restée seule, se lamente qu'Othon lui préfère le trône et n'est pas décidée à se laisser faire (air Fa quanto vuoi). (20) Lesbos annonce l'arrivée de Claude. (21) Claude s'aperçoit vite que Poppée est préoccupée. Celle-ci lui fait croire qu'elle l'aime, mais qu'Othon, depuis qu'il sait qu'il va régner, le lui interdit. Elle fait promettre à Claude de revenir sur sa décision de laisser le trône à Othon. Claude se fait pressant et Poppée espère qu'Agrippine va venir la sauver. Claude croit que son attitude est dictée par la chasteté. (22) Lesbos annonce l'arrivée d'Agrippine, et presse Claude de partir. (23) Poppée remercie Agrippine qui lui clame son amitié (air Non ho cor che per amarti). (24) Poppée se justifie (air Se giunge un dispetto).

Acte II

Une rue de Rome près du palais impérial, parée pour le triomphe de Claude

(1) Narcisse et Pallas s'aperçoivent qu'ils ont été dupés par Agrippine. Ils décident d'être désormais francs l'un avec l'autre. (2) Othon arrive qui confirme qu'il tient plus à Poppée qu'au trône (air Coronato il crin d'alloro). (3) Agrippine, Poppée et Néron descendent du palais impérial avec leur suite. Ils décident de feindre vis à vis d'Othon. Othon adresse des mots d'amour à Poppée qui s'en indigne. Claude arrive, applaudi par le peuple. (choeur Di timpani e trombe). (4) Claude sur un char triomphal. Il annonce avoir vaincu la Bretagne et raffermi l'empire romain (air Cade il mondo soggiogato). Claude reçoit l'hommage d'Agrippine, Néron, Poppée, Narcisse et Pallas. Par contre il repousse Othon. Il le condamne à mort pour trahison. Othon recherche l'aide successivement d'Agrippine (air Nulla sperar da me), de Néron (air Sotto il lauro ch'ai sul crine) et de Poppée (air Tuo ben e'l trono), puis de Narcisse, Pallas et Lesbos. Tous le repoussent. (5) Othon, resté seul, se lamente sur son sort (air Voi che udite il mio lamento).

Jardin avec fontaine

(6) Poppée a des remords. (7) Othon arrivant, elle va s'asseoir près d'une fontaine, et feint de dormir. Il entend Poppée le traiter de traître dans son sommeil, et se cache alors qu'elle feint de se réveiller. Poppée fait semblant de se parler seule, et Othon comprend ce qu'on lui reproche. Il insiste pour s'expliquer, et affirme que le trône l'intéresse moins que son amour pour elle et lui fait comprendre qu'elle a été abusée par Agrippine. Poppée est prête à le croire. Othon clame à nouveau son innocence (air Ti vo giusta e non pietosa). (8) Poppée comprend la maneouvre d'Agrippine et décide de se venger (air Per punir chi m'ha ingannata). (9) Lesbos vient annoncer à Poppée que Claude souhaite venir lui parler. Poppée accepte. (10) Poppée est inspirée par le désir de vengeance. (11) Néron arrive et Poppée l'entraîne dans ses apprtements (air Col peso del tuo amor). (12) Néron se réjouit à l'avance de l'invitation de Poppée (air Quando invita la donna l'amante) (13) Agrippine forme des voeux en faveur de son fils (air Pensieri, voi mi tormentate). Elle se reproche d'en avoir trop dit à Narcisse et Pallas, et craint que son plan échoue. (14) Pallas renouvelle à Agrippine son dévouement, quoique Agrippine lui demande de tuer Narcisse et Othon, et chante son espoir (air Col raggio placido). (15) Agrippine reprend espoir. (16) Agrippine demande à Narcisse de tuer Pallas et Othon. Narcisse chante à son tour son espoir (air Sperero, poiche mel dice). (17) Agrippine se prépare à accueillir Claude. (18) Agrippine fait part à Claude de son inquiétude à son sujet, et de la menace que constitue Othon. Elle lui propose de désigner Néron comme son successeur. Claude demande à réfléchir. (20) lsbos vient prévenir Claude que Poppée l'attend. Pressé par Agrippine, Claude promet de faire couronner Néron. (21) Agrippine se réjouit que Néron devienne empereur (air Ogni vento ch'al porto lo spinga).

Acte III

Chambre de Poppée, avec une porte de face et deux autres de chaque côté

(1) Poppée prépare sa vengeance contre Agrippine. (2) Othon assure Poppée de sa fidélité. Poppée le fait se cacher derrière une porte. (3) Poppée attend Néron et Claude. (4) Néron arrive, mais Poppée lui reproche son retard. Elle feint de craindre l'arrivée d'Agrippine, et fait cacher à son tour Néron derrière la porte face à celle où se trouve Othon. (5) Poppée espère le succès de sa mise en scène, mais si elle doit susciter la colère d'Othon. (6) Claude arrive. Poppée lui fait des reproches et Claude pense que c'est à cause d'Othon. Poppée le détrompe et lui révèle que Néron lui interdit de le voir. Claude ne comprend plus, et Poppée arrive à lui faire croire qu'il s'est trompé quand elle avait parlé d'Othon. Claude jure de la venger. Poppée le fait se cacher derrière la porte qui est située en face, puis va chercher Néron. (7) Claude sort de sa cachette. Il apostrophe et chasse Néron. Au moment où il sort, Poppée fait comprendre à Néron qu'elle s'est vengée. (8) Poppée fait part à Claude de sa crainte de la réaction d'Agrippine, et lui demande, avant tout, d'intervenir pour qu'elle n'ait pas en pâtir. Claude la rassure (air Io di Roma il Giove sono). (9) Poppée, restée seule, savoure sa vengeance (air Esci, o mia vita, esci dal duolo). (10) Othon clame à nouveau sa fidélité à Poppée qui se donne à lui (duo Non, no, ch'io non apprezzo).

Salon impérial

Néron raconte à Agrippine comment il a été traité par Poppée et Claude. Agrippine lui conseille de renoncer à Poppée (air Come nube che fugge dal vento). Pallas et Narcisse décident de dévoiler les manigances d'Agrippine à Claude. (13) Ils révèlent à Claude qu'Agrippine a fait couronner Néron pendant son absence. (14) Agrippine arrive et rappelle à Claude sa promesse. Claude lui reproche d'avoir mis Néron sur le trône pendant son absence. Agrippine se justifie par l'annonce de la mort de Claude, et convainc ce dernier qu'elle n'a fait que défendre le trône de Claude, ce que Narciss et Pallas ne peuvent que confirmer. Profitant de son avantage, Claude accuse Poppée d'être courtisée par Othon. Pour en avoir le coeur net, Claude fait venir Othon, Poppée et Néron. Agrippine assure Claude de sa fidélité (air Se vuoi pace, oh volto amato). Claude accuse Néron de l'avoir trouvé caché chez Néron, et décide qu'il doit épouser Poppée. Othon, lui, sera sacré empereur. Othon répond préférer Poppée au trône. Poppée se dit également prête à abandonner le trône pour rester avec Othon. Néron, en revanche, dit préférer le trône. En fin de compte, à la satisfaction générale, Claude attribue le trône à Néron, et renonce à Poppée en faveur d'Othon. Agrippine chante le dernier air (V'accendano le tede). Choeur final en l'honneur du Tibre et de l'Amour (Lieto il Tebro increspi l'onda).

 

  http://www.dlib.indiana.edu/variations/scores/abw5366/index.html

  "... Opéra au sujet historique, il s\92insère bien dans la tradition vénitienne qui avait comme précédent la Poppée de Busanello-Monteverdi, dont le texte pourrait bien s\92inspirer. Bien des critiques ont voulu voir dans le cadre classique romain une satire féroce de la décadence de la Rome du Pape Clément XI. Il semble toutefois plus probable \96 comme le soutient Carlo Vitali \96 que la clef de lecture de ce drame soit anti-française, la cour de Claude reflétant les vices du Versailles de Louis XIV. Effectivement, il y avait eu par le passé des dissonances entre Vincenzo Grimani (exerçant comme diplomate) et la cour française, notamment pendant et après la guerre de succession d\92Espagne. Il y a plus d\92une ressemblance (et pas seulement historiographique) entre Claude et Louis XIV, entre Néron et Philippe d\92Anjou, entre Othon et Charles de Habsbourg et surtout entre Agrippine (dont le grand-père était le général de César, Agrippa) et Françoise d\92Aubigné, plus connue comme marquise de Maintenon, dont le grand-père n\92était autre que le huguenot Agrippa d\92Aubigné, conseiller de Henri IV. L\92opéra avait tout ce qu\92il fallait pour être l\92événement exceptionnel du Carnaval de 1710 et aujourd\92hui encore, le texte autant que la musique en font un véritable chef-d\92\9Cuvre de la musique baroque. Musicalement, Haendel s\92insère parfaitement dans la solide tradition vénitienne, offrant un opéra riche en récitatifs, et rendant magnifiquement l\92ironie du texte avec des airs de très haut vol. La distribution était de tout premier ordre, avec notamment dans le rôle d\92Agrippine Margherita Durastanti, qui avait déjà travaillé à Rome avec Haendel et les époux Boschi, qui devaient travailler plus tard avec lui à Londres. L\92opéra pourrait aujourd\92hui être à bon droit considéré comme un « pasticcio », puisque quatre-vingts pour cent de son matériel est repris (pour ne pas dire recyclé ou revisité) d\92\9Cuvres précédentes. Des réélaborationsdes airs du Trionfo del Tempo, de la Resurrezione, de Aci, Galatea e Polifemo, des cantates romaines, font de cet opéra un chef-d\92\9Cuvre dans l\92art de la recomposition. Bien que cette composition soit de nature dramatique, on peut dire qu\92Agrippine présente certaines caractéristiques de l\92opéra-bouffe, ou du moins présente des traits humoristiques, parodiant l\92opéra arcadien. Mais il serait peut-être plus juste de la définir comme une comédie à intrigue qui finit bien."

 

 

Représentations :

 

 

 

"David McVicar s\92appuie trop souvent sur le côté comique et donc il transforme la tragicomédie en une sorte de vaudeville un peu trash, piquant, toujours léger : quelques pas de danse en arrière-plan nous ont même fait penser aux chorégraphies de Gene Kelly !

Outre que l\92orchestre était souvent en déphasage avec les chanteurs, il s\92est montré pesant, monotone et sans vivacité aucune. Même la basse continue semblait lasse de devoir accompagner les chanteurs dans les récitatifs. Il s\92agissait certainement de la dernière représentation de la série et la fatigue se faisait sentir, mais ce soir-là l\92orchestre symphonique du Liceu sous la direction d\92Harry Bicket, pourtant un chef expérimenté, n\92avançait pas.

Aux défauts de la mise en scène, démodée, et à la pesanteur de l\92orchestre sont venues s\92additionner les contreperformances de la plupart des artistes sur la scène. Sarah Connoly \96Agrippina - n\92a pas mis en valeur ni dramatiquement ni vocalement la perfidie de son superbe personnage et donc elle est restée gentille et sympathique, grotesque cependant face aux personnages de Pallante - Henry Waddington - et de Narciso - Dominique Visse - ses soupirants. Si Dominique Visse en a fait des kilos, comme à son habitude, dans son modeste rôle, Malena Ernman en a fait des tonnes dans le rôle travesti de Nerone, contribuant ainsi à gommer le côté dramatique et truculent de l\92histoire. Danielle de Niese a chanté, et surtout joué, une Poppée aguicheuse et sensuelle ; un changement de robe en direct de grand effet, l\92a transformée instantanément de courtisane élégante en péripatéticienne vulgaire. Elle a été très applaudie car elle a réussi des morceaux de bravoure mais ses ornements vocaux étaient souvent approximatifs et forcés, artificiels. Ce sont finalement Franz-Josef Selig \96Claudio hilarant face à Poppée- et surtout David Daniels \96Ottone- les deux voix qui par respect pour la partition et par leurs jeux tempérés auront sauvé cette \9Cuvre de jeunesse de Georg Friedrich Händel." 

 

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=R_FSL6TFeow

https://www.youtube.com/watch?v=36ZpecAeyoA

https://www.youtube.com/watch?v=ilw4UOT1TqQ

"Magistrale comédie de m\9Curs et premier grand succès lyrique de Haendel, Agrippina peut fort bien se passer de mise en scène si elle se voit confier à des interprètes qui l\92ont déjà joué ou, à défaut, qui ont assez d\92expérience et de personnalité pour s\92approprier leurs rôles. Malgré quelques faiblesses, la version de concert donnée au Théâtre des Champs-Elysées mercredi dernier en apporte une brillante démonstration, réussissant même à éclairer certains protagonistes sous un jour nouveau. Il faut préciser que les coupes sombres pratiquées par Eduardo López Banzo dans une trame dense et serrée en ont toutefois préservé la cohérence et la fluidité. En outre, à la tête de son ensemble Al Ayre Espanol, le chef veille au grain et souffle sur les braises pour maintenir le rythme de l\92action en parfaite intelligence avec les solistes du chant.

A en croire les historiens, l\92empereur Claude ne semble pas avoir été une lumière et certains commentateurs se persuadent que le cardinal Grimani a chargé le portrait pour mieux brocarder à travers lui le pape Clément XI, son ennemi juré. Mais le personnage dessiné par le librettiste et coloré par Haendel est-il vraiment ce balourd pitoyable volontiers incarné par les titulaires du rôle ? Luigi de Donato impose d\92emblée une prestance, tant physique que vocale, qui n\92entre pas en contradiction avec le livret alors que les premières pages dévoilent la sensibilité et la douceur d\92un homme simple, faible et lascif, mais sans malice (« Vieni o cara », joyau de la partition où le chanteur déploie des trésors de délicatesse). Certes, ses rodomontades prêtent à sourire (savoureux « Cade il mondo »), mais le sourire se fait complice lorsque la basse italienne décoche les traits avec juste ce qu\92il faut de distanciation pour suggérer l\92autodérision de Claude qui, par contre, se révèle trop entier pour subodorer la duplicité d\92Agrippine ou de ses féaux. En revanche, s\92il se montre naïf, il n\92est pas pour autant stupide. Au contraire, il sait comment s\92y prendre pour gagner du temps avec Agrippine, confondre Othon et Poppée ou renvoyer Néron dans les jupes de sa mère. Nous savons gré à Luigi de Donato de nous rappeler ces nuances parfois escamotées par des compositions caricaturales.

Bien plus que cet empereur débonnaire, ce sont Pallas et Narcisse que l\92opéra frappe de ridicule et fustige, vils et lâches courtisans qui vendraient leur âme au diable pour une parcelle de pouvoir. Cependant, nos deux comparses sont les premières victimes de la réduction de l\92opéra : ils y perdent notamment leur second air, ce dont, à dire vrai, nous ne nous plaindrons pas. Le Pallas générique et terne d\92Enrique Sánchez (baryton) souffre du voisinage de Luigi De Donato, mais retrouverait presque des couleurs et une consistance à côté du Narcisse de José Hernández Pastor (contre-ténor), très probablement malade et dont la charité nous interdit de commenter la prestation. L\92alto de Carlos Mena a perdu de son velours et manque d\92assises pour une partie aussi grave que celle d\92Othon (créée par Francesca Vanini-Boschi). Son émission hétérogène le fatigue et dessert plusieurs airs (« Coronato al crin » manque d\92éclat), mais l\92artiste excelle toujours dans l\92élégie (« Voi che udite ») et se révèle sublime dans la confession amoureuse (« Tacerò, tacerò », caressant et rêveur).

Le mezzo corsé de Vivica Genaux a presque trop de caractère pour un Néron à peine pubère, mais c\92est en même temps un luxe dont nous savourons chaque intervention, dans l\92attente des coloratures spectaculaires du troisième acte (« Come nube che fugge dal vento ») qui fusent telles les balles d\92une mitrailleuse. Le soprano de Maria Espada affiche un aplomb et une fraîcheur éclatante en Poppée, mais l\92intrigante, moins Sémélé que Cléopâtre, n\92assume guère sa coquetterie (« Vaghe perle » déroutant de sobriété) et surprend, en revanche, par sa détermination et une autorité qui en feraient presque la fille spirituelle d\92Agrippine, dont elle retient et applique la leçon avec une habileté remarquable. « Celui qui cherche à tromper sera trompé » fait-elle dire à l\92impératrice lorsque Claude chasse Néron de sa chambre, mais celle-ci aura le dernier mot.

L\92Agrippine d\92Ann Hallenberg consacre la rencontre, inestimable, d\92un grand rôle et d\92une interprète totalement habitée. Cela fait des années qu\92elle le travaille, à la scène et en concert, et elle l\92aborde avec un naturel renversant : notes, mots, inflexions semblent couler de source et renouvellent cette enivrante illusion de la spontanéité qui nous suspend à ses lèvres, au moindre cillement de paupière. Sa proposition ne fera pas l\92unanimité et d\92aucuns jugeront cette Agrippine trop avenante, sensuelle et radieuse \96 plaisir d\92Ann Hallenberg ou douce jubilation de son personnage ? Les deux semblent se confondre \96 comme si le monstre, cette mère obnubilée par l\92avènement de sa progéniture et prête à tout pour arriver à ses fins, devait nécessairement affleurer en lézardant le masque de la comédienne d\92un rictus inquiétant. La concentration et la précision de ses attaques, qui ont la netteté du laser, dans « Pensieri voi mi tormentate » trahissent à suffisance l\92inflexible volonté qui habite cette manipulatrice hors pair dont la séduction, et non la menace, constitue l\92arme principale (« Se vuoi pace, o volto amato », au III, atteint des sommets de sophistication et de raffinement). Vocalement, comme le soulignait Christophe Rizoud l\92automne dernier, rien ne lui résiste, « rien ni personne » ajouterons-nous, en espérant que sa performance soit un jour immortalisée au disque ou en DVD. Elle aurait justifié à elle seule les applaudissements nourris et les rappels du public du Théâtre des Champs-Elysées manifestement ravi d\92avoir fait le déplacement. "

 

  Preuve que les employés du Staatsoper im Schiller Theater de Berlin travaillent efficacement \97 même le dimanche \97, les imposants décors du « Fliegende Holländer » de la veille avaient, le 5 mai, complètement disparu : la place était nette pour accueillir le plateau épuré du metteur en scène Vincent Boussard, les filins scintillants du décorateur Vincent Lemaire et les somptueux costumes signés Christian Lacroix dans une nouvelle production d\92« Agrippina ». Opéra en trois actes composé par Georg Friedrich Haendel, d'après un livret de Vincenzo Grimani pour la saison 1709-1710 du Carnaval de Venise, « Agrippina » raconte l\92histoire des complots ourdis par cette mère vénéneuse, s\9Cur de l\92inoubliable Caligula, contre son époux l\92Empereur romain Claude afin d\92asseoir son fils Néron sur le trône de Rome. Ce « Mamas Liebling » saura bien le lui rendre dans la réalité historique en faisant assassiner sa génitrice cinq années après avoir été proclamé empereur. Haendel n\92ignore d\92ailleurs rien des appréhensions maternelles puisqu\92il clôt son opera seria sur cette parole prophétique d\92Agrippine : « Or che regna Neron, moro contenta ».

Autant dire que cette pièce, dans l\92esprit du compositeur, se veut aussi un miroir satirique à peine déformé des m\9Curs sanglantes d\92une époque antique\85suffisamment modulable pour dénoncer celles de son temps : d\92où une scénographique qui n\92hésite pas à multiplier les instants cocasses ou les comiques de situation concernant le plus souvent l\92Empereur. Et ce, par le truchement de son bouffon et confident Lesbo, magnifiquement interprété par Gyula Orendt. Lorsque le bon peuple rit de ses dirigeants, il ne songe pas à se révolter. Encore moins à s\92en débarrasser.

Si Penelope dans « Il ritorno d\92Ulisse in patria » écrit par Monteverdi en 1640 \97 et qui terminera à la fin de ce mois la saison de l\92Opéra de Nice \97 demeure le premier rôle de mère dans l\92histoire de l\92opéra, celui d\92Agrippine, plus jeune et entièrement dévolu au cynisme de ses ambitions, domine du début jusqu\92à la fin dans l\92inexorable tissage de ses sombres intrigues. « Quel sang froid ! » dira d\92elle l\92affranchi Pallante lorsqu\92elle parvient à retourner en sa faveur une accusation lancée contre elle par Claudio. Obsession du pouvoir, enchaînement de conspirations, alliances sitôt trahies à peine conclues, amours contrariées, promesses qui n\92engagent que ceux qui veulent bien y croire, nourrissent les récitatifs et les arias des différents protagonistes sur cette délicieuse musique où l\92origine allemande du compositeur subit l\92influence italienne après ses trois années de périple péninsulaire.

Saluons d\92emblée l\92excellente direction musicale du chef René Jacobs sur les instrumentistes de l\92Akademie für Alte Musik de Berlin et sur les chanteurs. Attaques énergiques, précision dans les nuances : l\92âme de Georg Friedrich Haendel tour à tour surprend ou émeut l\92assistance. La distribution des voix demeure d\92une inégale valeur. Hors compétition, le contre-ténor américain Bejun Mehta reçoit plusieurs ovations pour sa remarquable interprétation d\92Ottone : une voix claire, puissante, surtout constante, offre notamment, à la scène 5 de l\92acte II un « Voi che udite il mio lamento », superbe lamentation sur la solitude. Le baryton-basse argentin Marcos Fink campe pour sa part un amusant Claudio impérial, fruit des facéties de son entourage, à la voix parfois un peu instable dans le vibrato. La basse Christian Senn réussit sa performance vocale dans le personnage de l\92affranchi Pallante tout comme Narciso, son acolyte dans la pièce bien joué par le contre-ténor français Dominique Visse.

Les voix féminines sont, hélas, moins bien loties. Malgré de fort beaux accents, la plupart d\92entre elles donnent le sentiment de chanter pour elles-mêmes sans tenir compte du public ou de se produire dans un salon restreint. Pendant la première partie, la soprano d\92origine bulgare Alex Penda (Agrippina) \97 nonobstant une surprenante tessiture lui permettant des graves profonds autant que des aigus pointus \97, la mezzo-soprano américaine Jeniffer Rivera (Nerone) et la soprano coréenne Sunhae Im (Poppea) semblent retenir leur voix lesquelles parviennent parfois difficilement jusqu\92au public. Et ce, malgré la proximité d\92un plateau avancé au-delà de la fosse d\92orchestre. C\92est dire. A moins qu\92elles ne subissent la tendance de plus en plus relevée parmi de nombreux et jeunes artistes : celle d\92épargner leur instrument vocal pour n\92en donner que le meilleur au moment le plus propice de leur rôle. La « performance » au sens économique mais pas lyrique. Phénomène regrettable. La deuxième partie modifie cette désagréable impression et, finalement, les trois caractères féminins se projettent mieux vocalement avec des aigus puissants, jusqu\92au tomber de rideau. Une production d\92ensemble qui n\92en reçoit pas moins un accueil enthousiaste du public. L\92envoûtante musique de Haendel n\92en est certainement pas la moindre des raisons."

 

 

 

 

 

 

 

 

"De tous les opéras de Haendel, Agrippina est sans doute celui qui dispose du livret le plus engageant : un sujet tiré de l'histoire antique, des personnages avec une vraie consistance dramatique, des rebondissements dignes d'une pièce de boulevard, des portes qui claquent et des amants cachés dans le placard. De quoi maintenir l'intérêt en éveil d'un bout à l'autre de l\92ouvrage malgré la longueur et le nombre important de récitatifs, une caractéristique propre à l'esthétique vénitienne de l\92\9Cuvre au même titre que le mélange des genres - comique et tragique -, le foisonnement des scènes et des personnages, les multiples retournements de situation. Inversement, la méta-structure dramatique de l'opéra, plus organisée qu'il n'y paraît avec ses trois actes et huit tableaux, le rattache au dramma per musica tel qu'Apostelo Zeno en fixa les codes au début du XVIIIe siècle. A cheval sur deux écoles donc, cette histoire de sexe et de pouvoir fera le bonheur d'un metteur en scène pour peu qu'il soit inspiré.

Fille des années 80, Mariame Clement a choisi d\92en projeter l'argument dans l'univers des soap operas de sa jeunesse. De Rome à Dallas, la machine théâtrale tourne à plein régime grâce à un dispositif scénique ingénieux, à cheval - lui aussi - sur deux plans : au sol, des décors que font rouler à vue des machinistes, et en hauteur, quatre écrans de taille inégale. Les premiers offrent un cadre à chaque scène - bureau, chambre, salon, salle de bain ou de restaurant - les seconds achèvent de camper le décor en y superposant des images. Sans cesse renouvelé, ce procédé bénéficie de moyens suffisants pour que chaque tableau - et Dieu sait s'ils sont nombreux - soit un régal pour l'\9Cil. Tout aussi variés et sophistiqués, les costumes de Julia Hansen participent à l'impression de luxe artificiel, en symbiose avec ces séries américaines qui ont guidé la transposition. Mais une idée de départ, aussi bonne et aussi richement réalisée soit-elle, ne tient que si elle est animée par un propos théâtral. C'est là où le travail de Mariame Clément trouve son aboutissement, derrière la recherche de gestes en adéquation avec la musique et les mots. Aucun air qui ne soit mis en situation, aucun da capo qui ne soit accompagnée d'un nouveau jeu de scène, toujours à propos, sans que le mouvement ne vienne jamais parasiter la musique, au contraire.

On suppose que cette recherche permanente de sens dramatique a dû inspirer les chanteurs jusque dans leur manière d'interpréter leur rôle. Quelles que soient leur adéquation vocale et leur habileté à maîtriser la virtuosité de l'écriture, les personnages demeurent d'une vérité scénique confondante. Qu'ils détiennent en plus les clés musicales de leur partition et l\92interprétation devient totale : Kristina Hammarström, Ottone introverti et sensible ainsi que l\92a voulu Haendel en lui attribuant les airs les plus élégiaques ; Renata Pokupic, Nerone velléitaire, ingrat parfois mais si juste dans l\92agitation nerveuse de la ligne et la couleur indéfinissable de la voix ; Elena Tsallagova, Poppea peroxydée dont la colorature légère mais précise participe au sex-appeal et, avant toutes, l\92Agrippina idéale d\92Ann Hallenberg. La technique n\92est évidemment pas une contrainte pour la mezzo-soprano. Mieux, les difficultés d\92écriture ajoutent encore à l\92intelligence de la composition. Saut d\92octaves, vocalises en rafale, messe di voce, rien ne lui résiste, tout signifie. La voix est longue, égale ; le ton souverain. Les récitatifs forment à eux seuls une leçon de chant qui voit, selon le sens, la syllabe appuyée ou esquivée, le mot mordu ou caressé. Les arias remplissent leur office, quel que soit l\92affect exprimé avec au sommet un « pensieri, voi mi tormentate » stupéfiant dont les silences sont encore musique. Dommage que dans la fosse, Paul McCreesh, en panne d\92imagination dramatique, ne parvienne pas à hisser le Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera à la hauteur d\92une telle impératrice."

 

"Pour l\92ouverture de son trentième anniversaire, le Festival International d\92Opéra Baroque de Beaune proposait Agrippina de Haendel (en version de concert) dans la Basilique Notre-Dame en raison des conditions météorologiques qui n\92ont pas permis sa représentation dans la Cour des Hospices.

Sommet de la production italienne de Haendel, cet opéra, qui valut au compositeur l\92appellation de « caro Sassone », se caractérise tout autant par la qualité de son livret qui fait la part belle à l\92approfondissement psychologique des personnages et à l\92humour, omniprésent, que par l\92abondance des airs, souvent courts et très variés, ainsi que par la synthèse des genres musicaux français et italien, qui en font un véritable condensé des multiples facettes de l\92écriture musicale haendélienne.

C\92est cette extraordinaire diversité des genres, des styles, des affects et des points de vue que cette représentation, remarquable à tous égards, a su mettre en évidence. Paradoxalement, l\92absence de mise en scène fait ressortir avec force la théâtralité de l\92\9Cuvre : les chanteurs, assis de part et d\92autre de l\92orchestre, se lèvent à tour de rôle en adoptant dans leur gestuelle et leurs mimiques les éléments essentiels à la compréhension de leur situation, de leurs pensées dissimulées et des intrigues qui se nouent. Leur proximité et leurs déplacements dans le petit espace qui les sépare rendent sensibles la fragilité des alliances et la rapidité des retournements. En outre, le lien entre la musique et le chant se fait naturellement et dans un équilibre permanent, les dialogues entre voix et instruments (comme le hautbois solo dans le premier air d\92Agrippina, « L\92alma mia ») font sens, le corps du chef participe aussi de la dramaturgie.

C\92est donc un spectacle d\92une qualité exceptionnelle auquel nous avons le bonheur d\92assister : la direction subtile, précise et pleine d\92humour de Federico Maria Sardelli \96 qui tient également la partie de flûte à bec \96 à la tête de l\92Orchestre Modo Antiquo, déjà entendu à Beaune dans Ariodante en 2009 et Juditha triumphans en 2011, révèle pleinement la virtuosité d\92une partition qui emprunte aux \9Cuvres précédentes de Haendel et d\92autres compositeurs. Le tempo enlevé et quelques coupes dans le livret permettent de suivre avec un intérêt constant cet opéra d\92une longueur parfois considérée comme excessive et réduite ici à moins de trois heures.

Les interprètes sont tous confondants de justesse, de sensibilité et de virtuosité, à commencer par le mezzo-soprano suédois Ann Hallenberg, captivante et envoûtante Agrippine à la voix limpide et à la présence scénique rayonnante. Comment ne pas céder à la moindre de ses demandes ? Les vocalises de l\92air « Alma mia », les apartés de l\92aria da capo « Tu ben degno », les passages d\92un affect à l\92autre (lamento, aria di furore\85), le style instrumental, les déclarations impérieuses et les moments d\92abattement, les contrastes (aria « Pensieri » par exemple), la drôlerie et la duplicité dans les échanges avec les affranchis, tout semble éminemment naturel tant la maîtrise de la technique et de l\92interprétation est grande.

À ses côtés, le mezzo-soprano croate Renata Pokupic campe un Néron convaincant : sa voix chaude et profonde se métamorphose au gré des situations, selon que le personnage cède aux instances de sa mère, veut séduire, ou s\92abandonne à l\92indignation (formidable aria di tempesta « Come nube che fugge dal vento »). Le soprano Roberta Mameli sait rendre convaincant le rôle de Poppée, fatale séductrice : la voix est agile (aria « Vaghe perle, eletti fiori »), capiteuse (« Bel piacere »). Luigi de Donato est un Claude de grande classe, aux basses profondes et majestueuses, d\92une grande agilité sur l\92ensemble de la tessiture, et scéniquement parfait, comme tous d\92ailleurs.

Le contre-ténor américain Lawrence Zazzo, au visage illuminé en permanence d\92un immense sourire, émeut particulièrement en Othon, seul personnage de l\92opéra qui soit dénué d\92arrière-pensées égoïstes et dont Haendel a magnifié musicalement l\92innocence et la pureté. Doté d\92une voix puissante aux aigus superbes et d\92un sens raffiné des nuances, Lawrence Zazzo entre en communion avec l\92orchestre dont les sons se mêlent à son chant en une fusion absolue (lamento « Voi che udite », aria « Ti vo\92 giusta »). Andrea Arrivabene interprète de manière crédible, dans un rôle de composition, le personnage timide, maladroit et intrigant à la fois de Narcisse, contrastant à merveille avec Clemente Antonio Daliotti, affichant la morgue et l\92aisance d\92un Pallas à la voix assurée, techniquement impressionnant d\92agilité, notamment dans l\92aria « La mia sorte fortunata ». Lesbus enfin est interprété par Abramo Rosalen, qui dans un petit rôle sait mettre en valeur une voix de qualité (une seule arietta permet de l\92entendre en dehors des récitatifs : « Allegrezza, allegrezza ! » au premier acte).

Toutes les conditions étant réunies, les ensembles vocaux sont pure merveille, et le ch\9Cur final une véritable apothéose. Le public est conquis, au point de ne pouvoir s\92empêcher d\92applaudir certains airs au mépris des usages (tant de l\92unité dramatique de chaque acte que du lieu de la représentation), provoquant parfois l\92attente amusée du chef et des musiciens qui avaient pris le parti d\92une narration continue. Magnifique coup d\92envoi pour le trentième Festival de Beaune, cette Agrippina apparaît à tous points de vue comme un modèle d\92interprétation."

Comme à son habitude, Beaune ouvre les festivités de ses quatre weekends baroques avec une \9Cuvre de Haendel. Cette année, il s\92agit d\92une truculente \9Cuvre de jeunesse composée durant la période italienne du compositeur : Agrippina, dont le livret au sujet politico-amoureux, met principalement en scène les stratèges d\92une Agrippina prête à l\92impossible pour asseoir son fils Nerone sur le trône. C\92est Eduardo Lopez Banzo et son ensemble qui devaient initialement prendre en charge ce concert, mais suite à des coupes budgétaires ils ont déclaré forfait et le festival de trouver dans l\92urgence des remplaçants. Federico Maria Sardelli et son Modo Antiquo relèvent le défi et contribuent à la réussite de la soirée même s\92ils ont dû lutter contre l\92acoustique assassine de la basilique, et ainsi involontairement offrir un son à la perception parfois brouillonne. A noter quelques moments fort inspirés tels que la petite touche jazzy du luth, ou l\92intervention du chef à la flûte, ou encore le bref déchaînement orchestral dans la partie centrale de l\92air « Voi che udite » d\92Ottone\85 pourtant il faut déplorer la lenteur des enchaînements airs/récitatifs qui tend à faire retomber la tension dramatique ainsi que les coupes importantes des da capo et surtout de la géniale reprise voulue par le compositeur du lancinant « Pensieri » traduisant l\92extrême tourment qui ronge Agrippina.

Heureusement l\92ennui ne risque pas de s\92installer avec la prodigieuse mezzo-soprano Ann Hallenberg qui transcende véritablement le personnage d\92Agrippina. Bien connue pour ses brillantes interprétations des rôles de castrats haendéliens (même si elle y laisse souvent une pointe de féminité), avec ce rôle de femme trompée mais assumé, de perfide manipulatrice et de mère louve enragée, elle touche au sublime ! Elle s\92impose d\92emblée de façon éclatante, pourtant (ingénieusement) cantonnée à de « simples » récitatifs pendant près d\92une demie heure, elle retient l\92attention par la clarté et la qualité expressive d\92une diction exceptionnelle qui rendent les récitatifs (qui auraient pu paraître quelconques avec quelque autre interprète) plus passionnants encore que les airs chantés par ses collègues ! Et comment résister non seulement au crémeux de son mezzo si chaleureux mais aussi à son penchant naturel pour la comédie ? Comment résister à ses \9Cillades complices, cette façon si particulière de sourciller ou de se pincer la joue avec malice, ou encore de chanter rageusement en serrant les dents\85? Certains airs se transforment alors en force dévastatrice comme son « Pensieri » (pour ne citer que celui-ci) chanté comme si sa vie en dépendait.

Pour rivaliser avec cette personnalité hors du commun, il fallait trouver une redoutable Poppea en la personne de la soprano Roberta Mameli. Dans un tout autre registre et avec grande classe, celle-ci parvient à s\92imposer en faisant valoir ses pianissimi de petite fille qui la rendent faussement innocente pour mieux contraster avec sa voix pleine revancharde, en variant les couleurs de son timbre, ou en nous étourdissant avec les vocalises d\92un vaillant « Fa quando vuoi ».\85, des armes suffisamment redoutables pour contrer l\92écrasante Agrippina. Poppea va se servir de l\92amour que lui porte le souverain Claudio pour se venger d\92Agrippina. Ce dernier, est certes un personnage naïf mais Luigi De Donato va lui conférer une grande prestance. Alors, même s\92il se trouve en difficulté avec les notes aiguës du redoutable air « Cade il mondo », la chaleur de sa voix ferme et sonore, la profondeur des ses notes graves ainsi que la charmeuse douceur de son timbre font merveille dans tous les autres airs.

Deux autres personnages vont être hautement manipulés : le fils d\92Agrippina Nerone, amoureux de Poppea, trouve en Renata Pokupic, une interprète fougueuse et juvénile mais à la gestuelle peu convaincante ; et Ottone, l\92amant de Poppea, honnêtement interprété par le contre-ténor Lawrence Zazzo. Deux interprètes efficaces mais peu marquants. Enfin trois rôles mineurs viennent compléter la distribution : Pallante, Narciso et Lesbo, respectivement chantés par Clemente Antonio Daliotti, Andrea Arrivabene et Abramo Rosalen. Tout trois ont contribué à la réussite de cette représentation (mention spéciale pour le baryton Daliotti, à la voix bien timbrée et si facile dans les vocalises).

La soirée aurait pu ne laisser qu\92un souvenir agréable, mais c\92était sans compter sur l\92implication hors norme de la mezzo-soprano Ann Hallenberg, irrésistible et mémorable dans le rôle d\92Agrippina !" 

 

"Comment ne pas être saisi d\92emblée par la modernité et par la multiplicité des thèmes abordés dans l\92opéra Agrippina ? Le livret de Vincenzo Grimani brasse allègrement les problèmes liés au domaine politique tels que la corruption, le populisme, le mensonge lié à l\92ambition, avec le sentiment maternel possessif, avec la concupiscence et aussi avec l\92expression de l\92amour « traditionnel ». Ce mixage s\92opère dans le cynisme le plus réjouissant et les quatre heures que dure celui-ci se déroulent sans qu\92on n\92y prenne garde : on y sent bouillonner la vie dans toute sa complexité.

C\92est probablement à Emmanuelle Haïm que l\92on doit de ressentir cet élan vital si foisonnant. Sa direction, tour à tour nerveuse ou au contraire alanguie, met très bien en relief les caractères contrastés des protagonistes : elle suit au plus près les inflexions vocales, allant même jusqu\92à dessiner les volutes de la ligne mélodique quand c\92est nécessaire, car elle vit et s\92implique totalement dans son travail ! Celui-ci est absolument remarquable dans le domaine de l\92instrumentation : en effet, jamais l\92orchestre ne pèse, mais toujours on se dit que le timbre choisi est le bon pour rendre le sens des paroles et même le renforcer.

On sait depuis longtemps que la mode est aux mises en scène « épurées » ; mais, tout en reconnaissant que dans les périodes de crise on se doit d\92être sobre, on ne peut que regretter que celle-là ne soit pas plus baroque\85 Que les costumes se contentent d\92une modernité banale, soit. Mais que le décor ultra classique en rajoute sur cette impression de platitude, c\92est un peu dommage. Pourtant, le metteur en scène sait apporter des notes d\92humour : bravo au chien de garde d\92Agrippine, bravo pour la séquence des fleurs dont la couleur réchauffe la scène, bravo pour le porteur de valise dont la présence évoque des souvenirs chez le spectateur actuel !La distribution est réussie et les timbres si différents des protagonistes choisis avec justesse s\92accordent avec bonheur. Par exemple, Narciso et Pallante, pourtant radicalement différents dans leur caractère, forment un duo comique homogène comme les deux Dupondt ! L\92empereur Claudio est parfaitement ridicule dans son rôle de barbon amoureux et la scène 21 de l\92acte 1 est un pur régal. Renata Pokupic est une des révélations de cette distribution : sa voix claire et puissante devrait faire merveille dans d\92autres distributions. On peut faire la même remarque pour celle de Sonya Yoncheva : son rôle, plus important, est soutenu sans faiblesse, et on se réjouit de la retrouver à la fin de la saison dans l\92opéra de Monteverdi. Celui d\92Agrippina est écrasant ; les multiples facettes de la personnalité de cette mégère sont redoutablement difficiles à interpréter d\92une façon crédible, mais Alexandra Coku, remplit la scène par sa prestance et par sa conviction ; malgré quelques aigus un peu métalliques et « claqués », sa performance remporte l\92adhésion. Tim Mead, peu convaincant dans le premier acte, se révèle d\92une façon inattendue par la suite : son aria « Voi che udite il mio lamento » est une pure merveille ; il est vrai aussi que l\92écriture qui dans ce cas est traditionnellement toute en dissonances est mise en valeur par l\92orchestre qui y ajoute une bonne dose d\92émotion\85"

"Secouant ici ou là nos démocraties, chaque scandale politique rappelle la modernité d\92Agrippina \96 une \9Cuvre qui affiche avec vigueur ses trois cent ans, puisqu\92elle fut créée au Teatro San Giovanni Grisostomo de Venise en décembre 1709. C\92est sans doute parce qu\92en rédigeant le livret du sixième opéra du jeune Händel \96 et dernier de sa période italienne \96, le Vice-Roi de Naples Vincenzo Grimani ne fait que décrire, avec l\92alibi de m\9Curs antiques, les rivalités de son propre temps marqué par des querelles familiales autour de la succession d\92Espagne, et mettre en avant cette évidence : mensonge et manipulation sont des atouts immémoriaux pour parvenir au pouvoir, terreau d\92alliances jamais pérennes.

En ce qui nous concerne, le génie de Grimani est d\92avoir installé son intrigue entre deux bains de sang \96 l\92assassinat de Caligula offrant le trône à Claudio, l\92empoisonnement de ce dernier par son épouse Agrippina, la mort de celle-ci rouée de coups sur ordre d\92un Nerone décidément gynocide puisque Poppea, enceinte de lui, périrait de sa main, etc. \96, s\92écartant du côté purement tragique de l\92Histoire romaine pour mieux raviver la comédie bouffonne du XVIIe siècle, dans l\92esprit vénitien de Busenello et Faustini. Familier de Shakespeare, Jean-Yves Ruf est à l\92aise avec le mélange des genres \96 ce plaisir baroque « de la virevolte, de l\92audace, de la vitalité » \96, offrant une réconciliation émouvante et sensible (puis érotique) entre deux amants comme des scènes burlesques autour d\92un Claudio se désapant à loisir sans jamais conclure. Avec succès, il balance également entre réalisme \96 Arnaud Perron, confident eunuque et aphone des apartés de Poppea \96 et symbolisme, demandant au comédien Cyril Casmeze, ancien acrobate zoomorphe, d\92incarner « la bête », cette sorte de présence primitive et incongrue (mi chien, mi gorille), comme le fut Salvatore dans Le nom de la rose. Le metteur en scène la voit comme une caisse de résonnance au « monstre intérieur » d\92Agrippina, et précise : « Il est très difficile de jouer un être de pouvoir, car on mime une caricature d\92autorité, alors qu\92un être de pouvoir est très intériorisé, n\92a pas besoin de la montrer, tout est dans une emprise violente mais presque invisible sur l\92autre. [\85] Dès le début de l\92opéra, [Agrippina] pense avoir vaincu, et tout s\92écroule : Claudio n\92est pas mort, et Ottone est désigné pour le trône. Elle ne laisse paraître aucun découragement. Il y a cette bête tapie en elle, qui cherche toujours de manière instinctive la sortie, le moyen d\92arriver à ses fins\85 Elle a du flair\85 »

Nimbés du « glamour mélancolique » des années trente grâce aux costumes de Claudia Jenatsch, les chanteurs de cette production investissent l\92espace presque toujours muré signé Laure Pichat, que des rideaux de chaînes mobiles viennent souplement modifier. D\92une émission longtemps serrée, parfois heurtée, Alexandra Coku (rôle-titre) cisèle ses phrases d\92un soprano corsé et gagne en aisance. À l\92inverse, le mezzo Renata Pokupic s\92affirme d\92emblée ample et bien impacté, inventif sur les da capo, offrant éclat et raucité à un Nerone adolescent qui n\92est pas virilisé à outrance. Avec son chant évident et agile, riche en grave, Sonia Yoncheva (Poppea) forme un couple crédible avec Tim Mead (Ottone), contre-ténor tendre et lumineux, émouvant de simplicité et de droiture sur « Voi che udite il moi lamento » \96 on les retrouvera dans ces même rôles, à Dijon, en avril prochain, mais chez Monteverdi cette fois. Alistair Miles est un Claudio drôle et sonore. Transformés en faux jumeaux, Riccardo Novaro (Pallante) et Pascal Bertin (Narciso) incarnent des caractères complémentaires, le premier avec une énergie parfois voilée dans les arie, le second plus caressant, à l\92image d\92un « Spererò, poiché mel dice » subtilement orné. Comme toujours, Jean-Gabriel Saint-Martin (Lesbo) allie puissance et fiabilité.

À cette distribution vocale des plus attachantes, où chacun rivalise de modestie au moment des saluts, s\92ajoute la présence d\92Emmanuelle Haïm à la tête du Concert d\92Astrée. Pour cette partition fertile en airs, empruntant à la propre production de Händel comme aux confrères croisés durant sa période de formation \96 Keiser et Mattheson à Hambourg, Corelli, Lotti et Scarlatti à Rome \96, la directrice musicale favorise un moelleux constant où attaques instrumentales et fureurs scéniques ne sont jamais agressives. Seul le c\9Cur de l\92ouvrage, « Pensieri, voi mi tormentate », s\92avère résolument saillant, tonique et rêche."

"Comment présenter, en 2011, des personnages de l\92Antiquité romaine mis en musique par un compositeur du XVIII e siècle ? Dans sa mise en scène, Jean-Yves Ruf a résolu la question en se jouant des époques. Son Agrippina ne se veut pas « historique » ; les complots et les trahisons qui s\92y déroulent sont de tous les temps. Aussi, son travail s\92articule-t-il sur les personnages et la complexité de leurs sentiments.

La durée et la richesse de l\92opéra de Haendel \96 pas moins 37 arias et autant de récitatifs ! \96 pourraient effrayer le spectateur s\92il n\92était pas, très vite, happé par l\92\9Cuvre. Le mérite en revient, tout d\92abord, à Emmanuelle Haïm et aux musiciens du Concert d\92Astrée, dont le professionnalisme et la connaissance du répertoire baroque ne sont plus à démontrer.

Mais, ils peuvent compter sur huit solistes d\92exception, à commencer par cette Agrippina de grande classe qu\92incarne Alexandra Coku, qui ne cède jamais à la caricature. Face à elle, la mezzo-soprano Renata Pokupic possède la voix idéale pour le rôle de Neron, qu\92elle joue avec naturel. Les personnages d\92Otton et de Narcisse font appel à deux contre-ténors, Tim Mead et Pascal Bertin, à mi-chemin entre lumière et tendresse. La basse Alastair Miles, qui n\92hésite pas à forcer un peu le trait lorsqu\92il s\92agit de des déboires sentimentaux de l\92empereur Claude, donne au spectacle sa touche de légèreté. Mais la révélation de la soirée s\92appelle Sonya Yoncheva : fine musicienne et fine comédienne, sa Poppea est la digne héritière d\92Agrippina. Riccardo Novaro et Jean-Gabriel Saint Martin complètent cette distribution homogène et pleine de talent, qui écrit, avec faste, une nouvelle page de l\92histoire de l\92opéra de Haendel."

"Comment ne pas être saisi d\92emblée par la modernité et par la multiplicité des thèmes abordés dans l\92opéra Agrippina ? Le livret de Vincenzo Grimani brasse allègrement les problèmes liés au domaine politique tels que la corruption, le populisme, le mensonge lié à l\92ambition, avec le sentiment maternel possessif, avec la concupiscence et aussi avec l\92expression de l\92amour « traditionnel ». Ce mixage s\92opère dans le cynisme le plus réjouissant et les quatre heures que dure celui-ci se déroulent sans qu\92on n\92y prenne garde : on y sent bouillonner la vie dans toute sa complexité.

C\92est probablement à Emmanuelle Haïm que l\92on doit de ressentir cet élan vital si foisonnant. Sa direction, tour à tour nerveuse ou au contraire alanguie, met très bien en relief les caractères contrastés des protagonistes : elle suit au plus près les inflexions vocales, allant même jusqu\92à dessiner les volutes de la ligne mélodique quand c\92est nécessaire, car elle vit et s\92implique totalement dans son travail ! Celui-ci est absolument remarquable dans le domaine de l\92instrumentation : en effet, jamais l\92orchestre ne pèse, mais toujours on se dit que le timbre choisi est le bon pour rendre le sens des paroles et même le renforcer.

On sait depuis longtemps que la mode est aux mises en scène « épurées » ; mais, tout en reconnaissant que dans les périodes de crise on se doit d\92être sobre, on ne peut que regretter que celle-là ne soit pas plus baroque\85 Que les costumes se contentent d\92une modernité banale, soit. Mais que le décor ultra classique en rajoute sur cette impression de platitude, c\92est un peu dommage. Pourtant, le metteur en scène sait apporter des notes d\92humour : bravo au chien de garde d\92Agrippine, bravo pour la séquence des fleurs dont la couleur réchauffe la scène, bravo pour le porteur de valise dont la présence évoque des souvenirs chez le spectateur actuel !La distribution est réussie et les timbres si différents des protagonistes choisis avec justesse s\92accordent avec bonheur. Par exemple, Narciso et Pallante, pourtant radicalement différents dans leur caractère, forment un duo comique homogène comme les deux Dupondt ! L\92empereur Claudio est parfaitement ridicule dans son rôle de barbon amoureux et la scène 21 de l\92acte 1 est un pur régal. Renata Pokupic est une des révélations de cette distribution : sa voix claire et puissante devrait faire merveille dans d\92autres distributions. On peut faire la même remarque pour celle de Sonya Yoncheva : son rôle, plus important, est soutenu sans faiblesse, et on se réjouit de la retrouver à la fin de la saison dans l\92opéra de Monteverdi. Celui d\92Agrippina est écrasant ; les multiples facettes de la personnalité de cette mégère sont redoutablement difficiles à interpréter d\92une façon crédible, mais Alexandra Coku, remplit la scène par sa prestance et par sa conviction ; malgré quelques aigus un peu métalliques et « claqués », sa performance remporte l\92adhésion. Tim Mead, peu convaincant dans le premier acte, se révèle d\92une façon inattendue par la suite : son aria « Voi che udite il mio lamento » est une pure merveille ; il est vrai aussi que l\92écriture qui dans ce cas est traditionnellement toute en dissonances est mise en valeur par l\92orchestre qui y ajoute une bonne dose d\92émotion\85"

"C'est le deuxième et dernier opéra que Haendel créa en Italie en 1710. Écrit par un homme d'Église avisé, le cardinal-diplomate Grimani, le livret d'Agrippina regorge d'imbroglios politico-érotiques pour offrir sur un plateau, glissant, une des plus belles galeries de personnages qu'ait connu Haendel. De la pulpeuse Poppée au sentimental Ottone en passant par une Agrippine manipulatrice dans le rôle-titre, l'opéra mêle habilement, parfois au c\9Cur d'un même personnage, des thèmes aussi variés que l'amour maternel et la manipulation (Agrippine), l'ivresse du désir et l'appétit de pouvoir (Néron), l'ambition féminine et la satire politique (Poppée et Claudio). Le résultat est une \9Cuvre juvénile, foisonnante, avec les récitatifs les plus longs et les plus expressifs jamais composés par Haendel, et des airs plus nombreux et plus courts que dans aucun autre de ses opéras, parfois sans da capo, faisant de cette Agrippina un ouvrage à part dans sa riche production. Apogée de sa période italienne, Haendel y pose surtout les jalons de ses grandes \9Cuvres futures.

Face à tant d'ambivalences et de profusion stylistique, Jean-Yves Ruf, le jeune metteur en scène de cette nouvelle co-production entre les Opéras de Dijon et de Lille, peut-être piégé par une certaine faiblesse de moyens, n'a manifestement pas su trouver une forme adéquate. Aucun imaginaire ne parvient à se dégager d'un théâtre dans le théâtre bien paresseux, entre faux salon XVIIIe et chaînes pendant du plafond qu'on désespèrera pendant plus de trois heures et demie de ne pas voir plus s'agiter. Peu ou pas de décors, à part un mince effort au deuxième acte, une « bête » humaine qui jappe de temps en temps dans les jupes d'Agrippina (et parfois au beau milieu des airs !) sans doute pour matérialiser avec une naïveté confondante l'animalité du pouvoir...

De tourments, de fantasmes, de situations historiques, bref, de tout ce qui meut les personnages, il ne sera jamais question malgré une direction d'acteurs et des lumières soignées. La scénographie est tellement conventionnelle et dépourvue d'imaginaire que du coup les incursions humoristiques sont trop rares pour ne pas tomber à plat (Poppée cherchant des poux sur le crâne de Claudio), et la seule tentative érotique au dernier acte consiste à jucher inutilement à quatre pattes cette pauvre Poppée en petite culotte et soutien-gorge sur son grand lit. Le déshabillé lui allait si bien...

Pour la sensualité et l'imagination, il vaut mieux tendre l'oreille du côté de la musique. Avec un son ample et chaleureux, des graves et un continuo magnifiques, le Concert d'Astrée d'Emmanuelle Haïm a su retrouver des couleurs après un Giulio Cesare raté la saison dernière à l'Opéra de Paris. Si elle est encore loin d'avoir le sens du contraste et la théâtralité de René Jacobs (il suffit d'écouter la très belle version qu'il vient de graver chez Harmonia Mundi pour s'en convaincre), l\92artiste livre une prestation enjouée et chaleureuse, portée par une distribution des plus homogènes.

Alastair Miles retrouve le rôle ouvertement parodique de Claudio avec une verve égale à celle de l'enregistrement auquel il avait participé il y a quinze ans sous la baguette de Gardiner. La voix a bien perdu un peu de graves en route pour le redoutable air guerrier de la chute de Rome (« Cade il mondo »), mais le phrasé, la projection et l'auto-dérision font merveille. Tout comme le Néron de Renata Pokupic, Chérubin avant l'heure à qui Haendel confie ses plus belles cavatines érotiques avant de le propulser vers le pouvoir au dernier acte au son d'un « Come nube che fugge » fulminant. La mezzo croate, impressionnante de bout en bout, n'en fait qu'une bouchée. Seul point faible, la Poppée de Sonya Yoncheva est malheureusement plus inégale, ses aigus intermittents ne résistant pas à la gymnastique de « Se Giunge un dispetto » à la fin du premier acte. Moins démonstrative mais avec un chant beaucoup plus maîtrisé, Alexandra Coku s'en sort mieux en Agrippina, offrant un art consommé du Da Capo en plus d'une présence scénique qui joue à merveille de la duplicité de son personnage.

Mais la révélation de cette distribution, c'est assurément le contre-ténor Tim Mead. Dans le plus pur style anglais, avec un timbre proche de celui d'Alfred Deller, il profite du port altier du seul personnage un tant soit peu noble de cette parodie héroïque pour afficher une maîtrise vocale et une sensualité continues. Allongé au milieu d'un des rares décors prévus par le metteur en scène, sa plainte pastorale en duo avec le hautbois solo au milieu du deuxième acte touche au sublime, affichant des graves insolents en début d'air, utilisant le vibrato juste ce qu'il faut, dessinant des volutes mélodiques qui sculptent à merveille le chagrin de son personnage. Une révélation à suivre au printemps prochain, toujours à Dijon et sous la baguette d'Emmanuelle Haïm, cette fois-ci pour l'Ottone du Couronnement de Poppée de Monteverdi."

"Jamais Haendel n'eut meilleur livret que celui d'Agrippina. Sous les faux-semblants d'une comédie de m\9Curs dans la Rome impériale, le cardinal Grimani attaque férocement la papauté, ses débauches et hypocrisies. Le metteur en scène Jean-Yves Ruf investit d'un souffle tragique les vastes monologues d'Ottone et d'Agrippine mais il peine à relayer le cynisme des premier et troisième actes : les intrigues demeurent dérisoires, le désir sans perversion. Comme si la présence dans les jupes de l'impératrice d'un double zoomorphe campé par un acrobate, révélateur de ses instincts refoulés, pouvait seule exprimer la monstruosité de son ambition. Bien que des inégalités de registres amoindrissent l'impact de la déclamation, Alexandra Coku y joue, plus altière que vipérine, d'une stature musicale et théâtrale considérable. Les appâts de Sonya Yoncheva ne sont pas moindres, Poppée pulpeuse, agile par nature. La basse encore étendue et virtuose d'Alastair Miles confère aux concupiscentes fanfaronnades de Claude une autodérision bonhomme. Et Renata Pokupic ne fait qu'une bouchée de Néron, univoque à force de vélocité. Contre-ténor toujours expressif, Tim Mead révèle en Ottone une sensibilité intimiste, mais suffisamment consistante pour éviter pâleur et afféterie.

Au pupitre d'un Concett d'Astrée à la riche pâte sonore, Emmanuelle Haïm mène le jeu sans faillir. Sans souplesse aussi, ni fantaisie. Là même où l'invention jaillissante de Handel se nourrit d'emprunts à ses \9Cuvres antérieures autant qu'à celles de ses contemporains, parvenant à leur offrir une nouvelle spontanéité."

"Signé Vincenzo Grimani, le livret d'Agrippina est, avec celui de Giulio Cesare, l'un des meilleurs mis en musique par Haendel. Intrigues, jeux de pouvoir, passions exacerbécs, personnages monsstrueux que la transgression n'effraie pas : comment imaginer ingrédients plus frappants pour une efficacité théâtrale portée à son maximum. renforcée par une partition foisonnante qui ne connaît pas le moindre temps mort ? Une aubaine pour les chanteurs, qui trouvent là de quoi exploiter leurs dons de comédiens.

À une exception près, la distribution réunie à l'Opéra de Dijon (et que l'on retrouvera à l'Opéra de Lille, salle coproductrice), est de haut niveau. L'exception, mallheureusement, est française. Est-ce une indisposition passagère? L'émission difficile, le timbre embrumé de Pascal Bertin handicapent, au premier acte, son Narciso, et déséquilibrent le duo comique qu'il est censé former avec le Pallante hardi et bien chantant, lui, de Riccardo Novaro, qui offre, en prime, une rondeur des mots italiens que ses partenaires devraient lui envier. Mention plus qu'honorable pour le Lesbo de Jean-Gabriel Saint-Martin. Alastair Miles (Claudio) conjugue noblesse et ampleur du timbre, puissance et sens de l'humour pour un personnage décalé. Tim Mead, chant virtuose, voix de contre-ténor longue et colorée. silhouette juvénile, campe un Ottone au charme certain. Et quel trio féminin que celui forrmé par Alexandra Coku, Renata Pokupic et Soma Yoncheva !

L'Agrippina d'Alexandra Coku a du panache, de l'énergie à revendre. une aisance qui l'aide à caractériser celle qui renverse, avec cynisme, tous les obstacles pour que le trône revienne à son fils. Allure désinvolte, pâte vocale étoffée aux teintes androgynes : le Nerone de Renata Pokupic est craquant. 'Mais c'est bel et bien Sonya Yoncheva qui, en Poppea, remporte la palme de la séduction. Ce style impeccable, ce chant cristallin. cette fraîcheur, cette intime connivence avec l'amoureuse qui sera plus tard souveraine, on n'y résiste guère.

Le Concert d'Astrée a désormais trouvé un son, vif, brillant, charnu. C'est une formation souple et ductile que dirige, avec son énergie habituelle, Emmanuelle Haïm. Au-delà du plaisir sonore, toutefois, l'auditeur reste sur sa faim. La volcanique musicienne a du temmpérament, on le sait : mais le dynamisme, l'urgence apportée aux récitatifs (le metteur en scène y est sans doute pour beaucoup) ne sont pas tout. On aimerait davantage de variété dans les mouvements, des airs plus chantants, des contrastes plus marqués : en un mot moins d'uniformité."

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

vidéo intégrale : http://www.youtube.com/watch?v=OcwuWhofPyY

 

"Jusqu\92au dernier moment, on ne savait pas qui devait diriger l\92opéra pour cette production vénitienne. Un article de la Frankfurter Allgemeine avait même évoqué l\92annulation de la production en raison des restrictions économiques qui s\92imposent au théâtre italien. Nous sommes heureux qu\92en définitive l\92anniversaire ait été respecté. Mais du triomphe rencontré voici trois cents ans, il ne reste plus rien. Le livret aurait aisément pu offrir une relecture contemporaine aux enjeux évidents : l\92alliance entre femmes et pouvoir semble n\92avoir jamais été aussi actuelle qu\92aujourd\92hui, surtout en Italie ! Au lieu de cela, l\92indigente « scénographie-costumes-lumières » confiés aux jeunes étudiants \96 certes créatifs \96 de la faculté d\92architecture de Venise a un parfum de production au rabais. On aurait envie de dire : on ne pouvait se montrer plus économe. Sans doute est-ce fondé, mais alors, il faut poser la question de l\92attention que les théâtres italiens accordent aujourd\92hui à l\92opéra baroque, à plus forte raison dans une ville dont on se refuse à penser qu\92elle ne présente pas un potentiel réel pour ce type de répertoire. L\92installation scénique abstraite et irrationnelle se caractérise par des murs mobiles (à l\92occasion poussés par les personnages eux-mêmes), manifestement déjà cassés lors de la seconde représentation, des escaliers fictifs, des colonnes vacillantes, des tentures de nylon doré, des draperies synthétiques, des voiles en plastique ornés de dessins sanguinolents peu clairs, et un plafond tout bonnement sordide.

La distribution est de bon niveau, avec des points d\92excellence hélas un peu gâchés par la scénographie et l\92espace scénique. En particulier, Ann Hallenberg est parfaitement à son aise dans le rôle principal. Vocalement parfaite, elle possède une voix splendide et domine de sa présence scénique les trois heures et demie de musique. Le peu d\92émotions procuré par cette soirée vient de cette artiste, notamment avec les airs « Pensieri » et « Ogni Vento ». Elle réussit aussi à mettre en valeur les seuls costumes un peu sensés vus pendant cette soirée. Après Ariodante, elle incarne à la perfection un autre rôle-culte de Haendel. Fantastique. Elle est très certainement une des stars du paysage baroque d\92aujourd\92hui. On ne pouvait imaginer Poppée plus sensuelle et érotique que Veronica Cangemi. Stupéfiante dans les airs \93Vaghe perle\94 et \93Ho non so che nel cor\94. Moins brillante dans l\92air \93Bel piacere\94. Lorenzo Regazzo est le seul à avoir un rôle idéal pour la mise en scène. Il interprète bien un Claude errant entre Bacchus à Vénus. Le Néron de Florin Cesar Ouatu est parfois impalpable, car la voix n\92est parfois guère audible depuis la salle, sauf lorsqu\92il quitte le plateau pour l\92air de grande virtuosité \91Come nube\94, faisant montre de grands dons d\92agilité, mais le tempo pris pour cet air était presque grotesque. Pendant tout l\92opéra, il reste un peu empoté dans son rôle, ne sachant jamais quel caractère donner au personnage (et ce n\92est pas sa faute !). Excellent dans l\92air « Volo Pronto ». Dommage que là encore il ait souffert d\92un tempo par trop rapide. L\92Othon de Xavier Sabata, vocalement appréciable, a été vraiment trop gâché par des costumes ignobles et une mise en scène inconsistante. La voix est belle, et le rôle lui offre quelques-uns des plus beaux airs de l\92opéra. Excellent Roberto Abbondanza, qui nous offre un Lesbo de commedia dell\92arte. Le petit bijou de la soirée. A souligner, à la fin de l\92opéra, l\92apparition de Junon, interprétée par l\92excellente Milena Storti (qui chantait aussi le rôle de Narcisse), équipée d\92ailes emplumées, d\92un costume tapageur\85 la faisant ressembler davantage à un archange Gabriel dans l\92imagerie mexicaine du XVIIIe siècle qu\92à une déesse grecque.

Fabio Biondi a le grand mérite de donner de l\92unité à un orchestre pas très familier de ce répertoire. C\92est une bonne surprise. Hélas, sa direction se caractérise par des tempi hyper-rapides (beaucoup de chanteurs ont paru en difficulté face à ce parti pris), par des cadences suspendues avec une note finale forcée, par des accents appuyés à l\92extrême, par des ritardando et des accelerando (même quand la partition ne l\92exige pas) et une quête constante de l\92effet. La musique ne nous émeut jamais. Elle le devrait pourtant, au vu de la qualité de l\92opéra. L\92édition de Clifford Barlett, utilisée pour la circonstance, est constellée d\92erreurs. Sa révision ne les corrige pas toutes."

 

 

 Vesselina Kasarova (Agrippina)

 

 

 

De fait, chaque scène est traitée comme une entité indépendante, à la manière d'un show ; danseurs et figuurants se démènent pour assurer les transitions, au risque de rompre parfois le fil conducteur d'une intrigue emmbrouillée à souhait. Mais la représentation fait mouche et, malgré sa longueur, captive l'auditeur le plus difficile à dérider, comme l'attestent les nombreux éclats de rire accompagnant la scène où toute la distribution masculine se retrouve sous la vaste couette de Poppea, avec l'espoir de grappiller un instant de plaisir. Par ce biais, David Pountney accentue le parallélisme entre la vision décapante que propose Haendel d'un monde antique revisité par l'humour déjanté de son librettiste et celle qu'offrira, près de cent cinquante ans plus tard, un certain Offenbach sur les scènes parisiennes ...

Marc Minkowski, à la tête de l'orchestre La Scintilla, fait mousser la partition avec une réjouissante décontraction. Les récitatifs et les airs s'enchaînent sans répit, se chevauchent même parfois, assurant à la représentation un rythme endiablé qui rend parfaitement justice à l'incroyable diversité de l'écriture musicale . Vesselina Kasarova trouve en Agrippina, monstre assoiffé de sang, un rôle à sa mesure. Mais si la voix, belle et profonde, conserve tout son attrait, les changements de registre s'effectuent avec trop de brusquerie pour ne pas entraver le libre envol des vocalises.

Le timbre presque androgyne d'Anna Bonitatibus convient parfaitement à Nerone, ici un adolescent veule, pendu aux jupes de sa mère. Marijana Mijanovic, en revanche, éprouve quelque peine à croquer le portrait d'Ottone avec l'élégance requise ; la voix paraît fatiguée, le souffle court et la caractérisation rudimentaire. Eva Liebau, malgré une légère indisposition, impose sa Poppea, à la fois rouée et naïve, avec une fraîcheur réjouissante ; elle déjoue en souriant les pièges d'une ligne de chant fort capricieuse.

Le style de Laszlo Polgar semble étranger à ce répertoire, mais dans un livret où le potentat est systématiquement tourné en ridicule, les excès de sa voix trop lourde ajoutent une touche hilarante bienvenue. Enfin, les barytons Ruben Drole et Gabriel Bermudez, et surtout le contre-ténor brésilien José Lemos, montrent toute l'étendue de leur talent dans des rôles cerrtes secondaires, mais que le compositeur a gratifiés de beaux airs assez développés." 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Juanita Lascarro

 

 

 

 

"On a peine à le croire mais Agrippina est, après L\92incoronazione di Poppea en 2000, le deuxième opéra baroque affiché à l\92Opéra de Montréai en vingt-cinq années d\92existence. On doit cette création in loco à Bernard Labadie, directeur artistique de la maison, qui, en important cette production du New York City Opera (également proposée au Glimmerglass Opera), a réussi plusieurs paris stratégiquement importants. D\92abord, il est possible de représenter un opéra tel qu\92Agrippina dans le grand vaisseau de la Salle Wilfrid-Pelletier (plus de 3 000 places). Le cadre n\92est évidemment pas idéal mais, en remontant la fosse et on engageant des voix puissantes et aguerries, il n\92est plus un obstacle. Le public, ensuite, répond présent : la série affiche de meilleurs résultats au box-office que Don Pasquale. Cette réponse est le signe très encourageant du climat de confiance qui s\92est installé entre les mélomanes et la direction, climat qui permettra dans le futur (Bernard Labadie vient d\92être reconduit jusqu\92en 2010) de monter des projets que la ronronnante scène montréalaise n\92aurait même pas pu esquisser il y a deux ans.

De fait, depuis l\92arrivée de la nouvelle équipe (Bernard Labadie-David Mass), il n\92y a pas eu de faux pas, l\92Opéra pouvant s\92appuyer sur une pépinière de talents locaux. A l\92exception de l\92Américain Kevin Burdette, très honorable dans le rôle de Claudio malgré des graves un peu courts, la distribution est ainsi entièrement canadienne. L\92équilibre la caractérise, même si Michelle Sutton manque d\92impact à l\92acte I et si la présence scénique de Karina Gauvin et le chant d\92airain de Krisztina Szabo se détachent du lot. Une mention pour Etienne Dupuis, toujours excellent même quand on lui assigne, comme ici, un rôle subalterne, et qui mérite de franchir l\92Atlantique au plus vite.

La soirée est un franc succès pour Bernard Labadie à la tête de ses Violons du Roy : direction animée, fort bien articulée et dramatiquement juste. Le spectacle mis en scène par Jacques Leblanc, dans des décors minimalistes mais pertinents, formant un dispositif efficace et bien éclairé (phénomène rare àMontréal !), tire l\92ouvrage vers une bouffonnerie exagérée. Il n\92en fonctionne pas moins à merveille, notamment dans un acte III en forme d\92apothéose, avec une Poppea et un Claudio prenant des poses de statues (plus ou moins) antiques. Certains effets, comme l\92apparition d\92écrans télé « Agrippina Network » et de fausses couvertures de journaux, ou celle de Narciso et Pallante déguisés en Dupont et Dupond en pyjamas, paraissent outrés. Mais peut-être fallait-il cela pour faire passer la pilule, sans prendre trop de risques, à un public gavé de Bohème, Troviata, Butterfly et autres Tosca et pour ouvrir la voie à la découverte d\92un répertoire encore inconnu ici."

"L\92opéra baroque fait une entrée remarquée sur la scène montréalaise avec la production d\92Agrippina. Parmi les trente neuf opéras de Haendel, celui-ci tient une place privilégiée, ne serait-ce que par l\92abondance des récitatifs et la prédominance théâtrale du livret de Grimani. Composé par un tout jeune homme de vingt quatre ans, le dramma per musica renoue avec l\92Incoronazione di Poppea, un des premiers chefs-d\92\9Cuvre lyrique et autre vision de l\92histoire romaine gouvernée par les passions. D\92emblée, le « Caro Sassone », acclamé par les Vénitiens au lendemain du succès d\92Agrippina s\92inscrit comme l\92un des plus grands dramaturges, entre Monteverdi et Mozart. On pourrait résumer l\92intrigue fort complexe de l\92opéra de Haendel par les ruses des femmes de pouvoir et les hommes intoxiqués par l\92amour. Certes, la musique nous ensorcelle pendant plus de trois heures et son chef Bernard Labadie sait insuffler aux Violons du Roy fougue et retenue, donnant des ailes à une phalange de chanteurs fort crédibles dramatiquement et vocalement très en forme. L\92orchestre joue dans la fosse que l\92on a quelque peu rehaussée pour les représentations, ce qui permet de voir et surtout de mieux entendre les instrumentistes. Le résultat est étonnant, tous se fondent dans cette musique jouissive, excessive à souhait, au lyrisme exacerbé. Au sommet, Lyne Fortin, sans jamais être outrancière \96 on lui reprochera sans doute d\92être trop mesurée pour incarner ce personnage incandescent - campe avec habileté une Agrippine intrigante, assoiffée de pouvoir pour son fils Néron. Sa prestation est remarquable du début à la fin, on relèvera le grand monologue « Pensieri, voi mi tormentate ! », alors qu\92elle est plongée dans de sombres ruminations. Pas tout à fait sorti de l\92enfance, toujours dans les jupes de son ambitieuse mère, Krisztina Szabo insuffle au fils la dimension juvénile idoine, jusqu\92à dans sa démarche un peu gauche, bien loin de l\92image que l\92histoire laissera du futur empereur.

Poppée, « poupée » superficielle de Karina Gauvin est l\92autre grande héroïne de la soirée. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur les relations entre l\92impératrice ambitieuse et la courtisane abusée, avant que celle-ci \96 comme une chatte qui retombe sur ses pattes \96 assimile la leçon toute féminine du mensonge et de la perfidie. Son entrée très remarquée dans sa baignoire est tout à fait à propos avec son premier air, « Vaghe perle » admirable d\92insouciance et de sensualité.

Le contre-ténor Daniel Taylor donne la pleine dimension au personnage d\92Othon, dans son air « Voi ch\92udite il moi lamento ». L\92amoureux langoureux, éconduit par la belle Poppée, déchu par Claude et délaissé de tous, est un être sensible, sentimental, préférant les beaux yeux de son amante au sceptre impérial. Il est aussi le seul personnage sincère, fidèle en amour et dévoué à l\92empereur. Mais tous les hommes restent en retrait dans cet opéra. Claude, interprété par Kevin Burdette, personnage falot malgré la pompe romaine, est toujours dupe des intrigues où les « dessous féminins » le mènent par le bout du nez. On aurait souhaité une voix d\92une autorité « impériale » sinon impérieuse pour ce rôle. Malgré certaines coupures inévitables \96 l\92opéra fait tout de même trois heures vingt minutes sans les entractes - Agrippina est une grande réussite, sans doute plus vocalement que scéniquement.

Les décors amovibles et les changements à vue donnent une impression de mouvement incessant. Par contre, on se serait passé de l\92écran qui diffuse les nouvelles d\92"Agrippina Network" ou encore de la une de « The Roma Times ». Ces insignifiances ne rajoutent pas grand-chose à la compréhension de l\92intrigue. Il en est de même de l\92arrivée de Claude à la fin du premier acte avec la foule qui l\92observe avec des jumelles. Peut-être peut-on établir un lien ou un passage, de la tête de l\92empereur Claude à celle de Néron. Décors modernes quelque peu aseptisés \96 il en est de même des costumes - mais efficaces qui permettent une mise en situation et mettent en valeur le jeu jamais statique des principaux protagonistes.

Mais retenons surtout les premières qualités que recèle ce spectacle. Elles sont dues aux voix remarquables de Lyne Fortin, de Karina Gauvin et de Krisztina Szabo qui nous offrent toutes les trois, des prestations de très haut calibre. La palme revient sans doute à son chef, gourmet et gourmand qui visiblement prend un plaisir fou auprès de la fascinante et luxuriante impératrice romaine. Le bonheur sous la baguette inspirée de Bernard Labadie est contagieux et il est à consommer sans modération. Et il se pourrait bien qu\92il en soit le véritable héros."

"Grandeurs et misères impériales - Pour la première fois de son existence, l'Opéra de Montréal donne dans le baroque et en portant son choix sur Agrippina, la direction artistique mise sur la comédie plutôt que sur une oeuvre aux dimensions réellement dramatiques. On doit saluer l'à propos de cette décision et pourtant, compte tenu de la méconnaissance pour le public local des opéras de Haendel, ce n'était pas gagné d'avance. Merci à Bernard Labadie, directeur artistique de l'OdM, d'avoir pris ce risque et d'y avoir mis tant d'énergie. Depuis l'annonce de la saison 2004-2005, on a rêvé toute une année à cet opéra qui allait ébranler nos habitudes d'écoute à l'OdM. Il était intéressant de se livrer à cette anticipation et de se demander comment allaient revivre ces personnages historiques et surtout cette musique, véritable festival de vocalises, d'arie da capo ou dal segno, de messe di voce, de canti di sbalzo, d'airs façonnés sur des mouvements et des rythmes de danses souvent en contraste, voire en opposition avec les sentiments exprimés, procédé cher au compositeur pour souligner le ridicule ou l'ironie de certaines situations.

À l'aube d'une célébrissime carrière, Haendel n'a que 24 ans lorsqu'il écrit cet opéra pour le Theatro San Giovanni Grisostomo de Venise. Dans sa vaste production, il s'agit de son troisième opéra. Vincenzo Grimani, cardinal et diplomate de son état, fournit au compositeur un des meilleurs textes qu'il eût à mettre en musique. Pour le librettiste, les agissements du pouvoir impérial s'apparentent beaucoup à ceux de la Rome papale de son époque et il en évoque les contours dans une action ingénieuse, pleine de rebondissements, mêlant accents dramatiques et éléments vaudevillesques. L'ambitieuse Agrippina, épouse de l'empereur Claudio, discrédite Ottone, l'amant de Poppea, pour assurer à son fils Nerone la succession au trône. Ses plans sont déjoués, mais sachant que Claudio n'est pas indifférent aux charmes de Poppea, elle lui dévoile l'amour de celle-ci pour Ottone. L'empereur ordonne le mariage de Nerone et de Poppea et décide que l'empire ira à Ottone. Celui-ci préfère épouser la femme qu'il aime et laisse l'héritage à Nerone. Claudio approuve, Agrippina triomphe et l'opéra se termine allègrement. Des intrigues, complots, tromperies, duplicités, merveilleusement servis par une musique qui se déploie avec grandeur et élégance, se succèdent à folle allure. Cette vision kaléidoscopique d'événements historiques ne nous touche guère aujourd'hui, mais elle est prétexte à comédie. C'est d'ailleurs ce qu'en fait le metteur en scène même si ce n'est pas toujours du meilleur goût.

Jacques Leblanc accentue les traits de caractère des deux femmes qui s'affrontent, avec une insistance marquée pour la turpitude d'Agrippina et l'insignifiance de Poppea. Cela nous amène parfois à questionner l'opportunité de certaines situations : l'entrée de Poppea, amenée sur scène dans son bain, son désinvolte dandinement en scène, son frétillement auprès des hommes qui l'approchent. Et cela se prolonge au point qu'on en arrive à se demander si la Poppea de l'histoire est bien celle qu'on nous décrit ici. On n'ose y croire. C'est peut-être efficace au plan théâtral, mais le spectateur voudrait comprendre pourquoi des personnages de si haut rang ont pu se disputer ses faveurs. On saisit finalement les raisons pour lesquelles Agrippina s'est joué d'elle aussi facilement, comme d'ailleurs de tous les autres protagonistes. Le metteur en scène a pris soin de ne pas amenuiser la stature du rôle principal renforçant ainsi de façon saisissante le contraste entre les deux femmes. À côté d'elles, les autres personnages sont moins efficacement articulés. Sur le plan de la scénographie, quelques détails tentent, sans y parvenir, de relever le comique de la situation. Au premier acte, un écran annonce la une du Roma Times avec la manchette suivante : "Claudio è ritorno". À la toute fin de l'opéra, l'écran utilisé pour les surtitres détaille le destin des protagonistes : ils se suicideront (Nerone, Ottone) ou seront assassinés (Claudio, Agrippine, Poppea, Pallante, Narcisco) ; seul Lesbo survivra à ces intrigues et se recyclera dans un emploi quelconque à... New York. On a déjà vu pire.

Les décors font une lointaine allusion à la Rome antique : trois hautes tours triangulaires à la base, déplacées au gré des situations, figurent les pans intérieurs ou extérieurs de palais romains. Très peu d'accessoires sur la scène : un trône, quelques bancs, un lit, une chaise pliante. Les costumes, par contre, n'ont absolument rien à voir avec les événements décrits dans l'oeuvre et nous situent bien plus loin dans le temps. Certains revêtent une tenue de ville bien contemporaine, des figurants habillent un semblant de costume ninja, le bandeau en moins, le manteau dont Claudio est vêtu lors de sa rencontre "intime" avec Poppea ressemble à s'y méprendre à celui d'Otello et la robe bustier noire que porte Agrippina au troisième acte rappelle la grande duchesse de Gérolstein. Ce voyage vestimentaire, ces disparités s'insèrent harmonieusement dans le ridicule des situations.

Vocalement, les femmes dominent le plateau. Lyne Fortin campe une Agrippina toute de feu ; voilà un rôle taillé sur mesure pour elle. On sent l'engagement artistique, la pensée musicale qui flotte bien haut et qui met la voix et l'émotion au service de l'expression. Et quelle voix ! Elle a gagné en intensité et en agilité depuis sa Thaïs de 2003. Les épisodes de canto di sbalzo et les vocalises dont ses airs foisonnent ne lui causent aucun souci. À l'acte II, les deux grands mélismes du "pensieri" comme tout l'air d'ailleurs sont à couper le souffle. Pour ses débuts à l'OdM, Karina Gauvin favorise, comme il se doit, une incarnation extériorisée de Poppea. La touche du metteur en scène y est pour quelque chose bien sûr, mais le jeu qu'elle nous offre lui appartient. On n'y est pas insensible, mais c'est surtout sa voix et la beauté sensuelle qu'elle dégage qui impressionnent. Parfaitement à l'aise sur le large ambitus de son rôle, qui semble beaucoup l'inspirer, elle chante et joue les ingénues de façon impeccable. Le mezzo-soprano Krisztina Szabo interprète finement Nerone. Elle défend avec énergie un rôle exigeant d'elle une forte présence en scène et une souplesse qui l'amène au la aigu. C'est justement en raison de l'étendue de sa voix que ce rôle, normalement chanté par un soprano, lui est confié et elle s'en tire avec tous les honneurs. Narciso trouve en Michelle Sutton une interprète de choix dans un rôle qui ne requiert aucune virtuosité particulière.

Chez les hommes, on notera la belle projection et l'impeccable tenue du souffle de Daniel Taylor quelque peu tendu toutefois dans les deux lamenti d'Ottone à l'acte II. Phillip Addis ne semble pas avoir beaucoup d'appétence pour le personnage de Pallante et pour le style de chant attendu. Cet emploi aurait peut-être été mieux servi par l'énergie et la voix bien timbrée d'Étienne Dupuis, un peu à l'étroit en Lesbo. Kevin Burdette ne possède vraiment pas les moyens requis pour chanter Claudio. Au deuxième acte, la chute de deux octaves en deux mesures jusqu'au ré grave, qui devrait être un moment de pure splendeur vocale dans l'air Cade il mondo, tombe complètement à plat. Les épisodes de canto di sbalzo, fréquents dans son rôle, n'impressionnent pas davantage.

Pour les Violons du Roy, la musique baroque n'a plus de secret. C'est son répertoire de prédilection. Par ailleurs le relèvement de l'orchestre dans la fosse libère des sonorités aux couleurs chatoyantes qu'on n'a jamais aussi bien entendues dans cette salle à l'occasion d'une représentation d'opéra. Bernard Labadie donne une lecture éblouissante de l'oeuvre. L'urgence de sa direction, le soutien qu'il apporte aux chanteurs, la possibilité qu'il leur donne de s'épanouir librement dans leur interprétation apportent à cette musique une fraîcheur nouvelle. Les détails orchestraux qu'il met en évidence scintillent comme autant de joyaux."

 

"Suite de la riche saison tourquennoise avec, reprise de 2003, une production d\92Agrippina qui n\92atteint pas tout à fait le haut niveau artistique des derniers spectacles, la faute à une distribution inégale et à une mise en scène pas toujours inspirée. Remplaçante de Veronica Cangemi dans le rôle-titre, Lynne Dawson a connu des jours meilleurs. La voix, par rapport à ses meilleures années, s\92est considérablement durcie, les aigus ont perdu de leur brillant et de leur sûreté, et l\92instrument est moins souple, presque rebelle par moment, dans les récitatifs qui sont souvent rauques, elle produit beaucoup de sons métalliques et désagréables. A son actif, les airs sont généralement bien tenus, le médium est encore beau, et elle est une actrice naturelle et crédible dans son rôle de mère protectrice et dévorée d\92ambition pour son fils.

Dans ce rôle somme toute assez effacé, Philippe Jaroussky est très convaincant dans son personnage d\92adolescent attardé, mais son timbre aux qualités toutes séraphiques peine à rendre la noirceur et la violence latente de son personnage. La voix semble un peu fatiguée au début, mais il fait de son air « Come nube che fugge » un moment de bravoure pyrotechnique inoubliable. Son rival Thierry Grégoire est un Othon à la voix blanche et fade, au chant haché, à la peine face au moindre aigu. Ces défauts sont en partie compensés par la sincérité qu\92il donne à son personnage, qui parvient à émouvoir les c\9Curs bien qu\92il malmène les oreilles. Excellent Claudio de Nigel Smith à la tessiture impressionnante, ne faisant qu\92une bouchée de ses airs, et qui ose prendre des risques dans son numéro d\92amoureux transi en bas et chemise de nuit auprès de Poppée.

Bernard Deletré et Alain Buet assurent sans problème leur partie, tandis que Dominique Visse, tout en tortillements, fait un numéro de souris de dessins animés assez vite ennuyeux. La palme de la distribution ira à Ingrid Perruche, soprano en pleine gloire vocale, au gosier agile, aux aigus pleins de panache et à la projection impeccable. On regrettera seulement qu\92elle ne soit pas encore capable de véritablement colorer son chant et de varier son expression, et qu\92elle manifeste une certaine tendance à crier dans le suraigu. Elle campe une Poppée fine mouche, très sensuelle, et justifie pleinement sur la scène tourquennoise son récent titre de révélation lyrique des Victoires de la Musique.

Faisant le pari du minimalisme et de la nudité, la mise en scène de Frédéric Fisbach est paradoxalement surchargée par les déplacements d\92une bande de zombies en justaucorps de couleur chair qui manient les panneaux et les cubes faisant office de décors, à la fois hideux et ridicules, ces personnages encombrent le plateau sans se montrer d\92une quelconque utilité pour la compréhension de l\92action. La palme de l\92incongru étant atteinte après l\92entracte, quand on retrouve le panneau des surtitres non pas en haut, mais sur scène. Il sert de siège à Poppée, certains figurants de surcroît, se couchent devant. Après plusieurs jours de réflexions, nous n\92avons toujours pas réussi à deviner quelle était l\92utilité d\92utiliser ces surtitrages si c\92était pour les masquer à la vue de la moitié des spectateurs. Pour une reprise, ce genre de détails devrait quand même être réglé depuis belle lurette, à moins que cette mise en scène ne joue précisément sur la frustration des spectateurs. Au rayon des bonnes idées, il faut tout de même noter la projection de résumés des dialogues sur une toile lors des ensembles, ce qui permet de suivre l\92action plus facilement, les commentaires ajoutés au texte étant de plus généralement savoureux. A la tête de la Grande Ecurie, Jean-Claude Malgoire impose des tempi vifs et enjoués, un peu métronomiques parfois. Un peu plus de variété, de sensualité, d\92abandon seraient tellement bienvenus. L\92orchestre est en forme, avec des bois magnifiques et des violons en progrès, mais manquant encore un peu de discipline et de cohésion. "

"Première révérence ou ultime adieu à l\92Italie ? Agrippina est désormais ballottée entre ces deux possibilités. D\92après les récentes publications de la musicologue allemande Ursula Kirkendale, l\92unique opéra vénitien de Haendel aurait été créé non pas durant la saison du carnaval de 1709, mais en novembre 1706, avant même Rodrigo. L\92\9Cuvre n\92aurait donc plus valeur de génial pasticcio reprenant des thèmes de cantates romaines du même coup postérieures, mais du premier essai italien du compositeur, fruit des expériences hambourgeoises, empruntant bien des tournures à Reinhard Keiser. Quel que soit sa date de composition, Agrippina n\92en reste pas moins le passionnant laboratoire de la dramaturgie londonienne du Caro Sassone, détournant les conventions d\92un opera seria alors naissant avec une ironie que Haendel ne reniera jamais, même dans ces \9Cuvres en apparence les plus tragiques. Les mérites en reviennent sans doute beaucoup au librettiste, qu\92il s\92agisse ou non du Cardinal Grimani, qui dresse un tableau au cynisme fort réjouissant de la Rome Antique, plus proche en cela de Busenello, auteur de l\92Incoronazione di Poppea, que des réformateurs issus de l\92Académie de l\92Arcadie.

Cette intrigue aux mille rebondissements et quiproquos, où la ruse des femmes est le principal moteur, se jouant de la stupidité d\92une dynastie décadente, le metteur en scène Frédéric Fisbach a voulu la rendre aussi lisible que possible. Mouvante, la scénographie vise à l\92épure, parfois grisâtre, et joue des conventions de l\92opera seria par l\92intermédiaire du surtitrage, non sans dextérité, même si le procédé vire à l\92explication de texte, maladroite projection de diapositives agrémentant la traduction de quelques sympathiques gribouillages. Colorés, délirants, baroques osera-t-on dire, les costumes et perruques y introduisent malicieusement le sel de la comédie, mus par une direction d\92acteurs parfois paresseuse, mais toujours limpide. Sans être passionnante, la production a le mérite de la cohérence, vertu assez rare dans l\92opéra baroque pour être appréciée.

La direction de Jean-Claude Malgoire suit ce mouvement délibérément sage, en tempi généralement alertes et véritable sens de la progression musicale, sinon dramatique. Mais la Grande Ecurie et la Chambre du Roy se montre souvent faillible, de mise en place comme de justesse, et surtout avare des couleurs d\92une dramaturgie kaléidoscope, à l\92image de chanteurs fidèles parmi les fidèles, plus convaincants par la volonté que par des prouesses vocales.

Lynne Dawson, haendélienne au génie maintes fois réaffirmé, peine dans le grave et soigne peu les mots, estompant les contours d\92une Agrippina qui n\92a plus que la lumière de l\92aigu. De récitatifs enjoués, Ingrid Perruche sacrifie dans les arie la précision et la souplesse au profit d\92une ampleur qui souvent lorgne sur le rôle-titre. Timbre émouvant, mais technique précaire, Thierry Grégoire est un Ottone rythmiquement et physiquement placide. Le Claudio de Nigel Smith fanfaronne en revanche avec panache, osant plus encore qu\92une étendue déjà démesurée, d\92un aigu fièrement projeté, alors que Dominique Visse crée un personnage dans la seconde, ici Narciso virevoltant, en voix à la laideur irrésistible. Plus assuré là où la tessiture lui est moins aisée, mais adolescent encore dans les jupons de sa mère, Philippe Jaroussky est un Nerone à l\92aigu moins renversant, peut-être, mais au timbre plus charnu, à la couleur plus riche, et de chant virtuose, varié, éminemment italien, leçon unique, exaltée, de bel canto."

"Pour être tout à fait honnête, on y allait un peu à reculons... Non pas à cause d'Haendel, qu'on louera bien volontiers en ces jours de froid polaire, mais d'une production peu engageante, créée à l'Atelier Lyrique de Tourcoing en 2003 et alors fraîchement accueillie par la critique. Depuis, un DVD (paru chez Dynamic) nous a renseigné sur les qualités d'un travail d'équipe louable, handicapé par la mise en scène insignifiante de Frédéric Fisbach et les déboires d'une équipe de chanteurs manquant d'envergure. Heureusement pour nous, l'Opéra est un art vivant, en permanente mutation, et l'on espérait secrètement que la chrysalide serait peut-être devenue papillon. D'autant qu'Agrippina, rejeton inspiré d'un musicien de 25 ans qui a succombé aux sortilèges de la musique italienne, se prête au dépassement de soi... Mais, nul ne l'ignore, les miracles ne se produisent... que quand on ne les attend point.

Visuellement, cette Agrippina demeure toujours aussi pénible à regarder. Frédéric Fisbach a abordé l'oeuvre avec beaucoup de prudence : il la manipule avec des pincettes, au lieu de s'en emparer comme l'avait si bien fait David McVicar, il y a quelques années, à Bruxelles. Visiblement peu inspiré par le livret du Cardinal Grimani, d'une densité psychologique peu commune, riche en potentialités, le metteur en scène a tenté une "synthèse" entre l'esthétique baroque, incarnée ici par les costumes XVIIIème d'Olga Karpinsky (les robes saumonées valent le détour), les coiffures de Catherine Nicolas, et une certaine forme de modernité abstraite. Des panneaux amovibles (forme géométrique et couleur blanche de rigueur) lancés dans un chassé-croisé inlassable, censé traduire les émotions des personnages, pris au piège de leurs liaisons dangereuses, des projections vidéo parfois belles, mais gratuites... Autant dire que l'abstraction revêt ici de bien curieuses formes, tout en apportant peu au propos. Mais au fait, de quelle nature est-il ? Comment expliquer les déambulations erratiques que nous infligent une dizaine de comédiens inexpressifs ? Coup de pouce donné aux intermittents du spectacle ? Ou simple remplissage d'espace scénique ? Ce spectacle aussi dénué d'humour que de passion, se termine par le pied de nez que Fisbach adresse aux conventions de l'opera seria : des fragments du livret sont projetés sur une toile blanche, telles des bulles de BD. Pour les accompagner : onomatopées, interjections, annotations, noms d'oiseau et gribouillis... "Tout est factice, et je ne suis pas dupe. Ne le soyez-pas !" nous dit le jeune metteur en scène qui n'a pas réussi à imposer les idées fortes, originales, novatrices qui nous forceraient à regarder, et à entendre, Haendel autrement.

Véritable pionnier de l'aventure baroque, à qui l'on doit la découverte de nombreux manuscrits, Jean-Claude Malgoire traverse les âges avec la sérénité impassible d'un chef sioux. On le sait subtil accompagnateur, soucieux de respirer avec ses chanteurs et fin connaisseur de l'oeuvre du compositeur saxon. Il dispose, de surcroît, d'une instrument solide (La Grande Ecurie et la Chambre du Roy) qui, en termes d'homogénéité, de justesse d'intonation, de fiabilité, n'a pas grand chose à envier à des formations bien plus huppées ! Agrippina réussit plutôt bien au chef français et, il y a 20 ans, on aurait adhéré sans réserves à la lecture vivante et contrastée qu'il nous en offre. Mais d'autres sont venus depuis, extrayant de la musique de Haendel d'insoupçonnables joyaux : le parfois superficiel et bouillonnant Minkowski, qui en un claquement de doigts, transforme n'importe quel éteignoir en torche brûlante, osant les tempi les plus vertigineux, le lyrisme le plus flamboyant et l'extralucide Jacobs, à qui nul sentiment humain n'est étranger. Malgoire est un très bon chef, mais on aurait aimé entendre ses troupes galvanisées par une baguette plus audacieuse, plus charismatique, plus sensuelle, vibrante.

Le frisson, il n'aura pas fallu l'attendre d'une distribution de petit format. Une équipe de chanteurs sympathiques et sérieux, un esprit de troupe plutôt touchant, une complicité évidente avec le chef. Voilà pour les compliments ! Que l'on déplore maintenant un déficit flagrant en personnalités vocales et en incarnations mémorables, qui crée vite un sentiment de langueur, voire d'ennui, qui ne nous quittera plus. Et pourtant, dans cette oeuvre de trahison, de désir et d'amertume, les sentiments sont tous exacerbés. Le fiel et le miel se confondent en permanence, pour le plus grand bonheur du mélomane... Mais allez demander à la placide Lynne Dawson de donner corps (et voix) à l'épouvantable matrone romaine, passée maître ès manipulation. Remplaçant in extremis Veronica Cangemi, la soprano anglaise essaie visiblement de redonner à sa carrière déclinante son lustre d'antan. Si le timbre n'a guère perdu de sa luminosité, le bas-médium est devenu pratiquement inaudible et les aigus sont souvent émis en force. On souffre de voir une chanteuse aussi attachante se réfugier dans un chant par trop prudent, manquant terriblement d'assise (notes de passage escamotées), avec un recours trop systématique à la voix de poitrine. Les récitatifs ont particulièrement souffert de ces difficultés vocales, qui ternissent aujourd'hui l'image de la chanteuse. Tout juste auréolée d'une Victoire de la musique un tantinet imméritée, Ingrid Perruche dessine une Poppée mutine et précieuse, délicieusement fine mouche. Si le personnage est intéressant scéniquement, la soprano peine hélas à le caractériser vocalement. De belles notes qui s'égrènent, une voix et une personnalité qui se cherchent, sans véritablement se (et nous) trouver. Pour quelques jolies choses, combien d'afféteries insipides !

Face à des dames qui font souffler blizzard et sirocco, on attendait de ces messieurs qu'ils pacifient les cieux ! Dans cet opéra, les hommes n'ont pas vraiment le beau rôle. Geignards (Otton), stupides (Néron), obtus (Claude), manipulables (Pallas et Narcisse), ils sont l'instrument de la volonté féminine. Affublé d'une perruque ridicule qui rappelle le Richard Cocciante des années 80, Jaroussky surclasse à peu près tout le monde en matière de musicalité et de vocalisation (quelle virtuosité dans les trilles !). Mais le frêle Philippe est-il le contre-ténor haendélien idéal ? Cette voix d'angelot, un peu étriquée, pauvre en couleurs et en harmoniques, au volume limité, me semble un peu surestimée. On sera tout aussi réservé sur l'émission précaire de Thierry Grégoire, au demeurant fort émouvant Otton, capable, lui aussi, de beaux moments. Il n'y a pas grand chose à dire du Claude de Nigel Smith, limité dans l'extrême grave et au chant bien univoque. Bernard Deletré et Alain Buet sont correctement distribués en Pallas et Lesbus mais tous deux s'inclinent devant l'incontournable Dominique Visse. Un timbre ingrat, certes, mais quelle intelligence du texte, quelle musicalité ! Pour lui, pour Jaroussky, pour quelques moments de Perruche et de Grégoire, pour Malgoire et son ensemble, cette Agrippina arrosée au Champomi valait tout de même le détour."

 

 

 

 

 

 

 

"Un succès à tout point de vue. Francisco Negrin prend toute la mesure de cette équivoque intrigue de cour et la peuple de caractères puissamment dessinés. Les beaux décors flexibles d'Allen Moyer, très néo-classiques, sont superbement éclairés par JenniferTipton. Et Harry Bicket dirige magistralement un plateau de première grandeur : une lecture stylée et sensible à la moindre nuance dramatique, au moindre changement de ton.

Agrippina vaut d'abord pour ses expérimentations formelles : très réussie à cet égard, la scène où Ottone, dénoncé par l'empereur, implore l'aide des autres personnages du drame, déclenchant ainsi des ariosi de déni de la plupart, et des récitatifs brusques de quelques autres - et sa réponse hébétée, le lamento " Voi, che udite ", est le moment où le contre-ténor français Christophe Dumaux, jusqu'ici sonore et sympathique, devient réellement expressif. A noter que Bicket réduit plusieurs airs à leur section A et que les solistes assument les parties chorales. Garantes de l'ornementation haendelienne, Christine Goerke (Agrippina) et Lisa Saffer (Poppea) font preuve d'une magnifique invention. Goerke, surtout, est une splendide Augusta, qui prend des risques et sait se montrer irrésistible dans la pure comédie comme dans la déclamation tragique, d'une voix impérieuse et sombre: cette Agrippina met de l'acuité dans le récitatif et la cantilène, et projette des guirlandes d'éclatante coloratura. "Ogni venta " est son triomphe, tout comme le finale, lorsque l'impératrice, ayant enfin installé son fils sur le trône, remâche un arrière-goût d'inachevé - ici, Goerke et Negrin sont allés au-delà de la littéralité du texte et ont créé un moment mémorable de vrai théâtre lyrique. Lisa Saffer incarne, elle, une Poppea rouée et charmeuse, comme chorégraphiée, et qui n'a aucun mal à envoûter le bel Ottone svelte de Dumaux. Complétant la distribution avec beaucoup de panache et de style, le Claudio de Brindley Sherratt, vrai libertin sur ie retour, le Nerone folâtre et inconséquent de Kristine Jepson et le luxueux Narciso de Davld Walker. Grande soirée." (Opéra International - octobre 2004 - 26 août 2004)

 

"Le metteur en scène David Mc Vicar, qui faisait alors ses débuts parisiens et le chef d'orchestre René Jacobs nous avaient donné, voici trois saisons, une Agrippina ébouriffante et éblouissante, saluée unanimement par le public et par la critique. Tout y était, la verve, l'humour, la drôlerie, l'ironie, mais aussi, dans la grande tradition haendélienne, de prodigieux moments d'abandon. Ce spectacle sera redonné pour quatre soirées seulement avec une distribution quasiment identique, au sein de laquelle brilleront à nouveau le Néron androgyne de Malena Ernman, la sensuelle Agrippina d'Anna Caterina Antonacci, le Claudio décalé et ridicule de Lorenzo Regazzo. Le seul changement de distribution concerne le rôle de Poppée, qui sera interprété par la jeune suédoise Miah Persson."

"C'est avec un plaisir décuplé que l'on put revoir cette excellente production qui avait déjà charmé au printemps 2000. Rome, pour éternelle qu'elle soit, est ici proche de nous, toujours prête aux excès du pouvoir comme aux scandales mondains. La proposition étourdissante de David McVicar s'ouvre et se referme sur les tombeaux des protagonistes, autour d'un immense escalier jaune en haut duquel siège le trône tant convoité d'un Empire où finalement l'épouse de Claude emportera la palme au plus honteux concours d'intrigues et d'ambition jamais imaginé. Ce travail s'avèra intelligemment construit à partir d'une vraie analyse dramaturgique de l'oeuvre. La redoutable Agrippina était jouée par Anna Caterina Antonacci : présence fascinante, talent d'actrice sans limites, voix d'une endurance démoniaque au timbre corsé autant que séduisant, physique de rêve, la soprano menait la partie avec un génie au moins égal àcelui du personnage. Elle a su rendre crédible chacune des paroles du rôle, chaque situation, sans ce cabotinage fréquent qui consiste à désigner le jeu en jouant, pour ainsi dire. Le résultat connaît le bonheur d'être exempt de toute caricature, humanisant une femme que la littérature montra presque exclusivement comme un monstre. Quant aux victoires qu'elle emporte grâce à ses manipulations, loin de nous indigner, elles contribuent à nous la faire admirer, le sourire aux lèvres. A une Agrippina d'une grande classe est associée une grande distribution. Lynton Black donnait un Lesbo sonore, et Nerone était confié à la trépidante Malena Ernman produisant vocalises et ornements avec une décoiffante facilité. Lawrence Zazzo servait un Ottone attachant, d'une voix claire dont il maîtrise parfaitement les possibilités ; il a su plonger le public dans une gravité inquiète en donnant un "Voi che udite il moi lamento" beau comme un désert, désemparé et pudique. A la tête du Concerto Köln, René Jacobs proposait une lecture électrique de l'ouvrage."

"Reprise d'une production exemplaire présentée en mai 2000. L'Agrippina de René Jacobs a tout pour nous plaire. Sa direction nous éblouit autant par la rigueur du musicologue, que par l'exigence de l'esthète. A la fin de cette "première", on reste frappé par le sens "cérébral" parfois minimaliste de sa direction. La netteté tranchante du geste musical transfigure pourtant chaque nuance, instrumentale et vocale. A la précision millimétrée des accents, il ajoute la chair dramatique et l'onctuosité nécessaire. S'agissant d'Agrippina, partition plutôt inventive, cette attention sublime à la note, au son, au geste scénique fait merveille.

Aux côtés d'un orchestre voluptueux, mordant et murmurant, lascif ou grandiloquent jusqu'au ridicule (les airs de l'empereur Claude), le chef a réuni un plateau vocal superlatif. "Opéra de femmes", son Agrippina oppose deux figures de la séduction comme les deux faces complémentaires d'un miroir : l'ambition du pouvoir et son double, la sincérité des sentiments. Ici, un monstre de perversité cruelle, de cynisme glacial (l'Agrippina d'Anna Caterina Antonacci brûle les planches. Elle a gagné en sûreté et en finesse vocales depuis 2000) ; là, Poppée, amoureuse trompée mais habitée par l'intelligence du cour : Miah Persson était doublée vocalement par Rosemary Joshua ("La" Poppée des premières soirées 2000) dans la fosse.

Ce dispositif de dédoublement accentuait cet effet d'improvisation : voir la chanteuse à son pupitre aux côtés du chef, accréditait davantage l'effet d'une performance propre à notre soirée. Remplaçante inattendue, Rosemary Joshua a dépassé ce que nous avions entendu en 2000 : tendresse fragile du timbre et lyrisme toujours musical. L'on regretta que le chef n'ait pas inscrit le magnifique air dramatique "Per punir"et son étourdissant solo de clavecin (joué en 2000)."

"David McVicar n\92échappe pas à une certaine tradition anglo-saxonne, qui règle les difficultés de l\92opera seria par principalement deux solutions : la première esthétisante (et frisant parfois l\92ennui), soucieuse de donner aux chanteurs toute latitude pour déployer librement leur art ; l\92autre plus cynique, tendant à souligner les faiblesses mêmes du genre en recourant à l\92ironie et aux décalages. David Mc Vicar appartient plutôt à la seconde école, et sa mise en scène fait appel à l\92imagerie la plus débridée pour dépeindre un Empire romain sur le déclin. Les situations fortes \96 et hilarantes \96 ne manquent donc pas : autour d\92un escalier amovible jaune-or en haut duquel se dresse le trône impérial, les protagonistes de cette lutte pour le pouvoir évoluent tels des personnages tout droit sortis d\92un sitcom. Un Claude très businessman lubrique, une Agrippina digne de Jacky Kennedy, un Néron postpubère tête-à-claque, une Poppée-Barbie que n\92effraie guère l\92alcool, tout concourt à créer une ambiance aussi hystérique que cynique. Menée tambour battant, cette Agrippina est avant tout une efficace machine théâtrale, voire burlesque. Il est vrai que le livret commis par Vincenzo Grimani s\92y prête admirablement, satire virtuose de la Rome pontificale, ouvrant au jeune Haendel (il a 24 ans quand l\92\9Cuvre est créée à Venise) des voies d\92une richesse qu\92il ne retrouvera pas toujours pour les chefs d\92\9Cuvre à venir.

Dans ce contexte, il vaut mieux pouvoir compter sur des bêtes de scène, et cela est ici le cas. Anna Caterina Antonacci trouve en Agrippine un rôle taillé sur mesure : la tessiture lui convient idéalement, et le tempérament de la chanteuse italienne, sa présence vocale impérieuse, compensent largement un timbre désormais amoindri. L\92affrontement entre Néron et Othon tourne à l\92avantage du premier car si Lawrence Zazzo/Othon ne démérite nullement (projection rare pour un contre-ténor, musicien sensible), le Néron de Malena Ernman emporte totalement l\92adhésion par sa facilité vocale (un Come nube expédié avec une aisance sidérante, entre deux lignes de coke) et une composition ahurissante \96 rarement une chanteuse aura été aussi convaincante dans un rôle travesti. Lorenzo Ragazzo en Claude souffrit d\92une méforme annoncée au public, alors que Miah Persson, pour sa part vraiment malade, fut remplacée dans la fosse par Rosemary Joshua, au chant d\92une haute tenue malgré quelques approximations dans l\92intonation : dommage, car sa plastique avantageuse et son jeu d\92acteur laissent deviner une Poppée aussi piquante que séductrice. Les comparses sont, de même, scéniquement sans faille, Dominique Visse ne ratant pas l\92occasion, une fois de plus, de faire montre d\92un métier admirable en Narcisse.

Bien entendu, ce beau projet resterait en partie lettre morte s\92il n\92y avait un chef capable d\92animer toute cette machinerie. Même si l\92on aurait parfois aimé un brin de souplesse supplémentaire, en particulier dans la rythmique des récitatifs, il faut saluer le flair théâtral du chef belge et sa parfaite connaissance des canons du chant baroque. S\92appuyant sur un Concerto Köln plus incisif que jamais, René Jacobs a orchestré de main de maître ce rassemblement explosif, commentant avec un humour souvent ravageur les actes de ses chanteurs. De quoi faire réfléchir, et prouver que l\92opera seria est certes une affaire sérieuse, mais qu\92on peut en rire sans lui porter dommage."

"Trois ans après sa création triomphale au printemps 2000, la réjouissante production d'Agrippina de David McVicar et René Jacobs, qui transpose l'intrigue antiquisante à notre époque, n'a pas pris une seule ride - car McVicar, malicieux, n'a pas hésité à la réviser. Et c'est là d'ailleurs la bonne surprise de cette reprise ! Devant composer avec une nouvelle interprète dans le rôle de Poppée, le metteur en scène a revu sa partition avec elle, et ils ont créé ensemble un nouveau personnage, radicalement différent.

Changement de midinette - Là où Rosemary Joshua incarnait, en mini robe sexy et blouson de cuir vintage, une jeune courtisane perverse (sous des dehors de charmante et candide bimbo branchée) commençant à avoir de la bouteille, rompue aux moeurs (forcément dissolues) de la cour et n'hésitant pas à prendre des leçons d'Agrippine pour satisfaire son ambition toujours grandissante, Miah Persson, en jeans bootcut et débardeur noir, donne vie à une ado blessée et capricieuse, mi-poupée Barbie mi-fille de mafioso pourrie gâtée. Une fois de plus, le génie de McVicar se trouve dans les détails, comme cet oversized sweatshirt dans lequel s'emmitoufle la demoiselle après en avoir tiré les manches par-dessus ses poings... A l'évidence, ce changement de caractère modifie également les rapports entre les personnages, Poppée étant au centre de l'intrigue et des désirs enchevêtrés de ses protagonistes. La Poppée 2003 s'avère plus proche d'âge et de mentalité du jeune Néron (plus immédiatement attirée par lui lorsqu'il monte sur le trône, aussi), et sa relation à un Othon lui aussi différent (plus nerd coincé et carriériste que marin loyal et naïf) en semble moins sincère, moins touchante ; quant aux rapports entre Claude et Poppée, ils prennent une teinte légèrement incestueuse. Mais là où le changement se montre le plus spectaculaire - et le plus juste - , c'est dans les liens complexes et ambigus qui se tissent entre Poppée et Agrippine : entre la femme de pouvoir manipulatrice et la midinette abusée, plus de perverse séduction saphique ni d'initiation à la rouerie, mais un subtil et soigneux travail de sape, de broyage moral et psychologique, à l'image d'un Non ho cor che per amarti, dont l'effroyable violence contenue trouve des échos dans la musique qui, placée sous ce nouvel éclairage dramatique, révèle une véhémence insoupçonnée. Ce remaniement de la mise en scène, et l'habileté avec laquelle celui-ci vient s'inscrire dans le reste du tableau rappelle à quel point McVicar est un formidable directeur d'acteurs, comme on en rencontre encore trop peu à l'opéra - de la trempe d'un Sellars ou d'une Warner. Sous son égide, les chanteurs se métamorphosent littéralement et se livrent à des performances d'une impressionnante intensité.

Duel de tempéraments - Le plateau est une fois de plus tout entier dominé par l'impératrice carnassière d'Anna Caterina Antonacci, d'un abattage et d'une présence décidément fascinants. Femme du monde éprise de domination, épouse étouffante, maîtresse opportuniste, mère ambiguë et manipulatrice, et surtout stratège redoutablement psychologue, cette Agrippina accro au Gordon's et au pouvoir glace les sangs autant qu'elle hypnotise, et ce n'est pas une intonation souvent trop basse (on note au passage que trois ans après ce sont toujours exactement les mêmes lignes qui se trouvent malmenées avec une regrettable constance soir après soir) qui refroidira l'enthousiasme que suscite une incarnation en tout points admirable. Que ce soit dans la fureur ou le tourment, l'hypocrite sympathie ou l'insidieux déploiement de charme, la Antonacci, tout de feu et de bronze, trouve toujours l'attitude juste et tire son épingle du jeu même lorsque le chef la bouscule à coups de cravache sur l'orchestre (un travers pourtant bien peu caractéristique de René Jacobs dans cette musique), comme ce fut, de manière étonnante, le cas dans de nombreux airs.

Face à une telle Agrippine, difficile de s'affirmer, et il faut toute la folie et l'excentricité de Malena Ernman en Néron pour lui tenir tête, ce que celle-ci fait le plus crânement du monde, mais sans jamais mettre en péril la remarquable alchimie que le sale gosse qu'elle incarne entretient avec l'impératrice castratrice - la conjonction des talents et des tempéraments (scéniquement explosifs) des deux chanteuses donne lieu à de magnifiques scènes mère-fils sur lesquelles plane souvent le spectre de l'inceste (auquel Agrippine recourra d'ailleurs à la fin de sa vie pour tenter d'arracher Néron à l'influence de Poppée). Révélation des représentations de 2000, la suédoise survitaminée profite de la reprise pour transformer l'essai à l'aide d'une interprétation décidément superlative : plus allumé, plus gamin, plus hâbleur, plus cabotin, plus cocaïné, son Néron démentiel, troublant de justesse et d'androgynie, transporte une fois de plus - et il semblerait que la mezzo se soit donné comme seul objectif de se surpasser ! Comme toujours, l'agilité des colorature (inénarrable - et anthologique - Come fugge le nubbe dal vento), qui n'a d'égale que l'élasticité physique (hilarant Sotto il lauro che hai sul crine dont la chorégraphie à mi-chemin entre Michael Jackson et break-dance ébahit toujours autant), donne le vertige, tandis que la pure beauté de la voix - remarquablement homogène sur toute la tessiture - , l'intelligence du phrasé et des couleurs, et surtout l'audace des jeux de nuances et de détimbrages font tourner la tête à l'auditeur dans un Quando invita la donna l'amante d'une étourdissante sensualité et dont le miracle d'écoute mutuelle et de fusion musicale entre la chanteuse (vautrée par terre à l'avant-scène) et les deux flûtes (qui lui font face depuis la fosse) résonne encore dans les oreilles bien longtemps après la fin de la représentation.

Deux Poppée pour le prix d'une - On attendait beaucoup de la prise de rôle de Miah Persson en Poppée - difficile de succéder à Rosemary Joshua, à ses irrésistibles minauderies et à son sex-appeal dévastateur. Ironie du sort, c'est justement Rosemary Joshua que l'on entendit à la première, tandis que Miah Persson, vocalement incommodée, mimait le rôle sur scène ! Passé le choc premier de voir une Poppée sur scène en en entendant une autre dans la fosse (même si, paradoxalement, l'effet de doublage seyait bien, après tout, à une "adulescente" de soap), on se délecta une fois de plus du timbre frais et mutin de la soprano galloise, décidément adorable de fausse candeur et de vraie perversité (même lorsqu'elle chante le nez dans la partition). Miah Persson, une fois ses moyens vocaux retrouvés, campe de son côté une jolie Poppée, même si elle semble toujours chercher un peu ses marques au milieu d'une distribution sacrément rodée. Musicalement, sa prestation est impeccable, mis à part quelques problèmes de justesse (notamment dans les sauts d'intervalles), et son timbre fruité, parfois proche du capiteux, convient bien au personnage qu'elle incarne ; tout juste aurait-on aimé plus de feu et d'audace de la part de la soprano, qui semble privilégier la propreté vocale plutôt que le jeu dramatique.

Bizarrement, on se retrouve à faire le même reproche à son partenaire, Larry Zazzo, dont l'Othon est cette fois-ci étonnamment précautionneux et placide. Le contre-ténor américain se laisserait-il aller à se reposer sur les récents lauriers de son succès grandissant ? Toujours est-il que son interprétation, certes excellente sur le plan vocal, s'avère frustrante par son relatif manque d'engagement, et l'on ne retrouve que rarement le frisson éprouvé il y a trois ans à l'écoute de la déchirante plainte du loyal général au deuxième acte.

Que dire du reste de la distribution, si ce n'est que les messieurs sont toujours aussi parfaits. Claude à la fois bravache et veule, Lorenzo Regazzo excelle dans sa personnification d'une baudruche aussi prompte à s'enfler au contact de sa maîtresse qu'à se dégonfler devant la farouche vindicte de son épouse, tandis que le duo de courtisans opportunistes campés par Dominique Visse et Antonio Abete se montrent plus drôles que jamais. Lynton Black complète idéalement le tableau avec un Lesbos malin et distancié.

A quand l'enregistrement ? Dans la fosse, René Jacobs mène une fois de plus son orchestre tambour battant - mais cette fois, on surprend le chef à se livrer à un péché mignon pourtant guère dans ses habitudes : l'usage de la cravache ! Parfois poussé par un démon aussi invisible qu'inexplicable, Jacobs bouscule chanteurs et instrumentistes parfois aux limites du raisonnable, et l'auditeur tant que l'interprète se retrouvent en manque d'air dans certaines arie ; fort heureusement, avec un cast aussi rompu aux délirants excès d'Agrippina, ce qui pourrait mener à la catastrophe pousse certains à se surpasser, notamment Anna Caterina Antonacci, que l'on aura rarement vue aussi maîtresse de la situation. Orchestre et continuo s'en donnent à coeur joie dans une musique pleine de lyrisme et de fureur et même si le continuo semble parfois avoir perdu un peu de son mordant originel, les accompagnati restent remarquables de tension dramatique, tandis que l'accompagnement des airs suit à la perfection les voix (nous permettra-t-on cependant de regretter certaines modifications dans la réalisation musicale, comme cette disparition du clavecin machiavélique sous la deuxième phrase du Tu ben degno sei dell' allor d'Agrippine?). Menée de main de maître par un metteur en scène musical aussi exigeant que plein d'humour, cette Agrippina déjantée ne réclame à présent plus qu'une chose : une double parution CD et DVD dans les plus brefs délais ; car on voit mal qui d'autre que le chef gantois pourrait enfin apporter à ce chef-d'oeuvre un peu fou la référence qu'il attend toujours depuis que le disque existe... de même que l'on a peine à imaginer production plus brillante et plus jouissivement cruelle que celle de David McVicar."

  "Après avoir triomphé en mai 2000 à Paris et en juin et septembre derniers à Bruxelles, la fameuse production de David McVicar d\92Agrippina revient le temps de quelques représentations au théâtre des Champs-Elysées et se taille un franc succès. Certes Haendel suscite des mises en scène de plus en plus farfelues, de plus en plus décalées et la transposition au monde contemporain est un des artifices privilégiés par les metteurs en scène. David McVicar ne déroge pas à cette règle, mais avec moins de talent et d\92esthétique que Jean-Marie Villégier dans Rodelinda de Glyndebourne.

Cette lecture de la Rome antique, par bien des aspects, est très intéressante. Le metteur en scène décide de présenter une Rome assez décadente et surtout en mauvaise passe politique : le panneau du rideau montre une louve romaine en bonne santé et nourrissant les deux jumeaux mais lorsque Claude apprend la fausse trahison d\92Ottone, la lumière s\92éteint sur une louve ensanglantée. Agrippine, véritable furie déchaînée, tente pendant près de quatre heures, d\92asseoir son fils Néron sur le trône et d\92évincer Ottone, le favori de Claude. David McVicar présente cette oeuvre comme un moment dans l\92histoire romaine à travers le personnage de Lesbos, rôle assez mineur musicalement, mais qu\92il amplifie en en faisant une sorte de Destin : en effet le personnage apparaît sur scène dès l\92ouverture, un volume des Annales de Tacite à la main. A la fin de l\92opéra, il se remet dans la même position, toujours avec le livre. La scène s\92ouvre sur une série de tombeaux sur lesquels sont gravés les noms des personnages et tous les chanteurs sont allongés dessus. Au moment du final, ils regagnent leurs sarcophages et se replacent presque dans la même position. Ces accessoires sont à transformation car celui d\92Agrippine devient une coiffeuse, celui de Poppée un lit\85 L\92élément décoratif central de cette mise en scène est un escalier jaune au sommet duquel se trouve le fameux trône convoité par tant de personnages: Claude y reçoit son triomphe, Agrippine, hors d\92elle, rampe sur les marches à la fin de l\92acte 2 et Néron gravit allègrement les marches à la fin de l\92opéra: la prise de l\92escalier symbolisant quelque peu la prise du pouvoir\85 Toutefois on note ça et là quelques incohérences, certes volontaires. Pendant l\92air \93Tu ben degno\93 Agrippine est censée s\92adresser à Ottone, or ce dernier est en train de se faire interviewer et Agrippine parle dans le vide. De même Néron témoigne des marques de tendresse à une mère absente, partie s\92habiller en coulisse.

Si la mise en scène déstabilise un peu, le bonheur au niveau vocal est extrême. Tous les rôles sont tenus à la perfection et on ne sait qui louer le plus. Anna-Caterina Antonacci, déjà superbe dans Rodelinda en février 2002 au Châtelet, trouve en Agrippine un de ses meilleurs rôles. La voix est claire, forte, nuancée. La seule petite déception vient de ses aigus un peu forcés. La chanteuse s\92engage corps et âme dans ce personnage et le transcende complètement. Sa voix est faite pour Haendel, certes, mais derrière certaines notes on peut entendre une future Tosca se débattant dans les griffes de Scarpia. Lors de la première elle est restée assez fidèle à la mise en scène mais à la dernière représentation, elle a accentué tous les traits de son personnage, faisant d\92Agrippine une alcoolique certes, mais surtout une femme déterminée et prête à tout pour faire monter son fils sur le trône. La fameuse scène \93Pensieri, voi mi tormentate\94 est peut-être un petit peu moins bien chantée lors de la dernière mais est bien plus convaincante et la colère d\92Agrippine prend corps à ce moment. Anna-Caterina Antonacci module sa voix de manière à crier certaines notes pour les rendre plus dramatiques : lorsqu\92elle appelle Néron au pouvoir avant le retour inattendu de Claude, ses \93Vieni\94 sont davantage des rugissements que des notes. Une grande actrice et une grande chanteuse!

Miah Persson se sort du rôle de Poppée avec tous les honneurs. Souffrante le soir de la première, Rosemary Joshua, qui avait créé cette production, a accepté de chanter dans la fosse. Extrêmement tendue au début de la représentation, sa voix se libère au fur et à mesure et elle parvient à surmonter son appréhension pour retrouver toute sa mesure dans la deuxième partie. En revanche Miah Persson, en pleine forme le soir de la dernière, séduit par sa voix fraîche qui avait déjà fait merveille dans le rôle de Smorfiosa dans l\92Opera Seria en mars dernier, mais aussi par son engagement vocal. Elle tente le pari de faire de Poppée une véritable peste, moins manipulatrice qu\92Agrippine mais qui ne saurait tarder à la valoir. Ses vocalises sont menées avec soin, toutes les notes y sont et elle tente de donner à cette accumulation de notes une portée dramatique. Elle se montre particulièrement émouvante dans le duo avec Ottone et coléreuse dans la cavatine \93Tu ben è\92ltrono\94 qu\92elle lui chante au moment de sa disgrâce: elle distingue chaque syllabe, prête à éclater!

Malena Ernman est absolument époustouflante dans le rôle de Néron. Sa transformation en jeune garçon façon banlieue est criante de vérité et elle en a adopté tous les gestes, toutes les attitudes. Elle joue le jeu jusqu\92au bout et avec brio. Le metteur en scène décide de faire de Néron un jeune fou, drogué et dominé par ses pulsions amoureuses. Quelques jeux de scène sont assez drôles notamment quand le prince royal est obligé de décliner son identité pour avoir le droit de commander une bière dans le bar. Cette jeune chanteuse module sa voix à l\92envie et sait la rendre envoûtante comme dans l\92air \93Quando invita la donna\94 qu\92elle chante rideau baissé et couchée par terre: avec René Jacobs, ils adoptent un tempo assez lent, rendant ce passage presque irréel. Le premier air qu\92elle chante en hommage à Agrippine est également d\92une pure beauté et ses \93o\94 de \93ascenderò\94 sont en parfaite harmonie avec les sons de l\92orchestre.

Lorenzo Regazzo, annoncé malade lors de la première, est souverain dans le rôle de Claude. René Jacobs explique, dans le programme, qu\92il a préféré un baryton à une basse, ce qui permet de jouer sur le ridicule du personne et son incapacité à prendre des décisions. Il est sûr que l\92on imagine difficilement un empereur romain digne de ce nom en train de jouer au golf ou bien découvert, à moitié déshabillé, par sa femme au moment où il s\92apprête à séduire Poppée. Le metteur en scène prend le parti de montrer la faiblesse de ce personnage, ce qui met davantage en relief la manipulation et la détermination d\92Agrippine. Vocalement, le baryton italien est parfait et il n\92hésite pas à enlaidir certaines notes pour montrer sa stupidité. En revanche, il se donne des airs de Don Juan dans son air \93Vieni o cara\94, air de séduction.

Lawrence Zazzo est un des meilleurs contre-ténor actuels. Il brosse le portrait d\92un Ottone tendre, valeureux et honnête. Son jeu d\92acteur excellent rend son renoncement au trône convaincant. Quant à sa prestation musicale, il met la salle à ses pieds dans la scène magnifique qui clôt la première partie de l\92acte 2: il chante ce long air avec douceur, sensibilité. De même lorsqu\92il souffre de la froideur de Poppée, il trouve dans \93Vaghe fonti\94 des accents qui font penser à la pureté de la voix d\92Andréas Scholl. Mais la scénographie ne l\92avantage guère et il se retrouve souvent à marcher de long en large quand il n\92est pas obligé d\92esquisser des pas de danse\85 La seule petite remarque que l\92on pourrait faire - à lui mais aussi à d\92autres chanteurs de sa tessiture - c\92est qu\92il n\92est pas toujours très compréhensible.

Dominique Visse, comme toujours, est excellent et imprévisible. Le premier de ses deux airs est celui qui lui correspond le mieux et il surprend par des accents doux, mielleux sur les \93a\94 de \93presago\94. David Mc Vicar a su trouver le moyen d\92exploiter au maximum ses dons de comédien et de musicien. Il chante ce fameux premier air au milieu d\92une réunion et il s\92adresse à Agrippine en privé: les figurants semblent lire une sorte de programme et sont dérangés par son air. Dès qu\92il donne une note plus aiguë ou plus forte que les autres et surtout si caractéristique de sa voix, ils se mettent à réagir et à demander le silence, au point qu\92il sort de scène sous leurs huées. Amoureux transi mais frustré d\92Agrippine, Narciso lui est entièrement dévoué et il le démontre en étant soumis et tremblant à chacune de ses apparitions.

Antonio Abete est un comparse à sa hauteur. Ce chanteur possède de très beaux graves qu\92il met en valeur dans son premier air et dans les notes piquées qui le jalonnent.

René Jacobs passe, depuis quelques années maintenant et après plusieurs enregistrements unanimement salués, pour un grand chef haendelien. Certes mais sa direction manque parfois de douceur et de profondeur, que seul Marc Minkowski (la comparaison ne peut que se faire) sait trouver. Tout cela reste bien froid et le chef ne semble pas se fondre avec la musique et faire corps avec elle. Le Concerto Köln répond à toutes les exigences de son chef et René Jacobs peut alors s\92appuyer sur un pupitre de vents particulièrement remarquable. Quant au solo de clavecin du 2ème acte, Stefano Maria Demicheli se montre éblouissant de virtuosité et en même temps capable d\92un certain humour : il contribue à rendre cette scène musicalement drôle et en parfaite harmonie avec la mise en scène particulièrement élaborée.

Cette reprise d\92Agrippine est donc la bienvenue en ouverture de saison. Le public semble trouver beaucoup de plaisir à regarder les personnages antiques se crêper le chignon et intriguer. Même si la mise en scène déroute quelque peu, il est indéniable qu\92un véritable travail a été mené à son terme et il faut reconnaître à David McVicar le soin de rester cohérent jusqu\92au bout. Ceux qui se sentiraient frustrés scéniquement trouvent leur compte, fort heureusement, dans la musique\85 Il ne reste plus qu\92à souhaiter que le travail musical trouve son aboutissement dans un studio d\92enregistrement !"

 

 

  "La reprise d\92Agripinna permettait de faire le point sur ce spectacle créé il y a trois ans, et qui reste un modèle de mise en scène intelligente, drôle et respectueuse de l\92\9Cuvre, le côté un peu superficiel de l\92opération me semblant moins marquant, et au contraire soutenu par une réflexion sur les rapports de pouvoir très intéressante. On mesure également le travail énorme entrepris avec les figurants qui d\92un bout à l\92autre du spectacle soutiennent la trame narrative de manière étonnante. C\92est la toile de fond sur laquelle évoluent les personnages dans une direction d\92acteurs tellement forte qu\92elle semble à certains moments improvisée.

La réalisation musicale nous comble plus encore qu\92en 2000, l\92infatigable René Jacobs retrouvant un Concerto Köln en grande forme et la plupart des interprètes qui se sont encore améliorés, s\92appropriant à pleines mains leur rôle aussi bien sur le plan scénique que vocal. Le seul changement de distribution concerne Poppea, naguère interprétée par Rosemary Joshua, confiée cette fois à la sublime Miah Persson, dont on garde en mémoire sa magnifique Almirena de Rinaldo à Innsbruck, et qui réussit aussi bien dans ce rôle plus léger, plus comique mais qui demande aussi une capacité à s\92abandonner à l\92émotion (dans le duo avec Ottone par exemple). Sa voix fruitée, sa facilité à vocaliser et à maîtriser les joies du « da capo », ainsi qu\92un physique séduisant lui permettent de s\92intégrer à une équipe d\92une solidité à toute épreuve."

"Ce qui fait la réussite de cette vision, ce n\92est pas la transposition à notre époque, ce ne sont pas non plus les clins d\92yeux à la société qui nous entoure ni la belle impertinence de certaines scènes. Ce qui fait la grandeur de cette mise en scène, c\92est qu\92elle réussit parfaitement à donner corps à ces personnages et à justifier chacune de leurs actions par un profil psychologique des mieux dessinés. Ainsi, le spectateur est d\92emblée convaincu que Néron, transporté au vingt-et-unième siècle serait bel et bien le jeune homme décrit plus haut. Un concept suffit rarement à animer une soirée (surtout quand celle-ci dure près de quatre heures), il faut donc saluer le nombre incroyable de trouvailles qui colorent les scènes, les rendant ainsi captivantes. Le piège de ces opéras baroques étant de proposer une alternance de scène rocambolesques et stéréotypées, David McVicar a parfaitement compris que le seul traitement qui sauverait le spectateur de l\92ennui, était de le faire rire car, indéniablement, Agrippina est l\92une des \9Cuvres les plus comiques et les plus savoureuses de la production de Händel. Ainsi on notera quelques phrases qui feraient d\92admirables citations, comme Narciso abandonnant lâchement son ami Otton, désavoué par l\92empereur et lui lançant benoîtement : « L\92amitié dure aussi longtemps que le succès ». Pour ceux qui auraient le bonheur de découvrir cette production à Bruxelles ou au Théâtre des Champs Elysées de Paris, je ne dresserai pas la liste des gags qui animent la production, simplement je me permets de signaler que l\92air de fureur de Néron, où celui-ci sniffe des lignes de coke en vocalisant à une allure démente, restera gravé dans mon esprit comme l\92un des moments les plus jubilatoires auxquels il m\92ait été donné d\92assister.

Véritable leader charismatique, René Jacobs est le Kadhafi des chefs d\92orchestre : il terrorise ses solistes avec des dogmes dont il ne s\92éloigne jamais ; seulement à l\92inverse du sympathique tyran libyen, Jacobs obtient un résultat devant lequel il n\92est à propos que de s\92agenouiller. Béni soit René Jacobs qui, dans toute sa divine splendeur, trouve les couleurs, les sonorités et les motifs les plus appropriés pour mettre cette partition et ce livret en branle. Après avoir entendu Jacobs, comme les lectures de Gardiner, McGegan, Haïm et Malgoire me semblent soporifiques. Question de goût, sans doute. Le plateau est en tous points remarquable à l\92exception d\92Antonio Abete, Pallante scéniquement impressionnant mais qui peine quelque peu dans les ornementations et dont la voix est décidément bien petite. La Poppée de Miah Persson, toute sensuelle qu\92elle soit, a bien du mal à faire oublier Rosemary Joshua dont le charme, le talent et le sex-appeal avaient émerveillé bien des mélomanes il y a trois ans, dans la même production. Cependant, il faut reconnaître beaucoup de mérites à la jeune soprano suédoise qui fait montre d\92une belle musicalité et d\92un investissement scénique jouissif. Réserve également \96 mais moindre \96 pour le Claudio de Lorenzo Regazzo, qui manque d\92extrême grave (défaut particulièrement exposé dans ce rôle). Le chanteur est cependant très à l\92aise dans les passages de grande véhémence et la caractérisation de son personnage est vraiment une réussite. Dominique Visse est un Narciso moitié Woody Allen, moitié Roberto Benigni, sa voix de caractère rend son personnage (couard de nature, sorte de loup Isengrin des temps modernes) encore plus désopilant. Les stars de cette production sont donc sans nul doute Malena Ernman (Néron) et Anna Caterina Antonacci (Agrippina). La première, grimée en adolescent déclare avoir étudié le comportement de son frère et de son mari pour rendre son Néron le plus crédible possible. Le moins que l\92on puisse dire c\92est qu\92elle n\92a pas les yeux dans les poches ! Magie du maquillage, Malena Ernman campe un adolescent tellement crédible sur scène qu\92à la sortie on entend beaucoup de gens demander : « Oui mais pour finir, c\92est une mezzo ou un contre ténor ? » Ceci étant dit, saluons l\92interprète dont la musicalité atteint des sommets de subtilité et de bon goût, chacun des quatre airs de Néron est exécuté avec une grâce et avec un sens de l\92à propos tout bonnement confondants. Soulignons aussi la virtuosité de cette interprète dont les vocalises n\92ont rien à envier à Cecilia Bartoli. Enfin, Anna Caterina Antonacci prouve que ce n\92est pas parce qu\92on chante faux, quasiment du début à la fin, qu\92on est une mauvaise chanteuse. Il est vrai qu\92il y a quelque chose dans l\92intonation de cette artiste qui fait qu\92elle chante pratiquement tout trop bas. Ce défaut a parait-il beaucoup énervé René Jacobs qui n\92adresse pas le moindre signe ni le moindre regard à son interprète pendant toute la représentation. Pas vraiment bouleversée par l\92ire de Wonder-René, la pulpeuse Anna Caterina offre une incarnation des plus érotiques de l\92histoire de l\92opéra. Bon nombre de messieurs quittèrent d\92ailleurs La Monnaie, ce dimanche après-midi, avec un léger boitement qui fit rougir leurs épouses. Antonacci n\92est certes pas la plus grande chanteuse de tous les temps, mais elle a trouvé en Agrippina le rôle qui la rendra immortelle ; le rôle qu\92aucune autre ne rendra aussi délirant. Car c\92est en meneuse de revue tantôt alcoolique, tantôt manipulatrice, tantôt nymphomane \96 salope jusqu\92au bout des faux-ongles \96 qu\92Antonacci fait progresser l\92intrigue. Ajoutons à cela un souffle impressionnant et des vocalises impeccables héritées de sa fréquentation assidue du répertoire rossinien et nous obtenons un petit miracle de musique et de théâtre."

 

 Monica Colonna en Agrippina

 

 

 

Agrippina

"Mon intérêt pour le livret m'a conduit à l'aborder, dans un premier temps, comme une pièce de théâtre". A partir de ce constat simple, qui peut sembler évident, voire candide oui, l'opéra est théâtre, le metteur en scène Frédéric Fisbach construit un spectacle riche, d'une intelligence, d'une cohérence et d'une pertinence rares...L'originalité de l'approche de Fisbach tient au choix de compléter la distribution par autant de comédiens, pratiquement silencieux mais qui ont travaillé les rôles à partir du livret. Habillés de costumes couleur chair et se déplaçant avec lenteur, ils sont éléments du décor, régisseurs ou figurants. Outils dans la main des dramaturges, ils observent les chanteurs et les guident dans leurs déplacements au sein d'une scénographie minimaliste. Un grand carré blanc posé sur le sol définit deux espaces un espace externe, lieu privilégié - mais pas exclusif - des comédiens ; un espace interne dévolu aux chanteurs, modelé par les lumières et quelques éléments de décors-cubes et panneaux gris.

Hélas, malgré toutes les qualités de la mise en scène, nous avons peine à deviner ce qui a pu déclencher l'engouement du public en 1709. Car, dans la fosse d'orchestre, La Grande Ecurie et la Chambre du Roy nous inflige une bien piètre prestation, que même un soir de première ne peut expliquer. Il est alors délicat d'évaluer la prestation des chanteurs. Globalement peu à l'aise dans la vocalisation et exécutant des da capo bien plats, la distribution ne manque pourtant pas de qualités. Quand elle ne se bat pas contre l'orchestre, Véronique Gens est une magnifique Agrippina. Nigel Smith prête idéalement ses importants moyens à un Claudio hâbleur à souhait et le beau timbre de Thierry Grégoire convient au personnage vertueux et parfois élégiaque d'Ottone. Dans des rôles de moindre importance, on ne peut que souligner les performances vocales et scéniques de Bernard Deletré (Pallante) et d'Alain Buet (Lesbo)."

"Le travail de Jean-Claude Malgoire a surtout recherché la clarté. Directeur "fondu" dans la fosse parmi les musiciens de "La Grande Ecurie et La Chambre du Roy", il veille constamment à l'équilibre des plans sonores, entre cordes bondissantes et bois et vents, suaves à souhait, placés derrière le chef, formant comme une rangée homogène devant le parterre. Cette disposition diffuse idéalement les couleurs de l'orchestre, spécialement dans les airs où l'instrument, flûte ou hautbois, par exemple, double le chanteur. Sur scène, la mise en scène signée Frédéric Fisbach, explicite les confrontations des acteurs, commente les enjeux incarnés. Une série de projection à la manière d'un exposé d'étudiants rappelle "qui fait quoi" et "qui aime qui". Là aussi s'affirme une volonté d'élucider le drame...Véronique Gens, en Agrippine, exprime une femme ambitieuse, plus qu'une conspiratrice haineuse prête à rugir si son intérêt est trahi. Récitatifs exemplaires, articulation souple, suave et claire, chant de haute volée, raffinée - trop peut-être pour le rôle ? -, sa voix toujours racée anoblit le caractère d'Agrippina. Soumis à sa loi, le "Néron" du contre-ténor Philippe Jaroussky incarne cet adolescent encore maladroit, au désir embryonnaire dont la perversité naissante laisse entrevoir une ambition démesurée. Le chanteur "détonait" dans son costume rayé mauve et sa perruque éclatée d'autant plus que le chant, musicalement parfait, d'une netteté ciselée, confirme qu'il est bien l'étoile montante des vocalistes baroques de l'heure. Aux côtés de ce duo fascinant, on aura apprécié la tenue plus qu'honorable des "soupirants" d'Agrippina : "Pallas" (Bernard Deletré) et "Narcisse" (Fabrice di Falco). Chant stable mais sans imagination pour l'"Ottone" de Thierry Grégoire. Timbre délicat mais souffle et aigus en difficulté pour la "Poppée" de Donata D'Annunzio Lombardi. Enfin, dans le rôle de l'Empereur Claude, le baryton Nigel Smith n'a manqué ni de noblesse ni de puissance.

"Eliminons d\92emblée le délicat problème d\92une mise en scène réfléchie, respectueuse de l\92\9Cuvre et pleine de bonnes intentions qui malheureusement n\92aboutissent que rarement. Si la direction de ses interprètes par Frédéric Fisbach n appelle à aucun reproche, tant l\92on sent qu\92un travail approfondi sur les personnages a été mis en oeuvre, il n\92en est pas de même avec une conception très discutable du décor quasi inexistant. Il s\92agit en effet plus d\92une transformation d\92un espace scénique, agrémenté de projections diverses et de modifications de cet espace par une équipe d\92acteurs ayant travaillé le livret. Le problème de cette idée est qu\92elle lasse terriblement du fait de la durée de l\92\9Cuvre, d\92autant plus que ces acteurs, supposés représenter le regard ironique des Vénitiens sur Rome affichent une mine lugubre pendant la majorité du spectacle ce qui contredit l\92effet souhaité. Reconnaissons cependant une dernière demi-heure réjouissante à ce niveau, lorsque des projections remplacent les sous-titres et se moquent, tout en les respectant, des conventions du genre. Admirons aussi les costumes et les éclairages particulièrement réussis.

C\92est sur le plan musical que nous retrouverons le plus de satisfactions. Jean-Claude Malgoire est un interprète d\92Haendel comme peu et c\92est souvent avec ce compositeur qu\92il donne ses meilleures prestations (il avait réussi l\92exploit de diriger en 1987 l\92orchestre de l\92Opéra de Paris pour Giulio Cesare au Palais Garnier avec un étonnant résultat). Fort d\92un orchestre particulièrement en forme, sa direction est à la fois vive et capable de mille nuances et de respirations appropriées. Les récitatifs ne sont jamais sources de tunnels éprouvants grâce à la rare solidité du continuo. Sur le plan vocal, il faut saluer une équipe particulièrement homogène et qui ne se contente pas de chanter. Véronique Gens était faite pour le rôle d\92Agrippina, son timbre un peu sombre contrastant merveilleusement avec celui d\92Ingrid Perruche, plus clair et qui campe une séduisante Poppea. Toutes deux ont une technique affinée qui leur permet de se jouer des difficultés de l\92écriture haendelienne. C\92est aussi le cas de Philippe Jaroussky qui ne cesse de s\92affirmer depuis ses débuts, ne se laissant pas démonter par les redoutables airs qu\92Haendel a réservés à Nerone ; il faudrait citer aussi Thierry Grégoire, au timbre délicat qui incarne un Ottone très sensible et qui, après un début hésitant, se montre à la hauteur d\92un rôle complexe. Bernard Deletré, un peu lourd dans les vocalises et Alain Buet, toujours stylistiquement parfait et vocalement solide participent à la réussite d\92ensemble ; seul Fabrice di Falco, au timbre bien étouffé, n\92a pas sa place dans une équipe de ce niveau." 

 

 

 

 

 

 

"Etrange chef d\92oeuvre que cette Agrippine, premier grand opéra haendélien où le compositeur, plutôt que l\92ébauche, semble parfois offrir la parodie de ses schémas ultérieurs. Achevé sur le rire tendre de Serse, son parcours opératique s\92ouvrait donc sur celui, sarcastique, de cette comédie noire admirablement troussée, où pouvoir et érotisme se déclinent avec un art consommé au travers d\92airs concis à la forme souvent très libre et de brefs ensembles directement hérités du style vénitien. Il n\92est pas surprenant que René Jacobs paraisse aussi à l\92aise dans cette partition, où sa vitalité nerveuse, l\92envol de ses attaque et les chatoyantes couleur de son merveilleux orchestre font constamment mouche. Si les problèmes d\92intonation des instruments transpositeurs s\92oublient volontiers, on s\92inquiète davantage en revanche de la tendance de plus en plus marquée du chef à ignorer la respiration de ses chanteurs (l\92absence totale de rubato dans les da capo ne gêne pas seulement l\92ornementation, elle est source de dangereux décalage). D\92autant que sur le strict plan vocal, la distribution n\92offre qu\92une performance marquante, mais quelle ! Avec sa projection royale, la richesse de ses harmoniques dans le médium, la diction frémissante dans le récitatif (un peu moins nette dans la partie haute de la tessiture), ce don de soi transcendant qui fait passer outre des vocalises un rien laborieuse, l\92Agrippine d\92Antonacci donnerait déjà le frisson sans l\92image. Les autres assurent san sautant marquer la mémoire (Zazzo commence très mal mais s\92impose finalement, Visse reste impayable, Joshua a pour elle son joli timbre pur mais monochrome, et reste tellement limitée dans les passages de virtuosité qu\92elle peine à s\92affirmer comme une rivale crédible). Tous en revanche sont parfaits scéniquement, et si la lionne Antonacci domine à nouveau d\92une tête, Poppée compose une irrésistible fine mouche, les hommes sont hilarants dans leur rôle de pantins militaires, et le Néron de Malena Ernman troublant de vérité dans son rôle de prince William tête à claques. Il faut rendre grâce sans doute à David Mac Vicar, qui sur des concepts à la Sellars éprouvés (Défilé de mode, caméras télé et rails de coke) déploie une direction d\92acteurs formidablement travaillée et parfaitement en phase avec la construction musicale (de vraies variations théâtrales pour les da capo) et signe dans cet ouvrage où la sentimentalité et le sublime n\92ont que peu de place un spectacle férocement jubilatoire."

 

 

"Agrippina est probablement l'un des meilleurs livrets confiés à Haendel. On est loin de Suétone ou de Plutarque, mais, sur le canevas assez classique d'une mère abusive prête à tout pour que son fils accède au pouvoir suprême, le cardinal Grimani a concocté une intrigue politico-sentimentale qui file bon train et dans laquelle aucun personnage ne rachète l'autre. Ce pourrait être sinistre ; mais l'acuité du trait évite le mélodrame et la variété de la musique fait que pas une minute l'intérêt ne retombe. Si les décors de John McFarlane évoquent sans ambiguïté un palais antique (d'immenses murailles noires, et un escalier doré au sommet duquel se trouve un trône), ses costumes, eux, sont bien du vingtième siècle. Et pour une fois le procédé fonctionne, parce que David McVicar n'a pas hésité à jouer la carte de l'humour et à désamorcer ainsi la tragédie. Néron, adolescent excité et sans cervelle, sniffe sa ligne de coke sans vergogne, l'empereur Claude n'est qu'un imbécile vaniteux (une allusion semble-t-il, au Pape Clément XI, ennemi juré de Grimani), et à la fin tous ces braves gens regagnent tranquillement leur tombeau pour y dormir du sommeil du juste. Toute l'équipe s'est sans peine coulée dans ce moule. Anna-Caterina Antonacci campe une Agrippina résolue, fait face aux vocalises les plus folles avec un tempérament de feu et un timbre de bronze. Rien de moins angélique, malgré les apparences, que la Poppea au chant délicieux de Rosemary Joshua.

Dominique Visse et la basse Antonio Abete forment le duo impayable des conspirateurs ratés. Le premier s'est même carrément fait la tête du cinéaste italien Roberto Benigni. De son côté, Lorenzo Regazzo donne à Claudio des allures de baudruche vite dégonflée, et Lawrence Zazzo, jeune contre-ténor américain, confère à Ottone, seul personnage à peu près sympathique du lot, des accents touchants. La surprise de la soirée, c'est Malena Erman : cette très charmante mezzo suédoise aux allures juvéniles n'a aucun mal à incarner Nerone avec fougue. Sa voix aux superbes reflets peut être douce ou mordante, son style est impeccable ; sans doute, prise au jeu, a-t-elle tendance à en faire trop, mais un tempérament pareil face à la volcanique Antonacci, quelle rencontre! René Jacobs, qui a établi sa propre édition d'Agrippina, (offrant ainsi pour la première fois un duo supprimé auquel le compositeur avait, semble-t-il, substitué deux airs) est à la tête du Concerto Köln, aux sonorités incisives et délectables. On attendait de sa part une vision vivante, dynamique, colorée, théâtrale au meilleur sens du terme ; on n'est guère déçu. Cette co-production La Monnaie/Théâtre des Champs-Elysées s'annonce incontestablement comme l'un des événements lyriques des printemps bruxellois et parisiens."

"Est-il possible actuellement de monter les opéras de Händel sans en passer par une transposition moderne ? Le procédé, s\92il n\92est plus désormais original, assure en tout cas une efficacité dramatique qui fait passer bien des choses du livret un peu à cheval entre le drama et le buffa. Les intrigues entre des personnages fortement caractérisés prennent près de quatre heures à se nouer et se dénouer, soutenues par une musique sublime et très inventive mais risquant à tout instant la monotonie par sa structure alternant récitatif /air (il n\92y a que peu d\92ensembles, notablement un duo magique entre Poppea et Ottone dans le deuxième acte). Nous sommes donc dans une sorte de soap opera haut de gamme avec des personnages bien stéréotypés évoluant dans les hautes sphères politico-sociales : aussi Claudio est-il un clone de Clinton attiré par une Poppea/Monica, tandis qu\92Agrippina semble un croisement d\92Hillary (Clinton bien sûr) et d\92Alexis de Dynasty. Les autres personnages sont également "actualisés" (à ce propos les costumes sont somptueux), en particulier le juvénile Nerone, accro à la cocaïne qu\92il sollicite à la moindre frustration. Le décor signé par John Macfarlane, impressionnant dans sa simplicité et sa souplesse modulable, ne se réfère par contre à aucune image de notre siècle et reste dans un abstrait finalement éloquent et convaincant. Le concept de David McVicar reste bien superficiel mais amusant grâce à de multiples clins d\92oeil qui parlent à notre sensibilité moderne (ah ! les caméras de CNN commentant le retour victorieux d\92Ottone). Ainsi la longueur du spectacle ne se laisse pas percevoir mais on pourrait l\92oublier tout aussi vite s\92il n\92y avait l\92excellence de l\92interprétation musicale, tout d\92abord grâce à René Jacobs, fin, souple, contrasté, vivant, menant un Concerto Köln idéal de précision et de sonorité. La distribution est presque parfaite, les chanteurs se révélant également tous immenses acteurs. Ainsi Anna Catherine Antonacci joue de son avantageux physique (mis en valeur par les costumes de John Mcfarlane) comme de sa voix ample et colorée ainsi que de ses raucités pour composer une Agrippina intrigante à souhait ; sa rivale, Poppea, est une Rosemary Joshua plus en longueur, elle, qu\92en rondeurs, à la fois fraîche et virtuose ; Malena Ernman prête son mezzo corsé et son agilité vocale (et physique) à une composition trèsréussie de Nerone ; dans deux rôles d\92intrigants retourneurs de vestes, Antonio Abete et surtout Dominique Visse (déguisé en une sorte de Roberto Begnini), toujours aussi claironnant font merveille ; Lorenzo Regazzo est un efficace Claudio mais la voix m\92a semblé un peu raide pour les virtuosités haendeliennes ; enfin, et surtout, Lawrence Zazzo, jeune contre-ténor sensible et musicien, incarne à la perfection l\92héroïque Ottone. J\92allais oublier Lynton Black remarquable dans un rôle épisodique mais intéressant. Un spectacle de bonne tenue dont la superficialité sera peut-être plus à reprocher au librettiste (Vincenzo Grimani) qu\92au metteur en scène."

 

 

 Agrippina à Halle

 

 

"Il est dommage que l'on se soit contenté de ressortir la banale Agrippina de Michael Hampe et Mauro Pagano que l'on a pu voir un peu partout depuis dix ans...une production qui continue inexorablement à vieillir...Livrés à eux-mêmes, prisonniers d'une scénographie encombrante et inerte, les chanteurs ne peuvent plus que gérer un ennui pénible."

 

Agrippina - Katia Ricciarelli et Simon Edwards

"Katia Riciarelli tente de masquer un déclin irréversible. Méprisant da capo, variations et cadences, elle ne timbre jamais sa voix pendant le premier acte....elle débite à toute allure un texte qu'elle s'est à peine donné le temps d'apprendre...On ne saurait imaginer Poppea plus pâle que Tiziana Tramonti, privée de tout mordant dans le timbre, de toute aisance dans l'aigu....Nicolas Rivenq souligne à merveille le ridicule de Claudio...Mémorable aussi l'Ottone de Bernadette Manca di Nissa dont le timbre royal, la projection sûre et le style impeccable...Simon Edwards, vocalement impeccable...Jean-Claude Malgoire a conféré à l'ensemble cohérence et harmonie." (Opéra International - avril 1997)

 

 

 

Agrippina à Dresde

"Un spectacle monté en coproduction avec le Theater am Pfalzbau Ludwigshafen, qui ne faisait à vrai dire que ressusciter, à très peu de variantes près, la version que Michael Hampe en avait signée il y a plusieurs années de cela à Cologne. On retrouve donc les décors et costumes de style Empire témoignant du raffinement esthétique du regretté Mauro Pagano. La nouveauté absolue résidait dans la présence au pupitre de Marc Minkowski, dont la direction d'une vitalité explosive, le sens gestuel baroque furent constamment perceptibles dans l'éloquence des récitatifs et le relief expressif des airs, dont la variété confère à la structure d'Agrippina une flexibilité exceptionnelle au sein même de la production d'opéras haendelienne. Aucun des solistes ne possédait la fluidité d'élocution nécessaire pour rendre justice aux spirituels apartés et aux vifs échanges de répliques, à la diversité de ton différenciant airs da capo, ariettes, ariosi et cavatines. Si l'on excepte le Narcisse finement dessiné de David Cordier, la distribution manquait de spécificité stylistique et fut loin de donner une exécution méticuleuse des coloratures et ornements. Patricia Schuman déploya en Agrippine plus de charmes proprement féminins que de flamboyance vocale. Rosemary Joshua investit dans son interprétation de Poppée davantage d'ambition stylistique et de brio. La basse assez lourde de John Del Carlo (Claude), le ténor cette fois étonnamment falot de Richard Croft (Néron) ne furent pas en mesure de conférer un quelconque relief à des personnages offrant à leurs interprètes de multiples ressources." (Opéra International - octobre 1994)

 

 

 

"La production de Michael Hampe et Mauro Pagano est empruntée à l'Opéra de Cologne, qui célébra en 1985 le tricentenaire de Haendel. Le dispositif consiste en une architecture dont le classicisme pourrait aussi bien être romain que contemporain de Haendel....Florian Malte-Leibrecht, responsable de la reprise, ne fait pas dans la dentelle. Les intrigues politico-amoureuses d'Agrippina sont exprimées avec autant de raffinement qu'"Au théâtre ce soir"...avec une surenchère de pantalonnades. Brenda Harris s'est indéniablement trompée d'opéra (ou d'opérette ?). Le Nerone de Jon Garrison est d'une tout autre pointure. Poppée est Janice Hall, jolie voix d'une grande agilité, non dépourvue de style, même si le souffle manque parfois dans les da capo."

 

 

 Agrippina à Göttingen

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

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